1 première seconde passa.
Une deuxième.
Une troisième.
Rien.
Candy commençait à paniquer. Puis
soudain, elle le sentit, faible, mais là. Suzanna vivait, elle
respirait. Son pouls était à peine palpable, certes, mais elle était
vivante, vivante ! Candy ne pus retenir plus ses larmes. Ses nerfs
avaient lâché devant tant de pression, et maintenant des larmes s’écoulaient
de ses joues, elle pleurait, là, à côté d’elle, à côté de
Suzanna.
Sur le coup, les personnes qui s’étaient
assemblées autour d’elle, tout comme les infirmières, Terry et Mme
Marlowe qui venaient d’arriver, crurent que la jeune femme à ses
côtés n’était plus de ce monde, que ce n’était plus qu’un
corps sans vie, mais ils se ravisèrent vite en l’entendant s’écrier :
-Merci mon Dieu, merci ! Elle
respire, Suzanna respire !
Rassurées, les infirmières s’approchèrent,
et étendirent délicatement le corps de Suzanna sur une civière, et la
ramenèrent aussitôt à l’hôpital pour qu’elle se fasse examiner,
et soigner.

En étant infirmière dans le service de
chirurgie à l’hôpital Sainte Joanna à Chicago, Candy avait souvent
pu observer la douleur des familles, lorsqu’une personne de leur
entourage qui leur était chère se faisait opérer. Elle avait ainsi pu
lire dans leurs yeux la crainte, l’angoisse, …, et par-dessus tout l’impuissance.
Candy cependant n’avait jamais songé
pouvoir se retrouver dans une telle situation, ressentir aussi
intensément ces mêmes sentiments. Comment elle, une infirmière
qualifiée et diplômée d’un des plus prestigieux hôpitaux du pays,
pouvait-elle en être réduite à faire les cents pas dans une salle d’attente.
Elle comprenait toutefois. Elle savait que n’étant pas employée dans
cet établissement, elle n’avait pas le droit d’y exercer. Et
pourtant, pourtant, elle avait envi d’entrer dans cette salle où se
trouvait Suzanna, et aider. Elle se mit à cette pensée à trembler de
rage, et des larmes commencèrent à se former autour de ses yeux.
A cet instant, quelqu’un posa une main
sur son épaule. C’était Terry.
- Je comprends ce que tu ressens, pour l’avoir
déjà vécut. Tu n’y peux rien, c’est comme çà. La seule chose à
faire pour aider, c’est attendre.
-Oui Terry, tu as raison.
Mais Candy ne pouvait se résoudre à
adopter une attitude si passive. Non, ce n’était pas dans son style.
Elle ôta de son cou l’un de ses porte-bonheur, la croix que lui avait
offert Mademoiselle Pony alors qu’elle n’avait que treize ans et qu’elle
quittait la maison de son enfance, elle s’agenouilla, et pria,
bientôt accompagnée par Madame Marlowe, et même par Terry. Des larmes
d’un goût amer lui caressèrent les joues.

Au bout d’une heure, allongée sur un
brancard, endormie, entourée de médecins et d’infirmières, Suzanna
sortie du bloc opératoire.
Un médecin, l’air grave, leur
expliqua que si Suzanna était encore de ce monde, c’était grâce au
fait que l’hôpital n’était haut que de deux étages, et car la
neige qui était tombée en abondance durant la nuit dernière et toute
cette journée avait amorti sa chute. Elle avait néanmoins quelques
côtes et le bras droit cassés.
Malheureusement, continua le médecin,
le choc qu’elle a subi l’a plongé dans le coma. Nous ne savons ni
quand elle se réveillera, …, ni même, … si elle rouvrira les yeux.
Un bruit sourd se fit soudain
entendre : la mère de Suzanna venait de s’évanouir.
- Des sels, vite.

La nuit fut longue et agitée. Après la
tentative de suicide de Suzanna et l’attente du diagnostic du
médecin, sa mère avait défaillit. Il avait fallut l’amener dans une
chambre à l’écart, avant de la ramener chez elle, puis Terry dû la
rassurer sur l’état de santé de sa fille, avant de la raccompagner.
Seulement à ce moment là ils avaient pu rentrer chez lui pour essayer
de prendre du repos. Ils ne s’échangèrent aucune parole au retour.
Que pouvaient-ils encore se dire après tout ce qui venait de se
produire. Lorsqu’ils arrivèrent, chacun gagna sa chambre sans un mot,
sans un regard. Quelque chose s’était brisé ce soir, et Dieu seul
savait ce qu’il adviendrait.
Candy ne cessa de se tourner et de se
retourner dans son lit. Ces derniers évènements la tourmentaient et l’empêchaient
de plonger dans un sommeil qui aurait pu lui être salvateur.
Finalement, à bout de force, éreintée, elle se leva et se dirigea
vers la fenêtre. Le soleil pointait à l’horizon, chassant les
derniers nuages de la veille. Ses rayons se reflétaient sur la neige
des toits et la faisait scintiller de mille feux. Mais Candy ne remarqua
même pas la beauté de ce spectacle. Elle fixait d’un air absent la
cour, et son parterre de fleurs fanées, gelées par la neige.
- Que puis-je faire mon Dieu, que
puis-je faire ? , et elle éclata en sanglots. Terry et moi, nous n’avons
plus aucun avenir, et Suzanna est entre la vie et la mort. J’ai été
inutile, je n’ai pas su la retenir, je n’ai rien pu faire. La seule
chose qui s’impose à mon esprit, c’est rentrer, fuir ce cauchemar,
et essayer d’atténuer mon chagrin.
A ce moment là, Candy porta sa main
droite sur son cœur, et y sentit quelque chose. C’était sa croix.
Elle revit Mademoiselle Pony, Sœur Maria, la maison Pony, ses jeunes
années, son prince, « Tu es bien plus jolie quand tu souris,
petite fille ».
- Oui, c’est vrai, je ne dois pas
pleurer. Souris souris Candy ; Si tes mamans te voyaient, elles ne
seraient pas très fières. Je dois me ressaisir. Je n’ai rien pu
faire jusqu’à maintenant, mais je suis une infirmière, et en tant
que telle, mon devoir est de soigner les malades, et j’ai une dette
envers Suzanna, elle a … elle a sauvé Terry. Ces derniers mots eurent
du mal à se former dans sa gorge, mais ils reflétaient la réalité.
Candy sortit de sa chambre et se dirigea
vers la salle de bain. Elle passa devant la chambre de Terry, mais ne
prêta pas attention à son occupant. Une fois lavée et habillée, elle
refit le même chemin, mais s’arrêta devant sa porte. Elle entendit
derrière des bruits de pas dans sa direction, mais ils stoppèrent net
devant la porte. Personne n’ouvrit. Elle tendit l’oreille et perçut
le bruit de sanglots.
‘‘Terry, …, Terry pleure, pensa
Candy, jamais je ne l’ai connu dans cet état. Il doit être …
déchiré’’. Des larmes s’échappèrent de ses yeux, tandis qu’elle
regagnait sa chambre, qu’elle faisait sa valise, et rangeait sa belle
robe blanche. Une fois qu’elle eut fini, avant de partir, elle alla
une dernière fois devant la porte de la chambre de Terry, et lui
dit : « sois heureux, je t’en prie, sois heureux ».
Alors qu’elle quittait son appartement, elle entendit la voix de Terry
lui répondre « Toi aussi, sois heureuse ». Elle franchit
le palier, elle avait quitté l’appartement.

-Enfin arrivée ! Je n’aurai
jamais imaginé que l’hôpital soit si loin de la gare. Heureusement
que j’ai laissé mes bagages à la consigne. Mais bon, le taxi et la
calèche étaient trop chers.
Candy entra d’un pas ferme et décidé
dans le hall, et se dirigea vers l’accueil, tenu par une jeune
infirmière.
- Excusez-moi, bonjour, je m’appelle
Candy Neige André, je suis infirmière et je voudrai savoir si vous
embauchez du personnel.
- Il faut que vous voyiez cela avec la
chef des infirmières. Pour aller à son bureau, vous devez aller au
couloir du personnel là sur votre gauche, et son bureau est le second
à droite. Elle se nomme Marie Lewis. C’est écrit sur la porte, vous
ne pouvez pas vous tromper. Au fait, bonne chance, ajouta la jeune
fille, dont la voix était devenue un murmure.
- Merci bien, au revoir. Candy quitta la
jeune infirmière, perplexe, et traversa le hall pour se rendre dans le
fameux couloir. Avant de quitter l’hôpital la nuit dernière, elle
avait entendu les médecins dire qu’il faudrait veiller constamment
Suzanna pour que son état n’empire pas. Mais ils avaient ajouté que
cela s’avérait difficile avec leur problème de personnel. Elle avait
donc des chances d’être prise ici, et peut-être qu’on lui
confierait la garde de Suzanna. C’est ce qu’elle espérait de tout cœur.
Arrivée devant la porte de Marie Lewis,
Candy marqua un temps d’arrêt. Déjà qu’elle était angoissée,
pourquoi l’infirmière lui avait-elle dit « bonne
chance » ? Se pouvait-il que cette femme soit plus stricte
que la directrice de l’hôpital Marie-Jeanne ? Bien indécise,
Candy frappa à la porte.
- Entrez ! L’invitation avait
été prononcée par une voix douce, Candy ne comprenait vraiment pas.
Cependant, une fois entrée dans la pièce, ce ne fut plus le cas. Au
contraire, Candy souhaitait n’être jamais entrée. Sur le visage de
cette femme, âgée d’une trentaine d’années, et elle présumait
aussi sur d’autres parties de son corps cachées par ses vêtements,
toutes les horreurs de la guerre. Marie Lewis, qui avait du partir à la
guerre, en était revenue marquée à vie. Toute une partie de son
visage était défigurée par des éclats d’obus.
- Bon … bonjour, bredouilla Candy.
- Mademoiselle, ne vous formaliser pas
sur mon visage et sur mon âge. Si l’on m’a confié ce poste, bien
que se soit pour des raisons évidentes que vous comprenez sûrement, j’ai
tout de même les capacités requises. Alors, parlez je en prie, dit
Marie sur le même ton aimable. Le ton employé n’était ni agressif,
ni amer. Candy en fut très surprise. Cette femme devait avoir une
volonté de fer pour prendre avec autant d’aisance sa position.
Elle saisit bien que si elle avait eu ce
poste, c’était, bien qu’elle en ait les compétences, surtout pour
que les patients ne soient pas effrayés par son visage, où se lirait
la barbarie de la guerre, jusqu’à son dernier souffle. C’était
sûrement aussi la raison pour laquelle elle avait été renvoyée en
Amérique. Qui aurait laissé une infirmière ainsi défigurée soigner
des soldats au front.
- Excusez-moi, je m’appelle Candy
Neige André, je suis infirmière et je voudrais savoir si vous avez un
poste à me proposer.
- Dites-moi quelle est votre formation.
- J’ai suivi une formation à l’hôpital
Marie-Jeanne, puis à Chicago à l’hôpital Sainte Joanna.
- Vous avez de très bonnes
références. Pourquoi avez-vous quitté votre poste ?
- Pour raisons personnelles, répondit
Candi visiblement gênée par la question. Marie le remarqua et n’insista
pas.
- Bien, je ne chercherai pas à en
savoir plus. Si vous aviez été renvoyée, je l’aurai su avant même
que vous soyez ici, car voyez-vous, on ne se fait pas renvoyer d’un
des meilleurs hôpitaux du pays sans avoir une réputation qui vous
précède. De plus, vous êtes pour moi un cadeau du ciel car nous
manquons de personnel, et nous avons une patiente fragile depuis peu.
Elle s’appelle Suzanna Marlowe.
- J’en ai entendu parler ce matin dans
la presse, on ne voit que çà sur les gros titres des journaux dans la
ville.
- Alors vous avez pu cerner son cas.
Elle est dans le coma, et son état requiert quelqu’un pour la
surveiller. Bien entendu vous aurez d’autres patients, mais c’est
vous qui vous en chargerez le jour. La nuit, j’ai déjà quelqu’un.
Quand pouvez-vous commencer ?
- Dès lundi prochain, le temps pour moi
de trouver un appartement et de faire venir mes affaires de Chicago.
Çà me laisse six jours.
- Parfait, je vous attends lundi.
Bienvenue à l’hôpital Saint Vincent. Vous viendrez chercher votre
uniforme ici et je vous présenterai vos collègues et les bâtiments.
- Très bien. Merci et à lundi, fit
Candy en partant.

Avant de prendre le train qui la
ramènerait à Chicago, Candy se mit à chercher un appartement. En
effet, à quoi bon déménager et ramener toutes ses affaires si elle n’avait
aucun endroit où les ranger ! Elle devait se dépêcher toutefois,
si elle ne voulait pas rater son train qui partait à trois heures.
Après bien des tentatives qui se soldèrent toutes par un échec, Candy
réussit à louer un ravissant deux pièces au deuxième étage d’un
petit immeuble, et d’où l’on avait une vue magnifique sur Central
Park. Avec la neige, on aurait dit un décor de carte postale, et Candy
rêva qu’au printemps il devait être resplendissant et éclatant de
couleurs. Les roses refleurissent toujours plus belles.

Le temps n’eut aucune prise sur Candy
durant son voyage de retour. Elle fut … comme … insensible à toute
la vie, à toute l’animation qui l’entourait pendant toute la durée
du trajet, elle resta figée, telle une statue de marbre, à laquelle un
Michel-Ange ou un sculpteur grec aurait insufflé un semblant de vie.
Elle arriva tard dans la soirée, et pressa le pas pour vite se
retrouver dans son appartement. Demain, elle démissionnerait de son
poste, elle préparerait son déménagement, et dirait au revoir à ses
amis. Il faudrait aussi qu’elle parle à monsieur Albert. Pour l’instant,
elle voulait rentrer, trouver du réconfort auprès de lui, et faire
quelque chose qu’elle n’avait encore pu faire, car elle avait du
être forte jusqu’à présent. Elle voulait pouvoir pleurer, encore et
encore, pour exorciser son chagrin, comme s’il pouvait à travers ses
larmes quitter son corps, son esprit, son cœur.
Quand elle entra dans le salon, elle
remarqua tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond.
Normalement, les pièces auraient du être allumées et monsieur Albert
en train de vaquer à ses occupations. Or, là, tout était plongé dans
le noir. Comme elle ne lui avait tien dit de son retour, il ne pouvait
ni être à la gare en train de l’attendre, ni lui faire une surprise.
Anxieuse, Candy découvrit une enveloppe sur la table du salon, sur
laquelle elle reconnut l’écriture de monsieur Albert : ‘‘Pour
Candy’’. La main tremblante, elle l’ouvrit, et y trouva une
lettre ainsi que de l’argent.
‘‘Candy,
ne m’en veux pas pour mon départ,
mais ayant surpris à plusieurs reprises les conversations et les
remarques désobligeantes des voisins sur le fait que nous vivions
ensemble, j’ai pensé qu’il était préférable de partir pour ne
pas entacher ton honneur. Je te remercie pour tes excellents soins.
Voici de l’argent pour te dédommager de toutes tes dépenses. Nous
nous reverrons bientôt.
Ps : je n’ai jamais osé te le
dire, mais quelques jours avant ton départ, j’ai eu un léger
accrochage dans la rue avec une voiture, et le choc qui en a résulté m’a
fait retrouver la mémoire.
Merci pour tout Candy,
Albert.’’
La lettre glissa d’entre ses mains.
« Monsieur Albert, vous n’auriez pas du. Je m’en moquai, moi,
de leurs médisances. » Epuisée nerveusement, à bout de force,
Candy s’endormit sur une chaise, et ne se réveilla que le lendemain
au petit matin. Elle avait dormi d’un sommeil sans rêve, ce qui lui
avait permis de prendre un certain repos.
Elle se changea, et sorti. La journée s’annonçait
rude.

Le directeur de l’hôpital accepta
tant bien que mal sa démission. En effet, qui avait envie de se priver
d’un aussi bon élément dans son équipe. Et avant qu’elle ne
reparte, il lui fit cette intéressante remarque : «
ceux qui vous auront comme infirmière seront soignés par un ange en
blouse blanche ». Ultime compliment pour la retenir, mais qui ne
fit pas revenir Candy sur sa décision, bien qu’il lui aille droit au
cœur.
Elle se rendit ensuite dans une agence
de déménagement. Là, le directeur lui proposa, comme on était
mercredi, de faire venir son équipe le vendredi, pour que ses affaires
soient acheminées pour le lendemain, ce qui laissait un peu plus d’un
jour pour tout ranger. Elle pouvait, si elle le souhaitait, suivre ses
effets pour encore moins perdre de temps. Cette situation lui parut
très accommodante, et Candy accepta le marché.
Il lui restait maintenant, et cela lui
brisait le cœur rien que d’y penser, à avertir ses amis.
Le chemin qu’elle eut à faire pour se
rendre à la maison des André lui apparut long et détestable. Milles
fois l’envie de s’arrêter et de rebrousser chemin lui traversa l’esprit,
la peur de leur réaction l’angoissant, et milles fois elle reprit sa
route, car ne rien leur dire n’aurait pas été honnête vis-à-vis de
ceux qui l’avaient toujours soutenue.
Enfin, la demeure familiale des André
émergea de la masse indistincte des maisons, morne, grise, froide, et
dégageant cette atmosphère de rectitude qui déplaisait tant à Candy.
Elle ouvrit la lourde grille de fer, et suivit la route finement sablée
qui menait à la porte principale.
Arrivée, elle fut accueillie par les
domestiques qui lui indiquèrent que Annie, Archibald et Patty
discutaient dans la véranda. Connaissant bien le chemin pour s’y
rendre, elle les remercia pour leur aide et se dirigea donc seule vers
la véranda. Elle qui pensait trouver des gens souriants et parlant
joyeusement à l’approche des fêtes, elle ne trouva que des mines
pâles et affligées à son arrivée. Inquiète, elle demanda ce qui se
passait.
« C’est Alistair, lui répondit
Annie, Patty étant trop émue pour prononcer le moindre mot, il …, il
est parti à la guerre. Tiens, voici la lettre qu’il nous a
écrite ». Annie tendit la correspondance à Candy, qui la lut à
haute voix. Aux premiers mots, Patty qui jusque là avait réussi à
contenir sa peine, se mit à sangloter.
‘‘Cher Patty, cher amis,
je suis actuellement sur un bateau qui
se dirige vers la France. Je voyage gratuitement, mais en contrepartie
je travaille comme forçat. J’ai décidé de m’engager dans l’armée.
La guerre à l’étranger est une chose à laquelle il m’est
impossible de rester indifférent. Cependant, je veux que vous,
mesdemoiselles, vous viviez dans la paix. Lorsque cette lettre vous
parviendra, je serai sans doute pilote dans l’Armée française, et je
pourrai défendre avec fierté notre patrie avec mon avion.
Alistair.
En un éclair, Candy revit l’expression
qu’arborait Alistair sur le quai de la gare, quelques jours
auparavant.
« Je suis, …, la dernière à l’avoir
vu, réussit-elle à articuler. Il était … sur le quai de la gare.
Mais ce n’était pas moi qu’il attendait, mais son train. Tout
prenait un sens. Pourquoi n’ai-je rien compris, se mis-elle à hurler,
pourquoi, pourquoi n’ai-je rien vu, pourquoi…, mais elle ne pu rien
dire d’autre, ses cris s’étouffant dans l’étreinte d’Annie,
qui avait prit son amie dans ses bras.
- Candy, ce n’est pas ta faute. Tu
étais tellement heureuse à l’idée de revoir Terry.
- Candy, continua Patty, tu n’es pas
responsable. C’est sa décision, et personne ne peut aller à son
encontre. Tu dois l’accepter, tout comme moi je l’accepte.
- Oui, vous avez raison, et elle essuya
ses larmes.
- Au fait, lui demanda Archibald pour
détourner la conversation, de quoi voulais-tu nous parler ? A l’instant
même où il posa cette question, il comprit à l’expression de
détresse qu’avait prise Candy que la réponse qu’elle allait lui
fournir ne serait du goût de personne.
Candy leur expliqua, courageusement, le
drame qui s’était joué à New-York avec Suzanna et Terry, et sa
décision de déménager pour soigner Suzanna. Une fois son récit
achevé, ils restèrent tous dans un profond silence, personne ne savait
ni quoi dire, ni quoi faire. Ce fut Annie qui rompit en premier cette
atmosphère pesante.
« Je respecte ta décision, tout
comme je respecte la décision d’Alistair. Et si tu veux bien, j’aimerai
t’aider à déménager. Je ne veux pas te laisser seule à ruminer tes
pensées. J viendrais aussi te voir le plus souvent possible.
- Crois-tu que nous te laisserons en
tête-à-tête avec Candy, dirent en cœur Archie et Patty. Nous aussi
nous t’aiderons.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Ils
se mirent immédiatement en route vers son appartement pour l’aider à
faire ses paquets. Arrivés devant la voiture, ils croisèrent Daniel et
Eliza qui revenaient de la ville. Chacun croisa le regard de l’autre,
neutre pour Candy, haineux et méprisant pour Eliza et Daniel,
cependant, intérieurement, ce dernier, en lui-même, ne pus s’empêcher
d’observer le groupe s’éloigner avec jalousie. Pourquoi diable
était-il jaloux, pourquoi voulait-il être avec eux, non, être seul
avec Candy, rien que tous les deux. Mais cette pensée le mettait de
mauvaise humeur. Pourquoi désirait-il tant être avec une fille d’écurie
qu’il avait humilié pendant toute son enfance. Bof, ce dit-il, je
vais prendre un verre de whisky, une petite bouffée, et je n’y
penserai plus, et aussi, je dois m’occuper d’un arrivage avec Eliza.

Le lundi matin en se rendant à l’hôpital
pour prendre son service, Candy ne pu s’empêcher de penser à ses
amis qui l’avaient aidé emballer toutes ses affaires à Chicago, puis
qui avaient fait le trajet avec elle jusqu’à New-York et l’avaient
aidé à emménager. Cette occupation avait été pour tous un exutoire,
une thérapie. Elle leur avait permis pour un temps de se décharger de
leurs sentiments, et ainsi oublier pour un moment leur chagrin. Ce
nouvel appartement était tout aussi spacieux et coquet que l’ancien.
Jusque tard le samedi soir ils avaient fêté cet emménagement, plus
pour s’occuper que par réelle envie, les récents évènements ne
leur permettant pas d’être aussi joyeux qu’à l’accoutumée.
Puis, le dimanche, dans la journée, ils avaient du repartir, mais en
promettant de se donner souvent des nouvelles.
Arrivée à l’hôpital, elle se
présenta à Marie comme elles se l’étaient convenu. Cette dernière
était assise à son bureau quand Candy arriva, en train de remplir de
la paperasse, seule occupation qui lui était encore possible.
« Bonjour Candy, lui dit-elle
quand elle leva le nez de ses papiers. J’ai reçu les documents vous
concernant de votre ancien hôpital. Vos papiers sont donc en règle.
Maintenant suivez-moi, que je vous montre où sont les vestiaires et
pour que vous enfiliez votre nouvelle tenue de travail, et je dois vous
faire visiter l’établissement et vous présenter à vos futurs
collègues.
- Quelle pêche elle a de bon
matin ! Sourit intérieurement Candy.

Le nouvel uniforme de Candy était très
semblable à l’ancien, ce genre de costume variant peu pour être
facilement reconnaissable par tous. Sa robe, contrairement à l’ancienne,
s’attachait par le devant à la manière des vestes militaires, et
elle n’avait pas de ceinture.
- Enfin Candy, lui dit Marie, qui avait
caché sa blessure en mettent son chapeau de travers pour ne choquer
personne, voici le quartier général des infirmières !
Jamais Candy, à part elle-même, n’avait
vu une infirmière aussi extravagante. Les gens sur son passage
retrouvaient le sourire, ils rayonnaient. En l’entendant arriver, les
infirmières et médecins présents dans la salle de repos se
retournèrent tous d’un même mouvement, et se levèrent pour
accueillir la dernière recrue. Marie la présenta à tout le monde.
Tous avaient l’air très agréable.
- Eh bien Candy ! Un discours, s’écria
Marie. Tous reprirent en cœur ‘‘un discours, un discours !’’.
Le visage rouge jusqu’au bout des oreilles (on pouvait même voir de
la fumée s’échapper de sa tête !), elle commença :
- Bonjour à tous, je suis heureuse de
faire votre connaissance. Je m’appelle Candice Neige André, mais tous
mes amis m’appellent Candy. J’espère arriver à bien m’entendre
avec vous, que nous aurons de bonnes relations, et que vous serez
satisfaits de mon travail. Voilà, c’est tout, conclue joyeusement
Candy !
- Bienvenue Candy ! Clamèrent-ils
tous. L’ambiance de cet hôpital avait l’air excellente, Candy pensa
qu’elle n’allait pas s’ennuyer, et que cela lui permettrait de
moins se laisser tourmenter par ses soucis.
- Voici votre planning pour la semaine
Candy. Vous avez l’air d’aller mieux que la dernière fois, quand
vous êtes venue me demander où était le bureau de Marie.
- Je me disais bien que ton visage m’était
familier. Tu t’appelles…
- Arwen Tolkien, enchantée.

Effectivement, la vie dans cet hôpital
était très agréable, et tous les membres du personnel étaient
charmants, l’aidant à s’adapter, alors que ses souvenirs d’élève
infirmière avec ses anciennes camarades, et surtout Flanny, étaient
plus houleux.
Candy s’occupait de Suzanna, elle
veillait à ce qu’elle ne manque de rien, qu’elle soit toujours bien
mise, arrangeait sa chambre, et la soignait avec toute l’attention et
la tendresse dont une infirmière peut faire preuve envers son patient.
Ses blessures guérissaient, mais elle restait pourtant, hélas, dans le
coma. Elle lui parlait aussi du temps, des enfants qui construisaient
des bonhommes de neige, des festivités qui approchaient, lui disait des
mots d’encouragement, et lui parlait de Terry. Cela faisait mal, si
mal là, en son cœur, elle avait la sensation qu’il allait se fendre,
se consumer, … et éclater en milles fragments d’étoile à chaque
fois qu’elle prononçait son nom. Elle l’aimait, mais elle savait
également que parler à Suzanna de l’être qu’elle affectionnait le
plus sur cette Terre pouvait hâter sa guérison.
Pendant ces soins, elle veillait à ce
que ni Madame Marlowe, ni Terry, ne sachent qu’elle s’occupait de
Suzanna. Pour cela, elle avait dû vite repérer leurs habitudes. Madame
Marlowe venait de midi jusqu’ à l’heure de la fermeture de l’hôpital
aux visiteurs, à 19 heure, et ne quittait pas le chevet de sa fille.
Elle redoublait de prudence toutefois à l’arrivée de Terry, à 17
heure, après les répétitions, car il ne cessait de harceler les
infirmières pour que celles-ci lui disent quelle infirmière s’occupait
de Suzanna, pour ainsi connaître l’amélioration de son état. Au fil
du temps s’était de ce fait instauré une sorte de jeu de cache-cache
entre Terry et Candy. Il avait été une fois à deux doigts de l’attraper,
mais elle avait pu se réfugier juste à temps dans les toilettes pour
femme, mais un instant après elle se demanda si elle avait bien fait,
car connaissant l’animal et ses manières, elle le savait capable d’entrer !
Finalement, au bout d’un quart d’heure d’attente (‘‘quelle
patience, pensa t-elle, il a fait des progrès !’’), il rendit
les armes et elle l’entendit s’éloigner. Ce n’était qu’une
bataille de perdue, puisqu’il ne renonça pas à vouloir la
rencontrer.
Néanmoins, peu de temps après ce
chassé-croisé rocambolesque, Candy eut une bien étrange surprise. En
effet, elle était partie avec Arwen et d’autres collègues au port
pour recevoir des blessés de guerre. Candy priait pour ne jamais
retrouver Alistair parmi eux. Tout comme Marie, ils portaient une marque
indélébile, imprégnée sur leur chair au fer rouge, aux balles de
fusil, aux gazs toxiques, aux obus. Cette marque ne s’effacerait
jamais, cette marque de la guerre, de l’horreur, du désespoir, de la
mort. Candy était là au milieu de ces hommes, quand, et sa surprise
fut immense, quand elle tomba nez à nez avec Flanny, qui faisait parti
des rapatriés. Celle-ci, allongée sur un brancard, avait l’air de
souffrir atrocement, ce qui fit qu’elle ne remarqua pas la présence
de Candy.
Quant à Candy, bien que soucieuse de l’état
de santé de celle qu’elle considérait comme une amie, elle dû
continuer son travail pour que leur retour à l’hôpital se fasse dans
les plus brefs délais, et que des soins lui soient ainsi rapidement
administrés.
Dans sa hâte, elle ne distingua pas à
travers ses couvertures que Flanny avait perdu sa jambe droite, qu’un
éclat d’obus avait transpercé sur le front, et la blessure s’étant
gangrenée, à cause des mauvaises conditions sanitaires à l’arrière
des tranchées, il avait fallu l’amputer. De là, plus question d’exercer
comme infirmière de guerre. Flanny avait été rapatrié avec le
premier convoi de blessés américains.
Elle ne s’en rendit compte seulement
que lorsque elle aida un chirurgien à examiner Flanny, en salle d’examen.
Celui-ci déclara qu’elle récupèrerait vite, bien que la traversée
l’ait fatigué. On lui fit prendre quelques calmants, et on la plaça
dans une chambre avant qu’elle ne commence sa rééducation à l’aide
d’une prothèse.

La chambre était éclairée par les
rayons du soleil. Une infirmière s’afférait dans la pièce. Elle
avait l’air d’être compétente, heureusement ! Elle n’était
pas tombée sur une jeune gourde. Flanny sortait de sa torpeur. Elle
était en Amérique, dans un hôpital, ses douleurs s’estompaient,
tout allait pour le mieux. Une minute. Cette démarche, cette
silhouette, ces cheveux …
- Candy !
- Bonjour Flanny, bienvenue à l’hôpital
Saint Vincent de New-York. Tu as passé une bonne nuit ? , demanda
Candy d’un ton enjoué.
- Oui, répondit Flanny encore surprise,
mais …, tu ne devrais pas être à Chicago.
- Je …j’ai décidé de venir exercer
à New-York, je …je voulais connaître la ville et connaître de
nouvelles techniques chirurgicales, alors me voici ! Candy avait
dit cela précipitamment, l’air gêné, et elle ne regarda pas Flanny
en face lorsqu’elle lui parla, ce que cette dernière n’avait jamais
vu chez Candy. Cela n’échappa pas à ses yeux de faucon, qui comprit
que quelque chose de grave s’était produit, pour que Candy lui mente.
Elle n’insista pas, comprenant que Candy ne lui dirait rien de plus.
Elle se promit d’observer la situation le mieux possible, et de tirer
çà au clair. Si le sujet ne plaisait apparemment pas à Candy, cela ne
présageait rien de bon, et elle voulait l’aider.
Être infirmière de guerre avait permit
à Flanny de beaucoup réfléchir. Elle avait ainsi changé d’opinion
au sujet de Candy, et s’était jurée d’essayer de mieux la
comprendre, et de devenir son amie, si elle la revoyait. Elle qui
pensait que devenir infirmière n’était pour Candy qu’un caprice de
petite fille riche, elle avait l’air de s’être lourdement
fourvoyée.

La convalescence de Flanny fut de courte
durée. Son tempérament d’acier y fut pour beaucoup. Elle se
rétablit si vite que Candy se demanda même si Flanny n’avait pas
peur des hôpitaux en tant que patiente ! Et de là, elle apprit
immédiatement à utiliser sa nouvelle prothèse. Elle s’y adapta
facilement, et pu bientôt reprendre su service. Ce genre de handicap,
caché par son uniforme et ses chaussures, passa inaperçu.
Elle avait coupé les ponts avec sa
famille, aucun ami à retrouver, et le comportement de Candy la
tracassait ; tout cela l’incita à demander une place à Saint
Vincent.
Candy et elle se connaissaient déjà,
et cela est un avantage très agréable dans un endroit que l’on ne
connaît pas. Cela permis à Flanny de plus vite, et mieux s’intégrer
au reste du personnel, ainsi qu’à sa nouvelle vie. Il fallut à Candy
une bonne dose de patience pour faire comprendre à ses collègues que
la froideur apparente de Flanny était un mur qui pouvait très
aisément se contourner ! Cette dernière en effet n’était pas
méchante, et sa méfiance à l’égard des autres était due à de
douloureux souvenirs d’enfance. Il fallait lui donner une chance.
Flanny lui en fut très reconnaissante. Elle avait loué un appartement
à deux pas de celui de Candy, ce qui leur permit de faire souvent le
chemin ensemble.
Flanny continuait à observer Candy.
Elle pu déchiffrer dans ses yeux une immense tristesse, et une grande
douleur. A force de patience et de perspicacité, et en écoutant aussi
tous les petits potins que les infirmières se racontaient, elle
comprit.
Un jour, le visage d’un jeune homme
avait attiré son attention. Elle avait fait seulement le rapprochement
chez elle. Mais oui, se souvint-elle dans un sursaut, ce jeune homme, c’était
celui qui à Chicago un soir avait demandé à voir Candy. Et quelques
jours plus tard, des collègues lui expliquèrent le drame. Terry …
Roméo et Juliette … Suzanna … le projecteur … sa chute… Le
reste, Flanny le devina bien. Elle avait pu avoir un aperçu de la
grandeur d’âme de Candy le jour où celle-ci lui avait proposé de
partir à sa place au front ‘‘ je n’ai aucune famille, personne
qui m’attends, laissez-moi y aller à votre place Flanny ’’.
Ces mots résonnaient toujours dans son cœur, et avaient réussi à
percer la coquille de solitude dont Flanny s’était entourée. Et
maintenant, Candy soignait Suzanna, pour se racheter de ne pas l’avoir
rattrapée, pour le bonheur de son ami, qui semblait lui aussi submergé
par un flot d’émotions et de sentiments contraires. Suzanna et son
devoir … Candy et son amour…

La journée était plutôt belle. Noël
approchait. Une ambiance de fête s’était répandue à travers la
ville et avait contaminé tous ses habitants. Des décorations
fleurissaient à chaque coin de rue, des bonhommes de neige sortaient de
terre grâce à des architectes encore en culotte courte, des chants et
des cantiques s’élevaient des maisons.
Candy et Flanny marchaient, se frayant
un passage dans la neige fraîche qui venait de tomber la nuit
dernière. De jeunes enfants animaient la rue par une féroce bataille
de boules de neige. Le chaos qui en résultait distrayait les passants,
qui d’un oeil amusé se demandaient qui allait l’emporter, et d’un
autre oeil veillaient à ce qu’il n’y ait aucun blessé grave.
Aujourd’hui était un jour de repos, mais demain, elles seraient de
garde.
Elles s’assirent sur un banc que les
enfants avaient oublié de changer en camp retranché. De là, elles
pouvaient voir toutes leurs manœuvres sans risquer l’affrontement.
Les rayons pâles du soleil les caressaient. Au moins, il ne faisait pas
trop froid.
Flanny hésitait à parler à Candy.
Elle voulait l’aider, mais comment ? Au moins, si Candy pouvait
se confier à quelqu’un et soulager son cœur d’un poids, cela
serait toujours bénéfique.
- Candy, je sais pourquoi tu es venue.
Candy était interloquée. Que racontait
Flanny, comment savait-elle ? Comment …
- … je le sais ?, termina Flanny.
Candy, j’ai été ta compagne de chambre, et élève infirmière avec
toi à Chicago. J’ai appris à te connaître. Et j’ai découvert ton
manège avec Terry et Madame Marlowe.
Un des enfants venait de glisser sur une
plaque de verglas et s’étai mis à pleurer bruyamment. Ses cris
avaient ameuté les habitants.
- Ah bon. Candy avait une mine triste.
Elle se jeta d’un coup dans les bras de Flanny, en versant d’abondantes
larmes. Flanny, je l’aime, et je n’y peux rien.
Prononcer ces mots était pour elle une
libération. Elle n’était pas seulement venue ici par devoir comme
elle l’avait d’abord cru, mais aussi par amour. Maintenant, elle s’en
rendait compte. Cette pensée la délivrait. Elle qui se sentait depuis
son arrivée entravée par des sentiments contradictoires, il lui
semblait que tout était devenu plus simple. Elle l’aimait, et elle ne
pouvait se résoudre à l’idée de la perdre. Mais comment, Suzanna
était là, et elle lui avait sauvé la vie.