LE PIEGE
Par Mercurio

Traduit de l'espagnol par Fatalzmarion

Corrections effectuées par Satellite72


Le piège est une fanfiction du type « Que se serait-il passé si ... » C'est-à-dire, qu'il s'agit d'une proposition alternative qui altère le cours des événements que nous connaissons et leur donne une nouvelle voie. Pour cette raison, si vous êtes quelqu'un qui estime qu'on ne doit pas changer les événements de l'histoire originale et écrire seulement des fanfictions à partir du dernier chapitre, alors cette histoire n'est pas pour vous .

C'est pourquoi, il est aussi mon devoir de prévenir que l'histoire qui nous occupe, présente un contenu qui peut être qualifié comme « adulte », c'est pourquoi je ne la recommande ni à des mineurs d'âge ni à des personnes qui seraient offensées par ce type de lectures.

N'espérez pas que tous les personnages qu'on connaît apparaissent dans l'histoire, ou qu'ils conservent la psychologie originale de l'histoire écrite par Mizuki. L'histoire pourra paraître peu probable à beaucoup et le fil qui dirige la trame répond peut-être bien à une formule très rebattue. Il n'y a ni souci littéraire ni prétention d'aucune originalité dans cette histoire. Le piège est simplement né afin de réduire le stress de celle qui l'a écrite et dans une tentative de fuir les problèmes quotidiens.

Je vous le demande, prenez cette histoire comme un simple divertissement, sans attendre beaucoup d'elle ni sans la prendre au sérieux. Évidemment, elle n'a aucun but lucratif.

Si tout ce qui précède ne vous paraît pas des inconvénients, alors allez-y et profitez de la lecture.

Espérons qu'au moins, cela vous aidera à tuer le temps ... ou à défaut, à ne pas le prolonger.

Cette fanfiction est basée sur l'animé, à partir des épisodes 113 et 114 intitulés respectivement  en version espagnole : « Les gens viennent et les gens s'en vont » ; en version française : « La vie est une ronde éternelle » et en version espagnole : « Le jour où Candy rencontre le grand oncle » ; en version française : « L'oncle William » .

Candy est désespérée parce que la grand tante prétend la forcer à se marier avec Daniel Legrand.

Pour couronner le tout, Albert a disparu et même Archie ne peut pas l'aider. Candy est enfermée dans la demeure des André, mais parvient à s'échapper pour essayer de jouer sa dernière carte : s'entretenir personnellement avec William André, son père adoptif, pour lui demander de ne pas permettre que ce mariage ait lieu. Nous savons très bien ce qui arrive après ceci dans l'histoire de Kyoko Mizuki, mais dans « le Piège » il arrive quelque chose d'inattendu.



Chapitre 1 - L'unique solution possible

Il y a des chemins obscurs que nous devons parfois traverser totalement seuls. Chemins désertiques, sans bardes peintes ni clôture de fleurs. Routes ensemencées de silex dans lesquelles personne ne nous relève si nous trébuchons. Cette heure de peine était pour Candy un de ces chemins isolés. Après avoir réussi à convaincre ses servantes, la jeune fille était parvenue à s'échapper de la demeure des André pour demander à George de lui accorder une entrevue avec le grand oncle mais ses efforts avaient été totalement vains. L'impassible George, comme totalement étranger au désespoir de la jeune fille, lui avait dit sans détour qu'une telle rencontre était impossible.

“ Je crains que l'entrevue que vous sollicitez soit impossible. L'Oncle William ne se trouve pas dans le pays en ce moment, Mademoiselle, répondit l'homme sans détourner le regard de l'énorme pile de papiers qu'il signait.

- Au nom de Dieu, George, peu m'importe qu'il soit au bout du monde ! Je vous jure que où qu'il soit, j'irai le chercher ! déclara-t-elle les larmes aux yeux.

- Je comprends votre préoccupation en ce qui concerne cette affaire, mais regrettablement vous ne pouvez pas vous en sortir, Mademoiselle, répondit l'homme en levant le regard et il sembla pendant une seconde à Candy, qu'il avait brillé dans ses yeux un sentiment légèrement semblable à la compassion mais en l' observant à nouveau, elle ne put plus trouver rien d'autre qu'une expression vide et impénétrable, la famille a des plans bien définis pour vous, lesquels vous imposent de rester à Chicago.

- Des plans ? Des machinations mercenaires, vous voulez dire, explosa-t-elle indignée, un mariage entre Daniel Legrand et moi est une aberration absolue. Je n'y consentirai jamais et ne croyez pas que l'oncle William, qui a toujours été tellement généreux et compréhensif avec moi, soit d'accord avec cela.

- En ce qui concerne tout ceci, vous vous trompez, Mademoiselle, dit l'homme en se levant finalement et en retirant ses lunettes, Monsieur William est au courant des décisions de Mme Elroy et il est totalement d'accord. Un mariage entre vous et Monsieur Legrand sera une alliance suprêmement avantageuse pour les deux familles. Inutile de dire qu'en étant mineure, vous n'avez pas d'autre option que d'accepter les dispositions de votre père adoptif.

- Mais je n'aime pas Daniel ! Tout au contraire, je le déteste ! s'exclama la jeune fille exaspérée alors que ses joues s'allumaient de rage et d'impuissance.

- Mademoiselle, dit l'homme sur le même ton flegmatique, l'amour n'est pas une considération significative quand il s'agit d'alliances matrimoniales entre les gens de votre classe. Monsieur Legrand est le seul homme fortuné et d'ascendance qui jusqu'à présent a demandé votre main. La famille a décidé que le plus prudent est d'accepter cette offre tellement avantageuse.

- Vous voulez dire que si quelqu'un s'était présenté avec une offre plus intéressante alors la famille n'aurait pas eu de scrupules à lui concéder ma main, répondit-elle horrifiée, je ne peux pas croire qu'ils soient tellement immoralement avaricieux. Quel intérêt de m'avoir adoptée pour me vendre par la suite ! conclut-elle en s'effondrant sur une chaise et en fondant en larmes.

George garda le silence et la laissa pleurer sans même montrer une once de sympathie envers la jeune femme, en dehors de lui offrir un mouchoir pour sécher ses larmes.

- Mademoiselle, dit-il finalement avec la voix calmée quand la première explosion de Candy parut être passée, vous devez comprendre qu'il n'y a pas d'autre option qu'accepter ce mariage. Les jeunes dames qui, comme vous, hériteraient de grandes fortunes, connaissaient peu les dangers qu'implique une alliance imprudente. C'est pourquoi il s'avère toujours nécessaire de laisser ces considérations entre les mains de personnes plus expertes en ces domaines, comme l'est Mme Elroy. S'il vous plaît, accédez de bon gré à m'accompagner maintenant à la demeure."

Comme en état de choc et incapable d'opposer de résistance, Candy se laissa guider par George jusqu'à la maison qui en quelques heures se transforma en prison. Une fois seule, entre l'enfermement et les soies de sa chambre, la fille s'effondra sans force, en sentant que pour la première fois de sa vie, elle était totalement seule et sans espoir. William André, l'homme qui, sans la connaître, s'était transformé en son bienfaiteur et gardien, l'avait trahie.

****************

La nuit était tombée sur la demeure des roses. Depuis un angle obscur du salon, avec un verre de cognac entre les mains qu'il hésitait à consommer, il trépignait à l'idée que les aiguilles de l'horloge arrivent à la destination espérée. La personne qu'il attendait entra finalement dans la chambre.

“ Monsieur, murmura tranquillement George, tout est prêt.

- Excellent, répondit celui qui était debout, as-tu parlé avec la grand tante comme je te l'ai demandé ?

- En effet Monsieur, et bien qu'il n'ait pas été simple de la convaincre, elle a fini à la fin, par accepter l'idée. Elle nous aidera pour tout le nécessaire.

- Bien. As-tu envoyé le câble pour l'Europe ?

- A l'heure qu'il est, nos consignes doivent déjà être arrivées à destination, Monsieur.

- Très bien, et Candy ?

-  De tout, c'est ce qui a été le plus difficile, Monsieur, répondit l'homme en fronçant les sourcils, elle est tellement affligée que c'est à peine si j'ai pu feindre l'indifférence, cela me fait beaucoup de peine de faire cela à mademoiselle ... elle a toujours été une personne tellement ... douce ... que c'est très difficile.

- Je comprends George, l'interrompit-il avec un soupir, mais c'est le mieux pour elle, je te l'assure. J'ai, en ce qui me concerne, parlé avec Archie. Par principe, il était réticent à nous accorder son aide mais finalement, je l'ai convaincu d'y prendre part. Maintenant, la valise et les billets, s'il vous plaît. Il n'y a pas de temps à perdre dans cette affaire."

*************************

Le rayon de soleil qui passait par la fenêtre finit par la réveiller. Elle se frotta énergiquement les yeux pour pouvoir bien profiter de la lumière qui entrait par les vitres et de nouveau, une douleur familière surgit en elle. Neuf jours s'étaient écoulés depuis leur entrevue avec George, et depuis lors il ne s'était pas passé une nuit sans qu'elle ne se soit endormie en pleurant. Elle se leva lentement et se regarda dans le miroir. Ses yeux verts paraissaient être perdus entre leurs pupilles gonflées et les cercles obscurs de leurs cernes.

- Peut-être que, pensa-t-elle en se regardant avec dégoût, si je continue ainsi quelques jours de plus, je me ferai devenir si laide que Daniel renoncera à se marier avec moi.

« Même ainsi, tu serais encore l'héritière des André, et par conséquent une bonne affaire pour les Legrand »  lui répondit une voix intérieure et son estomac se retourna encore une fois de dégoût.

Elle leva les bras pour s'étirer et ensuite pencha son visage vers l'eau froide qui se trouvait dans un bassin de porcelaine. Quelques minutes après, la bonne lui apportant son déjeuner apparaîtrait à la porte et bien qu'elle eut préféré rester au lit, son instinct de survie lui disait qu'elle devait au moins le lendemain faire un effort pour manger quelque chose bien qu'elle ne sache pas si l'effort en valait la peine.

Depuis le lundi précédent, elle ne voyait personne mis à part cette silencieuse domestique qui émettait à peine un mot tandis qu'elle la pomponnait et la nourrissait sans beaucoup de succès. Candy se demandait quand se terminerait son exil. Néanmoins, elle préférait mille fois que les choses continuent ainsi indéfiniment que de devoir faire face à l'idée nauséabonde d'être l'épouse de Daniel.

- Bonjour Mademoiselle,dit finalement Sophie en entrant avec son plateau d'argent habituel. Toutefois, cette fois-ci, une autre bonne pénétra derrière elle, chargée d'une tenue bleue accrochée à un cintre couvert de satin.

- Bonjour, répondit Candy en essayant d'ébaucher un sourire sans beaucoup de succès.

- Mademoiselle doit bien déjeuner cette fois. Mme Elroy veut parler avec vous dès que vous avez terminé de manger.

- D'accord, répondit la jeune fille, intriguée par le changement dans la routine, mais bien qu'elle tente de poser plus de questions aux deux servantes, celles-ci se muraient dans un mutisme absolu, à peine remuaient-elles les épaules ou répondaient-elles par une négation totale.


Le déjeuner se termina en silence tandis que la deuxième bonne lui mettait quelques compresses humides sur les yeux pour en diminuer le gonflement. Sophie lui prépara un bain avec des herbes aromatiques et du jasmin qui parvinrent à la détendre un peu et au fond, de ne pas avoir à penser à ce que la Grand tante s'apprêtait à lui dire, elle se décontracta alors que les bonnes lui peignaient les boucles.

Finalement, quand les deux femmes eurent fini leur travail, le résultat leur parut sans doute satisfaisant parce qu'elles échangèrent un clin d'oeil discret alors que candy se regardait dans le miroir ovale de sa coiffeuse.

- Vous brillez telle une princesse, Mademoiselle, se risqua à dire Sophie en observant l'effet de la soie bleue-eau et du blanc en guipure qui contrastait avec la peau pâle et les boucles blondes de la jeune fille.

- Merci les filles, répondit Candy en baissant le regard avec tristesse. Pendant une seconde, elle sentit qu'elle allait de nouveau fondre en larmes, mais fit un effort pour ravaler ses sanglots. Il arriverait ce qui devait arriver et elle n'allait pas pleurer devant la grand tante. Au moins, il lui restait sa dignité qu'elle devait défendre.

***************

- Entrez ! dit la voix caractéristique de Mademoiselle Elroy.

- Vous vouliez me voir, grand tante, dit Candy en entrant dans le salon de thé de la dame. La lumière l'illumina et la dame l'observa pendant une seconde. Elle devait accepter que la gamine s'était transformée en femme et était assez jolie. Il lui semblait curieux que la fillette effrontée qui nettoyait les écuries soit maintenant susceptible d'être choisie par tant de prétendants importants.

- Oui, répondit finalement la vieille femme avec froideur. Assieds-toi Candy."

La jeune fille s'assit sans cesser de regarder dans les yeux la dame âgée. Elle était vaincue mais refusait qu'elle la surprenne en situation de défaite.

- J'espère que ces jours d'isolement ont pu te servir à t'indiquer la conduite à tenir, dit finalement Madame Elroy en laissant de côté la broderie à laquelle elle travaillait.

- J'ai pensé à beaucoup de choses, Madame, mais je ne crois pas que la nature de mes réflexions soit précisément celle que vous croyez. De toutes manières, vous ne m'avez pas appelée pour enquêter sur mes méditations, n'est-ce pas ? dit-elle impertinente.


Le cou de la vieille dame trahit à cet instant la tension que lui provoquaient les mots audacieux de la jeune fille, mais faisant un effort pour dominer sa mauvaise humeur, elle ravala sa colère et continua à parler d'un ton calme.

- C'est vrai, répondit finalement Mme Elroy, décidée à ignorer la provocation, j'imagine que tu penses que la décision de notre famille quant à ton engagement avec Daniel est autoritaire et irrationnelle.


- En effet, répondit Candy sans le penser une seconde, et elle aurait voulu en dire plus mais l'entrée de l'un des serviteurs avec le chariot du thé la fit se contenir. Les deux femmes attendirent que l'homme remplisse son office en silence.

- Les personnes de notre rang, continua Madame Elroy quand elles furent seules, ne peuvent s'arrêter à prendre en considération des futilités comme la romance. Notre position dans la société nous oblige à voir plus loin. Préserver et augmenter une fortune assure non seulement nos privilèges, mais le bien-être de beaucoup d'autres personnes dont les vies dépendent de nous. Une dame digne de ce nom se doit considérer ces trois éléments principaux au moment de contracter un mariage. Lignée, fortune et relations sont vitales pour préserver notre position. Tout le reste n'est qu'inepties sans importance."

Candy voulut interrompre la Grand Tante en objectant contre les arguments de la doyenne, mais d'un geste de la main, Mme Elroy lui fit comprendre qu'elle souhaitait terminer ce qu'elle devait lui dire.

- J'ai bien compris que notre choix de conjoint ne te fait pas plaisir ... Je me trompe ? demanda la vieille dame en fixant ses sombres yeux inquisiteurs sur les immenses yeux verts de la jeune fille.


- Dans l'absolu, il n'existe pas un homme sur la terre qui me répugne davantage que Daniel Legrand, rétorqua Candy, satisfaite d'au moins pouvoir exprimer son dégoût.

- Au vu de ces circonstances, continua Madame Elroy avec une voix flegmatique, et en considérant qu'on a récemment ouvert d'autres possibilités pour toi, je crois être en position de t'autoriser à choisir.

- Choisir ? demanda Candy confuse. Une partie d'elle voulait sauter de joie devant la possibilité de pouvoir échapper à l'enfer que représentait pour elle un mariage avec Daniel, mais une voix lui signalait qu'elle ne devait pas en attendre trop de la Grand Tante.  Qu'est-ce que vous voulez dire ? se décida-t-elle à demander avec méfiance.


- Qu'un autre gentilhomme s'est adressé au Grand Oncle William pour solliciter ta main et son offre nous a paru encore d'un autre attrait. Nous avons supposé que tu aimerais la prendre en considération. Par conséquent, tu as deux options. Je crois que tu dois faire un choix parmi ces deux prétendants qui se disputent ton affection.


Candy ne pouvait pas croire ce qu'elle entendait. Dès lors, elle se sentait comme un meuble mis en adjudication, destiné à être vendu et envoyé comme un colis à qui offrirait le plus d'argent pour la posséder. Une fois de plus, une sensation de dégoût lui retourna l'estomac.

- La famille est très généreuse, lâcha-t-elle finalement avec une ironie acide, mais ai-je l'option, peut-être, de rejeter les deux offres ?


- En aucune manière! lui rétorqua la vieille dame en soulevant le sourcil, on a décidé que tu dois te marier et c'est ce que tu vas faire précisément. Tu dois seulement décider si cela sera avec Daniel Legrand ou non."


La jeune fille aurait voulu se lever et planter la vieille femme seule avec ces mots en bouche, mais ses jambes tremblaient de fureur. Durant un moment, elle garda le silence, en réfléchissant au meilleur comportement qu'elle devrait adopter.


- Pourrais-je savoir au moins qui est cet autre mystérieux prétendant? demanda-t-elle finalement, en imaginant qu'il s'agirait d'un vieux riche et vicieux à la recherche d'une jeune conjointe avec laquelle il pourrait rassasier des appétits inavouables.


- Comme il est coutume dans ces cas, le gentilhomme en question a sollicité une entrevue privée avec toi et je la lui ai accordée. J'espère que ton comportement ne sera pas celui d'une gamine vulgaire et impertinente que tu adoptes habituellement quand tu parleras avec lui. Comme je te l'ai dit, tu ne dois pas nécessairement l'accepter. Parle seulement avec lui gentiment comme l'exigent les règles du respect. Si tu n'es pas satisfaite par ce nouveau prétendant, tu te marieras avec Daniel."  Et en disant cette dernière phrase, Madame Elroy se leva et se dirigea vers la porte en laissant Candy seule pour digérer son indignation et ses désirs de hurler.

Un instant plus tard, Candy put sentir que la porte s'était ouverte à nouveau dans son dos et quelqu'un entra dans la chambre. Elle respira profondément et, soulevant les épaules, elle se prépara à faire face à son nouvel ennemi. Si elle devait écouter une déclaration affectueuse absurde d'un total inconnu, elle le ferait debout et sans broncher. Une fraction de seconde plus tard, à la place d'une personne décrépite au regard vieilli se trouvait face à elle des yeux hautains et brillants.


- Terry !  parvint-elle à peine à murmurer, sa voix noyée par la surprise et la confusion. Face à cette apparition, elle sentit un froid paralysant qui acheva de la vaincre et l'empêcha de bouger, un besoin de pleurer l'envahir et ensuite une envie énorme de courir dans les bras du jeune homme pour lui demander de la sortir de la demeure le plus rapidement possible puis, finalement, elle s'évanouit.


*****************

- Candy ! Candy ! l'appela une fois de plus la voix de Terry et l'humidité d'un mouchoir mouillé sur son front la fit finalement revenir à elle. Quand elle ouvrit les yeux, elle était couchée sur le sofa et le jeune homme agenouillé à ses côtés soutenait sa main tandis qu'il retirait le mouchoir de son visage, est-ce que ça va maintenant ?  Dieu que tu m'as fait peur !

- Que s'est-il passé ? demanda-t-elle confuse.

- Tu es devenue toute pâle et tu as perdu connaissance, répondit-il avec un sérieux qu'elle ne se rappelait pas lui avoir jamais vu auparavant. Toutefois, un moment après, quand il put constater que la couleur revenait lentement aux joues de la jeune fille, une étincelle caractéristique apparut de nouveau dans ses yeux. Je sais bien que j'ai un effet dévastateur sur les femmes, mais jamais je n'ai pensé que de me voir t'affecte tant.

- Ne dis pas de bêtises, lui répondit-elle en réagissant immédiatement aux mots fanfarons de Terry, je m'attendais à apercevoir un visage repoussant qui j'imagine sera celui de mon prétendant, et au lieu de lui, c'est toi ! Je ne t'ai pas vu depuis un bon moment et tu réapparais ainsi. Il y a de quoi être troublée. Que fais-tu ici ? Comment es-tu entré dans la maison ?

- Les visages repoussants comme le mien ont des ressources diverses pour entrer dans les demeures des jouvencelles que nous désirons séduire, rétorqua Terry avec un sourire sarcastique.

Candy ouvrit des yeux immenses et pendant un bref instant, elle ne put articuler un seul mot. Elle essayait de se retrouver dans ce que Terry venait de lui dire sans parvenir à y trouver un sens, en partie parce qu'elle sentait qu'elle vivait au milieu d'un cauchemar qui paraissait n'avoir ni queue ni tête, et en partie parce que son coeur battait sauvagement en percevant la présence du jeune homme à juste quelques centimètres d'elle.

- Qu'est-ce que tu dis ? demanda-t-elle finalement, sa voix vibrant de manière perceptible de confusion.


- Que je suis le prétendant avec lequel tu es supposée parler. Mais je suis navré de te décevoir, je ne suis pas aussi vieux que tu t'y attendais !


- Mon prétendant ? Toi ? Mais c'est absurde ? s'exclama-t-elle confuse essayant de comprendre. D'abord ils veulent me forcer à un mariage arrangé avec Daniel Legrand et ensuite tu viens me dire que tu veux te marier avec moi. Terry, avez-vous tous perdu la raison ? Tu sais bien que, entre toi et moi, il ne peut rien y avoir.


 Le sourire de Terry s'effaça lentement et pendant une fraction de seconde, ses lèvres se figèrent. Toutefois, à la seconde suivante, son visage avait récupéré une certaine sérénité et il put répondre avec son aisance habituelle.


- Peut-il être tellement insensé que je demande ta main, Candy ? Ta famille ne le voit pas ainsi. Au contraire, ta tante paraît assez encline à envisager cette idée.

Candy porta une main à son front. Elle était sur le point de devenir folle. Combien de fois avait-elle rêvé que Terry reviendrait à ses côtés et lui demanderait le mariage, mais maintenant, dans ces circonstances, tout paraissait être hors de propos... et un autre problème était toujours présent... Suzanne Marlowe.


- Terry, tu es engagé avec quelqu'un d'autre. Tu ne te souviens pas ? Comment peux-tu être ici à me dire ces choses quand tu sais que tu as un devoir à accomplir envers Suzanne ?

- J'ai supposé justement que tu dirais cela et je l'ai d'ailleurs fait savoir à Albert immédiatement, mais il n'y a pas d'autre solution, répondit-il à la jeune fille en s'installant dans un fauteuil proche d'un geste distingué.

- Albert ? Qu'est-ce qu'il a à voir dans tout ceci ? Terry, je ne comprends rien de ce que tu dis, dit la jeune fille chaque fois plus convaincue qu'elle devait être en train de rêver ces absurdités.

Terry poussa un soupir d'impatience, mais se penchant en avant pour faire reposer ses coudes sur ses genoux, il se disposa à clarifier la situation avec calme:

- Je crois que je te dois des excuses pour ne pas t'avoir bien expliqué les choses dès le début, mais ton évanouissement n'a pas beaucoup aidé en ce sens. J'ignorais que le fait de me voir serait pour toi si désagréable, commenta-t-il de nouveau de son ton moqueur, et elle ne put éviter de se repentir de ses propres mots. Candy, je suis ici parce que Albert et Archie ont conçu un plan pour éviter que ta famille ne te force à te marier avec cet attardé mental de Legrand et m'ont demandé ma collaboration. Si tout se passe bien, nous parviendrons à tromper toute ta famille de coincés, mais tu devras coopérer avec nous.

La jeune fille, qui commençait enfin à trouver un sens à la situation, s'assit sur le sofa dans lequel il était installé, et non sans jeter un coup d'oeil à la porte pour s'assurer qu'elle était bien fermée, elle indiqua au jeune homme qu'il continue son explication.

- Pendant que tu as été enfermée ici, Archie a essayé de parler avec ta famille pour les convaincre que l'idée de ce mariage entre Daniel et toi n'est pas la meilleure alliance possible pour les André. Toutefois, ta tante était apparemment suprêmement convaincue que tu n'aurais jamais de meilleur prétendant que lui et qu'il était évident de profiter de la situation avant que tu ne finisses par te marier avec une tierce personne, en déshonorant la famille. Archie leur a demandé s'ils seraient disposés à annuler ton mariage avec Daniel si un autre meilleur prétendant se présentait, et ton père adoptif a apparemment laissé entendre qu'il ne s'y opposerait pas si quelque chose en ce sens arrivait. Le problème, évidemment, était de trouver le prétendant en question, et évidemment, que tu acceptes de te marier avec lui.

- Mais ...Mais je n'ai pas décidé de me marier... Je ne veux me marier avec personne ! Ne peuvent-ils pas comprendre cela ? explosa-t-elle et la rage alluma encore plus les veines vert foncé dans le fond de ses yeux. Terry sentit que la dureté de ce regard le gelait jusqu'au sang.

- Je comprends ta position, mais conserve cette colère pour ce qui va venir, répliqua-t-il également avec une voix douce.  Archie ne savait que faire, continua-t-il alors essayant d'ignorer la manifestation de colère de la jeune fille, mais heureusement, Albert a été mis en contact avec lui.

- Comment est-ce possible ? Albert avait disparu depuis plusieurs mois, argumenta-t-elle, sans comprendre encore vers où la porterait l'histoire du jeune homme.

- Oui, mais il était encore dans la ville et en entendant les rumeurs de ton engagement avec Daniel dans les journaux, il a voulu venir te chercher. Comme cela lui était impossible, il a alors contacté Archie. Tous les deux ont conversé sur l'affaire et Albert a songé à l'idée d'un mariage blanc.

- Blanc ? Comment ça blanc ? demanda Candy sans comprendre.

- Un faux mariage, pour te sauver d'un vrai avec Daniel. Tous les deux ont cherché des informations légales avec un avocat et celui-ci est parvenu à leur clarifier les idées. Il suffisait de trouver quelqu'un qui pouvait être un prétendant suffisamment attrayant pour ta famille, en termes d'argent ou de pedigree, que tu te maries avec lui seulement de mot et que ce mariage soit maintenu au moins une année. Ensuite, tu divorcerais et ta famille n'aurait pas d'autre autorité légale sur toi pour te forcer à un autre mariage.

- Mais c'est quelque chose qui parait très compliqué. Il serait plus simple qu'ils m'aident à m'échapper de cette maison. Nous pourrions le mettre à exécution immédiatement! dit-elle avec véhémence, sentant qu'avec Terry à ses côtés, elle avait la force d'entreprendre cette chose risquée.

- C'est à cela que pensait Archie au début, mais cela pourrait être dangereux pour toi et en outre, même si tu parviens à t'échapper, il n'est pas garanti que ta famille ne puisse pas te retrouver en peu de temps. Les André sont des gens puissants, ont des relations et des influences dans tous les coins, y compris à l'étranger. Il faudrait peu de temps pour qu'ils te trouvent et ils t'obligeraient à rentrer pour te marier avec Daniel.

- Je suppose que c'est vrai, reconnut la jeune fille.

- Par conséquent, Albert et Archie ont décidé que l'idée du faux mariage était la plus viable. Toutefois, il y avait un problème, c'est-à-dire, trouver le prétendant approprié. Ils ont d'abord pensé que même Archie pouvait ensuite se prêter au jeu, mais ils ont rejeté l'idée parce que le mariage avec toi, bien que seulement de nom, devait être totalement légal pour pouvoir tromper ta famille.

- Oh, non ! En aucune manière, objecta immédiatement Candy en ouvrant des yeux de désapprobation. S'il survenait un engagement matrimonial entre Archie et moi, même si je divorçais de lui l'année suivante, la famille d'Annie n'accepterait jamais qu'elle se marie avec un divorcé. Je connais très bien Mme Brighton, et je sais qu'elle s'y opposerait finalement. Je ne pourrais pas faire une telle chose à Annie, fusse pour me sauver de Daniel.

- C'est justement ce qu'Albert a pensé que tu dirais, donc l'idée a été écartée. De même Albert s'est ensuite écarté de lui-même parce qu'il n'a évidemment ni d'argent ni de lignée avec lesquels séduire tes parents et c'est alors qu'ils eurent une meilleure idée en pensant à moi.

- Mais tu es déjà fiancé, Terry, argumenta-t-elle immédiatement bien qu'elle ne puisse éviter de sentir un poignard dans son cœur. En outre, tes relations avec ton père sont totalement anéanties et tu n'as pas d'argent.

- Dans tout cela tu te trompes, ma chère, lui répondit-il avec malice.

- Mais qu'est-ce que tu dis ?

- Que je ne suis pas fiancé à Suzanne, si c'est à elle que tu fais référence.

- Mais..Mais c'est faux, les magasines ...

- Je vois que ta lecture des journaux marche avec un train de retard, objecta-t-il en levant un sourcil en geste de censure. Je crois que je devrais te tenir au courant de ce qu'il s'est passé dans ma vie durant l'année écoulée parce qu'il est clair que depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, il ne t'a pas importé d'en savoir beaucoup sur moi, ajouta-t-il sur un ton de léger ressentiment.

Il ne m'a pas importé ? pensa Candy avec tristesse. Dieu sait que mon cœur a été avec toi chacun des jours depuis que nous nous sommes séparés mais suivre ta vie à travers les revues ne m'aurait aidé en rien à t'oublier.

- Après la mise en scène de Roméo & Juliette, je me suis senti accablé par quelque chose ...  Il hésita un moment mais Candy, tellement occupée à contrôler ses propres sentiments, ne le remarqua pas... accablé par un succès qui était arrivé trop tôt, les pressions du travail, la presse et la responsabilité de mon engagement avec Suzanne. Donc toutes ces choses m'ont conduit à décider de m'éloigner de tout pour un moment pour ...mettre de l'ordre dans mes idées. J'ai alors ensuite annulé mon contrat avec la compagnie Stratford et mon engagement avec Suzanne pour entreprendre un long voyage.

- Tu as annulé tes fiançailles avec Suzanne ? Mais comment as-tu pu faire quelque chose de si irresponsable, Terry ? Elle t'aime.

Le jeune homme baissa les yeux, mais après un moment, il les dirigea à nouveau droit dans ceux de la fille. Candy sentit un éclair glacial en percevant la dureté qui parut subitement réapparaître dans son expression. C'était comme si le Terry qui était devant elle, était une version plus mûre et plus amère de l'adolescent qu'elle avait connu dans le passé.

- Candy, à cette époque, j'ai fait certaines choses dont je ne me sens pas fier, crois moi, mais il ne revient, ni à toi, ni à personne de me reprocher mes erreurs, répondit-il sèchement.  Le fait est que mon engagement officiel avec Suzanne a été annulé. Après un temps passé à vagabonder, j'ai pu mettre mes idées au clair. Ce qui s'est passé en moi durant ces mois de voyage sans destination fixe, je préfère ne pas le raconter. Il suffit de dire que j'ai eu la chance heureuse de rencontrer l'un de mes bons amis qui m'a permis de voir les choses plus clairement. Par conséquent, avec son aide, j'ai pu décider que c'était mieux de retourner à New York et de faire face à tout ce qui avait fait que je m'en étais enfui, y compris à Suzanne.

La jeune fille écoutait en silence l'histoire du garçon. Daniel lui-même s'était personnellement chargé de l'informer de la disparition de Terry des planches de théâtre, comme pour se mettre en exergue dans la dégradation de son rival. Depuis lors la jeune fille n'avait pu cesser de penser lui avec préoccupation. Parfois il lui était venu à l'idée qu'il était affecté par la rupture de leurs relations et que c'était pour cela qu' il avait choisi de se retirer du milieu artistique. Toutefois, dans son explication, Terry parlait de crainte de ses responsabilités, du dégoût de la renommée, des pressions professionnelles... jamais de ses sentiments pour elle. Pour qui se prenait-elle en pensant qu'elle puisse être tellement importante pour lui pour lui faire abandonner sa carrière !

- Tu viens de dire que Suzanne m'aime, et c'est ce que je croyais moi aussi. Dans mon arrogance stupide, je suis arrivé à penser qu'elle me recevrait à bras ouverts dès que je serais de retour à New York. J'ignorais que je me trompais.

Les derniers mots du jeune homme sortirent Candy de ses méditations. Elle ne pouvait pas croire ce qu'elle entendait.

- Qu'est-ce que tu dis ? demanda-t-elle avec un froncement de sourcils.

- Que la dévotion des femmes a aussi sa limite, Candy. Quand je suis revenu, au lieu de la Suzanne docile et patiente que moi, je considérais comme étant capable de m'attendre pour l'éternité, il y avait seulement une femme pleine de ressentiments dûs à mon abandon. Je ne pouvais pas l'en blâmer.

Candy serra avec ses deux mains le coussin brodé qui reposait sur le sofa. Peu à peu, la vérité de la situation et ses implications trouvaient place dans sa tête Terry était libre ! Suzanne elle-même l'avait laissé partir... Serait-ce possible alors que cette proposition de mariage qu'il lui offrait maintenant était un peu plus qu'un stratagème pour la sauver de Daniel ?....

- Suzanne a abandonné New York pour aller vivre avec des parents à Philadelphie et je n'ai pas de nouvelles d'elle depuis lors. Il y a de cela déjà trois mois, affirma-t-il avec flegme pour ensuite continuer.  Voyant que j'étais un homme libre, je me suis consacré à reprendre ma carrière avec la résolution ferme d'oublier complètement en ce qui me concerne tout lien amoureux. Comme tu t'en seras déjà rendue compte, je n'ai pas de chance en ces combats. Tout comme toi, je me suis convaincu que le mariage n'est pas pour moi. Du moins, tels étaient mes plans jusqu'à ce qu'Albert arrive pour m'offrir de prendre part à cette supercherie. Il m'a assuré que ce serait une chose très simple identique à une transaction d'affaires pour chacun de nous. Un simple acte pour aider une vieille amie et c'est pourquoi j'ai été d'accord. J'espère que tu comprends les raisons de l'opération.

Le visage du jeune homme était dur comme un rocher. Sans même un soupçon d'émotion dans son accent. Les petits espoirs qui, un instant plus tôt avaient encouragé Candy, furent soudain bien morts devant les mots réfrigérants de Terry.

- Alors tout ceci est seulement une faveur, dit-elle avec un nœud dans la gorge. De ce que tu disais ressentir pour moi auparavant, il ne reste rien ... je ne signifie rien pour toi ... et tu as changé envers moi ...

- Que dis-tu donc, Candy ? demanda Terry, s'enfonçant dans le fauteuil sur lequel il était assis. Mettons-nous en place la supercherie ? Je t'assure que je jouerai mon rôle avec professionnalisme.

Sans répondre, la jeune fille se leva du sofa et commença à marcher dans le salon, les mains entrelacées dans le dos, faisant un effort pour évaluer tous les détails que le jeune homme venait de lui rapporter.

- Je ne suis pas sûre, dit-elle finalement. Tout cela me paraît tellement tortueux. Je n'ai jamais aimé mentir, et même si Suzanne ne fait plus partie de l'énoncé, cela ne résout pas le point que tu n'aies pas d'argent et que tes relations avec ton père ne soient pas des meilleures, tu le sais.

- Dans cela aussi tu te trompes. Mon père et moi sommes arrivés, à quelque chose qui peut être appelé, un accord.

C'était sans doute la journée pour les nouvelles surprenantes, pensa Candy, qui écoutait Terry sans pouvoir croire ce qu'il lui disait.

- Je vois que cela te surprend. Ecoute et tu vas comprendre! lui dit-il en lui faisant signe pour qu'elle s'asseye à nouveau, comme pour lui faire comprendre que ce qu'il avait à lui conter prendrait un petit moment. Elle comprit mais prit soin de choisir un siège sur un fauteuil éloigné de celui où se trouvait le jeune homme. Quand je suis retourné à New York à la fin de l'hiver passé, j'ai découvert avec surprise qu'une lettre de mon père m'attendait. Il me demandait d'accepter de lui accorder une sorte de trêve. Il disait qu'il regrettait les choses qui étaient arrivées entre nous et qu'il voulait remédier, au moins en partie, aux erreurs qu'il avait commises avec moi.

- Je suis très heureuse pour toi, Terry ! commenta-t-elle, véritablement intéressée. Dans le fond, Candy avait toujours entretenu l'espoir que le duc franchisse ce pas. Le fait qu'il ait laissé Terry suivre son propre chemin était pour elle un indice que cette réconciliation arriverait un jour certain.  Il n'est pas bon qu'un père et un fils soient ennemis, ajouta-t-elle et elle put percevoir que l'expression dure de Terry s'était légèrement atténuée.

- C'est exactement ce que dit ma mère, qu'un cœur suffisamment bon peut oublier les mauvaises choses passées qui l'ont fait souffrir, répondit-il, le fait est que mon père est venu me voir il y a peu et nous avons fait la paix, mais je te conterai les détails sur cette affaire par la suite. L'important ici c'est que mon père, dans un élan de désir de me montrer sa bonne volonté, a décidé de me restaurer dans sa ligne successorale. Évidemment, le protocole anglais lui empêche de me faire hériter de son titre, étant donné la profession que j'ai choisie, mais il m'offre une fortune modérée dont je peux dorénavant disposer et une autre bien plus grande encore à son décès.

- Et tu as accepté ? s'enquit-elle incrédule, connaissant le caractère orgueilleux du jeune homme.

- Non pas réellement. De fait j'ai voulu refuser dès le début, mais il m'a fait lui promettre d'au moins y réfléchir. Ainsi en sont restées les choses et il est retourné en Angleterre. Toutefois, comme les événements requièrent que ma situation économique change pour pouvoir séduire tes parents avares, il suffira d'envoyer un télégramme à mon père et l'affaire sera réglée.
 Le jeune homme fit une pause et risquant un nouvel évanouissement de la jeune fille, il s'approcha du fauteuil sur lequel elle était assise, en se mettant à genoux devant elle de façon à être au niveau de son regard. Elle fut figée à la vue de ce regard, en priant le ciel qu'il ne se rende pas compte des battements stridents de son cœur, mais Terry, lui prenant le menton entre ses mains, la força à le regarder droit dans les yeux : Dès le moment où tu acceptes d'être mon épouse, j'enverrai le télégramme à mon père en lui disant que j'accepte son offre. Qu'est-ce que tu en dis, Candy ? Te marieras-tu avec moi ? Je t'assure que ce plan ne peut pas rater.

Comme au début, la voix de Terry était chaude, telle que durant ces jours en Ecosse. Toutefois, l'ardeur dans ses joues au contact des mains du jeune homme ne pouvait lui faire oublier que cette proposition de mariage n'était pas celle dont elle avait tant rêvé. C'était comme il le lui avait dit, un stratagème froid pour être sauvée de Daniel. Tout paraissait bien amorcé, toutefois, quelque chose lui disait que c'était trop parfait pour être vrai.

- Je ne sais pas, balbutia-t-elle et comme elle sentait que bientôt ses larmes allaient la trahir, elle se leva à nouveau du fauteuil pour tourner le dos au garçon. C'est beaucoup trop vous demander à tous. Je ne sais pas même pas s'il est moral de faire une chose pareille.

- Au nom de Dieu, Candy ! s'exclama-t-il avec impatience, ce n'est pas le moment de tergiverser. Ce que nous projetons de faire ne peut pas être plus immoral que de te jeter entre les mains de ce porc! murmura Terry et bien qu'elle soit de dos, elle put percevoir la fureur dans sa voix. Te rends-tu compte de ce qu'implique ce mariage avec Daniel ? Ai-je besoin d'être brutalement clair avec toi pour que tu comprennes que tu seras à la merci de ce pervers ? As-tu seulement pensé à ce que tu auras à livrer à ce malade ?

- Tais toi ! cria-t-elle sans plus pouvoir contenir ses pleurs.

Seuls les sanglots de la fille s'entendaient dans la pièce à ce moment là. Aucun des deux n'étaient capables de dire un mot. Dehors, une pluie timide commença à tomber en faisant du bruit sur le cristal des fenêtres.

- Crois-tu peut-être que je n'ai pas pensé à cela ? dit-elle finalement, encore de dos, tandis qu'elle revoyait mentalement les heures de désespoir qu'elle avait vécues depuis le début du problème dans lequel elle était engluée. Nuits et jours infestés de cauchemars terribles dans lesquels elle s'était vue elle-même dans les bras de Daniel, devant souffrir ses caresses répulsives. La sensation de dégoût s'était installée à nouveau dans son estomac à cette seule pensée.

- Alors, Candy ? fut encouragé à dire Terry en atténuant son ton. Accepte cette solution qui est la seule issue possible. Je t'assure que personne n'en sortira nui. Une affaire déguisée, dans laquelle les seuls trompés seront tes parents, ce sera juste une transaction, mais vu ce qu'il se passe en ce moment, je ne pense pas que tu doives me prendre en considération.

- C'est d'accord, répondit la jeune fille d'une voix rauque. Nous ferons ce que tu as projeté.

Après avoir affiné quelques détails sur la marche à suivre, le jeune homme laissa la jeune fille seule et celle-ci se retira immédiatement dans ses appartements, où elle loua pour la première fois la solitude qu'on lui avait imposée ces derniers jours. Là, isolée de tous ceux qui avaient été parfois ses appuis dans les moments difficiles, Candy tenta de réordonner les pièces de ce puzzle sans aucune aide. Le fait de voir à nouveau Terry avait été plus que ce que son coeur pouvait supporter. Il lui avait seulement suffi de le voir entrer au salon de thé de la Grand tante, pour se rendre compte que tous ses efforts pour l'oublier avaient été vains.

Souvent, elle avait voulu s'imaginer que quand elle le verrait à nouveau, ce serait dans la plus accidentelle et la plus cordiale des circonstances. Ce hasard ne souffrirait aucun remord, il n'y aurait ni anxiété ni sanglots, seulement l'envie de saluer un vieil ami. Peut-être que Suzanne aurait été avec lui, mais elle n'aurait jamais l'occasion de connaître ni cette pénible douleur dûe à une confrontation, ni aucun sentiment d'abandon. Comme elle s'était trompée !

Tout au contraire de ce que à quoi elle s'attendait, elle trouvait à nouveau un Terry qui depuis leur première rencontre lui paraissait l'homme le plus attirant de la terre. Depuis ses yeux profonds et intimidants jusqu'au plus léger geste dédaigneux, tout en lui continuait à lui faire perdre pieds, mots et jusqu'aux sens. C'était simplement injuste, comme était injuste la situation où ils étaient plongés tous les deux maintenant.

Elle l'aimait tant et elle se voyait obligée d'entamer avec lui la comédie d'un mariage qui finirait en se dissolvant dans l'année. Candy n'était pas sûre d'avoir les forces nécessaires pour passer par l'élaboration des préparatifs d'un mariage avec Terry pour ensuite signer le divorce et le laisser partir, pour toujours cette fois.

L'avoir si près, pensa-t-elle en soupirant, sentir son odeur, les lignes parfaites de son visage ... la chaleur de sa main, et savoir qu'il fait seulement semblant. Que tout est seulement « une transaction ».

Terry avait été très ponctuel et froid quand il lui expliquait les détails du stratagème. Pas un moment il n'avait montré dans son regard un seul soupçon de sentimentalisme. Il avait été bien clair sur le fait qu'il s'agissait seulement d'une faveur qu'il faisait à une vieille amie, rien de plus. Donc c'était décidé, il s'agirait seulement d'un mariage blanc, sans considérer combien cela endommagerait Candy qu'il en soit ainsi. Si elle devait dissimuler son amour pour lui à tous les autres, même à elle-même, elle le ferait coûte que coûte.

*************

Le jeune homme arriva à sa chambre d'hôtel après cette journée redoutable. Finalement, après plusieurs jours de tensions croissantes, il pouvait se jeter sur le lit et s'évader dans un repos de décharge. Toutefois, il savait bien que son entreprise commençait à peine.

Depuis qu' Albert était apparu un certain après-midi dans le théâtre où il travaillait, Terry avait vécu dans une espèce de cauchemar interminable. La nouvelle des basses intentions de Daniel l'avait fait plonger dans la colère et la fureur mais le plan que son ancien ami lui proposait ne lui avait pas paru la meilleure solution.

- Te rends-tu compte de ce que tu me demandes ? avait-il demandé à Albert, pas très sûr que son ami comprenne ce que signifiait cette idée pour lui.

- Je te demande de te marier avec Candy. Tu étais amoureux d'elle et tu es maintenant un homme libre, n'est-ce pas ? Je ne comprends pas pourquoi l'idée te paraît maintenant tellement inadmissible, avait été la réponse tranquille du jeune blond.

- Tu connais largement les choses pénibles qui sont arrivées entre nous. Je sais bien qu'elle les a totalement surpassées. Je n'oublie pas la dernière fois que je l'ai vue à Chicago, livrée à son travail, avec toujours le même sourire sur les lèvres. Elle est ainsi Candy, mais je suis différent. Pour moi les expériences vécues ne sont pas aussi faciles à oublier. Les souvenirs sont encore là et continuent à m'endommager de la même manière. Après que Suzanne eut décidé de rompre avec moi, il ne me demeurait pas même des restes de cœur pour pouvoir envisager l'idée de me marier. J'ai cessé de croire en l'amour, avait-il conclu sans dissimuler son amertume.

- Je regrette de t'écouter parler ainsi. J'ai cru, la dernière fois que nous nous sommes vus, que tu avais choisi de faire face à la vie sans rancoeur.

- Et c'est ce que j'ai fait. Je suis revenu ici, disposé à accomplir mon devoir envers Suzanne. Elle savait bien qu'elle ne serait jamais capable de m'inspirer l'amour qu'auparavant j'avais eu pour Candy, mais au moins je pourrais vivre avec la conscience tranquille, et comment est-ce que je me retrouve ? Qu'après avoir gaspillé la seule relation affectueuse importante de ma vie pour honorer Suzanne, elle a décidé que ce n'était pas une si bonne idée d'être ensemble ! Cela ne te paraît pas comme une plaisanterie de mauvais goût ?

- Je comprends ton ressentiment envers la vie, Terry, mais je ne parviens pas à comprendre que tu veuilles resasser le rejet de Suzanne alors que tu as l'opportunité maintenant de te marier avec Candy, avait affirmé Albert tout en sirotant sa bière avec une tranquillité qui tracassait Terry.

- Le passé ne revient pas, Albert, et l'affection que Candy a eue pour moi autrefois est restée en arrière. N'oublie pas que c'est elle-même qui a décidé de mettre fin à notre relation afin que Suzanne n'en soit pas désemparée et j'en ai accepté l'idée. Tous les deux, nous nous sommes énormément blessés cette nuit-là. Ce que tu me demandes maintenant est de revivre les blessures, de souffrir à nouveau... le choc émotionnel en sera très fort, sinon pour elle, en tous cas pour moi. Non, je ne crois même pas qu'elle soit disposée à se marier avec moi maintenant.

- Pas même pour être sauvée de Daniel? s'enquit Albert. Crois-tu qu'elle renoncerait à se marier avec toi... même si... Il s'était arrêté un moment, fixant Terry d'un regard bleu profond qui paraissait être capable de pénétrer les sentiments les plus intimes de son ami. Même s'il s'agissait d'un mariage blanc ?

- A quoi fais-tu référence ?

- Bon, étant donné que tu es tellement convaincu que Candy n'est pas intéressée par toi, et que toi, tu ne veux même rien savoir du romantisme, vous pourriez pactiser tous les deux un mariage seulement de mot. Une espèce de tromperie pour la sauver des Legrand. Que penses-tu de cette solution ?  Et Terry avait ressenti un froid inconnu en écoutant les mots d'Albert.

- Tu veux dire que tout serait faux ? Qu'en réalité nous ne serions pas mariés ?

- Non ! avait été la réponse du jeune homme blond, tout au contraire! Le contrat matrimonial serait réel mais il ne serait jamais mené à bien en pratique. Une simple ressource légale pour acheter la liberté de Candy. Y serais-tu disposé ?

- Veux-tu que je l'emmène à l'autel, pour que devant Dieu et devant les hommes je la prenne pour épouse, mais sans jamais en faire ma femme ? dit-il étonné de la proposition de son ami. As-tu considéré que cela pouvait s'avérer suprêmement embarrassant pour tous les deux ?

- J'ai pensé à tout cela, et s'il pouvait y avoir une autre manière de la libérer de Daniel, nous ne t'aurions pas sans doute demandé cet effort, avait été la réponse posée de son ami. Nous devons tous de grandes faveurs à Candy et le moment est arrivé pour nous de faire quelque chose pour l'aider. Malheureusement, tu devras payer le prix le plus cher mais je ne vois pas une meilleure idée.

Ce qui était certain, c'est que les autres solutions possibles étaient trop risquées et mélodramatiques. L'idée noire de tuer Daniel était passée par la tête de Terry et il avait secrètement résolu de la mener à bien au cas où Candy elle-même n'accepterait pas le plan d'Albert. La providence avait été sûrement trop miséricordieuse avec ce bâtard puisque tout paraissait se dérouler comme cela était prévu, permettant de cette façon à Daniel qu'il puisse continuer à vivre pour un bon moment !

Cependant, pour lui les choses s'avéraient encore pires que ce qu'il avait imaginé. Comme s'il n'était pas déjà suffisamment difficile de devoir rencontrer Candy à nouveau, elle avait eu la mauvaise idée ce jour-là de briller davantage de beauté que dans le meilleur des souvenirs qu'il gardait d'elle. Peut-on seulement accuser le démon de se déguiser en un ange de soie bleue devenant une tentation plus viable pour envoyer son âme en enfer juste par une pensée? Spécialement quand cet ange choisissait de s'évanouir sans lui laisser d'autres choix que la prendre dans ses bras, justement comme il le souhaitait.

Ses joues étaient fraîches et lisses, se rappelait-il, l'imagination déjà débordante sans la plus petite trace de self-control, et ses lèvres, bien qu'elles aient momentanément perdu leur couleur à cause de l'évanouissement, étaient encore plus exaspérantes ainsi, légèrement entrouvertes. Son corps contre le mien, bien qu' inconsciente, chaud et vivant... le parfum de ses boucles près de mon visage ... Mon Dieu ! Comment parvenir à mener à bien cette farce ?

Mais l'illusion de ces songes avait dû s'effondrer devant l'accueil glacial qu'elle lui avait réservé.

- Prétendant ? Toi ? Mais qu'est-ce que ces absurdités ? avaient été ses premiers mots quand il lui avait fait savoir ses intentions. L'incrédulité et jusqu'à son indignation dans le regard, avaient été pour lui comme une douche froide. Donc, l'attitude réticente de Candy à accepter le mariage, bien qu'il soit seulement de mot, s'était avérée plus difficile que ce à quoi il s'était attendu.

Après cette conversation avec elle, une seule chose pour lui était claire: durant tout ce temps, il était passé par des mois d'enfer en essayant d'oublier Candy sans y parvenir; pour Candy, il n'était déjà plus qu'un fantôme d'une vie ancienne.

- Bon, voyons le côté positif dans cette affaire, se dit-il alors en perdant son regard dans le plafond de la chambre. Au moins, elle ne souffrira pas quand nous devrons nous séparer. Ce sera comme nous l'avons convenu, une simple transaction d'affaires. Elle obtiendra sa liberté une fois pour toutes et je lui paye ma dette pour m'avoir appris à aimer même si dans cet apprentissage, je me suis déchiré le cœur en morceaux.


Chapitre 2 - En conservant les apparences

Les préparatifs avancèrent vertigineusement dans les jours suivants. La Grand Tante, emballée à l'idée d'être apparentée au fils d'un noble, s'était chargée elle-même de parler avec les Legrand pour leur apprendre l'annulation des plans précédents. Comme il fallait s'y attendre, Daniel réagit de la pire manière possible, mais Eliza, toujours plus intelligente et plus rapide pour s'adapter à de nouvelles situations, était parvenue à contenir la fureur et les zèles de son frère. La Grand Tante laissa donc les Legrand à Lakewood sans plus réfléchir au problème, puisque les plans pour les festivités des fiançailles et le mariage lui prenaient toute sa considération et dès lors, son neveu dépité et sa très offensée famille étaient relégués au second plan. Elle allait se rendre compte avec le temps de la véritable réaction du frère et la soeur, qui n'étaient pas vraiment habitués à accepter leur sort, les bras croisés.

Pour sa part, Candy était tellement occupée qu'elle n'avait pas pris le temps de penser à une quelconque vengeance provenant des Legrand. Le premier pas dans les projets de la Grand Tante, était « de réfuter » les fausses rumeurs et les notes journalistiques sur les fiançailles de l'héritière des André avec Daniel Legrand. Pour ce faire, elle avait obligé Candy à donner une entrevue à un journaliste dans laquelle elle niait l'existence d'un tel engagement. Plus tard, Daniel allait être également forcé de le nier publiquement.

Une fois que ce qui précède fut effectué, il leur fallut laisser passer quelques semaines pour que l'affaire cesse d'être sujet de commérages dans la haute société de Chicago. Durant cette pèriode, ils en profitèrent pour préparer en secret tous les détails logistiques, ce pourquoi Candy dût supporter la compagnie de la Grand Tante jour et nuit tandis qu'elle l'assistait dans les préparatifs.

Jusqu'alors la jeune fille n'avait pas revu Terry, bien que grâce à Archie – qui obtint finalement qu'il leur soit permis de se voir - elle fut informée du fait que son promis était de retour à New York. De même, Archie lui avait dit que, aussitôt que Terry serait de retour et avant de pousuivre ce qui était prévu, serait fixé un rendez-vous pour que tous les deux aient une entrevue avec un avocat. Le motif : connaître en profondeur les précautions qui devaient être prises pour que la supercherie projetée ait le succès souhaité.

L'occasion pour cela se présenta finalement quand Grandchester retourna à Chicago un mois plus tard. La Grand Tante souhaitait que le couple soit vu en public à quelques occasions avant d'annoncer les fiançailles; donc pour commencer, il fut décidé qu'on les verrait à l'hippodrome. Elle ignorait, toutefois qu'il y avait un second rendez-vous qu'elle devait honorer plus tard.

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Sophie fit des merveilles dans son travail à cette occasion et tant Archie que Terry ne purent que la remercier lorsque Candy apparut au salon principal où les deux jeunes hommes l'attendaient. Les boucles de la jeune fille avaient été reprises dans sa nuque, en laissant quelques mèches libres pour orner son front à l'avant. La nouvelle coiffure et les lignes élégantes de cette tenue de couleur rose qui moulait sa taille indiscutablement menue, ne laissaient aucun doute que la gamine autrefois dégingandée et effrontée avait fait place à une femme.

Bien qu'il soit conscient de la situation, Terry ne put s'empêcher de ressentir quelque chose semblable à de la fierté quand sa promise accepta le bras qu'il lui offrait, le saluant avec un sourire timide sous son large chapeau. Archie, qui servait de chaperon à cette occasion, les suivait en silence, pensant malicieusement à Daniel pour la millième fois. S'il n'avait pas été son cousin, il aurait pu éviter de se retrouver en pareille situation inconfortable.

Le temps où il ressentait de la haine envers Terry était révolu, mais dans le fond, il avait encore comme une sorte de méfiance envers son ancien condisciple. Grandchester avait engagé sa parole d'honneur de ne jamais réclamer un quelconque droit du statut de conjoint légal de Candy, mais la manière dont il avait regardé la jeune fille quand elle descendait les escaliers, était parvenue à faire augmenter la méfiance d'Archie.

L'idée de mettre Terry dans l'affaire avait été complètement celle d'Albert, mais comme le jeune Cornwell ne connaissait personne d'autre à qui il pouvait confier une telle tâche, il avait dû finir par accepter l'idée d'Albert et il était maintenant obligé de servir de chaperon. C'était la raison de sa contrariété.

Etranger à l'inconfort d'Archie, le couple se montra à l'hippodrome devant les yeux inquisiteurs de la jet-set de Chicago. Candy parlait très peu, incapable de coordonner ses pensées devant la proximité de Terry, et le jeune homme se limitait à faire un ou autre commentaire sans importance, tandis qu'il s'interrogeait sur la raison du mutisme de la jeune fille.

Pendant une pause entre les courses les plus importantes de l'après-midi, les trois amis s'échappèrent du lieu au moyen d'une voiture pour se rendre dans une partie de la ville que Candy ne connaissait pas. Le bâtiment dans lequel ils entrèrent était neuf, et ils durent passer par plusieurs bureaux vides pour arriver au bureau de la personne qu'ils cherchaient.

*******************

- Enchanté, Mademoiselle André, déclara l'avocat Nerville quand ils firent les présentations. Vous pouvez être tranquille, je saurai garder une discrétion totale dans votre affaire. Albert est un bon ami à moi et je l'ai assuré que je ne le trahirai pas sur quelque chose de tellement important pour lui.

- Merci beaucoup, Monsieur Nerville, répondit Candy en essayant de sourire furtivement et l'avocat fut surpris qu'elle ait un air si doux en étant aussi riche.

- En vous voyant, je peux comprendre le désir d'Albert et de M. Cornwell de vous protéger. J'ai une fille de votre âge et la dernière chose que j'apprécierais serait qu'elle soit obligée de se marier avec un homme qu'elle n'aime pas, continua l'homme en servant lui-même le thé pour ses visiteurs.

Conscient de la nécessité du secret en cette affaire, il s'était assuré qu'il n'y ait personne dans les bureaux pendant l'entrevue. Quand ils furent tous installés, l'homme commença ses explications.

- L'affaire est simple dans son essence. Vous et M. Grandchester devrez vous marier légalement et devant l'église.

- Devant l'église ? demanda Candy scandalisée. Je pensais qu'un mariage civil serait suffisant aux fins que nous poursuivons.

- Le mariage légal est celui qui nous intéresse réellement parce qu'il permettra que vous soyez libérée de l'autorité que votre père adoptif aurait encore sur vous dans les années à venir. Toutefois, le mariage religieux sera nécessaire pour convaincre vos parents de la véracité du mariage entre vous et M. Grandchester. Mais ne vous en préoccupez pas! ajouta l'avocat en voyant l'inquiétude qui se dessinait sur le visage de la jeune fille.  Quand le délai nécessaire se sera écoulé, nous effectuerons un divorce légal et comme le mariage aura été seulement de mot, nous serons en position de solliciter à postériori que le Vatican annule les noces religieuses, pour votre tranquillité, Mademoiselle. Nous ferons ceci avec une discrétion absolue et sans interférer dans le divorce légal. Nous serons ainsi assurés que tant vous, que  Monsieur Grandchester, aurez la possibilité de vous marier à nouveau ensuite avec la personne que vous souhaitez.

Candy pâlit légèrement à l'allusion de quelconques secondes noces  mais elle se remit rapidement. Les deux jeunes hommes écoutaient en silence, sans laisser apparaître aucune émotion sur leurs visages.

- Je dois vous informer chacun, continua l'avocat, qu'il existe certains dangers.

- A quoi songez-vous ? demanda Terry, sentant une tension désagréable en entendant qu'il existait une partie de l'histoire qu'il ignorait.

- Si la famille de la demoiselle, spécialement Monsieur André lui-même, venait à être informée que tout est une supercherie avant que se soit écoulée la première année de la signature du contrat matrimonial, ils auront la possibilité d'annuler eux-mêmes le mariage légal. Nous perdrions alors tout ce qui était gagné et Mademoiselle serait à nouveau sous la tutelle de son père adoptif jusqu'à avoir atteint sa majorité.

- Quelles mesures suggérez-vous de prendre ? demanda Archie en prenant part à la conversation pour la première fois.

- Les contractants devront s'assurer qu'il n'existe aucun doute que leur mariage soit réel. Ils devront être vus ensemble continuellement, assister à des événements familiaux, briller réellement comme un couple de jeunes mariés et surtout, vivre ensemble sous le même toit pendant toute l'année que dure le contrat. Si on venait à soupçonner que les parties ne vivent pas ensemble, cela pourrait donner lieu à une demande automatique de divorce ou pire, d'annulation, avant la première année.

Les paroles de Nerville tombèrent lentement dans les oreilles de Candy, mais même ainsi elle ne pouvait pas leur donner crédit. Elle avait imaginé que ce mariage impliquerait uniquement de feindre le fait de se marier avec Terry pour ensuite ne plus le revoir jusqu'au jour du divorce. Penser une cérémonie de mariage avec Terry était déjà assez difficile pour elle, mais vivre à ses côtés durant une année entière, était un concept trop écrasant. Candy souhaita mourir à cet instant, mais ses désirs, comme il devenait coutume ces derniers temps, ne furent pas exaucés. Si elle-même n'avait pas été tellement offusquée, elle aurait pu remarquer que le visage de Terry avait lui aussi perdu ses couleurs. Toutefois, Archie put le remarquer, même s'il s'agissait d'un effet très passager que Terry avait pu contrôler en un clignement des yeux.

- Je n'ai jamais pensé que la supercherie devrait m'emmener aussi loin, déclara finalement Candy d'une voix entrecoupée.  Je ... Je ne veux pas causer tant de problèmes à Terrence.

- Je comprends ce que vous voulez dire, Mademoiselle,se dépêcha de dire l'avocat avant que Terry lui-même ne puisse ouvrir la bouche. Mais vous ne pouvez pas vous offrir le luxe de courir des risques avec cette entreprise. Je suis sûr que M. Grandchester n'y voit aucun inconvénient. Je me trompe ?

- En aucune manière, répondit Terry en trouvant pour finir le ton de voix le plus formel et le plus froid de son répertoire. Quand j'ai accepté de prendre part à ceci, je l'ai fait pleinement conscient du fait que ce ne serait pas facile. Cependant, je dois admettre que j'ignorais les détails que vous nous exposez maintenant, mais cela ne représente aucun problème pour moi que Candy vive avec moi pendant cette période.

- Je m'en réjouis. Il ne me reste qu'une dernière chose à vous dire, continua l'avocat et Candy se sentit s'enfoncer encore plus dans son siège, vous comprendrez, vu la nature sensible de l'affaire, qu'il faille maintenir la plus grande discrétion possible. Moins de personnes seront au courant de la réelle nature de ce mariage, mieux ce sera. Je crois que jusqu'à présent il y a quatre personnes informées, sans me compter. Cela me paraît amplement suffisant. Essayez de le maintenir ainsi.

- Voulez-vous dire que nous ne devons pas en informer nos parents et amis ? demanda Candy de plus en plus nerveuse.

- En effet ! Ce sera le mieux, Mademoiselle, croyez-moi. La plus petite indiscrétion peut être dangereuse et cela même pour ce qui est de vos serviteurs. Ayez soin de maintenir le secret également face aux personnes qui travaillent pour vous.

Les trois amis retournèrent à l'hippodrome juste à temps pour les deux dernières courses de l'après-midi. Chacun d'eux était plongé dans le plus complet des silences. C'était comme si par un accord tacite, il avait été décidé que chacun avait eu à prendre des décisions trop importantes pour penser à entamer une quelconque conversation sans importance.

 Un an! se répétait Terry en silence alors qu'il sentait que sa cravate type Ascot lui coupait la respiration. Vivre ensemble durant toute une année. Pas même dans mes rêves les plus fantaisistes, il ne m'est arrivé d'envisager une pareille chose. Une année à la voir tous les jours, partager le même toit, entendre sa voix tous les matins, entrer dans sa chambre et sentir son parfum dans l'air... et moi qui avais perdu tout espoir de la revoir.


Au fur et à mesure que les idées se rassemblaient dans son esprit, le jeune homme sentait que quelque chose qui ressemblait étrangement à la joie commençait à danser dans son coeur. En feignant de prêter attention aux chevaux qui étaient énumérés pour l'avant-dernière course, il observait du coin de l'oeil sa compagne. Elle fronçait légèrement le nez devant la force des rayons du soleil estival. Elle semblait avoir le regard perdu, comme indifférent à tout ce qui se passait alentour. Ainsi, avec la lumière jouant dans ses yeux verts, elle lui paraissait aussi jolie que ... lointaine.

Peu importe, se dit-il, avec un esprit tellement optimiste qu'il se surprenait lui-même. Peu m'importe que je ne signifie plus rien pour toi. La vie m'accorde le cadeau de jouir durant une année de ta compagnie et cela me suffit. Je ne pourrai pas te toucher, mais au moins tu seras à mes côtés. Cela est suffisant... cela doit l'être.

Les chevaux étaient finalement partis et Candy souhaitait pouvoir partir en courant tout comme eux. Courir sans direction fixe ... s'en aller très loin... laisser tout pour ne pas voir une fois encore le profil de l'homme à côté d'elle et penser à nouveau qu'il était attirant cet après-midi avec son costume gris clair. Pendant une seconde, il lui sembla qu'il la surveillait aussi, mais c'était le fruit de son imagination. Malgré ses efforts, elle ne parvenait à détourner son esprit de cette irrésistible envie de se blottir dans ses bras.


Vivre ensemble une année ! se répétait-elle. Je vais devenir folle. Comment vais-je faire pour que mes jambes ne tremblent pas comme si elles étaient de gélatine à chaque fois que je vais l'approcher ? Le voir... le voir tous les jours, être à la maison quand il reviendra du théâtre, passer les week-end ensemble, sortir et devoir lui prendre le bras comme aujourd'hui. C'est angoissant ... et pourtant ... Pourquoi dois-je me sentir tellement heureuse ?


Black Star gagna finalement la course et comme il fallait attendre quelques minutes pour la dernière course de l'après-midi, Archie émit un souhait en disant qu'il voulait parier. En vérité, il n'aurait pas supporté de rester une minute de plus à côté de Terry. Il lui fallait trouver un endroit où il puisse respirer une atmosphère moins chargée.

« Il ignorait les détails.» Quelle honteuse manière de mentir ! se disait-il en fronçant les sourcils. Je suis sûr que, d'une certaine manière, il s'était informé à l'avance que tout ceci était nécessaire. Si Nerville nous avait avisés de cela précédemment, je n'aurais jamais accepté de prendre part à tout ceci ... Jamais !

 Et qu'est-ce que tu aurais fait ? lui répondit une voix intérieure. Tu sais bien qu'il n'y a pas d'autres possibilités que de confier cela à lui. En outre, tu dois admettre que Grandchester s'est comporté à la hauteur des circonstances.

A son très grand regret, Archie devait admettre que c'était la vérité. Il ne paraissait pas y avoir une autre solution. Toutefois, il ne pouvait pas se faire à l'idée que Candy devrait cohabiter avec lui. Dans le fond, il n'acceptait pas le pardon que son amie d'enfance avait accordé à l'acteur depuis la rupture de leurs relations.

Entre temps, alors qu' Archie digérait son mépris dans la file des paris, Terry torturait son esprit pour chercher un sujet de conversation. Si Candy et lui devaient être ensemble aussi longtemps, il fallait trouver un moyen de rompre ce mutisme tellement inhabituel chez la jeune fille.

- Je ne savais pas qu' Archie s'intéressait aux paris, commenta-t-il distraitement.

- Moi non plus, lui répondit-elle sans détacher les yeux d'un point imaginaire.

- J'espère qu'il aura plus de veine que toi. La dernière fois que je t'ai vu parier tu ne t'en es pas fort bien tirée, ajouta-t-il en soulevant un sourcil.

- C'était un canasson! rétorqua-t-elle en se rappelant l'incident qu'il mentionnait. Tu l'as dit toi même. C'est curieux, je pensais qu'un acteur devait avoir bonne mémoire. Visiblement, je me trompais, commenta-t-elle en risquant un sourire vindicatif, incapable de laisser passer la provocation.

- En aucune manière, répondit-il en feignant d'être sérieux. Tu confonds mon geste de chevalerie avec l'incapacité à me rappeler les détails. Je t'ai menti quand je t'ai dit que je trouvais que c'était un canasson.

- C'est vrai ? Tu n'aurais pas dû le faire. Je n'ai pas besoin de ce type de geste. J'étais totalement disposée à accepter les conséquences du pari.

- Bon! dit-il finalement en souriant, jouissant de l'esprit combatif de la jeune fille. Dans ce cas, il est encore temps de remédier à cette affaire.

- Je regrette, il est trop tard pour faire des réclamations. Mais si tu veux, nous pouvons risquer un nouveau pari aujourd'hui ! le défia-t-elle en osant le regarder. « Mais pourquoi ai-je dit cela ? Candy, tu es stupide ! » pensa la jeune fille.

- Mmmmm... Non, non, pas maintenant, rétorqua le jeune homme avec une moue fanfaronne , mais sois assurée qu'à une prochaine occasion, je te prendrai au mot. Je préfère avoir un témoin pour être sûr que les choses soient totalement justes. Cela doit être quelqu'un en qui nous ayons tous les deux confiance. Peut-être la prochaine fois que nous verrons Albert.

La dernière phrase de Terry rappela à Candy qu'il demeurait plusieurs questions sur leur ami mutuel qui crépitaient encore dans un coin de son esprit.

- Pour sûr, mais comme tu en parles ...dit-elle en profitant de l'occasion, je suis encore surprise de la participation d'Albert dans... tout ceci. Un beau jour, il a abandonné l'appartement où nous vivions et je n'ai plus eu de nouvelles. C'est incroyable cette capacité à disparaître pour ensuite réapparaître, toujours au moment où j'en ai besoin.

- Oui, c'est très curieux, répondit-il étant donné que pour lui, Albert s'était transformé aussi en une espèce d'ange gardien, en étant présent à chaque fois qu'il avait besoin du conseil d'un ami.  Bien que l'image de cet homme au visage bronzé par le soleil et aux poings de fer ne coïncide pas exactement avec celle d'une peinture des anges de la renaissance, j'admets que je n'ai de cesse de vouloir en savoir un peu plus de lui, continua le jeune homme, mais je le respecte tant, que je n'oserais pas lui demander quelque chose concernant son passé.

- Sais-tu au moins où il est maintenant ? s'enquit-elle sur un ton anxieux qui pour une raison inconnue commença à tracasser Terry, j'aimerais beaucoup le revoir. Après avoir passé tant de temps ensemble, je suis arrivée à le considérer comme un frère et il me manque, expliqua-t-elle sans savoir que ses derniers mots avaient permis à son interlocuteur de respirer plus légèrement.

- La dernière fois que nous nous sommes vus, il m'a dit qu'il allait voyager pendant un petit moment mais que nous aurions des nouvelles de lui après avoir mené à bien notre projet de mariage, lui répondit-il en se rappelant les derniers mots de son ami avant de le quitter :

« Je crois que pour le moment ma présence n'est pas nécessaire ici. Je suis tranquille en sachant que tu te chargeras de Candy. Je sais qu'entre tes mains, elle sera en sécurité. »

- J'aimerais savoir comment pouvoir le trouver, commenta Candy, déçue, en faisant sortir Terry de ses pensées.

- Ne t'inquiète pas, Candy, il nous reviendra quand il le jugera opportun. Il est ainsi Albert.

Cette nuit-là, Candy regarda depuis sa fenêtre le ciel dégagé et le firmament d'étoiles. Elle révisait mentalement les événements de la journée et essayait d'imaginer la réaction qu'auraient toutes ses connaissances à la lecture des nouvelles qui seraient sûrement publiées dans les périodiques du lendemain. Son apparition en public avec Terry n'était pas passée inaperçue par la presse, donc il n'y avait plus moyen de faire marche arrière. Elle songea à Suzanne et à ce qu'elle penserait en voyant les photographies et en lisant les rumeurs dans les quotidiens. Réellement, ne lui en coûterait-il pas de savoir que Terry allait se marier avec une autre ? ... et précisément avec elle ! Candy était encore terriblement touchée de savoir que la jeune actrice avait décidé de rompre tout lien avec Terry. L'amour de Suzanne lui avait paru quelque chose d'impossible à éteindre, mais sans doute s'était-elle trompée. Ce que Candy ressentait pour Terry, par contre, paraissait beaucoup plus obstiné. ... et en même temps, si douloureusement absent.

*************

Dans les jours qui suivirent, les événements se précipitèrent. Le couple avait été aperçu dans plusieurs endroits à la mode, et rapidement les bruits étaient déjà dans la bouche de tous. Les choses étaient prêtes pour le grand jour. Immédiatement, les plus hauts membres de la meilleure société de Chicago reçurent une invitation cordiale à un grand gala qui serait organisé à la demeure des André le 7 mai, à l'occasion de l'anniversaire de la jeune Candice Neige André. Les Legrand ne firent pas exception.

Eliza Legrand ouvrait la marche dans le grand salon de la résidence André. Les boucles rougeâtres de la jeune fille tombaient en cascade dans son dos, ornées d'un serre-tête de rubis qu'elle portait avec fierté. Candy l'avait vaincue cette fois, mais il était nécessaire de ne pas laisser apparaître le moindre signe de défaite. Par conséquent, elle s'était habillée avec un soin tout particulier à cette occasion. À ses côtés, son grand frère marchait sévèrement.

- Te semble-t-il que ma tenue soit suffisamment élégante pour l'occasion ? demanda Eliza d'une faible voix pour la millième fois de la soirée. Daniel observa à nouveau la jupe de Broca rose qui seyait à la taille de sa sœur pour ensuite lui dessiner à peine les hanches dans une ligne lisse. Son chemisier noir en satin était subtilement brodé et les longs gants de soie s'harmonisaient avec le reste de la tenue.

- Je te l'ai déjà dit ! Tu te vois bien. Je ne comprends pas ton obsession pour l'apparence ! Tu crois peut-être que ce bon à rien d'acteur va te remarquer ? Ne sois pas ridicule! la brusqua Daniel de façon acide.

- Il ne s'agit pas de cela,  rétorqua immédiatement Eliza indignée. Nous devons briller de mille feux ce soir. Premièrement, parce que nous ne devons pas donner à penser à la gente que notre famille est offensée par les fiançailles qu'on va annoncer ce soir, et deuxièmement parce qu'en feignant l'indifférence, nous serons dans de meilleures conditions pour préparer notre revanche.

- Si tu le dis. ... accepta Daniel découragé. En vérité, j'aurais préféré ne pas venir. Je ne crois pas pouvoir supporter de les voir ensemble.

- Tu devras pourtant le faire et ravale ta fierté pour le moment, le convainqit sa sœur en ayant veillé de ne pas élever la voix, mais en lançant à son frère un regard particulier. Mais ne t'inquiète pas, le moment viendra ...

Pendant que les Legrand continuaient leur conversation, la Grand Tante était ravie d'exercer son rôle d'hôte en rendant gloire à sa longue expérience, année après année, à la tête de la famille André. Tout était comme elle l'avait espéré, chaque candélabre, chaque verre de cristal, chaque cuillère d'argent, chaque uniforme de ses employés....

Tout devait être parfait ce soir. Ce serait l'occasion grandiose au cours de laquelle elle annoncerait au monde que la famille André était sur le point de s'apparenter avec la noblesse. Il importait peu pour la dame que Candy ne soit pas réellement une André. Une telle considération, qui en d'autre temps lui avait paru tellement insurmontable, était brusquement devenue insignifiante. Ce serait le grand soir d'Emilia Elroy et rien n'allait l'obscurcir.


Elle leva le regard de la table impressionnante du buffet pour surveiller à nouveau sa nièce adoptive. Candy conversait distraitement avec Annie ce qui lui offrait l'occasion de comparer les deux filles. Si elle n'avait pas parfaitement bien connu l'histoire de Candy et d'Annie et si au contraire, on les lui avait présentées ce soir même, il lui aurait été impossible de deviner que ces deux filles aient eu une origine obscure et humble.

Il fallait reconnaître que Mme Brighton avait fait un travail excellent avec sa fille adoptive. La jeune fille s'était transformée en une dame qui respirait l'élégance dans chacun de ses mouvements. A l'inverse, Candy ne possédait pas la grâce étudiée d'Annie mais toutefois, elle aussi dégageait l'air d'une sorte d'assurance insolente qui amenait à penser qu'elle avait été élevée aux côtés de personnes nées dans des nids d'abeilles de soie.

De plus, si Annie supplantait Candy en sophistication, la réalité était que la blonde la dépassait en beauté. Mme Elroy se félicita à nouveau pour les vêtements et les bijoux que la jeune fille portait pour l'occasion, car tout cela était le résultat de la sélection experte de la matriarche. La soie de Damas brodée en couleur perle et les liens de crêpe de soie affirmaient merveilleusement les boucles dorées de la jeune fille. Les émeraudes étaient sans doute le meilleur choix et tout l'ensemble faisait que Candice Neige André était incontestablement la reine de la soirée.

Emilia ne put résister à l'envie d'émettre un discret sourire de triomphe. Tenir les rênes de la famille n'avait pas été facile un seul instant. Souvent ses points de vue avaient heurté les avis têtus et excentriques de William, mais cette fois, elle pouvait se féliciter qu'ils soient parvenus à arriver à un accord parfait. Elle avait toujours désapprouvé l'adoption de Candy ; cependant, les choses s'étaient avérées admirablement favorables. Elle devait concéder que la dernière idée de William était parvenue à assurer à la famille une nouvelle ascension dans l'échelle sociale. Qui l'eut cru !

Alors que la Grand Tante continuait à se congratuler secrètement, un murmure parcourut le salon en faisant sortir la vieille dame de ses méditations. Au même moment, Terrence G. Grandchester franchissait le seuil de la salle. Avec sa chevelure soyeuse couleur chataigne retenue, son costume noir impeccable, le pas assuré et le regard lointain, le jeune homme marcha jusqu'aux côtés d'Emilia Elroy pour la saluer avec la plus grande des courtoisies. Quand il le voulait, il pouvait être si adorablement charmant qu'y compris la sévère matriarche était incapable de résister à la séduction tacite de ses manières.

Une fois les formalités remplies, Mme Elroy appela Candy et celle-ci, se sentant enveloppée des regards de toute l'assemblée, se dirigea vers la vieille dame et le jeune homme.

- Mesdames et Messieurs, dit Mme Elroy en s'adressant à tous les invités, redoublant de fierté lorsqu'elle commença ce discours qui avait pour dessein de remercier immensément l'assistance. Comme vous le savez tous, cette réunion a pour motif de fêter le dix-huitième anniversaire de ma nièce Candice, fille de M. William André, celui qui en raison d'affaires se trouve pour l'instant hors du pays. Mais cela n'est pas la seule raison de cette réunion. M. Terrence Grandchester, artiste connu et fils de Lord Richard Grandchester, nous a fait le grand honneur de solliciter la main de ma nièce, et comme sa demande a été acceptée, j'ai le privilège de vous annoncer qu'il seront bientôt unis par les liens du mariage.

Des applaudissements et des commentaires flatteurs furent émis de tout le salon. La musique commença et Madame Elroy demanda à sa nièce et à son futur neveu par alliance d'entamer la première danse de cette soirée. Candy, qui était restée les yeux fixés au sol, n'eut qu'à lever le regard et à accepter la main que Terry lui tendait.

- Sais-tu qu'à certains moments, je te déteste, Terry ? dit-elle d'une faible voix formelle en marchant vers le centre du salon.

- Et à quoi dois-je de t'inspirer des passions aussi violentes, Tâches de Son ?

- De la façon dont tu te comportes, on dirait que tu fais la cour à la Grand Tante ! répondit-elle au jeune homme et Terry ne put réprimer un sourire de triomphe.

- Jalouse, peut-être ? insinua-t-il tandis qu'il prenait la jeune fille par la taille et qu'elle sentait de nouveau cet affolement inévitable qui partait de sa bouche jusqu'à son estomac.

- Ne sois pas ridicule ! murmura-t-elle en essayant à peine de dissimuler sa colère en chuchotant cette phrase.  Il n'est seulement pas vraiment nécessaire que tu la flattes de cette manière.

- Je pense tout le contraire. Tu travailles avec un professionnel, Mademoiselle André, et je pense jouer mon rôle jusqu'au bout et cela inclut de gagner la confiance de ta charmante tante, répondit-il tandis que tous les deux commençaient à se déplacer au rythme de la musique. Toi, qui es concernée par cette affaire, tu devrais faire ce qui sied et changer ce visage. Il faut que tu paraisses profondément heureuse et comblée à l'heure actuelle. Souris au moins pour notre amie Eliza qui nous surveille.

En reconnaissant que le jeune homme avait raison, Candy réprima ses désirs de continuer à rechigner et ébaucha un sourire qui, bien que feint, lui illumina le visage et alluma le coeur de son cavalier.

 Ainsi Candy... tu as seulement dû te forcer un peu, pensa-t-il instinctivement, en rétrécissant la distance entre eux deux. Il suffit seulement que tu y mettes un peu du tien pour que je me plaise à imaginer que ceci n'est pas une comédie, que tu me veux comme avant et que je suis le maître du monde en ce moment parce que tu es dans mes bras.

Le couple continua à danser tandis que le reste de l'assemblée les rejoignait peu à peu. Incapable de continuer la conversation, Candy se limitait à fixer son regard sur l'épaule du jeune homme. Une chaleur douce lui envahissait l'épine dorsale et ne lui laissait ordonner aucune pensée. Elle était supposée agir de façon naturelle et décontractée, mais apparemment rien ne pouvait être plus loin de la réalité... le parfum bien typique de Terry n'y aidant en rien.

De loin, comme le jeune homme l'avait remarqué, Eliza les observait avec attention. Chaque geste, chaque regard, chaque mouvement du couple était examiné avec soin par la jeune fille. Et encore bien après que la valse soit terminée et que le couple se soit mêlé aux autres invités, Eliza continuait à les suivre des yeux. Dans son esprit, commençait à naître un soupçon.

- Qu'est-ce qui t'arrive ? lui demanda son frère une heure plus tard alors que tous les deux étaient sortis à un des balcons pour prendre de l'air et échanger leurs impressions.

- Il se passe quelque chose qui m'étonne...lui répondit-elle en ébauchant un sourire malicieux. Ta chère Candy et son fiancé ont quelque chose en tête.

-Évidemment!  Se foutre de moi de la pire manière. La vérité est que je ne sais pas comment tu m'as convaincu de venir ce soir Je ne supporte pas de le voir par se pavaner avec elle à son bras dans tout le salon ! explosa Daniel et Eliza se félicita d'avoir fermé la porte pour s'assurer du caractère privé de la conversation.

- Je ne parle pas de cela, répondit Eliza avec sérieux.  Il y a quelque chose de bizarre dans leur manière d'agir.

- Comme quoi ?

- Il leur manque quelque chose à tous les deux, répondit-elle au jeune homme en faisant un geste de son index, surtout à elle. Quand Candy est heureuse, il y a quelque chose dans son regard, une espèce de brillance qui lui sort jusque par les pores et cela n'est pas le cas maintenant. Cela ne te semble pas étrange qu'elle se comporte ainsi alors qu'elle est sur le point de se marier avec l'homme de sa vie ?

- En vérité, je n'ai rien remarqué de cela, admit Daniel confondu, et quand bien même, en serait-il ainsi, je ne vois pas en quoi cela puisse nous aider dans notre vengeance.

- C'est là que tu te trompes. Je trouve étrange cette réconciliation soudaine entre eux. S'ils ont quelque chose à cacher, je vais m'en informer et l'utiliser contre eux.

- Et comment penses-tu faire ?

- Cela prendra quelque temps, mais tu verras. Elle sera à toi et cela me fera plaisir. Jamais je ne pardonnerai à Candy d'être avec un homme que j'aime tant.

*************

Plusieurs heures plus tard, alors que les rayons du soleil commençaient à se montrer à l'est, Candy, encore éveillée, admirait le lever du jour depuis sa fenêtre. La timide lumière matinale  était filtrée par les cristaux, jouant sur les facettes du solitaire à sa main. La jeune fille regarda à nouveau l'anneau qu'elle avait reçu de son fiancé la nuit précédente.

Vers la fin du bal, il lui avait pris la main pour lui glisser lui même cet anneau en lui causant des frissons à son contact.

- C'est la coutume et il faut l'honorer, lui avait il dit en observant le regard surpris de la jeune fille sans lui donner le temps de protester, et il avait posé un baiser sur le dos de sa main.

Et même si cela n'avait duré que quelques secondes, sa peau lui brûlait encore en y repensant.



Chapitre 3 - Vous pouvez embrasser la mariée

Annie Brighton était euphorique. Elle avait travaillé à sa tenue comme chaque matin mais encore une fois, elle pensait que le résultat n'était pas ce qu'elle aurait voulu. Les chaussures de soie bleue qui avaient des talons étaient quelque peu inconfortables mais, le coeur battant la chamade alors qu'elle traversait la maison des André, elle ne s'en rendait pas compte. Elle parcourait ce chemin connu vers la chambre de Candy, mais les sentiments qui lui remplissaient la poitrine n'étaient pas ordinaires. Elle voulait être la première à voir à Candy briller dans la tenue de mariée qu'elle avait elle même choisie.

La jeune fille pressa de sa main tremblante le bouton de la porte et respira profondément, désireuse d'inscrire à jamais dans sa mémoire le souvenir de l'instant qu'elle était sur le point de vivre. Quand elle entra finalement dans la chambre, ses espoirs furent encore largement surpassés.

Vêtue d'une nouvelle robe rose florentin, en broderie anglaise et en tulle, Candy était encore plus lumineuse et belle que ce qu'Annie avait imaginé. Sophie lui avait attaché les cheveux avec une couronne de roses blanches, des fleurs d'oranger et minuscules orchidées sur ses boucles dorées et au cou, elle portait un discret collier de perles orientales qu'Annie elle même lui avait donné pour l'occasion. La bonne et les trois autres filles qui avaient aidé la jeune fiancée pour sa toilette l'observaient, amplement satisfaite du résultat.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Candy préoccupée par le silence de son amie. Il y a quelque chose qui ne va pas ?

- Évidemment que non, ma chérie, répondit Annie en souriant. Tu as l'air d'une reine ! Terry va rester sans voix comme moi quand il te verra.

- Ah oui ? ... Bien ... merci, balbutia la jeune fille en baissant les yeux.

  Une fois de plus, elle pensa qu'elle aurait aimé pouvoir confier à Annie la vérité sur sa situation, mais bien qu'elle ait pleinement confiance en elle, elle ne voulait pas la mêler à ses problèmes. C'était à la fois une manière de protéger son amie et de suivre les recommandations de Nerville sur une discrétion totale.

Annie s'approcha de son amie et dans un élan, lui donna un baiser sur chacune de ses joues.

- Celui-ci est de la part de Sœur Maria et celui-là de Mademoiselle Pony, lui dit-elle en souriant.

- Cela me peine qu'elles n'aient pas pu venir, commenta Candy avec un ton de tristesse. Même s'il s'agissait d'une farce, quelque chose dans le fond du coeur lui disait qu'elle avait besoin de la présence de ses deux mères en ce moment.

- Je te comprends, mais tu sais qu'elles n'ont pas pu trouver quelqu'un qui se chargerait des enfants. Toutefois, tu as l'assurance qu'elles seront avec toi de tout cœur - et en disant cela, elle posa un troisième baiser, cette fois sur le front de Candy.

- Et ce dernier ? demanda la jeune fiancée avec un immense sourire.

- De ta mère, Candy!  répondit Annie. Rappelle toi qu'une fois, nous nous sommes promis que toutes les deux nous serions l'une pour l'autre comme père et mère.

Emue, la jeune blonde se jeta dans les bras de son amie et sans qu' Annie la voit, elle versa une larme sur son épaule.

- Tu vais chiffonner ton voile, Candy, dit une voix dans le dos de la jeune brune.

- Grand Tante ! s'exclama Candy, contrariée que la matriarche interrompe un moment aussi spécial entre elle et son amie d'enfance.

- Bonjour, Mme Elroy, la salua Annie avec une révérence.

- Bonjour. Je vois que toutes les deux vous êtes plus que prêtes, déclara la dame avec un geste léger, en détaillant du regard la tenue d'Annie. Tu es très jolie Annie, le bleu te sied à ravir.

- Merci Madame, répondit Annie en baissant la tête.

- Voyons maintenant, que je te regarde, Candy! continua la vieille dame en consacrant toute son attention pour inspecter la tenue de sa nièce. Sophie, dans un coin de la chambre, figée et silencieuse, retenait sa respiration.

Emilia Elroy ne dit rien. Pendant une seconde, il lui sembla se souvenir d'une autre fiancée qui était elle aussi passée par sa supervision avant de sortir de son alcôve de célibataire pour aller à l'église. Rose Mary André avait été la plus belle de ses trois nièces et celle qui lui avait donné le plus de satisfaction pendant sa courte vie. Candy, dans sa tenue de fiancée, avec ses boucles dorées et ses yeux couleur émeraude lui rappelait énormément la défunte mère d'Anthony. Alors qu'elle ajustait le col de la robe de la jeune fille, elle pensa qu'il était curieux que jamais avant, elle ne s'était rendue compte de cette troublante ressemblance. La jeune fille était jolie, il fallait le reconnaître. Il n'était dès lors pas surprenant que malgré son humble berceau, elle ait la chance d'éveiller une telle affection auprès de deux hommes d'ascendance.

William s'était chargé de la faire valoir devant les gens de poids social, le reste était une conséquence logique. « Il suffit aux hommes de voir un joli minois et une taille fine pour se faire prendre au piège » pensa-t-elle.

- C'est bien, dit finalement la vieille dame et Sophie poussa un soupir de soulagement. Tu seras une fiancée... très belle, conclut-elle et Candy pensa sa mission auprès de Mme Elroy accomplie. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, j'aimerais parler seule à seule avec Candy, ajouta la matriarche en s'adressant aux femmes qui obéirent immédiatement à ses ordres en sortant de l'alcôve.

Quand Candy se retrouva seule avec l'aïeule, celle-ci s'installa dans un fauteuil proche et avec une voix sévère, elle fit à nouveau le discours que dans sa longue vie elle avait dû répéter à chacune des femmes André qui avaient été sous sa tutelle.

- C'est une coutume avant le mariage que la mère informe la fille sur les devoirs qu'une femme acquiert avec le mariage. Inutile de dire qu'en étant ta tutrice, cette responsabilité m'incombe. Je te demande de m'écouter en silence et sans m'interrompre.

Candy baissa le regard pour se retenir de rire. Elle aurait voulu que la Grand Tante lui épargne ses leçons, mais ne souhaitant pas offenser la vieille dame, elle se contenta d'obéir. Entre temps, la Dame se mit à conseiller Candy, laquelle était amusée en pensant au ridicule de la situation. Elle s'était renseignée en ce domaine, et par conséquent les généralités du sujet lui étaient familières depuis l'adolescence. A cela s'ajoutaient ses connaissances médicales, l'entretien était donc inutile.

C'est un faux mariage, commença à penser la jeune fille par simple association d'idées. Grand Tante, vous ne devriez pas être inquiète pour me préparer à quelque chose qui n'arrivera jamais...

La Grand Tante continua pendant un bon moment à décrire avec un air de dégoût les devoirs conjugaux.

Candy ne put éviter de se demander pourquoi l'intimité d'un couple devait être effectuée de la manière selon laquelle la Grand Tante le disait. Pour elle, c'était comme si tout contact devait être vu comme une simple nécessité de la condition matrimoniale qui requérait d'être effectuée dans le noir, sans bruit, avec hâte et honte. Incapable de deviner ce que la jeune fille pensait, la dame continua son discours jusqu'à ce qu'elle considère avoir évoqué les points principaux.

Finalement, en faisant une pause pour sécher avec un mouchoir la légère couche de sueur qui lui était apparue au visage, elle se mit debout abruptement.

- As-tu des questions ? demanda l'aïeule.

- Non, murmura Candy le regard perdu sur la moquette.

- Dans ce cas, je me retire. Je fais en sorte qu' Archie vienne pour t'escorter.

Et en disant ces derniers mots, elle laissa la jeune fiancée rassembler ses pensées.

 Questions ? se dit Candy quand elle fut seule, Si ceci n'était pas une simple farce, j'en aurais vraiment eu beaucoup ... des questions, mais celles-là, Grand Tante, ce n'est pas vous qui auriez pu y répondre.

Candy sentait que ni les connaissances médicales froides et concises qu'elle avait, ni la description cartonnée voire désagréable des devoirs conjugaux qu'avait fait la Grand Tante ne pouvaient réellement lui expliquer le mystère de l'union entre un homme et une femme. Il devait y avoir un peu plus, quelque chose d'aussi beau que chaud... quelque chose qui ressemblerait à ce qu'elle ressentait pour Terry. Quelque chose qu'elle aimerait découvrir à côté de lui.

En poussant un soupir de tristesse, la jeune fille se regarda à nouveau dans le miroir.

 Cesse de rêver, idiote!  se dit-elle une fois de plus, vu les circonstances cela ne mène à rien de penser à ces choses.  Un coup bref à la porte fit sortir Candy de ses pensées. C'était sûrement Archie qui était arrivé pour elle.

******************

D'élégants chapeaux de plumes, fracs noirs, fleurs blanches et bleues, liens de soie, parasols d'ornement, musiciens et serviteurs allant et venant inondaient le jardin de la demeure André. Le gratin de la haute société Chicago, journalistes, artistes et famille André étaient réunis pour le mariage le plus surprenant de la saison. On avait décoré les lieux avec des tentes blanches ornées d'innombrables fleurs pour que les rayons estivaux ne viennent pas gêner les hôtes et le kiosque central du jardin avait été transformé en autel devant lequel le couple prononcerait ses vœux de mariage.

L'orchestre commença à jouer les premiers accords de la marche nuptiale et les hôtes attentifs gardèrent alors le silence comme par magie. Tenant le bras de son cousin Archibald Cronwell, la jeune fiancée commença à avancer le long du couloir central, en ayant l'impression que ce qui se passait n'était pas réel, qu'elle n'était pas la femme habillée de blanc qui avançait lentement au rythme de la musique et vers laquelle tous les regards étaient tournés. C'étaient peut-être Annie Brighton et Patricia O'Brien ces deux jeunes femmes habillées de bleu qui souriaient depuis le kiosque duquel elle s'approchait ? Qui était la belle dame blonde avec elles ? Candy dût faire un effort pour pouvoir sortir de ce sentiment de transe qui la faisait s'imaginer être au milieu d'un rêve et ainsi comprendre que ce qui arrivait était vraiment réel. Oui, c'étaient ses deux meilleures amies qui la regardaient avec admiration et la dame avec elles était la mère de Terry.

À côté de la femme, l'acteur lui-même la regardait approcher de l'autel.

Le coeur de Candy fit un bond quand ses yeux croisèrent ceux du jeune homme. Un frisson lui parcourut le corps en sentant son regard et elle remarqua que leur froideur habituelle avait disparu. C'était comme si l'expression de son visage était à nouveau celle d'avant, ce regard éblouissant et plein de rêves de Terry quand il avait à peine quinze ans.

Toutefois, le costume foncé qu'il portait, impeccablement coupé, marquait la ligne de ses épaules fidèlement et bien que la jeune fille ait vu son fiancé à plusieurs occasions durant les semaines précédentes, pour la première fois, elle se rendait compte qu'il était plus grand et plus fort qu'avant.

 " Non, il n'est plus le même, se dit Candy en baissant les yeux, sans plus pouvoir soutenir le regard de Terry.

- Qui livre cette femme en mariage ? demanda la voix du prêtre en faisant irruption dans les pensées de la jeune fille.

- Son tuteur et moi-même, mon père, répondit immédiatement la voix d'Archie qui avait fait un pas sur le côté pour laisser la fiancée avec celui qui deviendrait son conjoint dans quelques minutes.

Encore dans un nuage de confusion, Terry écoutait à peine les mots du prêtre. A cet instant, il se représentait en pensée une étrange succession d'entrevues peu cordiales. À la première heure, il était à l'hôtel où il résidait, il avait encore reçu une visite d'Archie, celui-ci s'était rendu jusqu'à lui pour lui énumérer une inattendue série d'avertissements. À un autre moment de sa vie, Terry lui aurait répondu avec une certaine audace, mais vu les circonstances,le jeune acteur avait écouté avec patience les préoccupations d'Archie. Méfiant de ce qui pourrait être une vengeance de ses cousins Legrand, Archie lui avait encore fait promettre qu'il prendrait bien soin de Candy pendant toute l'année qu'elle vivrait avec lui. Terry assura à Archie qu'il ne devait pas être inquiet, bien que dans le fond, il se demandait si en réalité Candy n'aurait pas plus besoin d'être protégée de lui-même que de Daniel ...

Comme si cette conversation n'était pas déjà suffisamment inconfortable, en arrivant à la demeure André, il avait dû supporter un discours de la Grand Tante et finalement avoir une rencontre très désagréable avec Daniel lui-même. Les deux hommes ne s'étaient pas retrouvés seuls depuis l'arrivée de Terry à Chicago et bien qu'ils n'aient eu l'occasion que d'échanger un regard hostile, c'était plus que suffisant pour alourdir ce moment. Le seul fait de penser que Daniel avait projeté de forcer Candy à se marier avec lui, le faisait se tordre comme s'il était atteint de choléra.

Toutefois, tous ces moments inconfortables s'effacèrent de son esprit au moment où il vit sa promise traverser le couloir jusque là où il l'attendait. Peu lui importait qu'elle ne soit plus amoureuse de lui comme avant, ni que toute cette affaire ne soit qu'une simple comédie pour la sauver de ses ambitieux parents. Candy, sa Candy, plus belle que dans le plus doux de ses rêves était sur le point de devenir sa femme. Pour le moment, il jouissait de la vision de son visage encadrée par le voile et les fleurs blanches. Il aurait demain pour se préoccuper de l'avenir.

Les mots du prêtre semblaient résonner très loin, presque inaudibles pendant une grande partie de la cérémonie, jusqu'à ce que l'ecclésiastique demande au couple de prononcer ses vœux. Tous les deux répétèrent une phrase que le prêtre leur dictait et l'échange de promesses s'effectua comme prévu. Lui, incapable d'enlever ses yeux de la jeune femme ; elle, avec le regard plongé sur les velours couleur Bordeaux ne pouvait maîtriser la rougeur de ses joues.

- Vous pouvez embrasser la mariée, finit par dire le prêtre en ébauchant un sourire.

 Embrasser la mariée ? pensa Candy alarmée. Cette partie de la cérémonie n'avait pas été prévue, si elle avait bon souvenir !!! Qu'allait-il se passer maintenant ?

Davantage maître des circonstances que la jeune fille, Terry ne lui laissa pas le temps de répondre elle-même à ses questions. En un clin d'œil, le jeune homme l'avait prise dans ses bras, en posant les lèvres sur les siennes. D'abord, ce second baiser fut juste un frottement de peau, une inondation du parfum qu'il utilisait, une ardeur qui montait par la peau jusqu'aux lèvres. Le contact devint ensuite humide et elle ne put résister au fait de répondre à sa demande, pour voir ensuite que tout avait été bien trop rapide et que son visage s'éloignait du sien alors qu'elle commençait à le sentir pénétrer son âme.

Candy se serait sans soute effondrée à ce moment là si Terry ne lui avait offert son bras, et soutenue par lui, elle avançait à travers le couloir, au milieu des sourires, des flashs des appareils photographiques et des félicitations de nombreux hôtes.

 C'est fait ! se dit-elle avec un soupir. Dieu seul pouvait dire ce qui arriverait désormais.

****************

Tout s'était passé tellement vite, pensait Candy en se regardant dans le miroir, la cérémonie, la fête, les photographies. ... elle rendait grâce à ses jambes qui avaient pu la soutenir pendant la danse et l'interminable succession d'invités qui la félicitaient. Elle était réellement heureuse que tout soit terminé. Elle se trouvait maintenant de nouveau dans sa chambre en compagnie de Sophie qui l'aidait à se préparer pour dormir. Oui, dormir d'un sommeil réparateur pendant plusieurs heures étaient tout ce dont elle avait besoin.

Sophie plaça sa robe de mariée sur le sofa avec toute la délicatesse nécessaire. Et, avec son mutisme habituel, elle défit la coiffure qu'elle-même avait réalisée dans la matinée, en laissant les boucles de Candy vagabonder librement sur son dos.

Quand elle eut terminé avec les cheveux, elle aida la jeune femme à finir de se dévêtir et tandis qu'elle le faisait, elle était étonnée que la jeune mariée soit tellement tranquille avant une nuit tellement singulière dans la vie d'une femme. La chemise de nuit était un cadeau de la mère du marié et Sophie ne se lassait pas d'admirer le bon goût de la dame. La jeune fille vierge surveillait avec approbation les transparences subtiles de la soie française coupée en style empire, en soulignant un décolleté coquet, bien que pas trop osé. Avec de petites fleurs qui bordaient le col et des attaches roses, Candy était, dans cette tenue, à la fois séduisante et discrète. Le tissu était de soie blanche avec les mêmes broderies en couleur de rose. Sophie pensait que sans nul doute c'était une tenue digne de l'occasion, mais cela ne paraissait pas importer le moins du monde à la jeune mariée.

Sans rien dire, Candy laissa la demoiselle l'aider à mettre sa chemise de nuit comme c'était déjà coutume depuis deux mois qu'elle vivait dans la demeure des André. La seule chose qu'elle souhaitait était qu'elle la laisse finalement seule pour pouvoir dormir et cesser de penser maintes et maintes fois à ce que serait sa vie à partir du jour suivant, quand elle devrait voyager jusqu'à New York pour vivre aux côtés de Terry pendant toute une longue année.

Sophie fit pour finir sa révérence habituelle et disparut derrière la porte aussi silencieusement qu'elle était arrivée. Candy respira de soulagement. Elle se leva du tabouret où elle était assise et d'un geste délicat, elle délia son ruban. Elle le plaça sur une commode qui était près du lit et elle se dirigea vers sa couche. Pendant un bref moment, elle s'arrêta en se retournant vers le miroir de la coiffeuse. Son esprit finit par vagabonder. Son reflet lui montrait une version d'elle-même différente, plus mûre, davantage femme et avec des inquiétudes différentes qu'elle ne parvenait pas à comprendre.

 Si ce soir n'était pas une farce... si les choses étaient différentes... pensa-t-elle de nouveau en observant son corps et en se demandant si elle était réellement la femme dans le miroir. Un instant de plus et elle aurait peut-être fini par se récriminer en laissant voler l'imagination vers des terrains interdits, mais le bruit distinctif de la poignée de sa porte la fit retourner à la réalité abruptement. La porte s'ouvrit et de longs pas se firent entendre dans son dos. A son grand étonnement, son jeune époux était entré dans sa chambre avec la même confiance avec laquelle quelqu'un entre dans sa propre demeure.

- Terry ! s'exclama-t-elle alarmée, son cœur recommençant à battre à toute vitesse. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Parle moins fort, on va t'entendre ! lui répondit-il en plaçant son index sur ses lèvres qui affichaient une espèce de sourire burlesque que Candy connaissait très bien. Je viens dormir avec toi. C'est aussi simple que ça, ajouta-t-il en retirant le peignoir qui l'enveloppait et en gardant juste un pyjama bleu foncé.

Candy, fermant de ses deux mains sa chemise de nuit jusqu'à la base de son cou, avala sa salive sans pouvoir articuler un mot. Terry, pour sa part, retira les couvertures du lit et s'assit sur le bord, en se préparant à se coucher avec le plus grand naturel du monde.

- Quoi ? Tu penses rester là toute la nuit ? demanda-t-il avec son ton sarcastique habituel. Voyons, je te promets que je ne vais pas te mordre.

- Mais ... mais Terry, bégaya-t-elle sans parvenir à coordonner ses idées.  Qu'est-ce que tu fais ici ?   La jeune fille ne pouvait pas croire ce qu'elle voyait.

- C'est la question la plus idiote que j'ai jamais entendue, dit-il en tapotant son oreiller. Je suis ton mari et c'est notre nuit de noces, donc je vais dormir avec toi.

Candy sentait que ses jambes tremblaient littéralement. Elle était certaine qu'il avait été dit à plus d'une occasion que le mariage entre eux serait seulement de mot. Peut-être que Terry avait soudainement changé d'avis et exigeait qu'elle remplisse son devoir conjugal ? Prétendait-il recevoir cette faveur de cette manière ? ... Candy ne savait que penser.

Peu importe, ce qu'elle sentait était que Terry souhaitait qu'elle remplisse son devoir alors que le cœur du jeune homme n'éprouvait plus cet amour qui avait existé auparavant. La seule idée qu'il la possède uniquement par plaisir physique la faisait se sentir sale. Mais que faire maintenant ? Elle ne pouvait pas sortir en courant ou tout le monde serait au courant de la vérité... Pouvait-elle lui résister ?

- Terry, je ... s'encouragea-t-elle finalement à dire. Je crois que nous devons parler.

- Parler ? demanda-t-il déjà installé dans le lit. Cela t'ennuierait demain ? Pour le moment je tombe de sommeil.

- Sommeil ? dit Candy de plus en plus confuse.

- Oui, je t'ai déjà dit que je viens dormir, répéta-t-il avec ennui et Candy sentit qu'elle était sur le point de devenir folle. Pourquoi Terry s'obstinait toujours à faire et dire les choses les plus exaspérantes ?

- Mais s'ils t'ont donné la chambre contiguë, pourquoi ne dors-tu pas là ? protesta-t-elle frustrée et furieuse.

Terry la regarda à nouveau et ne put éviter de lâcher un éclat de rire. Il aimait ce visage outré que Candy affichait généralement quand elle se mettait en colère. Il eut fallu être de fer pour ne pas courir la dévorer de ses baisers. Mais Grandchester avait appris à contrôler ses élans à force de ne plus avoir aucun espoir.

- Es-tu folle ? Il semblerait que nous venons de nous marier et ce qui est logique est que nous dormions dans la même chambre, répondit-il finalement quand il cessa de rire.  Toi et moi ne sommes pas seuls dans cette maison. Nous devons dormir dans la même chambre à moins que nous ne voulions que les bonnes ne soient informées que nous n'avons pas été ensemble comme cela était attendu. Rappelle-toi ce qu'a dit l'avocat à propos des serviteurs.

- Oh ! ... oui je me rappelle, répondit-elle alors que la pleine compréhension de la situation s'affirmait dans son esprit tandis que ses épaules se détendaient lentement. Toutefois, cela n'éliminait pas la difficulté de devoir partager le lit avec le jeune homme.

- S'il t'importe trop, je dormirai dans ce fauteuil ou sur le sol,ajouta-t-il en lisant le malaise sur le visage de la jeune fille.

Candy observa le meuble qu'il lui mentionnait et ne put que reconnaître qu'il n'était pas fait pour dormir.

- Non, ne t'inquiète pas, répondit lentement la jeune fille en s'approchant du lit. Je n'y vois aucun inconvénient. Je suis... je suis tellement fatiguée que je ne remarquerai même pas ta présence, ajouta-t-elle en feignant une indifférence qui ne se comparait pas avec son impulsion précédente.

- Bien, dans ce cas nous sommes d'accord. A demain alors, lui répondit-il distraitement tandis qu'il éteignait la lampe qui illuminait encore la pièce.

Une fois dans le noir, Candy le remercia en silence pour ce geste qui lui permit d'enlever son peignoir et de se mettre sous les draps le plus rapidement possible. Lui, pour sa part, s'était retourné sur son flanc en lui montrant le dos et quelques minutes plus tard, sa respiration avait pris le rythme calme qui caractérise le sommeil.

La jeune blonde reposa sa tête sur l'oreiller, en tentant de s'installer comme d'habitude. En vain ! Elle détestait Terry pour avoir osé s'endormir comme une souche alors qu'elle sentait leur proximité lui brûler la peau. Elle ne voulait pas se rappeler le moment où il l'avait embrassée pour clôturer la cérémonie du mariage, mais c'était impossible de ne pas le faire quand il dormait à quelques faibles centimètres et qu'elle pouvait sentir son parfum de lavande lui envahir les narines. Il se passa plusieurs heures avant que le sommeil ne parvienne à la vaincre. Dans ses rêves, toutefois, loin de trouver le calme souhaité, elle continua à sentir la pression enivrante des lèvres de Terry sur les siennes.

***************

Sophie avait oublié de fermer les rideaux la nuit précédente. Pour cette raison, les premiers rayons du soleil du matin entrèrent en abondance dans la chambre, venant jouer avec la figure endormie de Candy. En soutenant sa tête sur le poing de sa main droite, Terry observait la jeune femme endormie à ses côtés. Il voulait se rappeler ce moment et le conserver comme le plus heureux de sa vie. Il avait rêvé souvent ce que ce serait de se réveiller à côté d'elle et même s'il n'y avait eu entre eux aucune démonstration affectueuse la nuit précédente, de toutes manières, l'expérience était aussi intense qu'il l'avait imaginée.

Il devait admettre que dans un premier temps, maintenir son sérieux la nuit précédente n'avait pas été facile du tout.

Le simple fait de pouvoir voir Candy dormir d'un sommeil paisible impliquait qu'il était admis dans le jardin secret de la jeune fille, comme seulement un mari pouvait l'être. Alors pour lui son image dans cette chemise de nuit de soie blanche était encore plus torturante. La toile du vêtement laissait deviner la découpe arrondie de ses jambes et le décolleté le régalait d'une envie discrète mais tentatrice, de ses seins blancs et pleins.

Par chance, elle réagit alors en se couvrant d'un geste rapide en rabattant le drap sur elle. En la voyant maintenant endormie sous la lumière matinale, Terry s'étonna une fois de plus des accents féminins que le corps de Candy avait acquis ces derniers temps. Si cette fille élancée aux courbes sinueuses qu'il avait connue dans le collège avait éveillé en lui une attraction obsessionnelle, la femme qui dormait à ses côtés en ce moment le faisait tout simplement devenir fou. .

Pour quelqu'un dont le métier consistait à feindre des sentiments, il se sentait vraiment ridicule d'avoir prétendu s'être endormi puisqu'il avait dès lors dû jouer l'acte le plus difficile de toute sa vie. Les mouvements de Candy sur le lit indiquaient clairement qu'elle avait également du mal à trouver le sommeil et cela ne l'aidait pas dans l'absolu.

Terry sentait chaque mouvement imperceptible dans sa respiration, chaque retour vers la droite ou la gauche, chaque frottement furtif sous les draps. Cela avait été un tourment jusqu'à ce que le jeune homme parvienne enfin à s'endormir vers les premières heures de l'aube. Donc, au milieu du silence de la nuit, il lui restait uniquement cette certitude énervante : elle était à côté de lui, endormie, étrangère. Il suffisait seulement d'un mouvement de sa main pour la toucher et combler le vide qu'il ressentait... mais non... ce ne serait pas uniquement indigne, mais dénué de sens. Il y avait seulement quelque chose qu'il souhaitait bien plus que le corps de Candy et c'était son coeur.

Maintenant, alors que pointait l'aube, la jeune fille dormait calmement et il pouvait l'observer sans crainte que le désir dans ses yeux finisse par exposer ses sentiments pour elle. Incapable de briser l'enchantement, Terry caressait du regard la courbe lisse de ses joues, en descendant lentement jusqu'au cou, observant une veine bleue presque imperceptible. Alors, il monta à nouveau jusqu'aux lèvres. La mémoire du baiser de la veille fut inévitable.

A quoi suis-je en train de songer là ?  se dit-il en s'inquiétant lui-même, se frottant le menton avec dégoût.  Je me suis comporté comme un novice avec cette première scène sentimentale. Il aurait pu lui donner un baiser scénique que tous auraient cru réel et qui aurait été moins embarrassant pour elle. Mais non, il avait perdu le contrôle de lui-même et l'avait vraiment embrassée !

Un frisson lui parcourut l'épine dorsale en se rappelant la saveur de la bouche de Candy et l'humidité chaude qu'ils avaient échangée pendant quelques secondes. Il devait reconnaître qu'il avait totalement perdu les rênes et dans la chaleur du moment, il avait imaginé qu'elle répondait au baiser, mais cela avait sûrement été juste le fruit de son imagination. Secrètement, il se promit d'avoir la volonté de résister à la tentation avec davantage de sérieux et de chevalerie. Toutefois, il brisa ensuite instantanément sa promesse en osant caresser légèrement la joue de la jeune femme endormie. Si seulement, il pouvait l'embrasser encore une fois ... Un léger mouvement démontrant qu'elle était sur le point de se réveiller l'empêcha d'avoir le temps suffisant pour se récriminer de son audace. Une paire d'immenses yeux verts rencontra les siens surpris par la luminosité qui brusquait ses globes humides.

- Bonjour, dit-il en s'efforçant de déguiser son émotion. Je vois que tu es encore cette dernière levée qui arrivait toujours en retard en classe.

Candy ne répondit pas à la provocation. Pour l'instant, elle ne parvenait pas à définir ce qui s'adaptait le mieux à des circonstances semblables. Elle venait de se réveiller avec Terry et ce qu'elle souhaitait le plus était de jeter ses bras à son cou, mais elle se contenta de faire une moue d'indignation feinte devant le commentaire du jeune homme.

- J'attendais que tu te réveilles depuis un moment, commenta-t-il distraitement, en se demandant si réellement elle se rendait compte qu'elle était couchée si près de lui.

- Je pensais que tu serais déjà réveillé et que tu serais retourné dans ta chambre, dit-elle, sans savoir comment elle allait encore sortir du lit en sa présence, son cœur battant, perceptible à plusieurs mètres de distance !

- Je dois faire quelque chose d'important avant d'y aller, mais pour cela j'ai besoin que tu sois là, lui répondit-il en se levant et en s'étirant sur toute sa longueur. Prends ton peignoir, ajouta-t-il en lui tendant le vêtement et en se retournant pour lui offrir son intimité.

Candy mit son peignoir à la hâte et comme si les draps la brûlaient, se leva du lit d'un bond.

- Est-ce que je peux me retourner ? demanda-t-il impatient.

- Oh ... oui ... oui, balbutia-t-elle. Qu'est ce que tu as de si important à faire avant de partir ?

Sans rien dire, le jeune homme prit sa veste et en extrait de l'une des poches un rasoir. Devant le regard incrédule de la jeune femme, il dévoila la lame de l'arme et se fit sur le bras une blessure suffisamment profonde pour qu'il saigne.

- Mais qu'est-ce que tu fais, Terry ? Tu es devenu fou ? demanda-t-elle scandalisée.

Sans répondre encore à la jeune fille, il retira l'édredon du lit et frotta le sang sur les draps, en laissant une tache bien définie sur le centre du lit.

- Voilà la précaution qui assure à tous que notre mariage a été consommé. C'est tout, répondit-il et sans en dire plus, il sortit vers le vestibule de la chambre contiguë.

Candy resta debout en observant la tâche de sang pendant un moment, avec un grand vide dans le coeur.


Chapitre 4 - Une nuit de doutes et de confusions

La pluie n'avait pas arrêté de toute la journée. Depuis la fenêtre du salon de thé, Candy pouvait observer quelques passants qui essayaient de courir pour se protéger de l'eau. Pas même en un jour si peu enclin à la sortie, on pouvait dire que New York perdait de son habituelle agitation. Ironiquement, dans cette luxueuse « town house » où elle vivait depuis trois mois, les jours passaient avec une sérénité apparente.

Après avoir pris les décisions quotidiennes quant à la liste de courses, le menu pour le dîner et les vêtements qui devraient être repassés avant d'être portés, la jeune femme se retirait pour un moment dans son salon de thé pour lire seule et s'occuper de sa correspondance. Il lui manquait l'agitation du travail à l'hôpital, le parfum de désinfectant et l'adrénaline en courant dans la salle d'urgences.

Cependant, sa situation actuelle l'avait obligée à une retraite temporaire en raison des soupçons croissants d'une possible vengeance des Legrand.

Certains serviteurs avaient vu un homme rôdant dans le voisinage qui surveillait constamment la maison. En outre, à plus d'une occasion, quelqu'un conduisant une voiture différente chaque fois, avait suivi la voiture des Grandchester, quand le jeune couple sortait, avec une certaine diligence. Terrence en avait avisé la police, mais comme celui qui les surveillait avait été extrêmement soigneux afin de ne pas laisser de pistes, rien de concret n'avait pu être fait jusqu'alors.

Si Candy avait pu donner son avis sur l'affaire, elle aurait sûrement pris moins de précautions, mais il était pratiquement impossible de convaincre Terry qu'il n'était pas nécessaire d'être si méfiant. Le jeune homme n'avait pas renoncé dans sa persistance à la protéger durant l'année où ils seraient ensemble et il préférait qu'elle reste à la maison et pour quelque raison que ce soit, elle ne sortait jamais sans être accompagnée de lui même ou du chauffeur qui était un employé en qui Terry avait pleine confiance.

Par conséquent, Candy avait été obligée de se concentrer à mener du mieux possible son rôle de jeune mariée. Sans beaucoup de confiance en elle, Candy avait commencé à régenter la nouvelle maison que son mari avait acquise quelques semaines avant de contracter le mariage avec elle. Cependant, même après trois mois, la jeune femme sentait qu'elle devait encore beaucoup apprendre à ce sujet et d' une certaine manière, elle se sentait reconnaissante de ces activités domestiques qui lui donnaient l'occasion de penser à autre chose qu'à cette situation étrange qu'elle vivait aux côtés de Terrence.

Candy se détacha avec ennui du livre qui l'occupait et sans s'en rendre compte, elle laissa échapper un soupir prolongé. Les choses étaient tellement étranges ... vivre à côté d'un homme qui représentait une énigme quotidienne était désespérément agaçant.

Après cette nuit de noces si étonnante, la jeune épouse s'était directement rendue avec son mari flambant neuf à New York. Le voyage s'était passé dans un silence sépulcral qu'elle avait en vain essayé de briser jusqu'à ce qu'elle s'avoue finalement vaincue. Pour une raison étrange, Terry avait choisi qu'il était mieux de garder une distance. C'était comme si cela le gênait d'être avec elle pour un motif inconnu ... ou comme si sa présence le dérangeait.
Toutefois, en arrivant à New York, où la presse les attendait impatiemment, Terry s'était de nouveau montré attentif et affectueux avec elle tandis que les journalistes les photographiaient et leur posaient des questions. Pour elle, ce changement dura malheureusement à peine une heure, parce que lorsqu'ils s'étaient retrouvés seuls à seuls, l'homme était retourné à son mutisme. Ces changements déconcertants planèrent constamment dans les semaines qui suivirent.

A la maison, devant les serviteurs, son comportement était de façon générale aimable et de temps à autre, il se risquait à un semblant de conversation où il l'informait sur les généralités de son travail avec un total naturel. La même chose se produisait quand ils sortaient ou étaient en compagnie d'une certaine connaissance de Terrence, y compris ses collègues de travail ou sa propre mère. Une fois seuls, c'étaient à nouveau deux inconnus qui vivaient seulement ensemble.

Il feint seulement l'affection quand il sait que quelqu'un est présent, se convainquit-elle, il est évident que ce faux mariage le gêne. De toutes manières, je devrais être reconnaissante de la faveur qu'il me fait... mais si seulement elle ne me faisait pas sentir tellement étrangère. S'il me permettait au moins de sentir que nous pouvons encore être bons amis. »

La jeune femme se mit debout pour accéder au secrétaire où elle gardait sa correspondance. Elle y prit alors de l'encre et une plume pour commencer à répondre à la dernière lettre d'Annie. De nouveau, elle devrait mentir sur ce qu'elle vivait et dispenser des détails triviaux sur sa nouvelle routine de femme mariée. Bien qu'elle sache que ses motifs étaient légitimes, l'idée de devoir vivre un mensonge ne cessait pas de s'avérer répugnant.

Malgré sa réticence, elle commença à écrire, en s'arrêtant pour un instant de penser à la réalité dissimulée derrière les vérités approximatives que comptait sa lettre.
Elle se souvenait d'occasions durant lesquelles, installée dans le salon, plongée dans un livre ou dans un travail de couture, elle sentait la respiration de Terry à seulement quelques mètres. Elle tentait un sujet de conversation sans beaucoup de succès, et il restait obstinément concentré sur un livre quelconque qu'il étudiait avec une attention absolue. C'est alors que, après un moment de silence qui lui paraissait éternel, Candy risquait à lever le regard et curieusement, ses yeux heurtaient les siens, pour un bref moment, juste le temps que son coeur s'accélère inutilement. L'avait-il observée sans qu'elle le remarque ? Non, cette rencontre avait probablement été juste une coïncidence et ... pourtant ... il y avait une lumière étrange dans ses yeux. Le doute lui restait dans l'esprit, seulement pour être contredit par trois ou quatre jours d'indifférence totale qui survenaient généralement après ces furtifs échanges de regards.

Oui, indifférence totale paraissait être ce qu'il ressentait pour elle. C'était ce que lui confirmaient les quelques moments qu'ils partageaient et les longues nuits qu'elle passait seule. Car depuis qu'ils s' étaient établis à New York, Terry l'avait laissée dormir seule car il était évident qu'il n'y avait aucune nécessité de coucher dans la même chambre. La maison avait deux chambres unies par un vestibule commun. C'était un luxe commun chez les gens de la haute société et par conséquent, les serviteurs n'étaient pas étonnés que leurs patrons dorment dans des chambres séparées.

« Il faudra seulement que tu interdises à ta femme de chambre d'entrer dans ta chambre le matin jusqu'à ce que tu l'aies appelée, » avait-il dit, en se référant à Sophie, qui avait été emmenée à New York avec eux, pour continuer à s'occuper de Candy. « Cela suffira pour qu'elle comprenne que, naturellement, je viens dormir avec toi certaines nuits et qu'ensuite, je retourne dans ma chambre le matin. Elle pensera ainsi que nous souhaitons éviter qu'elle ne nous interrompe si elle se présente sans être appelée. De cette manière, nous ne donnerons pas lieu à des soupçons. »

Face à tout ce comportement froid et correct qu'il affichait, il y avait aussi l'attitude contradictoire et surprotectrice qu'il avait adoptée lorsque quelqu'un de suspect commença à la suivre chaque fois qu'elle sortait. Candy avait vu Terry fâché en beaucoup d'occasions depuis qu'elle le connaissait, mais jamais comme l'après-midi où le maître d'hôtel et le chauffeur l'avaient mis au courant de ce qu'il passait. La jeune femme était convaincue que si Daniel avait été présent à cet instant, Terry aurait été capable de l'étrangler de ses propres mains.

Après avoir essayé en vain d'obtenir une protection de la police, par manque de preuves, Terry avait été intransigeant quant aux mesures de précaution qui devaient être prises. A cette période, c'était comme si elle lui importait énormément, comme si leur relation n'était pas une simple comédie. Sans pouvoir faire autre chose pour le calmer, elle avait finalement accédé au fait de rester enfermée la plus grande partie du temps et de sortir seulement accompagnée. Une fois  la promesse faite, la jeune fille sortit de son éternelle réserve et se sentit à nouveau plus frustrée que jamais.

Ainsi passèrent les trois premiers mois.

*******************

Au mois de septembre, la compagnie Stratford allait commencer une nouvelle mise en scène de « l'Orage » et le soir de la première, une grande fête était prévue après la représentation.

Pour Candy, ce serait la première occasion de paraître dans un événement public en tant qu'épouse de Terrence et cette seule idée la terrorisait.

Une semaine avant l'événement, elle avait commencé à se préoccuper de ce qu'elle mettrait ce soir là, mais ni ce qu'elle avait dans sa garde robe, ni ce qu'elle avait pu voir dans les magasins ne lui convenait. Tel vêtement était trop simple et tel autre trop sophistiqué. Finalement, comme cela lui paraissait ridicule de se sentir tellement préoccupée par quelque chose de si superficiel, elle s'était avouée vaincue et avait fini par se rendre à l'idée que Sophie choisirait pour elle au moment venu.

Cependant, un jour avant la première, Eléonore Baker se présenta à la maison avec une surprise. L'actrice avait fait une tournée prolongée dans le sud et était récemment de retour à New York.

- Je t'ai apporté quelque chose de spécial, lui dit la femme en s'installant à côté de sa belle -fille, avec un geste affectueux. Il s'agit de quelque chose que j'aimerais que tu étrennes demain.

- Vous ne devez pas faire des choses comme ça. Ça va finir par me gêner.

- Sottises ! s'exclama la dame en riant de bon coeur. Il est nécessaire pour moi de t'offrir tout ce qui est possible. Je n'ai jamais eu de fille et maintenant que je l'ai, je ne vais pas me priver de lui acheter de jolies choses.

Candy se sentait terriblement mal de devoir tromper Madame Baker comme tous les autres avec cette comédie de mariage. Son amour pour son fils la conduirait à être déçue quand arriverait le moment du divorce, mais Terry avait terriblement insisté sur l'idée de maintenir sa mère en dehors des événements.

- Nous allons l'ouvrir, n'est-ce pas ? demanda-t-elle, sortant ainsi Candy de ses tristes méditations.

- Oui, bien sûr ! lui répondit-elle en ouvrant le paquet dont elle extrait un vêtement qui, dés sa première vision, l'illumina de ses accents dorés, de ses lumières couleur champagne et du brocat rose de ses broderies.

- Cela te parait quelque peu scandaleux ? demanda Mme Baker en voyant que sa belle -fille était restée sans voix. Je sais qu'il est peu coutumier qu'une blonde porte un vêtement de la même couleur que ses cheveux, mais c'est la dernière mode à la Nouvelle-Orléans et quand je l'ai vue, elle m'a tellement interpellée que je n'ai pas pu me contenir. Promets-moi que tu la porteras demain.

- Si... ne vous inquiétez pas, je la porterai, répondit Candy qui dans sa vie n'avait jamais imaginé utiliser quelque chose de tellement remarquable. Merci beaucoup.

Le soir suivant, alors que Sophie l'aidait à s'habiller, elle se sentit, toutefois, se repentir soudain de la promesse faite à sa belle-mère.

- Madame va être la dame la plus admirée de la soirée, commenta la femme de chambre tandis qu'elle donnait les dernières touches à sa coiffure en ajoutant un chapeau de plumes couleur rose pâle et doré qui jouait avec les reflets du vêtement.

- Ne crois-tu pas que cette tenue est quelque peu osée ? demanda-t-elle en s'examinant dans le miroir avec scepticisme.

Sophie fit un pas en arrière pour bien observer sa maîtresse et ébaucha ensuite un faible sourire.

- Si Dieu a donné des enchantements à Madame, je ne vois pas pourquoi ils ne devraient pas être mis en valeur. À moins que cela ne dérange Monsieur, lui répondit la servante de son ton neutre typique.

- Monsieur ? Non, je ne crois pas que cela lui importe dans l'absolu, répondit la jeune femme en pensant que rien ne pourrait perturber l'indifférence de son mari, lui qui les semaines précédentes avait été tellement occupé avec les préparatifs de sa prochaine représentation qu'il l'avait pratiquement reléguée aux oubliettes.

Un léger coup à la porte retentit et la voix de Terry, appelant le nom de son épouse, empêcha la servante de faire tout autre commentaire. Tandis que Sophie sortait par la porte du vestibule, le jeune acteur entra dans la chambre en utilisant la porte principale.

- Es-tu prête ... ? demanda le jeune homme incapable de terminer sa question et de penser à autre chose qu'à l'image du visage de la jeune fille vêtue de sa robe de soirée. La douce couleur champagne, brodée avec des motifs floraux dorés et des roses, paraissait se mélanger avec la peau pâle de la jeune femme, en s'adaptant à sa taille et en révélant généreusement les courbes bien définies de sa poitrine. Pendant une seconde, Terry jouit simplement de la vision, mais à l'instant suivant, il réalisa qu'il ne serait pas le seul à fixer le regard sur cette apparition au cours de la soirée – C'est ce vêtement que tu penses porter ce soir ?  balbutia-t-il finalement tandis que ses sourcils se fronçaient involontairement.

- En effet, lui répondit-elle tandis qu'elle se tournait distraitement pour faire flotter sa robe. Ce n'est pas joli ?

- Si... Je ne sais pas ... mais cela ne me paraît pas approprié, lui répondit-il en rendant la jeune femme gênée par son ton acide.

- Qu'est-ce qu'il y a qui ne va pas ? demanda-t-elle en inclinant le visage pour essayer de trouver un sens à sa désapprobation franche.

- C'est ... C'est trop... trop léger. La nuit est ... fraîche, lui répondit-il sans pouvoir trouver une autre excuse et il se maudit ensuite intérieurement pour avoir dit quelque chose de tellement stupide quand il était évident que l'automne ne cédait encore pas devant la chaleur de l'été tardif.

- N'exagère pas, lui répondit-elle en souriant. Je porte un châle au cas où la température baisserait. En outre, cette robe est un cadeau de ta mère pour cette occasion et je ne peux pas la décevoir, tu ne crois pas ?

Terry répondit d'une simple approbation de tête et  lui offrit ensuite son bras sans rien dire de plus. Toutefois, la jeune femme ne pouvait cesser de voir qu'il était visiblement gêné et elle se sentit à son tour déçue qu'il désapprouve sa tenue aussi ouvertement. Le regard perdu sur le sol, il la guida vers le salon et quand il l'eut aidée à mettre son châle de soie sur ses épaules, tous deux sortirent en direction du théâtre.

Malgré cette première déception de la soirée, les deux heures suivantes furent pleines d'émotions agréables. A l'heure de l'entracte, Candy put entendre de nombreux commentaires favorables sur les activités de son époux et en même temps sentir les regards curieux dirigés vers elle quand les gens signalaient son identité. L'envie implicite dans les yeux de quelques femmes quand elles la voyaient passer était presque palpable. Pour tous, elle était l'épouse de Terrence Grandchester et au moins, durant ces moments fugaces, la jeune femme était gênée de se sentir envahie d'un sentiment qui ressemblait tant à de la satisfaction.

La seconde partie de la pièce fut encore un plus grand succès et le public le fit savoir durant l'ovation finale. Pendant ce bref moment, Candy, en applaudissant debout avec le reste de l'auditoire, se sentait inévitablement fière. Peut-être que son mariage était seulement une farce mais ce moment de gloire qu'elle pouvait partager avec Terry était réel. Elle avait été à ses côtés pendant les longues heures où il étudiait ses textes, elle l'avait parfois accompagné aux répétitions et elle l'avait écouté parler avec émotion des préparatifs. Si ... en vérité, c'était comme si ce succès était aussi le sien ce soir.

Un coup bref à la porte de la loge, alors que les applaudissements battaient encore leur plein, précéda l'entrée de Harry, le chauffeur des Grandchester.

- Madame, je vous rappelle que nous devons redescendre à la loge avant que les gens ne commencent à quitter la salle, dit l'homme, fidèle aux plans soigneux de son patron, celui-là même qui bien qu'étant occupé avec les préparatifs de la pièce, n'avait pas oublié la sécurité de son épouse.

- Oui, Harry. Je n'ai pas oublié, répondit Candy rayonnant d'émotion.

Tous les deux sortirent du balcon et traversèrent les couloirs qui conduisaient aux loges. À leur passage, les employés du théâtre, déjà familiarisés avec la jeune femme, la saluaient et la félicitaient chaleureusement.

- Candy ! l'appela une voix féminine dans son dos. Comment as-tu trouvé la pièce ? Je veux que tu sois la première à me donner les meilleurs présages pour les critiques de ce soir.

- Karen, je ne peux te dire que des bonnes choses. Tu as été incroyable en Miranda, répondit sincèrement Candy en prenant les mains de la jeune brune pour la féliciter. Le visage de Karen s'illumina en percevant l'approbation ouverte de la jeune fille.

- Si cela t'a plu à toi qui es mon porte-bonheur, les critiques aimeront aussi sans nul doute, répliqua Karen, les yeux brillants de joie.

- Mais quelles folies dis-tu là, Karen, ton porte-bonheur ?

- Il est évident que tu l'es. Quand je t'ai connue en Floride, je me sentais mise en échec et rejetée. Toutefois, tu m'as prédit que cela s'arrangerait et que tout se passerait très bien et tu vois, depuis lors, la chance m'a souri jour après jour.

- Cela n'a pas été de la chance. Voyons ! Tu as travaillé dur pour obtenir ce que tu as ! répondit Candy.

- C'est vrai. J'ai donné le meilleur de moi-même, mais il est aussi certain que notre rivale était conséquente, ajouta Karen d'un air malicieux.

- Notre rivale ? demanda Candy sans vouloir comprendre les mots de la jeune femme.

- Évidemment, cette sotte de Suzanna qui s'était prise pour une grande diva et la propriétaire de l'affection de Terrence. Tellement pathétique ! Finalement, elle ne peut être ni l'un ni l'autre. J'ai la renommée qu'elle convoitait, et toi l'homme qu'elle voulait. Sais-tu par hasard qu'elle est invitée à la fête de ce soir ? Je brûle d'impatience de la voir me regarder avec envie en sachant que je suis la star de la soirée et que Terrence ne te quitte pas des yeux un seul instant !

La jeune blonde cherchait la manière la plus adéquate pour répondre aux commentaires acides de Karen quand une voix parmi des admirateurs appela l'actrice et celle-ci dut s'excuser auprès de Candy pour s'occuper de celui qui la sollicitait.

Candy essayait de coordonner ses pensées sur l'allusion que Karen avait faite concernant Suzanne, mais la nouvelle de sa présence à la soirée constituait une notion à laquelle Candy n'était nullement préparée. Les sentiments que la jeune blonde entretenait pour son ancienne rivale de coeur étaient une affaire encore trop compliquée.

D'abord, ce qu'elle avait entendu sur Suzanne était venu des lèvres d'Eliza. Une source sans doute de peu de confiance. Cependant, les méfiances mutuelles qui étaient nées cette nuit-là à Chicago avaient prouvé que ce n'était pas totalement injustifié. Donc, quand le destin transforma Suzanne en l'instrument qui sauverait la vie de Terry, la balance avait basculé en s'inclinant vers Suzanne. Oui, elle devait la remercier et l'admirer.
Elle aurait beaucoup aimé que l'histoire en reste là, mais en réalité les choses étaient plus difficiles à comprendre. Etait-ce possible d'oublier que bien qu'étant reconnaissante envers Suzanne, cette éternelle méfiance était pourtant maintenue? Les choses s'étaient aggravées quand Candy avait été informée que l'actrice avait elle-même rejeté Terry à son retour à New York après son escapade. Candy ne pouvait pas condamner Suzanne qui se sentait offensée, mais en même temps, à la place de l'actrice, elle aurait fini par pardonner à Terry en le recevant de nouveau à bras ouverts.

Au fond d'elle-même, Candy abritait des soupçons sur le fait que Terry avait fini par tomber amoureux de Suzanne et que celle-ci lui avait brisé le coeur en le rejetant. Chaque fois que Candy observait les gestes durs et distants de Terry quand il était à ses côtés, elle imaginait que c'était le résultat de son ressentiment contre la vie et contre Suzanne. Des doutes, des doutes et encore des doutes débordaient de l'âme de Candy en réfléchissant à tous ces éléments et elle ne réussissait pas à imaginer comment il réagirait en se retrouvant face à l'actrice durant la soirée.

- Entre ! retentit la voix du jeune homme depuis la loge et Candy respira profondément avant d'entrer, sans savoir encore où elle puiserait des forces pour faire face au reste de la soirée.

Toujours discret, Harry resta dehors tandis que la jeune femme entrait dans la loge.

Terry était presque prêt pour la fête. Les costumes qu'il avait utilisés pendant la pièce étaient déjà accrochés dans la penderie et son veston était sur un tabouret attendant son tour d'être porté.

- Félicitations ! Tu as été formidable ! dit spontanément la jeune femme en entrant avec timidité dans la loge. Le public a été enchanté de ton travail. J'ai entendu des commentaires très favorables sur toi pendant l'entracte.

- C'est vrai ? demanda-t-il en s'affairant sans beaucoup de succès à nouer sa cravate. Cela l'irritait que ses mouvements deviennent si maladroits quand elle était près de lui. Non, il ne regarderait pas de nouveau la robe de brocart dorée qu'elle portait. S'il voulait résister, il devait commencer par diriger son regard vers un autre côté.  Et toi, qu'en as-tu pensé ? demanda-il alors en essayant de paraître naturel.

- Moi ? Tu crois que l'opinion de quelqu'un qui ne connait rien au théâtre est importante ? rétorqua-t-elle en remarquant pour la première fois l'amusante bataille de Terry avec sa cravate.

- Le public est celui qui juge, et ce soir, tu as fait partie du public, lui répondit-il en renonçant pendant un instant à sa bataille. Faisant une pause, il se tourna vers elle et risqua un rare sourire. Évidemment que ton jugement compte; en fait, il n'y a que ton avis qui compte, ajouta-t-il.

- Dans ce cas, tu dois savoir que tu m'as fait pleurer, dit-elle en s'approchant de lui et en prenant les extrémités de la cravate entre ses doigts dans un élan qu'aucun des deux ne put anticiper.

La respiration de Terry s'était arrêtée. En trahissant ses résolutions antérieures, il baissa les yeux jusqu'à les perdre dans la poitrine de Candy, qui paraissait être à peine contenue par les liens dorés de son vêtement. Il était tellement près d'elle qu'il pouvait observer comment l'air de sa bouche faisait se déplacer les boucles sur le front de la jeune fille. Il lui suffisait seulement de se déplacer de quelques centimètres et ses lèvres se poseraient sur cette joue blanche.
S'il pouvait seulement être sûr qu'elle ne recevrait pas cette caresse avec indignation ...

- Je t'ai fait pleurer ? demanda-t-il désespérément, essayant de trouver dans la conversation une bribe tangible pour éviter de tomber dans le vide de ses émotions.  Il ne me plait pas de penser que je t'ai fait passer un mauvais moment, ajouta-t-il, en sentant inconsciemment que ses mots avaient un second sens.

- Non. Tout au contraire. Il est bon de pleurer pour une histoire d'amour aussi belle, répondit-elle en remarquant pour la première fois leur proximité.

 Mon dieu ! Je mourrais pour qu'il m'embrasse, se dit-elle en terminant d'ajuster sa cravate avec des doigts tremblants.

- Ca y est. Il vaudrait mieux qu'on se dépêche, tu ne crois pas ? ajouta la jeune femme pour échapper à l'intimité de cette loge avant que son envie de se jeter dans les bras de Terry ne prenne le dessus sur sa dignité.
Sans en dire davantage, ils prirent tous les deux le chemin du lieu où était organisée la fête.

******************

La compagnie Stratford avait réservé le Salon Rivette de l'hôtel Algonquin pour célébrer son début de saison ce soir-là. Le lieu, situé dans le coeur de Manhattan, très près de la cinquième avenue, était déjà plein quand les Grandchester firent leur entrée. Les moulures qui ornaient le plafond brillaient sous la lumière ambre des lampes, en contrastant avec les colonnes couvertes de bois foncé. Chaque détail de l'enceinte, depuis les chandeliers style Tiffany jusqu'à la cristallerie Waterford en passant par la beauté exubérante des nappes qui ornaient les tables, dégageait un goût capricieux révélant que tout était aussi cher qu'agréable aux sens. Toutefois, les toilettes stylisées des dames et l'air mondain des gentilhommes firent sentir à Candy que les gens réunis là possédaient un type de sophistication différent de ceux qu'elle avait connus dans la haute société de Chicago. Les personnes présentes étaient plus négligentes, avec un style presque insolent et à la fois conscient d'une grandeur qui n'avait pas son origine dans l'argent, mais dans le génie.
Outre les acteurs de la compagnie et leurs familles, on avait invité une collection fournie d'artistes, de célébrités, de gens de presse spécialisée et autres personnages excentriques. L'atmosphère était à la fête, mais il y avait aussi dans l'air comme une tension qui envahissait chaque rencontre, comme un peu fumiste. C'était comme si chacun, trop conscient de son importance propre, attendait toujours le bon moment pour dire ou faire quelque chose qui surprendrait tout l'auditoire par son talent ou son originalité.
Bien que Candy ait déjà eu l'occasion de discuter avec certains des collègues de travail de son époux et qu'elle ait même assisté à quelques répétitions, elle n'était pas encore habituée à ce type de personnes, qui pouvaient à la fois être tellement charmeuses et tellement distantes. En l'occurrence, des connaisseurs du beau monde, sûrs d'eux mêmes, toujours sur le pied de guerre, ainsi étaient ces individus dont Terry faisait partie.
Jusqu'à un certain point, durant son séjour au collège, Candy avait pu percevoir en Terrence cette personnalité contradictoire et déconcertante qui le rendait différent du reste des garçons qu'elle avait connus jusqu'alors. Ce soir, en le voyant au milieu de ses semblables, la jeune fille comprit qu'il avait choisi le bon chemin. Terry ne s'installerait jamais dans l'aristocratie prévisible et ordonnée. Il n'était pas fait pour la rigidité du protocole mais pour le chaos constant de l'art et dans ce milieu, il brillait comme nul autre .
Mais comment une simple fille de campagne pouvait-elle s'aventurer dans ce monde tellement différent ?  se demandait-elle nerveuse, sans savoir où elle puiserait des forces pour descendre les escaliers et entrer dans la salle sans que ses jambes ne tremblent. Inconsciemment, ses mains se crispèrent sur le bras de Terry et, percevant son appréhension, le jeune homme lui répondit en posant sa main sur la sienne dans un geste réconfortant. À son contact, Candy sentit une douce chaleur, qui lui montait par les doigts, arriver jusqu'à son coeur.

- Regarde les droit dans les yeux comme tu le fais toujours, lui dit-il en chuchotant. N'essaie pas d'être quelqu'un d'autre ce soir. Ces gens sont comme les autres, joue immédiatement la carte de la franchise. Je crois qu'en ce qui concerne cela, tu n'as pas de problèmes. Je me trompe ?

- S'il ne t'importe pas qu'ils interprètent cela pour de l'impertinence alors je crois qu'il n'y a aucun problème, lui répondit-elle en se sentant encouragée, sans cesser d'être surprise par le ton chaleureux avec lequel il lui parlait.

- Cela ne se produira pas, répondit-il en risquant quelque chose de semblable à un geste de complicité. Juste une recommandation encore. N'accepte aucune invitation à danser qui ne viendrait pas de moi.

Candy lança à Terry un regard étonné. A quoi devait-elle cette soudaine possessivité ? se demandait-elle intriguée.

- Disons que la meilleure façon de te protéger d'admirateurs indésirables est d'être toujours aux côtés de ton conjoint jaloux, expliqua-t-il en lisant la question sur le visage de la jeune fille. Une fois de plus, le mensonge s'avérait être l'échappatoire la moins honteuse pour dissimuler un but viscéral.

Le couple entreprit de se glisser entre les hôtes et en un instant, il faisait déjà partie de ce petit monde effervescent. Comme le temps passait et que la musique jouée par un petit orchestre de chambre envahissait le salon, Candy se sentit plus détendue. On avait beaucoup parlé du mariage inattendu de Terrence Grandchester avec une riche héritière. Malgré cela, on en savait bien peu sur elle. Au premier abord, elle ne pouvait susciter rien de plus qu'un sentiment de rejet en tant que bourgeoise qui avait fait le caprice d'épouser un artiste uniquement parce que celui-ci était de souche noble. Toutefois, il ne se passa même pas deux heures avant que l'assistance ne soit déjà informée des détails qui entouraient cette femme mystérieuse.
Loin d'être une ennuyeuse poupée de salon, la jeune Madame Grandchester était plutôt une jeune femme à la conversation simple sans pour autant être insignifiante, ayant de l'assurance mais sans manières arrogantes, au sourire franc et aux yeux doux. Comme détails supplémentaires en sa faveur, il résultait que la jeune femme possédait son propre métier et pour terminer la série d'enchantements, il s'avérait que malgré la richesse de sa famille, elle avait vécu par ses propres moyens avant de se marier. Sans le savoir, Candy s'était mise dans la poche tout ce qui était bohème new-yorkaise avant la moitié de la soirée.

- Dites moi, Madame, comment une créature aussi charmante que vous est-elle arrivée à se caser avec un type aussi sombre que notre ami Grandchester ? lui demanda un grand homme qui s'était présenté comme le chorégraphe de l'une des compagnies de ballet de la ville.

- Vous trouvez que le mot sombre décrit mon époux ? lui répondit Candy par une autre question. C'est curieux ! A mes yeux, il m'a toujours paru être un homme brillant.

- Peut-être est-ce l'effet aveuglant de l'amour, suggéra une femme qui avait passé un bon moment à examiner avec une envie mal déguisée, la figure svelte de la jeune femme.

- Certains disent que l'amour est aveugle, répondit Candy avec un sourire. Mais j'aime à penser qu'il a plutôt le pouvoir bénéfique de nous faire découvrir les qualités les plus dissimulées chez les personnes qui font l'objet de notre affection.

- Dans ce cas, intervint Robert Hathaway à côté la jeune femme, j'espère que les critiques auront vu notre travail de ce soir avec les yeux les plus affectueux possibles. Le commentaire éveilla le rire général et le sujet fut oublié.

Depuis l'autre côté de la salle, quelqu'un ne perdait pas un détail de ce qui se passait dans le groupe qui entourait la jeune blonde. Même à plusieurs mètres de distance, Terry suivait le rythme de la respiration de Candy et souriait intérieurement à chaque sourire qu'elle ébauchait. Il y avait quelque chose en elle qui le faisait se sentir irrationnellement bien de l'avoir auprès de lui et si ce sentiment de joie était déjà assez difficile à dissimuler, le désir qui l'accompagnait devenait insupportable. Le journaliste que Terry avait en face de lui continuait son interview et le jeune homme lui répondait avec brièveté, en se languissant du moment où l'entrevue devrait se terminer. Dès le départ, la seule chose qui lui importait était de danser à nouveau avec Candy pour pouvoir avoir la joie de la prendre dans ses bras et calmer un peu les anxiétés qui explosaient en lui ce soir là. En outre, il ne supportait pas l'idée que d'autres hommes à côté d'elle jouissaient de sa présence et de sa beauté tandis que lui devait se contenter de la voir de loin.

- Pensez-vous continuer à pratiquer le métier d'infirmière ici à New York ? demanda de nouveau la femme du chorégraphe, en commençant à être incommodée par la manière dont son mari observait la jeune blonde.

- Et bien, je... La phrase que la jeune fille avait entamée comme réponse demeura inachevée alors qu'elle sentait une main masculine se glisser dans son dos nu jusqu'à être jalousement placée sur sa taille.

- Vous importunerait-il que je vous prive un moment de Madame Grandchester ? demanda Terry à la concurrence. Il serait dommage de gaspiller une valse, n'est-ce pas ?

La suite dont Candy se souvint est qu'elle fut alors dans les bras de Terry, à danser au centre du salon, et que tout le reste n'avait plus d'importance.

- J'ai pensé que ce journaliste ne me lâcherait jamais, lui dit-il tandis qu'ils se mélangeaient parmi les autres couples. J'espère que cet idiot de Myers et sa femme ne t'ont pas trop importunée.

- Ils dégagent quelque chose de désagréable et on remarque à loisir qu'ils envient ton succès, répondit-elle en levant les yeux au ciel, mais comparés à d'autres serpents à sonnettes que j'ai connus ils sont réellement inoffensifs. En outre, tu t'es assuré que Monsieur Hathaway soit là pour me protéger, n'est-ce pas ?

- Et qu'est qui te fait supposer que tu es suffisamment importante pour être protégée ? demanda-t-il d'un ton burlesque.

- Ce n'est pas une supposition, dit-elle dans un froncement de sourcils tandis qu'elle faisait un geste de négation avec la tête. C'est une certitude absolue.

- Tu es impayable.

- Et toi un grossier personnage !  Et elle ne put dissimuler le sourire dans ses yeux. Sans s'en rendre compte, il rapprocha le corps de Candy plus près du sien, bien que la valse exige une plus grande distance entre les danseurs. Candy se sentait tellement heureuse qu'elle ne s'en rendit même pas compte.

C'était le Terry que Candy aimait, insouciant, aux réponses spontanées et aux regards chaleureux. Pas l'impassible mur de silence en quoi il s'était dernièrement transformé. Heureusement les émotions de cette soirée paraissaient l'avoir détendu et le faisait de nouveau se comporter comme avant.
Candy ne savait pas combien de temps durerait l'émerveillement, mais tant que se maintenait ce sourire dans le regard de Terry et son insistance pour danser avec elle chaque valse, l'une après l'autre, c'est qu'il ne devait sûrement pas fournir beaucoup d'efforts pour faire seulement semblant d'être heureux. C'était peut-être son imagination ou bien c'était la troisième fois de la soirée que Terry semblait baisser le regard comme si les fleurs qui ornaient son décolleté appelaient son attention pour un motif inconnu ?
Les pensées de Candy furent interrompues par l'entrée dans le salon d'une jeune fille qui avançait avec des pas lents. C'était Suzanne Marlowe.

***************

Terry put remarquer que le visage de Candy pâlit. Pourtant, juste une seconde avant, elle se laissait porter par lui et par la musique. Cependant, tout en maintenant sa main où elle était, il put sentir la tension soudaine dans le dos de la jeune femme.

- Que se passe-t-il , Candy ? demanda-t-il en chuchotant à l'oreille de la jeune fille, le souffle de son haleine déplaçant les boucles qui ornaient les lobes de la jeune blonde.

- C'est... Terry, ne te retourne pas maintenant, mais... - Elle douta un moment.

- Mais quoi ?

- Suzanne vient d'entrer dans la salle, osa-t-elle finalement dire, convaincue que tôt ou tard, il devrait se rendre compte de la présence de l'actrice.

- Et qu'est ce que cela a d'extraordinaire ? C'est naturel qu'elle soit arrivée. Robert l'a invitée. Je m'étonne qu'elle soit venue aussi tard.

- Tu savais qu'elle viendrait et tu ne m'as rien dit ? lui reprocha-t-elle indignée.

- Je n'ai pas pensé qu'il t'importerait qu'elle soit présente ou non, répondit-il sans comprendre la réaction de Candy. Tel qu'il s'en rappelait, les deux femmes étaient restées dans les meilleurs termes. En tout cas, Suzanne devait à Candy deux très grandes faveurs, mais cette dernière n'était pas de ce type de personnes qui attende quelque chose en échange de leurs bons actes. Il n'y avait pas de raison pour que la présence de Suzanne trouble Candy... à moins que ...

- Bien, je... je... ce n'est pas qu'elle m'importe, bégaya-t-elle en se rendant compte que tous ses efforts pour contrôler ses sentiments étaient un échec. La malice dans l'expression de Terry ne l'aidait en rien non plus.

- Alors quel est le problème ?

- J'ai cru qu'elle serait gênée par ma présence, répondit-elle en supposant qu'une vérité approximative suffirait à satisfaire la curiosité de Terry. C'est-à-dire que... comme vous avez rompu ... je ne sais pas.

- Tu crois que je suis dépité par son rejet, n'est-ce pas ? s'enquit-il en fixant le fond vert des yeux de Candy. C'est à peine s'il pouvait croire ce qu'il parvenait à lire en ces derniers. Etait-ce possible qu'elle imagine qu'il était parvenu à tomber amoureux de Suzanne ?

 Mon Dieu !!! Ton aveuglement est incroyable, Candy, pensa-t-il en se sentant comme si elle l'avait insulté. On ne peut pas dire que ces derniers temps, tu te sois réellement efforcé à lui faire voir quels sont tes véritables sentiments, lui répondit une voix intérieure. Tout au contraire !!!

- Je n'ai pas dit que tu en étais dépité ! protesta la jeune femme sans savoir comment sortir de la situation épineuse dans laquelle elle s'était fourrée. J'ai seulement imaginé que vu les circonstances dans lesquelles vous vous étiez séparés, ce serait quelque chose d'embarrassant de la revoir, surtout en ma compagnie.

- Ah oui ? Alors je vais te montrer que tu te trompes.

Candy aurait voulu se cacher sous terre quand Terry la conduisit hors de la piste de danse et, sa main fermement accrochée à la taille de la jeune femme, l'emmena vers le coin où Suzanne se trouvait conversant avec la femme de Hathaway.

Que faire dans des situations comme celle-là ? Elle ne pouvait pas sortir en courant, c'était certain. Mais comment était-elle supposée agir quand elle l'aurait vue ? La seconde suivante, c'était déjà trop tard ! Les yeux bleu céleste de Suzanne étaient déjà cloués dans les siens.

- Suzie, c'est un plaisir de te revoir parmi nous, la salua Terry en tendant sa main d'un geste décidé.

- Tout le plaisir est pour moi, Terrence, répondit la jeune femme avec sérénité à la poignée de mains que lui offrait l'acteur.  Enchantée de vous revoir aussi, Candy, dit-elle à cette dernière qui lui avait offert un sourire légèrement timide quand elle se rendit compte qu'il était impossible d'éviter la rencontre.

- Tu connais déjà l'épouse de Terry ! s'exclama Madame Hathaway.

- J'ai l'honneur de connaître Candy depuis un bon moment, Madame.

- C'est cela. Nous avons eu l'opportunité de nous rencontrer lors d'une tournée de la compagnie de votre mari à Chicago, répondit Candy en essayant de paraître la plus naturelle possible.

- Ah, l'époque où Suzie travaillait avec nous était toujours agréable, commenta Madame Hathaway avec un soupir suivi d'un sourire. Vous devriez m'aider à convaincre cette fille si têtue de se joindre à nouveau à nous. La scène n'est pas la même sans elle. Maintenant qu'elle a bien récupéré et qu'elle est indépendante, il est triste qu'elle gaspille son talent, recluse à Philadelphie.

- Là je suis d'accord, suggéra Terry avec une froideur telle qu'elle en effraya Candy. Il n'y avait même pas un soupçon de mélancolie dans son expression.

- Je vous laisse le soin de la persuader. Vous aurez peut-être plus de chance que moi. Il me semble que Robert a besoin de moi à ses côtés, expliqua Madame Hathaway en les laissant seuls avec Suzanne.

Candy sentit que sa langue lui collait au palais. La seule chose qu'elle réussissait à faire était d'observer avec étonnement la silhouette mince et élégante de Suzanne. Soutenue par une jambe artificielle que sa longue robe dissimulait à merveille, il ne paraissait déjà plus demeurer une ombre de l'image de cette fille invalide et accablée. La beauté raffinée qui l'avait toujours caractérisée paraissait s'être encore accentuée et dans le fond de ses yeux pâles, semblait brûler une flamme différente qui la faisait paraître plus calme et davantage maîtresse d'elle même.

 Elle est belle comme toujours dans cette robe couleur lavande,  pensa la jeune femme,  avec cet air doux et à la fois hautain, je ne m'étonne pas que Terry ait fini par tomber amoureux d'elle. Les souvenirs qu'il garde de moi, me comportant toujours comme une fillette effarouchée, ne peuvent pas rivaliser avec une créature aussi sensible qu'elle. Cependant, il paraît tellement calme en ce moment... Est-il possible qu'il l'ait oubliée en si peu de temps ? 

- Permettez-moi de vous féliciter pour votre mariage, bien que ce soit tardivement, s'encouragea à dire Suzanne,brisant ainsi le silence.  Il me semble que vous n'auriez pas pu prendre une meilleure décision.

- Je n'en disconviens pas, Suzie. Je crois que les choses se sont terminées de la meilleure manière possible après tout, répondit Terry en donnant une accolade à la ceinture de Candy pour lui donner confiance. Je crois que, à toi aussi, la vie sourit. Tu as l'air d'aller très bien.

- Merci, j'ai été occupée dans ma rééducation de corps et d'esprit et tu vois, j'ai déjà acquis une certaine indépendance dont je suis très fière.

- A la bonne heure ! s'exclama Terry avec franchise.

- Crois-tu que tu pourrais revenir sur scène ? Madame Hathaway paraît être très convaincue de cela, dit finalement Candy recouvrant à nouveau sa capacité à faire la conversation.

- Je n'imagine pas cela tout à fait possible, expliqua la jeune femme avec une tranquillité admirable. Bien que je puisse marcher sans l'aide d'une canne, ma capacité pour me déplacer sur la scène n'est pas celle que j'avais avant. Les événements ont fait que je veux me tourner vers quelque chose de différent. Je veux aller à l'université et étudier ... la littérature peut-être.

- Je me réjouis de t'entendre parler ainsi. Ta mère doit être fière de toi, ajouta Candy, encouragée à sourire avec une assurance renouvelée.

- Elle n'est pas du tout d'accord avec mes plans, mais j'ai le soutien total d'un nouvel ami qui m'a insufflé des forces et de la confiance en moi-même.

Un soupçon de curiosité fleurit dans le coeur de Candy en entendant mentionner l'existence d'une nouvelle personne dans la vie de Suzanne qui paraissait être tellement importante pour elle. La conversation prit malheureusement un autre tournant. Le trio dut ensuite se séparer car la présence de Suzanne fut requise par d'autres hôtes et le couple décida de continuer à danser.
Terry n'aborda pas de nouveau le sujet de Suzanne durant toute la soirée, et pas même le regard examinateur de Candy ne put découvrir la moindre once de modification dans son comportement en raison de la présence de l'actrice. Il était toujours possible qu'il feigne simplement, chose qu'il savait faire à merveille. Toutefois, quelque chose disait à la jeune femme que cette fois l'impassible attitude de Terrence était réelle.

 Ne te fais pas d'illusions, Candy,  se dit-elle ensuite alors qu'elle se regardait dans le miroir des toilettes des dames, s'il n'est plus intéressé par Suzanne, cela ne signifie pas qu'il ait à nouveau des vues sur toi.

 Alors pourquoi ne te quitte-t-il pas des yeux ?  lui répondit une voix intérieure. Cela fait seulement partie du jeu. A la maison, quand nous serons seuls, ce sera comme si je n'existais pas.

***************

La fête dura jusqu'à une heure très avancée de la nuit. Peu à peu, l'assemblée se limita au cercle intime des membres de la compagnie. Tous étaient déjà fatigués après les nombreuses émotions de la journée, mais par tradition, ils resteraient ensemble jusqu'au moment où ils pourraient lire les journaux à peine sortis de presse, dès les premières heures du jour. Il était un peu plus de quatre heures du matin quand un des serveurs de l'hôtel livra à Robert Hathaway l'édition matinale du New York Times.
Candy observait l'expression imperturbable de son époux. Pendant ce temps, tous paraissaient suspendus aux lèvres de Hathaway alors qu'il lisait à haute voix les commentaires des critiques sur leur travail de la soirée précédente. Terry restait étranger, distant. C'était comme si en ce moment, rien n'était plus important que de siroter lentement le contenu du verre qu'il avait porté à ses lèvres. Les yeux fixés sur la garniture florale de la table, une main reposant sur la nappe, aucun signe ne trahissait qu'il portait de l'intérêt aux nouvelles.
La critique était flatteusement favorable. La première chose que Hathaway lut faisait l'éloge de son travail dans le rôle principal. Quelques membres de la compagnie applaudirent en l'écoutant et Hathaway les remercia avec un large sourire. On mentionnait ensuite le travail de Karen Cliss avec une approbation légèrement conservatrice. L'allusion la fit sourire jusqu'aux oreilles quand ses collègues la félicitèrent de manière expansive.
Candy sentit que son coeur lui sortait de la poitrine en anticipant que la critique suivante à lire serait celle relative au travail de Terry. Elle ne parvenait pas à comprendre comment le jeune homme pouvait aussi bien rester de marbre quand elle ne pouvait pas contenir son émotion. Sans réfléchir, Candy prit la main que le jeune homme avait posée sur la table et la lui serra un peu fort quand Hathaway commença à lire ce qui n'était que des éloges envers le jeune acteur.
Terry dut faire appel à tout son self-contrôle pour ne pas bondir de son siège. Il pouvait supporter avec dignité et jusqu'à l'indifférence les éloges illusoires de la critique New-yorkaise, mais l'émotion quand Candy lui prenait sa main dans un geste d'affection était beaucoup plus difficile à manier.

- Mes félicitations, Terrence, dit Hathaway en mettant un terme sa lecture. Recevoir une approbation tellement ferme par le New York Times, c'est un honneur réservé à très peu de jeunes acteurs. Toi, tu le mérites.

Terry inclina la tête en geste de remerciement et Candy pensa que pendant un moment, l'expression de son visage semblait légèrement faire place à de la satisfaction. En se rendant compte de ce qu'elle avait fait dans un mouvement presque instinctif, la jeune femme retira sa main. Il ne dit rien.
Une fois le rituel terminé, les membres de la compagnie et leurs familles se dispersèrent et rentrèrent chez eux pour se reposer enfin suite à cette première représentation.

****************

Le trajet jusqu'à la maison se passa en silence. Bien qu'il soit déjà un peu plus de cinq heures du matin, Il ne faisait pas encore clair et les rues paraissaient encore endormies. Candy, le regard perdu par la fenêtre, pouvait sentir le regard prudent de Terry sur elle. Dans leurs oreilles, résonnaient encore les accords de la valse.
Son comportement pendant cette soirée avait été une énigme continue pour elle. À des instants, il était charmant, et à d'autres, il était muet, parfois s'approchant, parfois s'éloignant. Comment devait-elle interpréter ses attentions ? Comment comprendre son mutisme ? En sentant qu'un léger mal de tête commençait à lui marteler le front, elle décida que le mieux était de cesser de penser à cette affaire et d'essayer de dormir dès que possible.
En arrivant à la maison, tous deux descendirent de la voiture et se dirigèrent vers leurs chambres. On entendait seulement le son de leurs pas dans le couloir vide, résonnant dans les hauts murs de la maison. Il était encore tôt et les serviteurs ne commençaient pas encore leur travail. Candy sentait que le silence rendait encore plus difficile à supporter le poids de la présence de Terry marchant à ses côtés et pendant un moment, elle souhaita que sa chambre soit à l'autre extrémité de la maison et non jouxtant la sienne.
La jeune femme s'arrêta finalement face à sa porte. Il fit la même chose.

- Terry, commença-t-elle en brisant le silence mais en maintenant les yeux cloués au sol, ... je ...  je voudrais te remercier pour la valse.

- Non. Ne me remercie pas, l'interrompit-il en s'approchant. La jeune fille se sentait enveloppée de son ombre projetée par la légère lumière matinale qui était filtrée par une fenêtre. Au lieu de cela, offre moi plutôt un bouleversement.

- Un bouleversement ? demanda-t-elle incertaine. Si Terry faisait un pas de plus, elle craignait de ne plus pouvoir lui dissimuler la force des battements de son cœur.

- Regarde moi encore une fois. C'est tout...dit-il d'une voix rauque.

Avait-elle bien entendu ? Comment devait-elle interpréter une demande aussi simple mais sur un ton tellement inquiétant ... presque comme une prière ? La main serrant le loquet de sa porte pour ne pas lui laisser voir qu'elle tremblait, la jeune femme leva les yeux et les rayons du soleil plongèrent dans ses pupilles.

- Jamais... nulle part, chuchota-t-il en s'approchant encore un peu, je n'ai vu un vert plus intense que celui-là. Son visage descendit vers elle jusqu'à déposer un bref baiser sur la joue gauche de la jeune femme. Merci à toi d'avoir été ma cavalière ce soir, dit-il finalement en s'éloignant.

Incapable d'articuler un mot, Candy suivit seulement le jeune homme du regard jusqu'à ce qu'il ait disparu derrière la porte de la chambre contiguë.


Chapitre 5 - Question d'orgueil

 Qu'est-ce que je suis censé faire ? se demanda Terry pour la millième fois ce matin là. L'air automnal s'offrait au cheval qu'il montait. L'équitation avait toujours été son sport préféré parce qu'elle le faisait se sentir libre et le libérait de ses pensées. Toutefois, cette méthode ne fonctionnait jamais quand il s'agissait de Candy. Après plusieurs années, il devait déjà savoir que ses tentatives pour éteindre toute la confusion et l'anxiété qu'elle lui inspirait étaient vaines, mais il avait encore espéré que les choses se seraient clarifiées en galopant.
Il était parti très tôt de sa maison pour passer la matinée au Country Club et essayer de mettre de l'ordre dans le flot des sentiments qui se confrontaient dans sa poitrine. Rien n'y faisait ! Les choses restaient dans le même état chaotique.

 Il avait tout bien prévu, continua-t-il à se dire, en pressant son cheval pour qu'il allonge le pas,  c'était comme si nous étions deux inconnus qui vivent dans des territoires voisins. Nous devions occasionnellement faire des choses ensemble, mais cela n'impliquait pas qu'il fallait faire les erreurs stupides que j'ai commises dernièrement. Que diable suis-je en train de faire ?

La fois où Terry, dérouté et l'âme en peine, avait vu Candy de loin, travailler à la clinique du docteur Martin, le jeune homme avait perdu sa foi en l'amour qu'ils avaient partagé par le passé. Il s'était efforcé d'accepter que vu les circonstances, l'oubli serait le mieux pour tous les deux. Cependant, le fait que cela paraissait déjà n'être qu'un chapitre terminé était une chose bien trop pénible à assimiler. Dès lors, il devait vivre avec la certitude que l'affection qu'il portait à l'intérieur de lui ne mourrait jamais, même s'il finissait par emmener une autre femme à l'autel.

Les événements avaient pris ensuite une tournure très bizarre. D'abord, Suzanne le rejeta en lui rendant la liberté qu'il avait perdue. Puis, il se retrouva plongé dans l'intrigue la plus étrange qui ait jamais été imaginée. Comment réagir pendant toute une année de cohabitation avec une personne qu'on aime mais pour laquelle on ne signifie plus rien ? Admettre ses véritables sentiments était inenvisageable. Il espérait l'amour de Candy, non sa pitié. Terrence Grandchester n'était pas né pour mendier de l'affection.

Par conséquent, il avait décidé de jouer la vieille carte de la froideur. Après cette torturante nuit de noces sans pouvoir la toucher, il s'était résolu à élever entre eux les plus solides murs de distance et d'indifférence qui lui étaient possibles. Il avait restreint les contacts avec elle à ce qui était uniquement nécessaire, mais cependant, conscient que dans l'intérêt de Candy, il était incontournable que le mariage paraisse réel aux yeux de tous, il se permettait d'agir affectueusement en public. Cela n'était pas difficile, mais maintenir un équilibre entre l'image publique du couple et la distance réelle qu'il voulait maintenir dans l'intimité, là régnait vraiment le problème. Surtout quand les murs paraissaient être si minces, son parfum embaumant tellement chaque pièce ... le désir devenait pénible. Penser qu'elle dormait, étrangère à ses conflits, juste à quelques mètres de lui, était un tourment constant. Et pour couronner le tout, la nuit de la première, il avait fini par perdre le faible contrôle de la situation qui lui restait encore.

 Elle était si belle que ... pensait-il sans se rendre compte ce simple souvenir agitait sa respiration, ... C'était un désir tellement asphyxiant de l'avoir entre mes bras à cet instant ! Quand Candy a-t-elle cessé d'être une enfant charmeuse pour se transformer en une femme irrésistible ? Où a-t-elle appris à séduire en s'approchant simplement pour nouer une cravate ? Comment contrôler le regard quand y brûle un désir qui ne demande qu'à être satisfait ? Pourquoi a-t-il paru lui importer d'être en présence de Suzanne ?

Les questions continuaient à s'enchaîner les unes aux autres, parvenant seulement à augmenter son inquiétude. Décidément, la chevauchée ne fonctionnait pas du tout.

Il se rappela le voyage de retour à la maison ce soir là. Elle regardait par la fenêtre avec une tranquillité qui l'irritait. Elle paraissait tellement calme et lointaine alors que lui mourait de désir de l'embrasser. Donc, en se séparant d'elle face à la porte de sa chambre, il avait fini par perdre son dernier vestige de self-contrôle. Il aurait voulu la prendre dans une étreinte qui aurait révélé la passion qu'il avait réprimée, mais la peur de l'effrayer avait été plus forte. Toutefois, ce bref baiser sur la joue avait été suffisant pour l'empêcher de dormir malgré la fatigue.

Depuis cela, trois jours s'étaient écoulés et durant tout ce temps, il avait évité d'être seul à seul avec elle. Il n'avait pas la plus petite idée de ce qu'il allait faire désormais. Feindrait-il qu'il ne s'était rien passé et continuerait-il à jouer  l'indifférent ou oserait-il tenter le tout pour le tout pour essayer de la reconquérir ? Sa lâcheté l'irritait, mais même ainsi son indécision ne cédait pas.

Il était onze heures du matin quand Terry rentra son cheval aux écuries du Country Club. Il avait un rendez-vous pour déjeuner dans un restaurant de Manhattan et il ne voulait pas arriver en retard.

- Qu'est-ce qui t'arrive, Terry ? Je te trouve nerveux, s'enquit l'homme blond en s'asseyant sur le siège face à lui.

- Qu'est-ce qui m'arrive ? répéta le jeune acteur avec un rire amer, il arrive que ma vie est une catastrophe, que je vis avec une femme qui m'a rendu fou amoureux et je ne sais pas ce qui me retient de lui confier mes désirs et d'oublier les plans de cette affaire.

- Je pensais que tu ne croyais pas plus en l'amour et en ces choses-là, répondit Albert avec son acuité habituelle.

- Parce que je sais plus en quoi je crois. Je te jure que ceci s'avère mille fois plus difficile que ce que j'avais cru et pour couronner le tout, elle n'aide en rien dans cette affaire.

- De quoi parles-tu? demanda à nouveau Albert quelque peu amusé de voir son ami mettre une cinquième cuillère de sucre dans son café.

- C'est la créature la plus exaspérante que j'ai connue ! Par moments, je crois qu'elle est dépendante de moi de tout son être et à d'autres, elle me fait penser que je ne lui importe pas même d'un pouce. Dieu que ce café est terrible ! s'exclama le jeune homme dégoûté en recrachant le breuvage dans la tasse.

- Je pensais que tu préférais le café noir, commenta Albert sans pouvoir s'empêcher de sourire.

 Terry se sentit un peu stupide en se rendant compte des bêtises qu'il faisait mais il ne dit rien.

- Terry, dis-moi quelque chose, s'encouragea à dire Albert, en essayant de clarifier la confusion de son ami. Qu'est-ce que tu veux d'elle ? C'est-à-dire, si les choses pouvaient être comme tu le désires, qu'est-ce que tu attendrais de Candy ?

Le jeune brun resta silencieux pendant un moment. Tout mouvement en ce lieu paraissait être suspendu et il pouvait seulement entendre la voix d'Albert à ses oreilles.

- Que... qu'elle m'aime autant que je l'aime, finit-il par dire d'une minuscule voix tandis qu'il perdait son regard sur un point indéfini de la table. Qu'elle me dise qu'elle sera avec moi pour toujours et pas seulement pour une année... qu'elle restera ma femme.

- Alors, pourquoi ne le lui demandes-tu pas, de la même et simple manière que tu me le dis à moi ? De toutes manières, vous êtes déjà mariés. Entre vous manque seulement une explication, tout le reste est déjà résolu. Je dirais que tu as une occasion en or. Tu peux la voir à toute heure sans  restriction aucune.

Terry continua d'observer son ami avec étrangeté. Parfois, il lui semblait qu'Albert n'avait jamais été amoureux parce qu'il était capable de parler de choses aussi difficiles comme s'il s'agissait d'un jeu d'enfants.

- Ce n'est pas si simple, dit-il finalement. Je crains qu'elle accepte seulement par reconnaissance. Suzanne s'est déjà chargée de m'enseigner que les choses de l'amour ne fonctionnent pas ainsi.

- Mais Candy a été précédemment amoureuse de toi, objecta Albert.

- C'est du passé.

- Ou du présent, fut la réponse immédiate du blond. Si tu crois qu'elle ne te veut plus, courtise-la de nouveau. Ne la fuis pas. Tout au contraire, recherche sa compagnie et essaye d'apprendre ce langage étrange que parlent les femmes. Peut-être découvriras-tu des choses que tu ne t'imagines pas.

- Tu parles comme si tout était très facile, se plaignit Terry en repoussant son plateau-repas sans rien manger.

- Je ne t'ai jamais dit que ça l'était. Pourquoi crois-tu que je suis encore célibataire ?

Les deux hommes rirent de bon cœur et Terry se dit alors qu'il était très heureux qu'Albert décide d'apparaître à nouveau dans sa vie.

Le tempérament le plus gentil a ses limites et Candy sentait que le sien avait dépassé les limites de la patience. Elle avait supporté la froideur de Terry pendant quatre longs et tortueux mois, elle avait accepté ses attentions feintes quand ils étaient en public et jusqu'alors elle avait toléré ses galéjades inconsistantes durant le soir de la première mais ce baiser, même très chaste et bref, donné en privé et au milieu de mots chuchotés, allait au-delà de ce qui était décidé. Pire, après avoir encore partagé un moment tellement intime, Terry avait eu l'audace de pratiquement disparaître pendant trois jours. C'était intolérable !

Candy se rappelait clairement comment elle avait dû soutenir son poids contre la porte quand Terry s'était incliné vers elle pour l'embrasser. Elle avait craint que si celle-ci n'avait pas été là, elle aurait fini par tomber, tellement elle avait senti ses jambes faiblir. Après toutes les émotions vécues cette nuit-là et les quelques verres qu'elle avait pris, les défenses de la jeune femme étaient au plus bas. Candy redoutait l'idée que si Terry avait été plus audacieux dans ses caresses, elle aurait fini par s'abandonner complètement à la volonté du jeune homme.

Toutefois, il avait choisi de la laisser ainsi, nerveuse et déconcertée, et de partir s'enfermer dans sa propre chambre sans en dire plus. Cette réticence était plus le résultat d'une tentative de séduction qu'une offensive osée et elle n'avait pas pu dormir. Tout au contraire, elle avait passé des heures en imaginant que peut-être, après tout, il était encore intéressé par elle. La joie de cette possibilité la maintint vigilante et euphorique, mais ce semblant d'esprit de réjouissance avait vite fait place à la désillusion devant l'ignorance totale à laquelle il la relégua les jours qui suivirent.

 De quoi croit-il que je sois faite ? De pierre ?  se disait Candy alors qu'elle pliait avec des mains nerveuses une grande pile de draps récemment repassés. Aucun mot, ni une explication ! Rien ! C'est crétin de croire qu'il peut jouer avec moi en me disant des douceurs à l'oreille pour ensuite m'ignorer sans au moins considérer ce que je pourrais ressentir.

La jeune femme étirait et pliait une nappe de toile avec énergie comme si elle voulait donner une correction à la nappe. Sans se rendre compte qu'elle fronçait les sourcils et qu'une légère rougeur d'indignation lui couvrait les joues, elle continuait sa tâche avec un souci frénétique. Dans son esprit, elle essayait d'imaginer quelle serait sa réaction la prochaine fois qu'elle ferait face à cet homme insensible que tous prenaient pour son époux.

 Je ne vais pas tolérer qu'il continue à me traiter de cette manière, se dit-elle avec résolution, je suis déjà fatiguée de son jeu ridicule du chat et de la souris. Si nous devons vivre ensemble les huit prochains mois, cela sera sous mes propres règles et cela inclut cette idée ridicule de rester enfermée entre ces quatre murs. Quant à ces libertés qu'il a prises dernièrement, il peut déjà les oublier. Je ne vais pas lui permettre de me toucher à nouveau !

***************

Sophie restait debout en l'observant depuis la porte. Sa patronne était visiblement dérangée par quelque chose et elle avait peur de l'interrompre pendant qu'elle rangeait elle-même les draps de lit des chambres principales. La femme de chambre ne pouvait pas comprendre pourquoi une dame comme elle insistait tant pour faire des tâches manuelles comme si elle était une servante. Toutefois, elle essayait au moins de tolérer les accès d'excentricité de sa maîtresse et elle l'observait de près, en espérant que tôt ou tard, elle découvrirait ce que Mme Grandchester dissimulait. Il ne la satisfaisait pas de tenir ce rôle si peu honorable mais il y a des occasions dans lesquelles on est contraint de faire des choses désagréables pour pouvoir survivre. Ce qui était en tous cas évident, c'est qu'elle était fâchée par quelque chose. Qu'est-ce que cela pouvait bien être ?

Candy revint à la réalité quand Sophie s'éclaircit la gorge pour manifester sa présence. Une seconde plus tard, le froncement de sourcils avait disparu du visage de la jeune femme.

- Il se passe quelque chose Sophie ? demanda la jeune fille en laissant sur la table le drap qui lui restait à plier.

- Madame, un messager est arrivé il y a un moment et a apporté quelque chose pour vous.

- Quelque chose pour moi ? demanda Candy intriguée. Où est-ce ?

- Et bien, c'est quelque chose de grand donc il est dans le salon, expliqua la femme de chambre en soulevant les épaules.

Candy quitta immédiatement la chambre pour se rendre jusqu'au salon. Il ne lui fut pas très difficile de deviner ce qui avait été apporté parce que, trônant au milieu du salon, se trouvait un bouquet de fleurs qui devait mesurer au moins un mètre de haut, avec pas moins de dix douzaines de roses rouges.

- C'est incroyable, Madame ! N'est-ce pas ? dit la cuisinière qui admirait le bouquet.

Candy ne dit rien. Elle s'approcha du monstrueux bouquet et retira parmi les feuilles la carte qu'avait laissée le fleuriste. Presque avec rage, elle ouvrit l'enveloppe pour en lire le message :

Je t'invite à sortir ce soir,
Terry

 C'est tout ?  pensa Candy encore plus fâchée. C'est le comble de l'insolence

- Madame où voulez-vous que je mette le bouquet ? demanda Sophie.

- Nulle part ! Jetez-le aux ordures! fut la réponse de la jeune femme encore rouge de colère.

- Pardon ? demanda la cuisinière sans croire ce qu'elle avait entendu.

- Jetez-le aux ordures. Je ne veux pas le voir dans cette maison, répondit Candy en faisant un effort pour se contrôler et ne pas crier sur ses employés. Après tout, ils n'avaient aucune responsabilité dans ses problèmes avec Terry.

- Mais Madame... répondit le cuisinier embarrassé

- Avais-tu autre chose à me demander, Lucy ? rétorqua Candy, essayant de changer de sujet.

- Bien ... je... j'allais vous demander si vous aviez déjà choisi le menu pour le dîner, bégaya-t-elle.

La jeune femme sortit de la poche de sa poitrine un papier et le donna à Lucy sans en dire plus. En tournant les talons, Candy se dirigea vers les escaliers, mais fut de nouveau arrêtée par la cuisinière. Sophie les suivait de près.

- Madame, si vous me permettez, je voudrais vous rappeler que Monsieur n'aime pas le pain de viande, dit la femme avec timidité.

- Mais moi si. Pour une fois, nous ferons les choses à ma manière, Lucy, compris ? lui répondit Candy et sans attendre de réponse, elle monta les escaliers en laissant les domestiques échanger des regards déconcertés.

- Mais qu'est-ce qui se passe ? s'encouragea à demander Sophie quand elles furent seules.
- Il est évident que ces Messieurs Dames sont fâchés, commenta Lucy avec un rire malicieux. C'est le premier couple que je vois qui tarde tant à avoir sa première dispute. Ah, les querelles d'amoureux ! Elles donnent seulement envie de penser à la réconciliation qui suivra. Et en disant ceci avec un soupir rêveur, elle se dirigea vers la cuisine pour continuer son travail.

Sophie pensait que tout cela était très étrange.

- As-tu reçu mon cadeau ? furent les premiers mots de Terry en voyant son épouse cet après-midi là.

La jeune fille, installée dans son salon de thé, s'occupait d'un travail de couture avec la plus grande tranquillité du monde. Elle avait eu le temps suffisant pour penser avec calme à ce qu'elle ferait quand Terry viendrait auprès d'elle avant le dîner. Elle laissa de côté le cadre de broderie et avec lenteur, arrangea les boucles rebelles qui s'étaient échappées de sa coiffure.

- Oui, je l'ai reçu, répondit-elle avec froideur. Terry, en entendant le ton qu'elle employait, ressentit alors qu'on lui jetait une auge d'eau froide. Toutefois, il s'encouragea à continuer, après tout, Rome ne s'était pas fait en un jour.

- Alors ? As-tu aimé les fleurs ? Acceptes-tu mon invitation ? demanda-t-il de nouveau.

Candy se leva de son siège et lui adressa le regard le plus dur qu'elle avait jamais lancé de toute sa vie.

- Non!

- Non ? ... Mais ... Qu'est-ce que tu veux dire ? balbutia-t-il. Jamais il n'avait entendu Candy auparavant exprimer une telle colère en un seul mot et avec cette sérénité irritante. « Patience, Terrence, » s'encouragea-t-il lui-même, « Tu savais déjà que ça n'allait pas être facile. »

- Quelle partie du mot « non » est celle que tu ne comprends pas ? demanda Candy avec sarcasme. Non, je n'ai pas aimé tes fleurs et non, je ne veux pas sortir avec toi.

- Au moins tu devrais me remercier pour ma galanterie, répondit le jeune homme blessé dans sa fierté.

- Galanterie ? Quel cynisme !  finit par exploser Candy, réagissant à la dureté qu'elle avait ressentie dans les derniers mots de Terry. Comment oses-tu vouloir m'acheter avec quelque chose d'aussi prosaïque qu'un bouquet de fleurs après ce qu'il est passé ? Si tu penses que ce comportement manipulateur va te donner le droit de satisfaire ton caprice pour ensuite m'ignorer comme si je n'existais pas, tu te trompes !!!

- Manipulation ? Mais de quoi diable parles-tu, Candy ? Je me suis comporté comme un gentleman avec toi et on ne peut pas dire que tu me traites très bien maintenant, explosa-t-il irrité.

- Ce n'est rien de plus que ce que tu mérites et écoute-moi bien Terrence Grandchester, c'est terminé ton numéro de l'emprisonnement. Demain, je vais sortir chercher l'emploi que je veux et ni toi ni personne ne va m'en empêcher.

- Candy, ce n'est pas raisonnable. Tu sais bien que c'est dangereux. Tu ne peux pas réagir de cette manière, lui répondit-il dans un dernier effort pour dominer sa colère.

- Évidemment que je peux ! s'écria Candy. Après tout, pendant des années je me suis suffie à moi-même pour faire face à Daniel Legrand. Je ne vois pas pourquoi cela doit être différent maintenant.

- Parce que pour mémoire, au collège, tu as eu parfois besoin d'une aide quelconque qui te venait ... d'en haut, répondit-il en croisant les bras et en soulevant le menton dans un geste de supériorité.

- Bêtises ! Moi seule aurais pu venir à bout de cet idiot et de ses amis pathétiques. Tu voulais uniquement t'amuser, comme d'habitude, répondit-elle, soucieuse de ne pas sortir perdante de cette lutte.

- A moi, il ne m'a pas semblé et à moi non plus, il ne me convient pas que tu t'exposes de cette manière. Je te dis de ne prendre aucun emploi pour l'instant et c'est comme ça !

- Vraiment ? Tu peux donc déjà commencer à m'attacher parce que je ne vois pas d'autre manière pour que tu m'empêches de sortir demain pour chercher le travail que je veux. Candice Neige André ne s'est jamais laissée intimider par quiconque ! le condamna-t-elle en se dirigeant vers la porte, décidée à laisser ainsi la discussion.

- Grandchester ! Tu te nommes maintenant Candice Grandchester ! N'oubliez pas cela, Madame, vous portez mon nom ...

- Ce n'est pas ce qui t'inquiète ! l'interrompit-elle en arrivant à la limite de sa colère. Après tout, porter ton nom jusqu'à présent a seulement été une chose protocolaire. Je ne parais pas t'importer plus qu'un meuble de cette maison.

Une culpabilité inavouée empêcha Terry de répondre à ce dernier argument. Immobile au milieu de la pièce, sans rien dire, il réussit seulement à soutenir le regard d'une Candy qui dès le départ paraissait s'être transformée en une espèce d'amazone incontrôlable. Encore étourdi par ses réclamations, le jeune homme vit que la jeune fille marchait vers lui.

- Ne t'inquiète pas, répéta la jeune femme en pointant vers lui son index de manière menaçante. Je ne vais pas porter le nom de Grandchester pour longtemps. C'est quelque chose que tu ne dois pas oublier.

Sans attendre de réponse, la jeune femme lui tourna le dos et claqua la porte derrière elle.
Une demi-heure après la dispute, Terry se trouvait encore dans le salon de thé, installé dans un fauteuil, examinant fixement le travail de couture que Candy avait laissé abandonné. Un coup timide sur la porte précéda le maître d'hôtel qui entra à la dérobée dans la pièce.

- Monsieur veut-il se mettre à table pour dîner ? demanda-t-il en craignant d'importuner son patron.

- Madame ? interrogea-t-il sans regarder le serviteur.

- Elle a dit qu'elle avait mal à la tête et s'est retirée dans sa chambre, Monsieur. Lucy veut savoir si elle doit venir ici pour vous servir le pain de viande qui a été commandé.

Terry se retourna alors pour observer Spencer avec incrédulité.

- Pain de viande ? Quelle horreur ! Oubliez ça Spencer, de toute façon je n'ai pas faim. Dites à Lucy que moi aussi j'irai au lit sans dîner.

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Des heures plus tard, alors que les serviteurs étaient déjà rentrés dans leurs chambres, des pas féminins se firent entendre dans les escaliers en direction de l'un des petits salons. Encore habillée, vêtue de sa tenue vespérale, Candy entra dans la pièce percevant le crépitement particulier des rondins avant que le feu ne s'éteigne complètement.

La jeune femme s'arrêta au milieu du salon en observant cette dernière lueur dans la maison jusqu'à ce que celle-ci soit complètement éteinte. Dans l'air, on pouvait percevoir un clair parfum de tabac qu'elle connaissait bien. Pour la première fois depuis quatre mois, il était évident que le propriétaire des lieux avait fumé dans cette pièce pendant un long moment.


Chapitre 6 - Victoire amère

La lune des premiers jours de l'automne était spécialement brillante. Ses rayons entraient par les fenêtres fermées, en se reflétant au plafond de l'alcôve ternie. Candy s'approcha, ouvrant de part en part les baies vitrées pour permettre à l'arôme du jardin intérieur d'entrer en abondance avec son parfum de pin et d'herbe mouillée. La nuit paraissait être interminable. Il avait plu, puis il avait cessé de pleuvoir, pour qu'ensuite le vent entraîne les nuages en laissant le ciel dégagé et la lune plus grande et lumineuse qu'avant. Candy attendait l'arrivée de l'aurore mais l'horloge ne paraissait pas avancer comme elle le voulait.

Les souvenirs de sa discussion avec Terry s'étaient rappelés à sa mémoire maintes et maintes fois, sans lui permettre de trouver le repos nocturne. En vidant son coeur de toute la colère accumulée, elle n'avait pas obtenu le résultat libératoire qu'elle avait espéré. Tout au contraire, elle était seulement parvenue à augmenter son amertume.

Elle entendait à nouveau ses mots et il lui paraissait que ce n'était pas elle qui les avait dits ; il étaient tellement chargés de colère et retentissaient d'injustice. Bien qu'elle soit certaine qu'elle avait le droit d'être fâchée contre Terrence après sa conduite inconsistante, il lui semblait maintenant qu'elle avait outrepassé ses droits dans la fureur du moment.

« Je me suis comporté comme un gentleman avec toi »

Elle entendit à nouveau Terry lui dire cette phrase avec indignation. Elle repensa à cela intérieurement à de nombreuses reprises pendant sa période de solitude et elle n'eut d'autres choix que d'accepter qu'il y avait vraiment quelque chose de juste dans les mots du jeune homme. Après tout, ne lui faisait-il pas une faveur en se mariant avec elle pour la sauver de Daniel? N'avait-il pas ravalé sa fierté en acceptant l'héritage de son père, uniquement pour l'aider ?

« Qu'est-ce qu'il t'a demandé en échange de toutes ces faveurs ? » s'interrogea-t-elle pendant qu'une larme lui glissait sur la joue.

« Rien ! Il ne t'a rien demandé » répondit-elle immédiatement et l'honnêteté de la réponse fut pire qu'une gifle. « Et quand il t'a dit qu'il était très risqué de chercher un emploi maintenant, comment lui as-tu répondu ? »

« C'est vrai, j'ai été vraiment trop grossière ... » admit-elle, même en cherchant une justification à sa réaction, « Il ne devait pas me traiter aussi durement. Il n'a aucun droit de jouer avec mes sentiments ni de me sermonner comme si j'étais un enfant. Je suis son épouse seulement de nom et il me l'a fait comprendre très clairement plus une fois. Je n'ai besoin ni de sa protection ni de ses attentions inconsistantes. »

« Alors, pourquoi ressens-tu un vide dans ta poitrine, comme si tu avais commis une grave erreur... comme si tu l'avais blessé ? »

Candy ne put répondre à cette question de toute la nuit.

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De l'autre côté du vestibule qui séparait les deux chambres, la nuit ne se passait pas plus calmement. Se trouvant face à un feu qui brûlait sans vie, le jeune homme sentait, derrière lui,  défiler les heures de la nuit .Il pensa de nouveau à ces yeux irrésistibles et il se demanda à quand remontait la dernière fois où il les avait observés avec douceur. Il se souvint de la nuit de la première au cours de laquelle ils avaient dansé ensemble valse après valse et qu'il était descendu de nouveau dans les eaux vertes de ses yeux, sentant une fois de plus sur ses lèvres la peau chaude de sa joue.
À deux reprises, il abandonna sa chambre pour sortir dans le couloir, s'arrêtant ensuite juste face à sa porte. Mais les deux fois, il se repentit alors de la tentative et retourna à sa place, encore blessé au souvenir de ses derniers mots :

« Je ne vais pas porter le nom de Grandchester pendant longtemps. C'est quelque chose que tu ne dois pas oublier ».

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Le matin suivant, Harry ne put dissimuler son étonnement quand sa patronne lui demanda de préparer la voiture pour sortir.

- Madame pense sortir ? demanda-t-il en se souvenant que Grandchester ne lui avait rien dit à ce sujet.

- En effet. Vous m'emmènerez seulement à Queens Avenue et vous m'attendrez à un endroit que je vous indiquerai, répondit Candy en mettant son chapeau fait de plumes et de tulles dans divers tons de violet.

- Madame, protesta en douceur l'employé, qui était tellement énorme face à la silhouette frêle de la jeune femme que cela en était comique, votre époux a été très clair concernant ses ordres. Je ne désire pas les contredire tant qu'il ne sera pas présent.

- Il y a eu un changement de plans. Je vais sortir visiter trois hôpitaux dans la zone du Queens. Ne vous inquiétez pas, je connais le secteur. Je ne vais pas me perdre.

- Madame, vous comprendrez que je mets mon travail en péril, objecta de nouveau Harry visiblement mal à l'aise.

- En aucune manière, Harry. Tu continueras à être mon employé quoi qu'il arrive, répondit Candy en mettant ses gants avec la plus grande tranquillité du monde.

- S'il vous arrivait quelque chose ...

- Pour l'amour de Dieu, Harry, vous êtes pire que ma Grand-Tante. Il ne va rien se passer. Nous y allons, ordonna la jeune femme avec un sourire auquel le chauffeur ne put résister. Si vous voulez, je vous compterai en chemin mes aventures quand je me suis échappé du collège....

Les voix de Candy et de son gigantesque chauffeur se perdirent dans le couloir. Sophie, depuis la fenêtre, les observa entrain d'entrer dans la voiture et disparaître dans la rue encombrée.

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Le chemin à travers Manhattan et au-delà du pont se passa sans encombre. La jeune fille parlait sans cesse et Harry oublia rapidement sa nervosité. Madame Grandchester avait la capacité de captiver son attention avec sa fraîcheur, de sorte que le chauffeur arriva bientôt à se sentir aussi à l'aise que confiant.

En arrivant au quartier du Queens, Candy demanda à Harry de l'attendre, stationné face à un café italien et elle prit, seule, sa route en autobus. En vérité, la sortie était un simple prétexte pour être seule et marcher librement. Elle prenait énormément de plaisir dans ce simple luxe qui consistait à pouvoir décider par sa propre volonté vers où diriger ses pas, sans devoir rendre de comptes à personne de ses décisions.
Depuis que la Grand Tante l'avait confinée dans la demeure André, la jeune femme n'avait eu aucune occasion de sortir seule. Il y avait de celà plus de six mois. Elle pouvait à peine croire qu'elle avait passé tant de temps emprisonnée. Toutefois, ses pas sur la chaussée étaient à présent sûrs et heureux, pour la première fois depuis longtemps.

Marcher insouciante dans la rue, voir les femmes et les enfants s'arrêter pour regarder les vitrines des petits magasins, être perdue dans la multitude ... c'était ça la liberté pour laquelle il valait la peine de tout risquer. L'air automnal lui caressait les joues, l'aidant à oublier, au moins temporairement, la confusion qui l'étreignait. Oui, cette évasion, en pesant le pour et le contre, était juste ce dont elle avait besoin pour oublier ce qui c'était passé la nuit précédente.

Après avoir erré dans un état euphorique pendant une demi-heure, Candy reprit son plan et se dirigea vers le secteur médical du quartier. Elle commença à visiter trois hôpitaux qui sollicitaient des infirmières.

Trois heures plus tard, elle sortait du dernier hôpital de son itinéraire, un peu peinée d'avoir eu à faire attendre Harry pendant un temps conséquent.

« Bon. Ce qui est fait, est fait et ce n'est pas le moment pour moi de me repentir », se dit la jeune fille en pressant le pas vers l'arrêt d'autobus. Si elle parvenait à prendre le suivant, elle pourrait être avec Harry dans vingt minutes. La jeune fille dépassa le coin de la rue et ce faisant, observa derrière elle une paire de chaussures noires qui la suivaient.

« Tu ne vas pas devenir paranoÏaque maintenant , » se dit-elle en s'étonnant elle-même. Elle continua à marcher le long des deux rues suivantes mais il lui était impossible d'ignorer les mêmes pas décidés qui retentissaient derrière elle. La jeune fille, commençant à se sentir nerveuse, observait autour d'elle. L'entrée de la rue était vide et seulement elle et cet homme à ses trousses s'y trouvaient.

Elle pouvait déjà apercevoir l'arrêt d'autobus à une cinquantaine de mètres. Le bruit d'un moteur commença à se distinguer à distance. Sans regarder en arrière, la jeune fille pressa le pas et à sa grande inquiétude, l'homme aux chaussures noires commença aussi à marcher plus rapidement.

« Si je n'atteins pas maintenant l'autobus, » se dit la jeune femme en commençant à courir, « Je devrai attendre dans cette rue isolée pendant vingt minutes. »

Bien qu'elle ne veuille pas l'accepter, l'image de Daniel qui était parvenu à la tromper en prétendant être Terry lui revint en mémoire. A cette occasion, elle s'était alors échappée de la maison du lac sans rien d'autre qu'une bonne frayeur. Mais elle n'était pas sûre de pouvoir y parvenir une seconde fois. En redoublant de panique, elle perçut les pas de l'homme qui courait derrière elle.

L'autobus, après s'être immobilisé une seconde à l'arrêt, commença à reprendre son chemin. Candy courut de toutes ses forces. L'homme dans son dos courut lui aussi plus rapidement.

« Mon dieu. Il s'en va ... l'autobus s'en va ! »

La main de la jeune fille atteignit la poignée de porte. En un mouvement, Candy parvint encore à mettre le pied sur le marchepied de l'autobus. Avec un soupir de soulagement, elle réussit à monter dans l'autobus, laissant en arrière l'homme mystérieux qui la suivait. Il y avait des gens et pourtant la jeune femme essayait de se déplacer entre les passagers pour pouvoir regarder par la fenêtre; quand à la fin elle y arriva, elle put seulement apercevoir un imperméable gris qu'elle perdit de vue, disparaissant à un coin de rue.

Quand Candy arriva au café où son chauffeur l'attendait, elle avait eu le temps suffisant pour se calmer. Personne ne devait être au courant de ce qu'il s'était passé, encore moins Harry, ou il n'accepterait jamais de prendre à nouveau part à une évasion comme celle-là. Oui, elle devait reconnaître qu'elle s'était alarmée, mais elle ne pouvait pas dépendre des autres pour être protégée. Après tout, dans quelques mois, elle serait divorcée de Terry et ne pourrait plus disposer de personne pour veiller sur elle en dehors d'elle-même.

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Ce même soir, Candy dut dîner seule. Terry avait laissé un message au maître d'hôtel,l'informant qu'il rentrerait très tard après la représentation de sorte que la jeune femme, assise, observa son plateau de repas sans oser le manger. Elle se rappelait les événements de la journée, en particulier les entrevues auxquelles elle avait participé dans les hôpitaux. Elle n'était pas très satisfaite de la manière dont le premier examinateur l'observait en lui parlant. C'était comme si ses vêtements de velours et son chapeau parisien s'avéraient être un mauvais choix, capable de porter atteinte à ses capacités professionnelles.

Dans le deuxième hôpital, la femme qui l'avait questionnée, avait terminé en la reconnaissant parce qu'elle avait vu sa photo dans les journaux. Autant dire que la conversation avait été un échec parce que, au lieu de se concentrer sur l'historique de son travail, la femme avait été plus intéressée par l'obtention d'une entrée gratuite au théâtre.

Malgré ce qui précède, elle avait rencontré une meilleure chance à la troisième occasion. L'entrevue paraissait avoir été positive, ce pourquoi Candy pensait qu'il était probable qu'ils lui donnent l'emploi. Le seul problème était que cela avait été précisément à la sortie de cet hôpital que l'homme mystérieux avait commencé à la suivre. Après cette expérience, il ne lui paraissait pas très judicieux de prendre un travail dans une zone tellement peu fréquentée.

« Oui, Je suis sortie ce matin de ma propre initiative » pensa-t-elle en piquant le poulet avec sa fourchette, « mais à vrai dire, je ne m'en sens pas satisfaite, tout au contraire. Ce vide dans mon cœur me pèse trop. »

Les minutes passèrent sur l'horloge et le dîner était presque intact sur l'assiette. La jeune femme annonça qu'elle se retirait tôt dans sa chambre et Sophie la suivit en silence pour l'aider à se dévêtir.
Pendant que la femme de chambre, avec sa lenteur habituelle, déliait les liens du corset de sa maîtresse, Candy observait son reflet dans le miroir. Bien que l'image lui montre qu'elle n'était pas laide, elle ne pouvait pas se souvenir que Terry lui ait dit une seule fois qu'il la trouvait jolie. À un moment donné dans le passé, il avait été amoureux d'elle ; c'était un fait sur lequel elle n'avait pas de doutes. Cependant, il ne lui avait encore jamais dit: « tu me plais ».

Son esprit se tourna immédiatement vers les images encore fraîches de la nuit de la première. À plus d'une occasion, elle avait surpris le jeune homme qui l'observait intensément, avec une espèce d'insistance étrange qui la faisait suffoquer. Elle essaya en vain de chercher dans sa mémoire un autre regard semblable qu'il lui aurait adressé dans le passé. Non, pas un seul. Cette force intimidante dans ses yeux était différente.

« Il n'a jamais pensé cela, » se dit-elle en silence laissant Sophie défaire les boucles qui, libérées, lui tombaient maintenant dans le dos, « Malgré ce qui s'est passé entre nous l'autre nuit, il est évident que cela n'a pas été très important pour lui ».

Sophie prit la chemise de nuit de Candy sur une chaise, et sortit de la pièce sans faire bruit. Une fois seule, la jeune fille s'étendit dans le lit,  serrant l'oreiller entre ses bras.

« Où est-t-il maintenant ? » pensa-t-elle en jetant un coup d'œil à l'horloge qui reposait sur sa table de nuit, « la représentation doit déjà être terminée ... il a dit qu'il rentrerait beaucoup plus tard... »

Un doute inéluctable se glissa à la dérobée dans son coeur et des images de Terry en galante compagnie dans un lieu incertain et lubrique lui ôtèrent toute paix et ne la laissèrent pas dormir, et ce encore bien après que les pas caractéristiques de Terry se firent entendre dans le couloir aux premières lueurs de l'aube.

****************

Pendant les deux semaines qui suivirent, les sentiments les plus nobles du coeur continuèrent à être vaincus par la fierté. Un silence décidé tacitement sur ce qui était arrivé, une courtoisie tendue et une fausse indifférence caractérisaient les rares moments partagés. Il n'essayait jamais d'être seul avec elle si les serviteurs n'étaient pas présents et elle, à son tour, évitait sa présence autant que possible. Il était déjà dix heures ce matin là quand Candy quitta la cuisine après avoir fait les dernières recommandations sur les dépenses. Le murmure étouffé du fer à repasser était tout ce qu'on pouvait entendre dans le couloir. Avec un soupir d'ennui, la jeune femme s'arrêta face à un miroir et rajusta de nouveau le haut chignon dans lequel elle avait pris ses cheveux et les plis de la blouse blanche qu'elle portait.

- Madame, excusez-moi, il y a une dame qui est ici et qui souhaite vous voir, dit Spencer en s'approchant de Candy.

- Elle a dit son nom ? demanda la jeune femme en se retournant.

- Oui, elle dit s'appeler Suzanne Marlowe, répondit l'homme.

   La jeune femme pâlit visiblement en entendant la réponse de Spencer et ce dernier demanda s'il avait commis une erreur en permettant à la visiteuse d'entrer dans la maison.

- Dois-je lui dire que vous ne pouvez pas la recevoir ? demanda-t-il intrigué.

- Oh, non, en aucune manière, répondit la jeune femme en réagissant, je vais la voir immédiatement.

Un chapeau avec des rubans satin pourpre, une veste de laine couleur mauve aux boutons plats, en harmonie avec la jupe, et une canne de laque noire avec poignée d'argent s'offrirent à la vue de Candy en entrant dans le salon de réception. Suzanne ne semblait plus la fille invalide d'une autre époque  mais une femme belle et sûre d'elle-même.

- Suzanne ! Quelle surprise ! s'exclama Canddy et elle sentit instinctivement Suzanne, tout comme elle l'avait fait quelques secondes auparavant, l'observer également rapidement, en tenant compte de son aspect et de son apparence.  Mais s'il vous plaît, prenez un siège.

Les deux femmes échangèrent les courtoisies de coutume et il ne se passa pas longtemps avant que toutes les deux ne cessent de parler et prennent le thé.

- Tu dois t'interroger sur le but de ma visite, dit finalement Suzanne en négligeant déjà les formalités.

- En effet, je l'avoue, répondit Candy en déposant sur le plateau sa tasse presque intacte.

- Je suis venue te saluer. Je repars déjà ce soir à Philadelphie, répondit-elle directement à la jeune femme. J'ai beaucoup abusé de l'hospitalité des Hathaway et je dois retourner à la maison pour poursuivre mes projets.

- Je comprends. Je suppose que tu dois te réjouir de commencer à mettre en route tes nouveaux projets, répondit Candy avec un sourire.

Suzanne put sentir que la cordialité de son interlocutrice était sincère et elle fut plus détendue pour continuer ce qu'elle avait à dire.

- En effet, mais je ne voulais pas m'en aller sans d'abord parler avec toi, Candy.

- Avec moi ?  s'enquit la jeune femme intriguée.

- Oui. Je crois qu'entre nous deux, il y a une conversation en suspens sur une affaire insoluble. Je me réfère aux choses dont nous avons parlé et que nous nous sommes promis cette nuit où tu m'as sauvé la vie.

- N'en parlons plus. C'étaient des moments très difficiles pour tous qu'il vaut mieux laisser au passé, se dépêcha de dire Candy en commençant à penser que la conversation prenait une tournure plutôt gênante .

- Je dois le faire. Promets-moi au moins d'écouter ce que j'ai besoin de te dire, demanda Suzanne en mettant sa main sur celle de Candy et, voyant que la jeune femme acquiesçait, elle fut encouragée à continuer son discours.

- Je ... je ne parviens pas encore à comprendre ce qui m'a fait penser que la seule solution qu'il me restait était de m'enlever la vie. Je sais maintenant que cette tentative a été la seconde chose la plus stupide que j'ai jamais faite.

- La seconde ? osa demander Candy intriguée.

- Oui, parce que la pire erreur que j'ai commise en premier, a été d'agir  injustement avec Terry et avec toi.

- Je ne te comprends pas, Suzanne, jamais je n'ai senti que tu me traitais injustement.

- Mais je l'ai fait, dit la jeune femme en baissant la tête, honteuse – Je savais très bien que Terry et toi étiez amoureux. Je le savais depuis longtemps avant que n'arrive l'accident et après que tu m'aies gentiment sauvé la vie, j'ai encore refusé de comprendre qu'il n'y avait pas de place pour moi dans la trame de cette histoire. Tout au contraire, j'ai abusé de ton bon coeur et de ma condition d'invalide pour prendre la place qui t'appartenait ... je... La voix de Suzanne se brisa et des larmes qu'elle ne put contenir roulèrent sur ses joues.

- Suzanne, s'il te plaît, ne pleure pas. C'est uniquement à toi que tu as fait mal ... Crois moi, cela n'est pas nécessaire, l'interrompit Candy visiblement affectée.

- Je dois... je dois le faire, continua la jeune femme en essuyant ses yeux bleus avec son mouchoir et en prenant un instant avant de continuer. Je dois te confesser que cette nuit-là, quand tu es partie et que Terry m'a promis qu'il resterait près de moi, j'ai été heureuse. J'étais sûre qu'il remplirait toute ma vie et qu'il finirait par m'aimer autant ou plus que toi. Je n'ai eu aucun remord, ni ai considéré le mal que je te faisais à toi et à Terry lui-même en m'interposant entre vous. Je pensais seulement à moi et je me trompais en me disant qu'il serait aussi heureux après un certain temps. Cela n'est jamais arrivé.

Le visage de Candy se transforma peu à peu en écoutant la confession de Suzanne. C'était comme si une ombre d'amertume le couvrait, ternissant le brillant de son regard.

- Les jours, les semaines, les mois sont passés, continua Suzanne d'une voix faible, et je n'ai jamais pu voir dans ses yeux cette expression de joie secrète qu'il avait quand il lisait tes lettres. Je l'ai vu le faire tant de fois quand il pensait qu'il était seul. Mais cela paraissait être quelque chose du passé seulement. Pour moi, il avait uniquement une expression gentille, jusqu'à la douceur ... mélangée avec quelque chose qui, je l'ai  compris par la suite, était de la compassion. Terry se consumait en silence à cause de ton absence et je ne voulais pas l'accepter, jusqu'à ce qu'un beau jour, il arrive chez moi pour m'annoncer qu'il ferait un long voyage, dont il ne savait pas s'il reviendrait un jour.

- Il n'aurait jamais dû faire cela. Il a manqué à sa promesse, dit Candy, son sens de justice offensé par l'attitude de Terry.

- Je n'avais pas accompli non plus la promesse que je t'avais faite, répondit Suzanne en levant les yeux qu'elle avait jusqu'alors gardé cloués sur le tapis. Je ne l'avais pas rendu heureux comme c'était supposé être le cas. Donc, me sentant coupable, je lui ai dit que j'acceptais sa décision sans discuter. Je lui ai suggéré également que j'étais disposée à l'attendre tout le temps qu'il voudrait, mais il n'a pas voulu l'accepter de sorte que nous avons rompu. Je n'ai pas eu de nouvelles de lui pendant longtemps et j'ai cru mourir.

Candy pensa secrètement qu'elle connaissait bien les sentiments de désespoir et d'abandon que lui décrivait Suzanne. Il était tristement ironique que toutes les deux les ressentent en raison du même homme.

- Arriva alors un après-midi où ma mère était parvenue à m'encourager à sortir me promener dans Central Park, et où j'ai rencontré quelqu'un qui a changé ma vie.

- L'ami dont tu nous as parlé la dernière fois, je suppose, s'enquit Candy, sa curiosité féminine se réveillant.

- Oui. C'est une personne simplement merveilleuse. On peut dire qu'il ne m'a pas fallu longtemps pour me sentir avec lui comme si je l'avais connu toute ma vie. Rapidement, il a occupé toute mon existence et m'a convaincu d'oublier ma résistance à faire de la thérapie, comme s'il était mon père.

- C'est lui qui t'a convaincue de faire de la rééducation, j'imagine, dit Candy avec un léger sourire.

- En effet, mais c'est seulement une minuscule part de ce qu'il m'a donné. Il m'a appris à me voir d'une nouvelle manière. Il m'a fait comprendre que je ne vivais ni pour le succès que je pouvais trouver sur la scène, ni pour l'amour d'un homme, mais pour ma valeur intrinsèque. Grâce à lui, j'ai compris que mon bonheur était en moi et que, par conséquent, peu importait quel chemin je prendrais, pourvu que ce soit un que j'avais choisi. Grâce à lui également, j'ai pu voir, pour la première fois, que j'avais agi injustement avec toi et avec Terry. Tu ne sais pas comme je me suis sentie honteuse quand finalement je me suis regardée avec honnêteté dans un miroir. Je me suis vue faible, égoïste, dépendante ; je n'ai pas aimé ce que j'ai vu. C'est pourquoi j'ai décidé qu'il était temps de changer d'attitude. Mon ami a seulement été à mes côtés pendant une brève période, mais cela a été suffisant pour me faire comprendre toutes ces choses et prendre de nouvelles résolutions. C'était comme naître à nouveau. Quelque temps plus tard, Terry est revenu vers moi.

Candy sentit que son coeur battait avec davantage de force. Elle approuvait toutes les choses que Suzanne avait dites sur ses résolutions, mais elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi elle avait décidé de rejeter Terry quand celui-ci avait essayé de retourner vers elle. N'était-ce pas la preuve qu'il était parvenu à l'aimer véritablement ? C'était peut-être le nouvel ami de Suzanne qui avait fini par remplacer Terry dans le cœur de la jeune femme ?

- Quand j'ai su qu'il voulait revenir vers moi, j'ai cru durant un bref moment que cette fois les choses seraient différentes, continua Suzanne en baissant à baisser à nouveau le regard. J'ai imaginé qu'en étant éloigné, il était parvenu à découvrir dans son cœur un réel amour pour moi. Si ses sentiments avaient vraiment changé, je ne me serais plus sentie coupable, je pouvais être libre de l'aimer sans sentir que je volais à une autre ce qui de droit lui appartenait ... mais c'était faux.

Les yeux verts de Candy s'ouvrirent de part en part en entendant les derniers mots de Suzanne mais ses lèvres restèrent scellées.

- Il suffisait seulement de l'écouter parler pour comprendre que tu occupais encore toute la place. Je n'avais pas de droit sur un coeur qui résistait à me faire une place. J'ai pu voir qu'il venait seulement vers moi pour les mêmes raisons qu'avant, par honneur, par engagement, par remerciement. Je n'ai pas ressenti autre chose que sa courtoisie et comme je n'étais pas disposée à commettre la même injustice deux fois, je n'ai pas pu accepter l'offre de Terry.

- Alors tu l'as rejeté ... pour ... pour moi ? demanda Candy ennuyée et étonnée

- Non Candy, répliqua Suzanne avec un air de fierté dans son regard. Je te dois la vie et cela je ne l'oublie pas, mais je crois que plutôt je l'ai fait pour moi. J'ai appris que je ne dois pas me condamner pour un amour à sens unique quand je pourrais sans nul doute en trouver un qui sera le mien de plein droit.

- Celui de ton nouvel ami, peut-être ? demanda Candy sans pouvoir contenir davantage sa curiosité.

- Oh, non ! Absolument pas ! répliqua Suzanne avec fermeté. L'amitié entre lui et moi est totalement dépourvue d'ombres romantiques. Il n'y a rien dans cette direction. Je pensais plutôt à quelqu'un que je ne connais pas encore mais que je trouverai sûrement tôt ou tard, tu ne crois pas ?

- Si si... c'est clair ... Je suis sûre que tu le rencontreras ... très vite, dit Candy en buttant sur les mots.

- C'est ce que j'attends. Pendant ce temps, je me réjouis de la décision que j'ai prise à ce moment-là. Quand j'ai été informée que Terry et toi étiez mariés, j'ai su que j'avais pris la bonne décision. Je veux que tu saches que j'ai accepté l'invitation du Monsieur Hathaway pour la première parce que je voulais être témoin du bonheur de Terry.

- Et qu'as-tu trouvé ? demanda Candy, craignant la réponse de son interlocutrice.

- Je n'ai même pas eu besoin de vous voir ensemble. Il m'a suffi d'observer Terry sur scène et d'écouter les premiers vers qu'il a récités ce soir-là pour comprendre vers qui chaque mot était dirigé, tout comme avant. J'avais fait le bon choix. Je voulais seulement te raconter ceci et te remercier parce que grâce à toi, j'ai pu vivre pour comprendre toutes ces choses.

Même si la visite de Suzanne ne dura pas longtemps, les mots de la jeune femme continuèrent à résonner aux oreilles de Candy pendant toute la journée et encore pendant la longue nuit d'insomnie qui suivit.

Candy ne parvenait pas à relier les pièces de ce puzzle. Suzanne était tellement persuadée que Terry ne l'aimait pas, qu'elle n'avait pas hésité à le rejeter. Apparemment, elle était tellement convaincue de l'amour de Terry pour Candy qu'elle avait parié son destin dans ce qu'elle croyait être un acte juste et honorable. Qui plus est, en revoyant Terry, loin de penser qu'elle s'était trompée, elle estimait avoir fait le meilleur choix.

Toutefois, l'autre partie de l'histoire que Candy connaissait était tellement différente. Terry, déjà libéré de son engagement avec Suzanne, au lieu de courir la chercher - comme il aurait été logique dans l'éventualité où il l'aimerait encore - avait continué avec sa vie sans déplacer le moindre muscle pour provoquer une rencontre. Ce n'était pas là non plus la conduite d'un homme amoureux.

Il s'était passé quatre mois entre le rejet de Suzanne et la visite de Terry à Chicago dans le but de l'aider à échapper aux griffes de Daniel. Il avait eu suffisamment de temps pour aller la chercher et il ne l'avait pas fait. Encore pire, en lui offrant sa main en mariage, il n'avait jamais parlé d'amour. Terry avait seulement offert une proposition amicale, une faveur faite à une amie dans un moment de déconfiture, un stratagème ingénieux. Rien de plus.

Les mois qu'elle avait passés à côté de Terry, son indifférence, sa distance ne paraissaient pas dire le contraire... Que penser alors de ce que Suzanne avait dit ? Quelque soit le sens qu'elle donnait à cette affaire, elle ne parvenait pas à la clarifier, pas même un peu... Deux jours plus tard, un nouvel événement contribua à compliquer encore plus les choses.

********************

Sophie entra dans la chambre sans que sa patronne ne l'entende. Elle observa pendant un moment la jeune blonde qui regardait par la fenêtre avec expression absente. Elle avait remarqué qu'elle observait fréquemment les gens qui traversaient l'avenue comme si elle voulait pouvoir s'enfuir et se perdre parmi ces passants. Il était clair que quelque chose la préoccupait extrêmement.
La bonne se rendit compte que sa maîtresse avait perdu du poids pendant les dernières semaines. C'était évident du fait que ses robes étaient légèrement plus lâches sur elle qu'avant.
Par moments, elle avait de la peine de voir une femme aussi jeune et jolie plongée dans une tristesse aussi profonde. Cependant, elle avait elle-même ses propres soucis dont il lui fallait se préoccuper et si elle ne découvrait pas quelque chose d'important rapidement, elle ne pourrait pas résoudre ses problèmes.

- Madame, dit finalement la jeune femme en rompant le silence. Ce paquet et cette lettre sont arrivés ce matin dans le courrier pour vous, les voici.

Candy, sortant de son rêve, tendit la main pour prendre le petit paquet et la missive que la servante lui tendait. Elle remercia Sophie et celle-ci se dépêcha de la laisser seule.
La jeune femme déchira le papier et découvrit rapidement une boite de velours. A l'intérieur, il y avait une broche en or avec une image de porcelaine au centre. C'était la peinture miniature d'une colombe et des fleurs.

- Que pourrait signifier ce bijou ? pensa-t-elle alors intriguée, en dirigeant son attention vers ce qui avait accompagné le paquet. Elle n'eut pas besoin de l'ouvrir pour comprendre qui était derrière tout cela. L'écriture aux lettres larges et décidées était caractéristique. Avec des doigts nerveux, elle l'ouvrit. Bien qu'il n'y ait pas de doutes sur celui qui avait envoyé la lettre, elle était très intriguée de savoir ce que pouvait contenir ses lignes :

Candy,
Ce silence entre nous deux m'est insupportable. Il ne m'importe pas de savoir celui qui a pu avoir raison et celui qui a eu tort dans cette discussion sans sens. De toutes manières, je sais que j'ai été celui qui a provoqué le problème sur le principe et je te présente mes excuses.
Tu es dans ton droit si tu ne tiens plus à me parler à nouveau. Toutefois ne crois-tu pas que le mieux serait que nous puissions vivre dans les termes les plus aimables le temps que nous devons être ensemble? Je te demande au moins de réfléchir en vue de m'accorder une trêve. Il me reste à te prouver que je peux me comporter à la hauteur des circonstances.
Si tu acceptes ma proposition, porte ce soir la broche que je t'envoie. Considère la comme notre drapeau de paix. Si tu crois que je ne mérite pas cette opportunité, restitue-moi la broche pendant le dîner. Je saurai accepter ta décision.
Terry

Candy laissa tomber la lettre sur son secrétaire. Qu'est-ce qu'elle était supposée faire maintenant? Juste au moment où elle croyait que Terry ne pouvait plus la surprendre, l'homme avait un geste totalement inattendu. Cela était simplement injuste.


*****************

- Non, non, la jupe bleu marine et la blouse crème. Celle qui a le col haut et les broderies devant, indiqua Candy à Sophie en changeant d'avis pour la troisième fois en vue de la soirée.

Avec une nervosité apparente, la jeune femme suivait les préparatifs de sa toilette, encore incapable de prendre une décision. Son coeur réclamait à grands cris de donner une chance à Terry, bien que ce soit seulement pour rester amis. La raison toutefois lui disait qu'il était mieux de garder la distance établie. À la fin, quand ils devraient divorcer, elle serait malheureuse de la séparation. Mais si Suzanne ne s'était pas trompée ? S'il l'aimait encore réellement et qu'il n'osait pas le lui avouer ?

« Terry, incertain avec une femme ? » se disait-elle incrédule, « Cela ne me paraît pas très probable ... et pourtant... »
La broche était encore dans sa boite, qu'elle ne cessait pas d'observer de temps en temps, le coeur battant d'excitation et d'indécision.
Sophie peigna les boucles de la jeune femme en une simple queue de cheval, l'ornant avec un ruban de velours bleu foncé qui constituait un beau contraste avec la couleur dorée de sa chevelure.

- Madame pense-t-elle porter un collier ou une broche au col de sa blouse ? demanda la femme de chambre en donnant les dernières touches à la tenue de sa patronne.
- Non ... je ... je vais choisir, Sophie. Toi vas-y et dis à Lucy de déjà servir le dîner. J'arrive dans un petit moment.

Obéissant immédiatement à ses ordres, la jeune femme acquiesça de la tête et quitta la chambre. Candy, une fois seule, se mit debout quelques minutes. Dans un élan, elle prit la boite et la mit dans sa poche. Sans porter la broche, elle descendit à la salle à manger.

****************

Tendu, avec les doigts tambourinant sur la table, Terry observait sans intérêt les mouvements des servantes qui commençaient à servir le dîner. Candy entra alors dans la salle à manger. Ses yeux étudièrent immédiatement sa tenue et la jeune fille put alors clairement apercevoir la déception sur son visage. Toutefois, fidèle à sa promesse, il ne dit rien.
Il mangèrent le premier et le second services dans un silence presque total, limitant les paroles aux moments où la courtoisie ou la nécessité obligeaient à échanger des phrases sans importance. Quand on servit les desserts, Candy demanda aux servantes de se retirer.

La jeune femme balaya du regard la pièce comme si elle voulait s'assurer qu'ils étaient réellement seuls. Avec la main tremblant légèrement, elle sortit la boite de la poche de sa jupe et la mit sur la table. Terry l'observait en silence. Il était impossible de ne lire aucune émotion dans le visage du jeune homme.

Sans rien dire de plus, la jeune fille ouvrit la boite. Avec lenteur et sans cesser d'observer le jeune homme, elle extrait la broche et la referma sur le col de sa blouse. Les lèvres de Candy se plièrent légèrement, jusqu'à ébaucher un sourire lisse. En signe de bonne volonté, la jeune femme tendit sa main à l'acteur, mais celui-ci au lieu de la lui serrer, la porta à ses lèvres pour y déposer un bref baiser.

- Merci, dit-il en faisant en sorte que son regard rencontre le sien et la trêve en fut estampillée.


Chapitre 7 - Douce trève

- Je sais que je me comporte parfois de manière inconsistante, reconnut-il.
Les deux jeunes gens avaient laissé la salle à manger et étaient installés face au feu de d'un des salons de la maison. Elle avait le regard fixé sur la cheminée et avec une nervosité déguisée, jouait avec l'anneau de brillants à sa main gauche. Il l'observait de temps en temps.

- Peut-être t'ai-je paru ... distant, continua-t-il d'exposer avec lenteur. Elle acquiesça en silence, sans le regarder. Cependant ... la nuit de la première ... je ... je me suis si bien senti en ta compagnie - Maintenant l'anneau de Candy tournait furieusement sur son doigt - Tu auras dû te demander ce qu'il est passé avec moi les jours suivants.

- En effet, répondit la jeune fille en faisant un effort pour que sa voix ne tremble pas.

- Je m'en rends compte, mais je t'assure que je ne souhaitais pas faire quoi que ce soit pour que tu te sentes ignorée, répondit-il en commençant à trouver que la lumière de la maison projetait les plus belles lumières sur les cheveux blonds de la jeune femme.

- Je ... suis très confuse ... face à toute cette situation, Terry, s'encouragea-t-elle finalement à dire, sans regarder encore les yeux du jeune homme. Le fait de vivre ensemble... c'est ... étrange... et de ne pas pouvoir sortir, cela m'a inquiétée. C'est comme si j'étais prisonnière.

- Je te comprends, l'interpella-t-il et son corps s'inclina légèrement vers elle, la distance entre eux se réduisant encore, pour moi aussi ça a été difficile.

- Cela nous aiderait si nous pouvions au moins nous sentir à l'aise l'un avec l'autre, ne crois tu pas ? dit-elle en levant finalement les yeux, ses mains commençant à se tranquilliser sur sa jupe bleu foncé. Il la surveillait de nouveau avec cette même intensité perturbatrice. Cela aurait dû la déranger mais Candy se surprit elle-même de savourer la chaleur des yeux de Terry sur sa peau.
Pour sa part, incapable de lire les bouleversements qu'il réveillait en Candy, il était perdu dans l'observation silencieuse des lignes aiguisées des doigts féminins. Le dos de la main était tellement blanc qu'il paraissait briller sous la lumière de la maison, contrastant avec la toile foncée de la jupe. Il se souvint de la sensation de cette peau fragile sous ses lèvres, quelques minutes auparavant, quand il lui avait embrassé la main. Il suffisait seulement d'un motif innocent pour lui allumer l'esprit. Se maintenir ainsi, installé à l'extrémité du « loveseat », en déviant le regard et en dissimulant ses tremblements internes sous un masque de tranquillité lui était insupportable.

- Il y a eu un temps où nous pouvions faire des choses ensemble et profiter de notre compagnie mutuelle... comme de bons amis, continua-t-elle sans savoir que le mouvement de ses lèvres à chaque mot touchait les limites du self-contrôle du jeune homme.

- C'était quand nous étions des diablotins ... commenta le jeune acteur avec un demi sourire à peine esquissé sur son visage. Candy ne put résister à l'envie d'imiter le geste.

Impossible de résister aussi à cette attraction exaspérante. La jeune fille pouvait sentir un vertige enivrant qui lui montait du ventre sous l'effet de ce sourire réticent. « Ceci est alarmant » se dit-elle, « S'il peut me faire craquer uniquement avec un sourire, que se passerait-il s'il me prenait dans ses bras juste comme je le souhaite. »

- Je crains qu'au collège ni toi ni moi n'étions dans le tableau d'honneur pour notre conduite douce et posée, ajouta-t-il se sentant plus à l'aise de parler d'une époque plus heureuse.

- C'est vrai, mais  nous pourrions au moins essayer d'envisager que notre courtoisie s'est améliorée avec les années, lui répondit-elle désespérément, cherchant un échappatoire pour continuer la conversation sans perdre pied.

- Après la dernière instance, je crois que je n'ai pas dû beaucoup m'améliorer, avoua-t-il en ayant un peu honte.

- À vrai dire, je ne peux pas dire que mon comportement ait été meilleur, lui répondit-elle étonnée du repentir sincère qui paraissait transparaître dans ses mots – Je conviens que je t'ai fort peu ... remercié après tout ce que tu as fait pour moi.

- Non ... non, n'en parlons pas, l'interrompit-il en fronçant les sourcils, tout en s'approchant un peu plus d'elle sans que leurs corps ne fassent un geste pour s'éloigner.

- Parlons alors seulement de choses passées qui nous procurent de la joie, ajouta-t-elle en percevant que l'anxiété faisait à nouveau surface dans le visage du jeune homme. Il est préférable d'avoir mauvaise mémoire quand il s'agit de choses désagréables.

- Je suis d'accord. Pouvons-nous alors essayer d'être à nouveau amis ? demanda-t-il, une petite lumière d'espoir brillant à nouveau dans ses yeux.

- Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible, lui répondit-elle en réprimant un soupir de désillusion devant la demande du jeune homme. « Seulement amis, Terry ? C'est la seule chose que tu veux de moi ? »

Toutefois, ce n'était pas l'heure de regretter mais de négocier. Faisant une pause, la jeune fille osa faire sa propre demande : Te convient-il que nous oublions cette idée de me maintenir enfermée ?

Terry s'étendit sur le siège du sofa. L'idée ne lui plaisait pas ... même pas un peu. L'incommodité perceptible du jeune homme devant la direction que prenait la conversation déséquilibra l'impression de séduction du moment.

- Candy, je comprends ce que tu ressens, mais je ne crois pas que cela soit pertinent, commença-t-il, expliquant ses objections tout en essayant de se contrôler. Je suis désolé de la manière dont j'ai réagi l'autre soir mais je continue à penser qu'il est trop risqué que tu sortes seule pour travailler chaque jour. Si quelque chose t'arrivait, je ne me le pardonnerais pas. Bien que ce mariage soit une comédie, je me sens responsable de ta sécurité.

La jeune femme aurait voulu pouvoir lire à travers les mots de Terry. Devait-elle comprendre qu'à travers cette préoccupation transparaissait un sentiment au-delà de l'amitié ? Ou bien était-ce seulement une conséquence de son sens du devoir et de l'honneur ?

- Terry, as-tu pensé que probablement, après que ce mariage soit dissout, les risques soient encore présents ? Tu ne seras alors plus là et je ne peux pas arrêter ma vie, ni maintenant ni jamais par peur de ce que Daniel peut faire, répondit-elle, en se demandant intérieurement si ses mots auraient un certain effet sur le jeune homme.

« Quand ce mariage sera dissout... Tu n'oublies pas le contrat, Candy, n'est-ce pas ? Tout au contraire, tu dois être entrain de compter les jours pour ne plus avoir à être à mes côtés » pensa le jeune homme dont l'expression du visage se durcit et la jeune blonde sentit que son sang se gelait en elle en voyant sa réaction.

- Je comprends ton point de vue. Tu as peut-être raison, dit-il après un moment, en déviant le regard. Il chercha intérieurement dans sa mémoire les mots d'Albert qui l'avait encouragé à tenter un nouveau rapprochement. Serait-ce une cause perdue avant même de l'entamer ?
Toutefois, continua-t-il, si tu es tellement décidée à travailler à nouveau pendant le reste de cette année, je te demanderais au moins de te  chercher un emploi dans le secteur de Manhattan. Serais-tu au moins d'accord sur ça ?

- Marché conclu ! répondit la jeune femme en se sentant encouragée.

Terry acquiesça seulement pour montrer son accord. Dans le fond, il se promit qu'il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour protéger la jeune fille même contre son gré.
Sans rien dire, les deux jeunes gens restèrent longtemps dans la chambre, observant le feu et combattant pour dominer leurs pensées.

Quand les oreilles de Candy commencèrent de nouveau à percevoir le son léger de la respiration de Terry comme s'il s'agissait de la sienne, la jeune femme sut qu'elle ne pouvait plus s'exposer à l'influence de la présence du jeune homme et par conséquent, elle se leva de son siège pour s'en aller et se retira dans sa chambre.

Terry resta dans le salon jusque tard, en imaginant le bruit que ferait la dentelle sous la jupe de Candy en frôlant la moquette.

******************

Les choses changèrent lentement dans les jours qui suivirent. Etant un oiseau nocturne par nature, Terry se levait tard pour prendre le déjeuner dans la véranda de verre dont la vue donnait sur le jardin intérieur de la maison. L'automne avait teint de doré les arbres dont les feuilles pleuvaient continuellement sur le sol pendant que le jeune acteur sirotait lentement le thé et surveillait du regard la femme blonde qui partageait sa table.

Tous les deux conversaient de manière informelle de ces scènes quotidiennes. Pour les serviteurs, il était évident que les tensions des semaines précédentes étaient choses du passé. Madame souriait de nouveau ouvertement et Monsieur la regardait intensément entre deux services. Même mieux, il paraissait y avoir entre eux un courant frais, libre et négligent qui n'existait pas avant. Chose étrange, le rire du patron commençait à être entendu dans la maison de temps à autre.

Après le premier repas de la journée, Candy se consacrait à ses travaux quotidiens et Terry se retirait dans son bureau pour s'occuper de ses affaires. Parfois le jeune homme, en se dissimulant, observait par la fenêtre, attendant le moment où Candy sortirait pour chercher un emploi. Elle faisait cette sortie les mardis et vendredis, mais depuis plus d'un mois, cela ne paraissait pas donner de résultats positifs. Terry remerciait secrètement le ciel qu'il soit ainsi, en partie pour sa sécurité et en partie par égoïsme pur. L'enchantement ravissant d'entendre les pas de Candy dans la maison était un luxe dont il n'aimait pas se passer. Après tout, le plaisir pouvait être tellement fugace!

Le déjeuner était léger mais il leur donnait également l'occasion d'être ensemble, de se distraire et de passer un bon moment. Les après-midis étaient tranquilles et s'écoulaient lentement jusqu'à ce que Terry quitte la maison pour aller au théâtre. Parfois elle l'accompagnait. Excuse magnifique pour être suspendu à son bras, marcher à ses côtés tout en sentant son parfum et palper la fermeté de ses muscles sous sa veste.

Le soir arrivait et les dîners étaient toujours longs après les représentations. L'air froid cédait toujours face à la chaleur ambiante de la maison. Quel délice de passer cette porte pour être auprès d'elle et plonger dans la douceur d'un regard vert. Toutefois ... quand arrivait l'heure d'aller se coucher, la solitude de l'alcôve et la froideur des draps restaient égales à elles-mêmes. Sophie allumait la cheminée toutes les nuits dans l'alcôve de Candy mais la jeune fille sentait que la froideur de son corps la saisissait jusqu'aux os.

- Aimerais-tu aller faire un tour en voiture avec moi à Central Park ce matin ? demanda un jour Terry, essayant de soutenir le journal comme s'il le lisait. Il paraît qu'il va enfin y avoir du soleil aujourd'hui.

- Tu ne vas pas répéter comme d'habitude ? demanda-t-elle intriguée.

- Non, hier c'était la trentième représentation. Après cela, je n'étudie plus le rôle. Je vais me prendre quelques jours de liberté le matin avant d'en apprendre un nouveau. Tu veux sortir avec moi alors ?

- Oui, évidemment. Ce sera un changement agréable. Donne-moi seulement un moment pour me changer.

Avec la même allégresse avec laquelle elle recevait la proposition d'une promenade à l'époque du collège, la jeune fille monta rapidement à sa chambre. Pour Sophie, il fut difficile de satisfaire sa maîtresse à cette occasion

- Le vêtement de laine rouge ?

- Non, trop formel.

- Celui de crêpé de soie couleur pêche ?

- Trop léger et il ne va avec aucun de mes manteaux.

- La combinaison violette ?

- Non. Elle ne me sied pas bien aux hanches.

La domestique, toujours patiente, était sur le point de perdre son sérieux, quand Madame donna enfin son approbation pour une combinaison de deux pièces vert foncé avec un chemisier noir et une blouse blanche. Le résultat était toutefois hautement satisfaisant pour la domestique qui, ayant travaillé auparavant pour Elisa Legrand, ne pouvait éviter de les comparer. Mademoiselle Legrand était belle mais il lui importait beaucoup de mettre ses tenues en valeur par des poses étudiées. Sa nouvelle patronne, par contre, était une beauté naturelle, sans prétention. Sophie ne parvenait pas à comprendre pourquoi  Candy était devenue tellement nerveuse ce jour-là pour une simple sortie au parc. Quoiqu'elle porte, elle était quand même charmante.

Le franc regard d'admiration que lui donna Terry en descendant les escaliers fut la meilleure récompense pour Candy qui dut dissimuler un sourire de satisfaction sous le voile de son chapeau. Le jeune homme étendit le bras et tandis que tous les deux sortaient, il continuait à penser aux charmantes boucles blondes de la jeune femme sous le lustre noir de ce chapeau à plumes. Il se rappela alors la nuit de noces et vit à nouveau ces boucles libres des liens qui les soutenaient. Quels désirs de les voir dispersés sur son lit et de s'y emmêler !

- Un cabriolet ? Quelle curieuse idée ! s'exclama Candy en descendant de la voiture et en voyant la calèche qui les attendait.

- Tu vas adorer ! Il n'y a rien de mieux qu'une promenade dans Central Park de cette manière , répondit Terry, devant abandonner ses fantaisies avec les boucles de Candy quand ils arrivèrent sur les lieux.

La jeune femme s'approcha des chevaux et commença à leur caresser la peau lisse de ses gants noirs. Terry, souhaitant dans le fond avoir la chance d'être à la place du cheval, décida qu'il était mieux de se concentrer sur les instructions à donner à son chauffeur et ensuite au voiturier de la calèche s'il voulait maintenir le calme durant le reste de la promenade.

- Es-tu prête ? demanda-t-il en se retournant finalement vers elle.

- Bien sûr, répondit Candy en acceptant la main qu'il lui offrait pour l'aider à monter dans la calèche.

C'étaient les premiers jours de novembre et le froid automnal se sentait à travers les rayons du soleil bien que la matinée soit bien avancée et que le ciel soit relativement dégagé. Toutefois, sous la protection de la toile du cabriolet et de tous les vêtements qui couvraient le giron de Candy, elle se sentait plus que bien. Etant habituée à la dureté de l'hiver de l'Illinois, une promenade à l'air libre en un jour ensoleillé d'automne était aussi agréable qu'un jour de printemps à la campagne, bien que l'enchantement soit différent.

Les arbres dorés paraissaient se dénuder au fil du temps, quand le vent agitait le feuillage en faisant tomber les feuilles sèches au sol. Une couple d'inconnus marchant lentement le long des voies, un autre passant solitaire, le marchand de glaces, les yeux lumineux des enfants et le son des sabots des chevaux paraissaient se mélanger en formant un seul spectacle qui se dévoilait en des couleurs et des sons aux sens en éveil de la jeune femme.

- Tout monde paraît avoir eu l'idée de sortir ce matin, commenta la jeune blonde avec une joie qui faisait que Terry oublia momentanément ses préoccupations.

- Dieu sait quand nous aurons à nouveau un jour ensoleillé comme celui-ci. L'hiver approche, Candy, et avec lui les activités à l'air libre seront chaque fois plus sporadiques, lui répondit-il simplement.

- Mais quand il y aura de la neige il y aura toujours la possibilité de se promener en traîneau ou de patiner. Quand j'étais enfant, personne ne me battait dans les batailles de boules de neige ! commenta-t-elle ouvertement en se rappelant ses loisirs infantiles.

- Il n'est pas né celui qui te pourrait te battre !!! Fin de la discussion, fit-il remarquer avec un geste de sa main droite en guise de fin.

- Celui qui t'entend doit penser que je suis un énergumène qui cherche la bagarre partout où elle passe, objecta-t-elle en fronçant les sourcils.

- La personne en question en est justement persuadée et ne fronce pas le nez car on n'en remarque que plus tes taches de rousseur, répondit-il en portant son index à son propre nez et en pliant la commissure de ses lèvres dans un sourire taquin et facétieux.

- Tu ne changeras jamais n'est-ce pas?  lui répondit-elle en se disant pour elle-même que la fossette qu'elle remarquait dans la joue gauche de Terry quand il souriait était tellement charmante qu'elle pouvait lui pardonner n'importe quoi en ce moment.

- Génie et figure ... mentionna-t-il en soulevant un sourcil. Je crois déjà t'avoir dit que c'était la raison pour laquelle j'aimais le théâtre. Tu te rappelles ?

- Parce que tu peux vivre beaucoup de vies ... être prince ou mendiant, tuer au service de la justice, lui répondit-elle, rappelant ainsi les mots précis du jeune homme à cette occasion.

- ... et tu peux aussi tomber amoureux, conclut-il étonné qu'elle se souvienne de ce moment avec la même clarté que lui.

En sentant le regard du jeune homme sur elle, elle se sentit péniblement tendue, et Candy tourna de nouveau son attention vers le paysage.

- Nos vies ont tant changé depuis lors, dit Terry en déviant le regard vers les boutons de son manteau.

- Dans ton cas, les changements ont été en bien, répondit-elle avec à peine un brin de voix - L'autre soir, durant la fête à l'hôtel, j'ai pu sentir que la décision de laisser ton père pour suivre tes rêves a été le meilleur que tu aies pu avoir fait. Tu es né pour la scène, pour l'art, pas pour la Chambre. De toutes manières, tu aurais été un législateur paresseux et fainéant, ajouta-t-elle à la fin sur un ton malicieux.

- Je peux déjà dire que je ne m'attends pas à ce que tes éloges mènent à quelque chose de positif, répondit-il à son tour d'une manière malicieuse.

- On ne gagne que ce qu'on mérite, argumenta Candy, se sentant beaucoup plus à l'aise par le tournant qu'avait pris la conversation.

- Si c'est ainsi que sont les choses, j'aurais cru au moins gagner un baiser pour m'être promené avec toi en cette si belle matinée, répondit-il, une lumière vivace dans le regard tandis qu'il se rapprochait dandereusement pour être plus proche de la jeune femme.

- Celui qui prétend recevoir une récompense pour un geste gentil trahit ses bonnes intentions , répondit-elle rapidement en se déplaçant à l'extrémité du siège.

- Et celui qui ne manifeste aucune gratitude pour une faveur reçue se transforme en ingrat, dit-il, s'amusant du jeu en question.

- La gratitude peut être exprimée par de nombreuses manières différentes. C'est un privilège que quelqu'un peut manifester au moment voulu et de la manière qui lui paraît la plus adéquate, répondit la jeune femme chaque fois plus combative dans ce duel verbal.

- Dois-je comprendre que tu me manifesteras ta gratitude tôt ou tard ? s'enquit le jeune homme en levant le sourcil.

- Précisément, mais tu ne devras rien attendre de spécifique, signala-t-elle en agitant son index en signe de négation.

- Pas même un baiser ? insista-t-il en inclinant le visage pour raccourcir de nouveau la distance entre eux deux.

- Je choisirai ce que tu mérites réellement, répondit Candy en sentant qu'elle ne pourrait pas résister à cette offensive de séduction de Terry si elle ne parvenait pas rapidement à modifier le cours de la conversation.

- Je ne crois pas que je puisse avoir confiance en ton jugement. Tu finiras par m'offrir un crapaud !  rétorqua Terry avec une grimace d'ennui croisant ses bras sur son coffre.

- Ce n'est pas une mauvaise idée. Une mascotte est toujours une bonne compagnie !

Le jeune homme allait dire quelque chose pour protester quand le voiturier les informa que la promenade était arrivée à sa fin.

*******************

Les regards de tous les membres du Country Club se retournaient pour admirer le pas léger d'une paire de bottes de peau foncée, des yeux verts profonds, un chapeau d'une demi-tête orné d'une voilette de soie blanche et un visage fin encadré par de délicates boucles blondes. Soutenue par le bras de Terry pour calmer sa nervosité imperceptible, Candy avançait dans les salons du club, en se sentant enveloppée par les yeux de la société new-yorkaise.

- C'est Terrence Grandchester et son épouse, la millionnaire de Chicago, se murmurait-il entre les tasses de thé et les verres de brandy.

- Elle est jolie, dit un jeune gentleman.

- Mais il existe sûrement plusieurs millions de raisons supplémentaires pour lesquelles il l'a épousée, commentait un financier derrière le nuage de fumée de son cigare.

- On dit que les André ont acquis une alliance avantageuse avec l'aristocratie anglaise par cette union, suggéra une dame en laissant reposer sa cuillère d'argent sur un plateau.

- Un mariage de convenance alors, avec avantage pour les deux parties, ajouta une autre dame, comme il se doit de l'être...

- Même sans la fortune, la beauté de cette femme vaudrait la peine, insista le jeune homme.

- Belle ? s'offusqua la première dame. Allons ... Trop blonde !

Terry pouvait sentir la tension de la jeune femme à travers les doigts que Candy avait posés sur son bras. Il couvrit instinctivement la main de son épouse avec les siens pour lui inspirer confiance, prolongeant ainsi le contact charnel accompagné d'une sensation de bien-être que ce geste produisait.

« Je ne peux l'éviter. J'aime sentir la manière dont ils la regardent ma femme » se disait il, « En ce moment peu importe qu'elle ne soit pas mon épouse au lit comme en public. Au moins ici, aux yeux de tous, elle est la mienne ... et qui sait ... peut-être que tôt ou tard, avec un peu de patience, son coeur accèdera à m'aimer comme avant. »

- Peux-tu maintenant me dire en quoi consiste la surprise dont tu avais parlé ? demanda Candy, sortant ainsi Terry de ses méditations, une fois qu'ils eurent laissé les salons du club et qu'ils se dirigeaient vers les écuries.

- Juste une seconde. Je veux te montrer quelque chose d'intéressant, lui répondit-il en la conduisant entre les stalles et en la menant jusqu'à un cheval noir doté d'une tache blanche sur la tête, qui les regardait de ses yeux foncés et brillants.

- Qu'il est beau ! s'exclama la jeune femme en saluant l'animal avec un sourire. Il ressemble un peu à la jument d'Elisa, Cléopâtre. J'ai veillé sur elle pendant un moment et nous étions devenues les meilleurs amies du monde, tu sais !

- Celui-ci n'est pas une jument. On l'appelle Sultan et la surprise dont je t'ai parlé se trouve dans ton dos, répondit Terry, attendant de voir la réaction de la jeune fille.

Candy tourna le visage avec impatience. Ses yeux curieux rencontrèrent un regard bleu ciel qui l'observait avec une douce sérénité et un sourire franc qu'elle connaissait très bien.

- Albert ! s'exclama la jeune femme partagée entre l'étonnement et la joie. Par tous les cieux, Albert ! C'est vraiment toi !

Débordante de bonheur, la jeune fille jeta ses bras autour du cou de son ami, l'embrassant avec force.

- Attention, Candy, tu vas étrangler ce pauvre homme ! On dit bien qu'il y a des amours qui tuent, rit Terry de bon coeur, satisfait de voir Candy si heureuse.

- Je m'excuse, Albert, mais c'est que je suis très heureuse de te revoir, répondit la jeune fille en se détachant de son ami.

- Je suis aussi très heureux de voir à nouveau mon infirmière préférée, dit Albert sans perdre le sourire éblouissant qui le caractérisait.

- Mais qu'est-ce que tu fais ici à New York ? demanda Candy intriguée, tandis que d'innombrables questions sur son mystérieux ami lui envahissaient à nouveau la tête.

- Tu sais déjà que je voyage toujours à la recherche de nouveaux paysages. Pour le moment, je travaille ici, dans les écuries de ce club. Les chevaux font partie de mes animaux préférés.

- Pour le moment, il me fait la grande faveur de veiller sur Sultan. Personne ne peut comme Albert s'occuper d'un garçon aussi inquiet que lui, commenta Terry en faisant une caresse à son cheval. Pour sûr, j'imagine que vous avez tous les deux beaucoup à vous raconter, donc je vous laisse seuls tandis que Sultan et moi allons faire un tour.

En disant cette dernière phrase, le jeune homme monta avec habileté sur l'animal qui était déjà prêt pour la promenade et sortit des écuries en laissant les deux amis pour qu'ils conversent à leur guise. Une fois seuls, Albert et Candy marchèrent le long des stalles tandis que l'homme montrait à sa jeune amie tous ses « garçons ». C'était comme s'ils n'avaient jamais été séparés, ils étaient tellement bien l'un avec l'autre.

- Candy, je voudrais te demander de m'excuser, osa dire Albert après un bon moment.

- Pourquoi ? demanda la jeune fille étonnée.

- Pour avoir abandonné l'appartement sans préavis. Tu as été la meilleure des amies pendant toute ma maladie et cela m'a énormément peiné de devoir disparaître comme je l'ai fait une fois que j'ai retrouvé la mémoire.

- Ne t'inquiète pas pour ça, Albert, répondit la jeune femme avec un sourire doux. Je savais déjà que cela se produirait tôt ou tard, bien que je doive admettre qu'au début, je me suis sentie très triste en me retrouvant de nouveau seule.

- Cela je l'ai imaginé. Crois-moi, si les choses avaient pu être différentes, je ne me serais jamais séparé de toi mais quand j'ai retrouvé mon passé, je me suis rappelé que je devais régler certaines affaires personnelles qui ne pouvaient pas attendre.

- Je comprends. Tu ne dois pas me donner d'explications. Après tout, je sais bien que tu as pris de mes nouvelles. Quand j'ai eu besoin que quelqu'un m'aide, tu as répondu présent, comme toujours. Je n'oublie pas que c'est grâce à toi que... tu sais bien ... que j'ai pu échapper à Daniel, répondit la jeune femme en levant les yeux et en baissant la voix.

- N'en parlons plus, se dépêcha de dire Albert avec une négation de tête. J'ai seulement eu une idée opportune, c'est Terry qui a réellement sauvé la situation. Pour sûr! Comment trouves-tu ta vie auprès de lui ? J'espère que vous survivez l'un à l'autre ... au moins pour le temps que vous devrez être ensemble, ajouta Albert sur un ton de plaisanterie, mais une ombre dans le regard de la fille lui confirma ce qu'il savait déjà parfaitement.

- Oh, Albert ! Parfois je ne sais plus quel sentiment avoir avec tout ceci, s'encouragea-t-elle à dire avec un soupir.

- C'est si difficile à supporter ? demanda Albert en s'arrêtant face à une stalle où attendait un cheval d'un blanc immaculé.

- Au départ, les choses ont été difficiles parce que Terry se montrait froid et distant. Il s'est ensuite montré davantage gentil et puis froid à nouveau. Nous nous sommes ensuite disputés et nous nous sommes dit des choses horribles.

- Allons ! Je pensais que ces changements d'humeur tellement violents entre vous étaient choses du passé, de l'époque où vous étiez amoureux. J'imaginais que maintenant les choses seraient différentes, commenta Albert en feignant la surprise.

Candy baissa les yeux, en se demandant si elle pouvait partager avec Albert ses sentiments, comme auparavant.

- Qu'est-ce qui se passe, Candy ? demanda le jeune homme en remarquant le silence de la jeune femme. Est-ce faux ? Peut-être ressens-tu encore quelque chose pour lui ?

La jeune blonde tourna son visage en prétendant observer le pelage blanc du cheval qui la regardait avec curiosité. Après un moment de lourd silence , Candy acquiesça de la tête, sans en dire plus.

- Et lui? Sais-tu s'il ressent encore quelque chose pour toi ? s'enquit Albert avec un ton calme et affectueux qui faisait que, même en pleine tristesse, Candy récupèrait un peu de la tranquillité qui manquait à ses nuits.

- Lui je ne sais pas, lui répondit-elle à la fin avec une voix enrouée. Dernièrement, les choses vont bien entre nous et quelqu'un m'a également dit qu'il me désirait encore, mais je voudrais l'entendre de ses lèvres, tu comprends ? Parfois, je pense que cette année passera entièrement sans qu'il me fasse le moindre signe concret et qu'à la fin nous devrons nous séparer pour toujours.

- Allons, Candy, il ne te faut pas être aussi pessimiste, l'encouragea-t-il en lui mettant une main sur l'épaule. Tu n'as jamais été de celles qui abandonnent sans lutter. En outre, as-tu jamais pensé qu'il attend peut-être lui aussi un signe de ta part ?

La jeune femme leva lentement sa tête blonde en dirigeant un regard incrédule vers son ami.

- Tu crois ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

- Peut-être. Prends en compte que Terry a vécu une enfance très différente de la tienne, Candy, répondit Albert. Bien que ce soit ironique, toi, en grandissant dans un orphelinat, tu as reçu davantage d'affection et d'attentions que lui bien qu'il soit né en berceau noble. Pour Terry, il n'est pas facile de laisser voir les choses qu'il a à l'intérieur. En outre, tu dois te souvenir qu'il a traversé des périodes douloureuses.

- Mais je n'ai jamais rien fait pour le blesser, c'est seulement les circonstances, se défendit-elle avec véhémence.

- Je suis d'accord, mais t'es-tu demandé comment il les voit ?

Candy allait répondre à cela quand le son des sabots de Sultan interrompit la conversation.

- J'espère que vous avez eu suffisamment de temps pour dire du mal de moi parce que j'ai le regret de vous dire que c'est terminé, commenta Terry, avec une étincelle malicieuse dans le regard qui désarmait ses mots de leur charge sarcastique, devenant ainsi inoffensifs.

- Nous chercherons une autre meilleure occasion, répondit Albert avec la même intention taquine, tandis que Terry mettait pieds au sol.

- En parlant d'occasions, continua le jeune brun, je voudrais profiter de ta présence pour que tu sois un arbitre dans un compte en suspens entre Candy et moi.

La jeune fille, surprise par les mots de Terry, ne cessait d'observer le regard d'entendement mutuel entre les deux hommes qui lui parut pour le peu suspect. Si Albert et Terry projetaient de lui faire une mauvaise plaisanterie, elle n'était pas disposée à se laisser vaincre par ces deux gaillards, même si elle les aimait énormément tous les deux.

- De quel compte en suspens, parles-tu, puis-je savoir ? s'enquit-elle, provocante.

- D'un certain pari que tu as toi-même suggéré de faire à nouveau, lui répondit-il avec un regard qui paraissait dire « je t'ai attrapée ».

« Voilà ! Tu l'as toi-même cherché. » se dit-elle, fâchée contre elle-même, « Si tu pensais que Terry oublierait cette affaire inachevée.. Prends garde ou tu vas à nouveau tomber dans un autre pari avantageux. »

- Un pari ? Cela me paraît intéressant, répondit Albert amusé en observant la charge électrique qu'on sentait courir entre le couple.

- Et sur quelle chose allons-nous parier ? s'encouragea à demander Candy avec méfiance.

- Sur les chevaux, comme toujours, répondit Terry avec un accent innocent auquel ni Candy ni Albert ne crurent. Mon Sultan contre le cheval qu' Albert lui-même choisit pour toi.

- Pour moi ? demanda-t-elle chaque fois plus sûre que les choses allaient de mal en pis.

- Oui, une courte course aller-retour entre toi et moi. Je suggère qu' Albert lui-même choisisse parmi les chevaux qui sont la propriété du club, un qui serait un rival propice à se mesurer avec Sultan. Tu ne douteras pas de notre ami ou bien si ?

Candy regarda à nouveau Albert, convaincue de l'intégrité de son ami, mais pas de sa bonne humeur et de ses désirs de lui faire une bonne plaisanterie.

- Évidemment que j'ai confiance en lui, mais au moins me permettras-tu d'essayer le cheval avant de faire la course, dit-elle avec précaution.

- C'est évident, accepta Terry avec naturel et donc, en se retournant vers le jeune homme blond, il lui demanda: Quel cheval proposes-tu ?

- Celui-là, répondit Albert en caressant le cheval blanc à ses côtés. Son nom est Aldebarán, comme l'étoile. N'est-ce pas une beauté ? Les propriétaires du Club viennent de l'acquérir et ils pensent le vendre dans une adjudication.

- Ne crois-tu pas avoir des problèmes si tu permets qu'elle coure ? demanda Candy sceptique.

- Absolument pas. J'en ai la charge et je dois assurer qu'il fasse constamment de l'exercice. Si quelqu'un se demande pourquoi je t'ai laissé monter, je leur dirai simplement que tu souhaites prendre part à l'adjudication et que tu voulais l'essayer.

En disant ceci, le jeune blond sella Aldebarán sous le regard incertain de Candy qui ne cessait encore de penser que Terry lui tendait un de ses mauvais pièges. Toutefois, le tour que Candy fit le long du Club sur le cheval, au trot d'abord et ensuite au galop, lui démontra que l'animal était magnifique et rapide. Au moins, elle pouvait être rassurée quant au choix de sa monture.

Après avoir testé le tempérament d'Aldebarán, Candy fit un parcours sur le circuit que Terry avait suggéré pour la course et une fois de plus, rien d'anormal ne paraissait transparaître. Le seul inconvénient apparent se situait dans la plus grande expérience que Terry avait en tant que cavalier. Toutefois, il semblait qu'elle ne pouvait pas se dérober au pari.

- Qu'est-ce que tu en penses ? Es-tu prête à me donner une juste revanche? demanda Terrence quand la jeune femme descendit du cheval.

- Je ne sais pas ... hésita-t-elle en regardant Terry de loin. Disons que je ne suis pas une exellente amazone.

- Je le savais ! Tu as peur. Ne te l'avais-je pas dit, Albert ? J'en étais sûr !

- Ce n'est pas de la lâcheté, simplement du bon sens, répondit encore la jeune femme en laissant Albert avec les mots en bouche - Tu es meilleur cavalier que moi. Tu as tout pour gagner et ça ne me parait pas juste.

- Tout est relatif, intervint l'homme blond avec sa sérénité habituelle. Aldebarán est un cheval très bien dressé et a un tempérament beaucoup plus obéissant que Sultan. C'est justement pour cela que je l'ai choisi pour toi. Tu n'auras pas de problèmes en le montant.

Candy interrogea Albert du regard en le fixant des yeux mais une fois de plus, elle ne put rien voir dans l'expression du jeune homme ressemblant à quelque chose qui n'était pas de l'honnêteté.

- Bien !  Vu comme tu présentes les choses, j'accepte, dit-elle finalement. Puis-je savoir à quel type de pari tu penses? demanda-t-elle ensuite en s'adressant à Terry.

- Cela devra être quelque chose d'intéressant parce que tu dois savoir que, malgré ce que dit Albert, je ne projette pas de perdre ce pari, répondit le jeune homme avec un éclat de malice dans le regard. Que dirais-tu si nous risquions un prix de valeur ? Quelque chose comme un chèque signé en blanc pour le percevoir au moment où nous le souhaitons.

- À quoi fais-tu référence? s'enquit-elle intriguée, tandis qu' Albert lui-même surveillait aussi son ami avec curiosité.

- Celui qui gagne aura le droit de demander au perdant d'accomplir un désir et celui-ci devra vraiment le faire, quoi que ce soit.

- Quoi que ce soit ? suffoqua Candy alarmée. Je n'aime pas cette idée ! Il y a trop d'ambiguïté...

- Donc si tu n'acceptes pas, oublions l'affaire. Moi, en ce qui me concerne, je ne suis pas intéressé par parier rien de moins que cela, insista-t-il avec de nouveau, à la fois de la fermeté et de l'ironie dans la voix. Il ajouta ensuite:  J'ai toujours su que tu n'oserais pas.

Les heures suivantes, quand elle fut de retour dans sa chambre, Candy eut le temps suffisant pour se récriminer de son instant de lâcheté pour n'avoir pas su résister à la provocation de Terry. Il avait dit qu'il ne souhaitait pas parier si elle n'acceptait pas sa proposition. N'était-ce pas là une excellente occasion pour abandonner la situation dangereuse avec dignité ? Elle devait seulement dire non!
- C'est clair ! Je devais en finir de cette manière pour sauver la face ! se récrimina amèrement la jeune femme. Pourquoi dois-je me comporter si stupidement quand il s'agit de Terry ?

Après coup, les choses s'étaient révélées beaucoup plus humiliantes qu'un retrait prudent. Candy avait fini par accepter le pari de Terry et quelques minutes plus tard, il le gagnait de quelques faibles mètres. Tout était arrivé trop vite. Aldebarán était effectivement un excellent cheval mais l'habileté de Terry en équitation était parvenue à dominer les ardeurs de Sultan et à faire ressortir le meilleur de sa rapidité. Candy savait qu'elle s'était bien battue et qu'à plus d'une occasion, elle avait été sur le point de prendre l'avantage dans la course ; cependant l'expérience du jeune homme avait dominé sur l'instinct de la jeune blonde. En fin de compte, peu importait d'être sorti de la compétition honorablement ... le fait est qu'elle avait perdu et que par conséquent, elle était à la merci de la malice de Terry.

- C'est bon !!! Vous n'avez pas besoin de me regarder de cette manière tous les deux, avait-elle menacé Albert et Terry en descendant du cheval quand la course fut terminée. Je ne veux pas de commentaires, dis moi seulement ce que je devrai faire pour toi, Terry.

- Je ne vois pas pourquoi tu es si pressée, lui répondit le jeune brun avec une tranquillité qui exaspéra sa femme. En outre, je n'ai pas encore pensé au souhait que j'aimerais que tu m'accordes. Laisse-moi y réfléchir pendant quelques jours ... peut-être quelques semaines. Quand ce sera prêt, je te le ferai savoir.

Ainsi en étaient restées les choses. Cela ne pouvait pas tout simplement être pire.

*********************

Les feuilles du calendrier continuaient à diminuer lentement mais les anxiétés de Candy paraissaient augmenter. Ironiquement, la sensation d'incommodité que la jeune femme ressentait depuis le jour du pari ne paraissait pas être du tout rationnelle. La vérité était que Terry lui avait démontré dans plus d'une occasion durant les années où ils se côtoyaient, qu'il ne profiterait jamais des circonstances pour faire du mal à quelqu'un. Soit il pouvait lui faire subir une plaisanterie, soit utiliser sa situation avantageuse pour être charmeur avec elle de la manière irrévérencieuse selon laquelle il avait l'habitude de le faire mais il n'utiliserait jamais la parole que la jeune fille avait engagée pour la forcer à faire quelque chose qu'elle ne souhaitait pas. Autrement dit, Candy connaissait Terry suffisamment pour savoir qu'il n'oublierait jamais qu'elle était une dame et lui un gentleman.

Malheureusement tout ce qui précède n'était pas une garantie que, dans le processus, il ne lui fasse essuyer une bonne plaisanterie où Terry serait en position de deviner les sentiments que Candy essayait désespérément de dissimuler. C'était ce qui était à craindre au moment où il déciderait finalement quel était le désir qu'elle devrait accomplir.

Sans le savoir, dans le processus compliqué entre maintenir l'espoir et feindre l'indifférence, la jeune femme était redevenue un peu plus réservée. Ce changement d'attitude éveilla rapidement la préoccupation de Terry, qui en oublia son jeu - du moins temporairement – et commença à se demander comment il pouvait rétablir à nouveau entre eux une atmosphère de trêve.

- Je pense que cette époque de l'année est fabuleuse pour aller en pique-nique, commenta-t-il un soir après le dîner.

L'incohérence apparente de l'affirmation du jeune acteur attira immédiatement l'attention de Candy: cette dernière cessa d'observer avec fixité les formes géométriques de la vaisselle qui restait encore sur la table.

- Tu es fou ? demanda-t-elle, partagée entre l'étonnement et l'amusement. Le matin, nous avons une température de 5 degrés, les prairies sont totalement impraticables et les arbres n'ont pas de feuillage. Comment peux-tu penser à aller faire un pique nique en de tels jours ?

- Quelqu'un qui a la capacité de voir les choses depuis un angle différent des autres, lui répondit-il en se levant de sa chaise. Il y a un lieu dans le Bronx où il y a des feuillages verts et la température est aussi chaude qu'à l'intérieur de cette maison. C'est un excellent lieu pour manger dans une atmosphère semblable à l'air libre. Intéressée ? demanda Terry en remarquant que les yeux de la jeune femme étaient ouverts de part en part en signe d'attention.

- Oui, c'est clair. Ce lieu dont tu parles parait merveilleux. À quoi fais-tu référence ?

- Je te laisse la surprise. Si tu acceptes d'aller faire un pique nique avec moi, je t'emmènerai en ce lieu. Après tout, n'oublie pas que tu m'as dit une fois que nous en ferions un ensemble et que nous n'avons pas encore pu le faire. Tu te rappelles ?

Candy resta muette pendant quelques instants. Évidemment qu'elle se souvenait de cette occasion. C'était un beau matin de printemps où tous les deux parlaient de leur enfance à l'ombre de l'arbre de la Seconde Colline de Pony. La jeune femme pouvait à peine croire qu'il se rappelle ce moment.

- Oui, je m'en souviens bien, lui répondit-elle finalement.

- Alors quoi ? Tu acceptes ?

- Oui. Faisons-le, répondit-elle avec un léger sourire et il se félicita d'avoir obtenu son affection.

Cette même nuit, Candy écrivait à la Maison de Pony les nouvelles quotidiennes habituelles tandis qu'elle se rappelait sa dernière conversation avec Terry. Pour sa part, dans la partie arrière de la maison, dans la section des chambres des domestiques, Sophie écrivait aussi une lettre.


Chapitre 8 – Erreur de jugement

Les yeux verts de Candy reflétèrent avec étonnement la verdure des feuillages autour d'elle. Avec sa capacité habituelle à se faire une fête des détails les plus simples, la jeune femme dévorait de l'esprit et du regard la beauté inattendue de la serre gigantesque du Jardin Botanique du Bronx. La faible lumière automnale était librement filtrée à travers les cristaux énormes de la construction victorienne et, à l'intérieur, les plantes luisaient d'une vivacité inhabituelle.

- Je n'aurais jamais pensé qu'il existe un lieu comme ça en plein hiver, s'exclama-t-elle tandis qu'au fond d'elle-même, elle pensait que marcher au bras de Terry était devenu une agréable habitude pourvu qu'ils soient en public.

- J'imaginais que tu aimerais, lui répondit-il ayant plaisir à voir l'enthousiasme que le lieu avait réveillé en elle. C'est comme couper un morceau d'été et pouvoir l'utiliser à la maison pour le regarder à n'importe quelle époque de l'année, non ?

- C'est joli, vraiment très joli. Merci de m'y avoir emmenée, ajouta-t-elle ébauchant un léger sourire derrière la voilette en tulle de son chapeau.

Le couple marcha le long des allées de la serre en admirant les plantes jusqu'au moment où ils  trouvèrent un banc à l'abri d'un rosier à la taille gigantesque. Là, ils décidèrent de prendre les rafraîchissements qu'ils avaient apportés et conversèrent avec animation. Entre-temps, la jeune blonde installa les aliments sur une petite nappe sur le siège du banc, un sourire se dessinant sur ses lèvres, comme si une mauvaise idée vagabondait dans son esprit.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il intrigué et amusé à la fois. Est-ce que les couverts ont raconté une blague que je n'ai pas entendue ? Tu devrais au moins avoir la décence de la partager.

- Ce n'est pas une blague, rit-elle, en arrangeant les sandwichs et la salade sur les plateaux. C'est seulement un souvenir d'enfance. Parfois, je t'ai raconté qu' Annie et moi allions très souvent pique-niquer pendant les jours de printemps. Nous aimions aller à la cueillette des fleurs sauvages sur la Colline de Pony et nous faire des colliers avec.

-Oui, je crois me souvenir, mais je ne vois pas le rapport, insista-t-il, curieux, tout en jouant avec la salade dans son assiette. En vérité, il avait davantage faim des sourires de Candy que d'autre chose.

- Bon, ce qui arrive est que je viens de me rappeler qu' à l'une de ces occasions, nous avions emporté avec nous la bouteille de vin que Mademoiselle Pony gardait dans son bureau.

- Vous avez volé la liqueur de cette brave dame ? ça devait certainement être une idée à toi ! Tu devrais avoir honte, répondit Terry en feignant l'indignation et en croisant les bras en signe de désapprobation.

- Je sais que ça n'a pas été la meilleure idée que j'ai pu avoir mais j'ai imaginé que si Mademoiselle Pony la gardait avec tant de soin, c'est qu'il devait s'agir de quelque chose de très bon. D' une certaine manière, l'occasion méritait d'être couronnée par quelque-chose d'exceptionnel, répliqua-t-elle en mordant dans son sandwich sans perdre de son innocence dans son attitude.

- Et puis-je savoir ce que cette occasion avait de si important ? s'enquit le jeune homme en levant un sourcil avec incrédulité.

- Nous n'avions que six ans et Annie traversait un de ces jours où elle se sentait plus triste que de coutume de ne pas avoir de parents, donc il fallait faire quelque chose de spécial pour la réjouir.

- Autrement dit, et bien que tu sois seulement une gamine, tu avais deviné que l'alcool était un bon remède pour les peines. Quelle intuition ! commenta-t-il moqueur.

- Je n'avais pas la moindre idée de ce que les gens pensaient de la boisson, mais ce même après-midi, Annie et moi avons pu vérifier que le vin n'agissait pas comme la limonade et qu'il avait des effets très curieux sur les gens.

- Je peux déjà me l'imaginer, deux jeunes criminelles volant et buvant à la dérobée. Cela a dû être un spectacle terriblement honteux, la condamna-t-il avec une sévérité feinte.

- Allons, n'exagère pas. Je connais d'autres histoires d'ébriété qui sont beaucoup plus honteuses. Dois-je peut-être te rappeler quel était ton passe-temps préféré à l'époque du collège, Terrence ? lui répondit-elle toujours amusée par le jeu verbal. Toutefois, loin de répondre avec son ironie juteuse habituelle, les yeux de Terry perdirent leur éclat et le silence les remplaça quelques instants.

- Qu'est-ce qui se passe, Terry ? demanda la jeune femme, préoccupée, ai-je dit quelque chose de mal ?

- Non, tu as seulement dit la vérité, lui répondit-il en déviant le regard tandis qu'il laissait l'assiette sur le banc, l'alcool et moi avons une histoire dont je ne peux pas me sentir fier.

- Je... je n'ai pas voulu dire cela, affirma Candy étonnée de l'air éloigné et solennel qui avait envahi l'expression du visage de Terry. Je ne peux pas dire que j'approuvais les choses que tu faisais déjà à l'époque du collège, mais il y a de cela bien longtemps. Depuis que tu as laissé l'Angleterre, tu as beaucoup changé ... en bien, l'encouragea-t-elle avec le ton le plus doux que pouvait produire sa voix.

Le jeune homme appuya son dos sur le dossier du siège et en détendant le corps comme en signe de fatigue, il laissa échapper un soupir.

- Puis-je te poser une question personnelle, Candy ? demanda-t-il finalement après un silence inconfortable. La jeune femme réussit seulement à acquiescer de la tête, tellement intriguée par l'attitude sérieuse voire mélancolique que le jeune homme avait soudainement adoptée. Dis moi s'il te plaît, pourquoi tu t'obstines toujours à voir des vertus qui n'existent pas dans chaque personne qui t'entoure.

- Je ne te comprends pas, répondit-elle plus incertaine.

- Je veux dire que tu penses trop de bien des autres, et le pire est que tu ne fais pas exprès pour feindre de la bonté ou de la naïveté, mais c'est parce que tu le perçois réellement ainsi. Pourquoi, Candy ? Ne te rends-tu pas compte que tôt ou tard nous finirons tous par te décevoir ? s'enquit-il en la regardant à nouveau directement dans les yeux et la jeune fille put sentir un froid inconnu lui envahir l'épine dorsale. Il y avait dans le regard de Terry un éclat d'angoisse qui, dans le contexte de ses paroles, constituait pour Candy un véritable mystère.

- Chaque personne voit des choses différentes dans les autres, lui répondit-elle d'une voix tellement faible que Terry dut incliner la tête un peu plus pour pouvoir l'entendre. Je ne suis pas aussi bonne que tu le penses. Intérieurement, je suis arrivée à haïr Daniel et Elisa. C'est un sentiment horrible qui fait beaucoup de dommages et il te laisse un vide glacial dans la poitrine... mais la plupart des personnes que j'ai connues ne sont pas ainsi. Pourquoi ne dois-je pas croire en eux ?

- Parce que nous pouvons te blesser, lui répondit-il en osant prendre entre ses doigts une boucle rebelle qui était parvenue à s'échapper de la coiffure de la jeune femme et qui lui caressait la joue gauche.

- Tu ferais ça ? Crois-tu que je serais déçue par toi ? demanda-t-elle en essayant de trouver une réponse à sa question dans le fond des yeux iridescents de Terry. Elle put seulement lire en ces derniers une tristesse réservée qu'elle ne pouvait pas comprendre. « Comme je voudrais pouvoir alléger cette éternelle mélancolie en toi, Terry. »

- Si je te racontais quelque chose que j'ai fait après... Il s'arrêta une seconde, ne voulant pas faire allusion directement au souvenir qu'il avait de leur séparation et qu'ils avaient tous les deux décidé de taire ... après ... après que j'ai laissé New York pour voyager sans direction fixe. Si tu m'avais vu alors, tu aurais sûrement eu honte de moi. Si tu savais que je ...

- Tais toi ! l'interrompit Candy en mettant ses doigts sur les lèvres du jeune homme dans un élan qui lui fit oublier l'intimité du contact. Je ne tiens pas cas de ce qui te tourmente. Quoi que tu aies fait de ta vie à ce moment-là appartient au passé. Ce que je vois maintenant est le Terry que j'ai toujours connu ... celui qui a un coeur noble et une âme libre. Il ne pourrait jamais me faire honte.

Surpris par cette manifestation de foi et d'affection, Terry se sentit un moment comme pétrifié. Toutefois, le lait suave des doigts de Candy pressés doucement sur ses lèvres commença peu à peu à lui brûler la peau. La jeune fille perçut aussi la tension croissante entre eux deux et pour la première fois se rendit compte que son geste était allé au-delà des limites de la propriété. Dans un mouvement réfléchi, Candy voulut retirer sa main mais Terry, anticipant son intention, retint alors les doigts de la jeune femme sur ses lèvres pour planter un baiser dans la paume blanche qui lui offrait une indulgence sensuelle furtive qu'aucun des deux n'attendait. La sensation fut brève mais laissa à tous les deux une délicieuse inquiétude qui elle, dura un long moment.

- Merci, murmura-t-il en libérant la main de Candy, non sans regretter la perte de cette chaleur douce et réconfortante qui lui avait couvert le visage pendant un instant.

- Non... ce n'est rien... je... commença à balbutier la jeune blonde, mais elle fut interrompue sèchement par un violent changement dans l'expression du jeune acteur. Les yeux du garçon paraissaient avoir rencontré quelque chose de désagréable au-dessus des épaules de Candy.

- Ne te retourne pas maintenant, dit-il en déviant le regard. Avec le plus grand naturel du monde, rangeons les affaires dans le panier et retournons à la voiture.

- Mais qu'est-ce qui se passe, Terry ? On dirait que tu as vu un fantôme, demanda-t-elle troublée par les mots du jeune homme.

- Fais seulement ce que je te dis et tout ira bien. Ensuite je t'expliquerai, lui répondit-il et tous deux se consacrèrent à rassembler leurs affaires.

Encore perturbée par tant d'émotions contradictoires vécues l'une après l'autre en si peu de temps, Candy se leva du banc en se réjouissant de pouvoir être soutenue par le bras de Terry. D'un pas lent, le jeune homme la guida par les allées de la serre en prétendant établir avec elle une conversation banale à laquelle elle prenait part par monosyllabes.

Finalement, après un tour le long du jardin qui lui parut éternel, Terry se décida à sortir vers le parking et à rejoindre la voiture.

- Peux-tu maintenant me dire ce qui m'a valu tant de mystère ? demanda Candy quand ils furent à bord du véhicule et que le chauffeur les reconduisait à Manhattan.

- J'ai vu un des individus qui marchent fréquemment devant la maison, dit-il et Candy lut brièvement un mélange d'indignation et de préoccupation dans le froncement de sourcils du jeune homme. En fait, je m'étais rendu compte de sa présence depuis quelques minutes mais j'ai laissé passer le temps pour vérifier s'il nous suivait. Il n'y a pas de doute maintenant dans le fait que quelqu'un porte beaucoup d'intérêt à vérifier chacun de nos mouvements. C'en est trop !

- Mais nous n'aurions pas dû sortir du jardin comme si nous avions peur de cet homme. Que pourrait-il faire dans un lieu public ? demanda-t-elle, prête à contrecarrer qui voudrait l'intimider.

- Je ne veux prendre aucun risque avec toi, Candy. Tu es sous ma responsabilité et ne pense pas l'omettre. C'est tout ! renchérit-il finalement si bien qu'elle ne fut pas encouragée à protester et garda le silence pendant un bon moment.

Candy n'oubliait pas la fois où quelqu'un l'avait suivie pendant son évasion au Queens. Il était impossible de ne pas mettre les événements en rapport.

- Crois-tu que Daniel est derrière tout ceci ? demanda-t-elle à la fin en brisant le silence. Elle savait déjà la réponse mais avait besoin d'entendre de Terry la confirmation de ce qui était évident.

- Je ne le crois pas, j'en suis sûr ! répliqua-t-il visiblement encore inquiet. Je déteste avoir à agir en étant sur la défensive vis à vis de ce bâtard mais sans preuve, nous ne pouvons rien faire encore.

- Encore ? demanda Candy en sentant que Terry lui dissimulait quelque chose.

- Je veux dire que je ne m'avoue pas vaincu, expliqua-t-il en essayant de paraître davantage calme. Je te je jure que je vais trouver un moyen de l'écarter de notre route de manière définitive; pendant ce temps tu dois me promettre que tu veilleras beaucoup à ... surtout maintenant que je serai absent quelques semaines.

Candy resta sans parler un moment. La seule idée de devoir être séparée de Terry plusieurs jours s'avérait insupportable. Il remarqua l'impression négative que la nouvelle avait eue sur la jeune femme et en eut brièvement un sursaut d'espoir.

- J'avais oublié te le mentionner. La saison arrive à sa fin et nous donnons habituellement une tournée de deux ou trois semaines vers le centre et le sud du pays avant Noël, expliqua-t-il en essayant de deviner si son absence imminente était la cause d'une pâleur soudaine dans le visage de Candy. Cela t'ennuie ?

- Non ! ... Absolument pas, dit-elle en essayant de se reprendre.

Il dévia le regard et n'en dit pas plus. Encore une fois il s'était sûrement trompé .... Toutefois, ce matin, il s'était senti plus près d'elle que jamais auparavant. Peut-être, seulement peut-être....

Les émotions du jour avaient été trop pour Candy qui, ce soir-là, décida d'aller au lit plus tôt. Quand Sophie se fut retirée après avoir terminé de l'aider à se dévêtir, Candy porta inconsciemment la main à son visage. Elle pouvait encore sentir les lèvres de Terry lui embrassant la paume et lui causant des vertiges à son contact.

« Terry ! » soupira la jeune blonde endormie, « A des instants si distant... et à des instants doux et affectueux ! Que ressens-tu réellement pour moi? »

A cette dernière pensée, elle s'endormit profondément et les heures de la nuit commencèrent leur vol presque imperceptible sur les autres habitants de la maison également.

*****************

Les jours passaient et Sophie se sentait chaque fois plus désespérée. Tout ce qu'elle avait était des soupçons mais rien de concret. Elle devait définitivement trouver des preuves tangibles, la question était : Comment et où ?

Perdue dans ses préoccupations, la demoiselle avançait lentement dans les escaliers chargée de plusieurs vêtements de Candy dans une main et une pile serviettes et de draps dans l'autre. C'était l'heure du crépuscule, juste au moment où sa maîtresse l'attendait pour qu'elle l'aide à s'habiller avant le dîner. Elle devait se dépêcher de récupérer les vêtements de Madame à repasser dans le vestibule avant que Candy ne l'appelle. Sans que Sophie ne s'en rende compte, des pas masculins montèrent les escaliers jusqu'à l'atteindre.
 
- Moi je pense que tout ça est une charge trop importante pour une seule personne, dit la voix de Grandchester tandis qu'il libérait la domestique de plus de la moitié de sa charge.

- Par Dieu, Monsieur, ne faites pas cela ! s'offusqua la femme scandalisée, je vous assure que je peux très bien porter le tout moi-même.

- Je n'en doute pas mais j'ai besoin d'un peu d'exercice. Où dois-je mettre ceci ? continua-t-il avec un sourire qui fit que Sophie s'avoua immédiatement vaincue.

- Laissez tout seulement sur le divan bleu qui est dans le vestibule de Madame, expliqua la demoiselle. Si cela ne vous dérange pas, je vais porter cette robe à nettoyer. Votre épouse doit déjà m'attendre pour l'assister dans sa toilette.

Le jeune homme accepta les instructions de la camériste avec simplicité en prenant les effets de son épouse. Terry n'avait jamais été de ceux qui se sentaient diminués en se montrant gentils avec les domestiques et bien que prudent, cela ne représentait vraiment aucun effort extraordinaire d'avoir aidé Sophie, avant de se diriger vers sa propre chambre pour se changer avant le dîner, et le vestibule de Candy était précisément la pièce qui se trouvait entre les deux alcôves principales. Terry savait que Candy n'utilisait jamais cette chambre et que la seule personne qui y entrait était Sophie pour organiser la garde-robe de Madame.

Terry entra et identifia immédiatement le meuble dont lui avait parlé Sophie. Il déposa les vêtements et des serviettes sur le divan et tout en fermant les yeux pendant un moment, il inspira profondément. Il se rappelait la première fois qu'il était entré dans cette pièce, juste le jour où il avait acheté la maison. Depuis lors, Candy avait fait quelques changements, en ajoutant un vase de porcelaine avec des fleurs ici, ou des rideaux d'ornement là. Toutefois, aucun rajout n'était plus éloquent que le parfum d'eau de roses qu'elle utilisait et qui, depuis l'alcôve contiguë, avait imprégné chaque objet du vestibule.

L'homme leva le visage en tentant d'adoucir son étourdissement et en ouvrant ses yeux, mais ceux-ci furent éblouis par la vision qui se reflétait dans un vaste miroir encastré dans la paroi. La porte du vestibule était juste en face du miroir en question et comme Sophie l'avait distraitement laissée ouverte, le reflet lui permettait de voir à l'intérieur de l'alcôve.

La respiration de l'homme s'interrompit. Candy, de dos et étrangère à ce qu'il passait dans son vestibule, était assise au bord du lit, occupée à se sécher les cheveux. Quelques tenues vestimentaires récemment repassées étaient étendues sur le lit mais pour l'instant aucune d'elles ne couvraient le corps de la jeune femme. Le reflet de Candy, dévêtue jusqu'au-delà d'où le dos perd son nom, fit irruption comme une décharge électrique dans le flux sanguin de Terry. Les yeux de l'homme caressèrent avec une liberté non réprimée la nudité de la femme sur le miroir. Ses souvenirs du Festival de mai pâlissaient devant la nacre irrésistible de cette peau découverte, la courbe sensible des hanches qu'il avait devinée juste avant la poitrine et le derrière arrondi, à moitié découvert.
Son désir d'entrer dans l'alcôve et de posséder dans un seul élan le corps de Candy devint insupportable. Visions imaginaires de lui-même dévêtu également, s'enroulant sous les draps avec Candy à l'abri de ses bras, sous sa peau, dans sa bouche, entre ses jambes, rendue et haletante à la fois, firent irruption dans son esprit avec une férocité qui n'avait jamais été si intense.

« N'est-elle pas ta femme devant Dieu et les hommes ? » lui dit une voix intérieure. « Qu'est-ce qui t'empêche de prendre ce qui t'appartient de droit ? Si tu voulais cette nuit même, tu pourrais assouvir tes désirs et personne ne pourrait te le reprocher. »

A ce moment-là, les pas de Sophie entrant dans l'alcôve firent sortir Terry du flux de ses pensées.
Dans un effort ultime pour récupérer le contrôle de sa personne, l'homme dévia le regard. Ses yeux se heurtèrent à la porte par laquelle il était entré. Ce dernier geste l'encouragea finalement à bouger et à sortir du vestibule pour se réfugier dans sa chambre.

« Dieu ! Si j'étais resté à l'observer une seule seconde de plus, elle ne serait déjà plus vierge et je ne serais plus un gentleman ! » hurlait son esprit à ses tempes pendant qu'il se jetait lourdement sur le lit. Il lui fallut longtemps et toute la force de sa volonté pour calmer les désirs et les dommages physiques que l'événement lui avait causés. À la fin, l'amour et les principes vainquirent l'instinct, ou tout du moins, parvinrent à le faire taire temporairement.

Six mois de cohabitation quotidienne avec Candy, de ce jeu exaspérant à s'approcher et à s'éloigner, avaient effrité son self-contrôle jusqu'à le réduire aux niveaux les plus infimes. Bien qu'il ait l'impression que l'attitude de Candy lui donnait quelques raisons pour encourager son espoir, il pressentait qu'il ne devait pas presser les événements ou qu'il perdrait en un seul instant tout le terrain gagné. Il était évident que s'éloigner de la présence de la jeune fille, au moins pour quelques jours, se transformait en une absolue nécessité pour lui. Pour son bien à elle et pour le sien, il devait mettre une distance entre eux le plus tôt possible. Comme jamais auparavant, il souhaita que sa prochaine tournée commence le plus rapidement possible.

Ce soir-là, Terry se sentant incapable de voir Candy, laissa un message au maître d'hôtel disant qu'il ne descendrait pas dîner. Toutefois, cette mesure ne le sauva pas de la lutte continuelle entre le désir et le devoir qui continuèrent à le tourmenter jusqu'à l'arrivée de l'aube.

*********************

Après une saison à succès, la Compagnie Strafford était préparée pour sa dernière représentation à Broadway et la tournée qui suivrait immédiatement dans tout le pays. La dernière représentation était une occasion presque aussi importante que la première et par conséquent, c'était toujours un motif pour faire la fête. Terry avait espéré que Candy l'accompagnerait au dîner qu'organisait la Compagnie après la représentation de clôture, mais un jour avant la date, Candy prit froid. Terry décida qu'il serait mieux de ne pas assister au dîner.

- Je ne crois pas, Terry, que tu doives l'annuler par ma faute, lui avait dit Candy quand il expliqua qu'après la représentation, il retournerait simplement à maison pour dormir.

- Au contraire, cela paraît être le plus prudent. Tous me demanderont pourquoi tu n'es pas avec moi et je devrai leur répondre que tu ne te sens pas bien. Ne crois-tu pas que ce sera très étrange que je me présente à une fête alors que mon épouse est malade ?

- Bon ... un peu, admit-elle, en baissant le regard. « Suis-je donc si importante à tes yeux pour que tu t'inquiètes tant ? »

- On n'en parle plus alors. Dès que je termine la représentation, je rentre à la maison, conclut-il. « Après tout je ne veux aller à aucune festivité si tu n'es pas avec moi. Je déteste être en compagnie de tant de gens si tu ne m'accompagnes pas » pensa-t-il alors qu'il fermait la porte derrière lui.

Dès que le jeune homme laissa le salon dans lequel Candy reposait sur un divan, la jeune fille retira ses couvertures et se précipita à la fenêtre. Quelques instant plus tard, elle put observer que Grandchester sortait de la maison et montait en voiture escorté par son chauffeur.

- Je n'ai pas de temps à perdre, dit la jeune blonde qui paraissait soudainement avoir récupéré la santé comme par magie.

En courant dans les escaliers qui menaient à l'étage en direction de son alcôve, la jeune femme appela frénétiquement Sophie, laquelle apparut immédiatement dans la porte du vestibule.

- As-tu déjà tout préparé, Sophie ? demanda-t-elle en entrant dans sa chambre comme une tornade.

- Oui, Madame, lui répondit Sophie, silencieuse, avec une légère approbation de tête.

- Commençons alors. Nous avons à peine une heure avant que Harry ne revienne du théâtre pour me chercher.

Durant les quelques minutes qui suivirent, Sophie travailla d'arrache-pied, surpassant ses propres habitudes. Elle devait préparer Madame en la moitié du temps habituel. Corset adapté, tenue amidonnée correctement repassée, rubans de soie, chaussures vernies noires ... chaque accessoire avait prècisément sa place. Les cheveux furent ordonnés dans une coiffure formelle, haute et avec des boucles ornant son front. Les boucles oreilles constituées de cristaux autrichiens furent placées à ses lobes, une veste noire de satin et un serre-tête de perles remplacèrent la simple tenue que la jeune femme avait portée pendant l'après-midi. De longs gants blancs et un collier complétèrent le tout.

- Qu'en pense-tu ? Crois-tu que Monsieur aura plaisir à me regarder ? demanda Candy à sa domestique, avec laquelle elle commençait à sentir une grande familiarité malgré la réserve habituelle de la jeune femme.

- Sûrement, Madame, répondit Sophie, mais il va aussi être stupéfié de vous voir arriver ainsi, paraissant tellement bien.

- Bon, ça a été seulement un faux mensonge pour lui faire la surprise, répondit la jeune fille en clignant de l'oeil. Je veux lui offrir quelque chose pour la fin de la saison quand se terminera sa représentation. Si nous y étions allés ensemble, il l'aurait vu avant et nous aurions perdu l'émotion du moment.

En disant ceci, elle ouvrit un des tiroirs de sa coiffeuse et en extrait une boite enveloppée de papier cadeau. Candy se retourna un moment pour se regarder dans le miroir.

« C'est bien, Albert, » dit-elle en silence, en oubliant la présence de Sophie dans son dos, « Si tu crois que je dois donner certains signaux à Terrry, je suivrai alors ton conseil. Souhaite-moi bonne chance mon ami »

Après une dernière inhalation d'air pour se donner du courage, la jeune femme sortit de sa chambre. Dans le hall se trouvait déjà Harry qui l'attendait.

Ferdinand, après avoir travaillé pour gagner difficilement l'amour de Miranda, promettait à son père que malgré sa grande passion, il ne la toucherait pas jusqu'à ce qu'entre eux, interviennent les liens du mariage. La voix de Terry résonnait d'éloquence dans tout le théâtre, caressant les oreilles de Candy qui, avec Harry, assistait de nouveau à la pièce depuis le pigeonnier. Emportée une fois de plus par l'histoire, la jeune fille suivait avec intérêt le dénouement attendu dans lequel l'amour qui était apparu entre les jeunes gens, finissait par vaincre la haine et le ressentiment des pères. Cette histoire était, d'une certaine manière, opposée à celle de Roméo & Juliette. Candy s'encouragea en pensant que toutes les histoires ne se terminaient pas tragiquement.

Quelques minutes plus tard, la dernière ovation s'élevait, fermant ainsi la saison, et le coeur de Candy s'arrêta pendant un moment alors qu'elle serrait dans ses mains la boîte qu'elle-même avait décorée. Elle se demandait pour la centième fois quelle serait la réaction de Terry en la voyant.

Le théâtre se vida lentement. Habituée à la routine de Terry, Candy attendit un bon moment avant de descendre jusqu'à sa loge. En outre, elle ne voulait pas que les employés de Hathaway se rendent compte de sa présence. Si ses calculs étaient exacts, tous sortiraient le plus rapidement possible pour aller à la fête et Terry serait un moment de plus dans sa loge avant de retourner à la maison.

Quelques minutes plus tard, la jeune femme et le chauffeur quittèrent le pigeonnier et d'un pas tranquille, puis se dirigèrent vers le fond du théâtre par les couloirs que Candy avait appris à arpenter avec familiarité à force de les fréquenter. Une fois en bas, un machiniste uniquement, retardé, parvint à la voir. La jeune fille se dirigea directement vers la loge de l'acteur mais avant de toucher la porte, la voix d'une personne l'arrêta.

- Il n'est pas encore là, Madame, dit Hopkins, le vieux représentant du vestiaire. C'est ce soir la dernière représentation, il est donc dans son cérémonial.

- Son cérémonial ? demanda la jeune femme amusée et curieuse en même temps.

- Il reste généralement seul sur la scène un bon moment avant de s'en aller. Il n'admet habituellement que personne ne l'interrompe, mais comme c'est vous, je ne crois pas qu'il y voit un inconvénient, expliqua l'homme avec un clin d'œil auquel la jeune fille répondit par un sourire.

Après avoir remercié Hopkins pour l'information, la jeune femme demanda à Harry d'aller dehors chercher son manteau et de les attendre à la porte arrière du théâtre. Le coeur battant chaque fois avec davantage de force, la jeune fille se dirigea vers la scène. Se glissant furtivement, elle put rapidement distinguer le visage du jeune acteur portant encore le costume de la dernière scène, assis sur un des meubles du décor et le regarda entre les velours du rideau.

Il ressemblait à un chevalier médiéval, calme et méditant. Candy craignit de sortir le jeune homme de cette contemplation presque mystique et préféra garder le silence pendant un moment. La jeune fille se laissa attendrir à la vue de l'homme qui était capable de lui faire accélérer le coeur de son pas léger. Elle détailla la large carrure des épaules du jeune homme et la ligne décidée de son profil en rêvant de pouvoir prolonger ce moment sans qu'il ne remarque sa présence. Toutefois, même si elle avait voulu passer inaperçue, le bruit involontaire du jupon sous sa robe finit par la faire remarquer.

- Candy ! s'exclama le jeune acteur en se mettant immédiatement debout quand il se rendit compte de la présence de la jeune fille sur la scène déserte. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Je me suis sentie mieux et j'ai décidé de venir, répondit-elle en rassemblant son courage et en ébauchant un sourire à la pensée que dans une seconde, elle avouerait le mensonge du refroidissement. Juste quand je pensais que tu ne pouvais plus faire mieux, tu me surprends de nouveau avec une prestation plus belle, continua-t-elle en s'approchant et en maintenant ses deux mains cachées derrière son dos.

- Tu étais là pendant la représentation ? demanda-t-il de nouveau, sans comprendre encore le comportement de son épouse. Ta loge est restée vide tout le temps.

- J'ai tout vu depuis là, expliqua-t-elle en indiquant le pigeonnier de sa main gantée.  Une fois je t'ai vu interpréter le roi de France depuis ce lieu du théâtre. C'était un petit rôle mais tu le faisais resplendir de très loin. Maintenant, en voyant Ferdinand, j'ai même beaucoup plus qu'apprécié. J'aime beaucoup ta version de « l'Orage ».

- Merci, bredouilla Terry avec une voix à peine perceptible, sans pouvoir récupérer encore de la surprise. La vue de Candy dans sa robe noire de soie était un cadeau auquel il ne s'attendait pas le moins du monde, encore moins les mots sincères et élogieux de sa part. Es-tu sûre que tu te sens bien ? demanda-t-il sans l'observer davantage afin d'éviter le silence.

- Je ne me suis jamais sentie mieux, admit-elle en se mordant une lèvre sans se rendre compte des dommages que son simple geste faisait dans le self-contrôle du jeune homme.

- Tu m'as trompé, alors, répondit-il en soulevant les deux sourcils. Dans sa poitrine, son coeur commença à battre avec force en percevant qu'elle continuait à s'approcher de lui.

- Disons que je voulais te faire une surprise qui, j'espère, est agréable, répondit-elle en souriant. Il remarqua pour la première fois qu'une légère rougeur teintait les joues de son épouse, signe indiscutable que sa présence l'affectait elle aussi.

- J'espère seulement que tu n'es pas venue seule, mentionna-t-il, sans oublier son rôle de protecteur.

- Absolument pas. Harry et moi étions d'accord pour qu'il revienne me chercher une fois qu'il t'aurait laissé au théâtre, expliqua-t-elle en se sentant comme un enfant qui se faire prendre au milieu d'une polissonnerie.

- Donc Harry est dans le coup et je suppose que ta femme de chambre était aussi ta complice, souligna-t-il, inquisiteur.

- Disons qu'ils ont coopéré de bon gré, lui répondit-elle en déviant le regard. Si Terry pliait à nouveau la bouche de cette manière, dévoilant ainsi sa fossette dans sa joue gauche, elle n'était pas sûre de pouvoir garder son sérieux. Tu n'es pas fâché ?

Le jeune homme se tut un moment et elle ne sut pas comment interpréter son silence. Durant un moment, son visage se détourna et elle craignit qu'il fut réellement contrarié.

- Non, en aucune façon, répondit Terry en remarquant que la jeune fille avait cessé de s'approcher de lui, dans l'attente de sa réponse. Mais j'aimerais savoir le motif de tout ce jeu.

- Je te l'ai déjà dit, répondit-elle se sentant de nouveau encouragée. Je voulais te faire une surprise ... en guise de gratitude.

- Gratitude ? demanda-t-il sans comprendre la signification des mots de Candy.

- Pour la manière dont tu t'es comporté avec moi dernièrement, expliqua-t-elle sans oser le regarder dans les yeux.  Pour la promenade en calèche, le pique-nique dans le jardin botanique et la visite à Albert. Je me suis sentie si ... bien avec toi, continua-t-elle en balbutiant presque. En outre, je voulais te remettre un cadeau quand la représentation serait terminée. Et en disant ceci, la jeune femme lui laissa finalement voir ses mains, lesquelles étaient restées dissimulées dans son dos. Terry put alors voir qu'elle lui tendait une petite boite carrée soigneusement enveloppée et attachée avec un ruban bleu foncé.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il sans comprendre complètement la situation, son esprit encore troublé par l'enchantement d'écouter la voix de Candy lui parlant avec les intonations les plus douces qu'il ait jamais entendues.

- Ton cadeau, idiot. C'est ... disons... quelque chose pour célébrer ta fin de saison, lui répondit-elle avec un rire mal réprimé. Voir un homme comme Terry, habituellement tellement sûr de lui, osciller entre la confusion et la timidité, était quelque chose de réellement irrésistible pour la jeune femme. Ouvre-le et dis-moi si tu aimes, ajouta-t-elle amusée, en plaçant la boite dans les mains de son époux.

Pour la première fois, Terry resta sans mot et il se contenta simplement d'ouvrir la boite qu'elle lui offrait. Le papier et le ruban tombèrent au sol, laissant ainsi découvrir un jeu de mouchoir aux initiales T G brodées avec un point fin et entrelacé dans une conception stylisée, avec la date 1916.

- Une fois, tu m'as prêté un de tes mouchoirs pour me panser une blessure, tu te rappelles ? dit-elle en brisant le silence tandis que Terry maintenait encore le regard fixe sur son cadeau.  Je dois admettre que je me suis mal comportée parce que je ne te l'ai jamais restitué et un soir, je l'ai perdu regrettablement. C'était précisément le soir où tu es venu à Chicago pour ...

- Ma représentation du Roi Lear, l'interrompit-il en levant le regard pour fixer la jeune femme qui était face à lui. Candy sentit que les yeux de Terry la parcouraient des pieds à la tête comme jamais auparavant. Une alarme s'alluma avec une voix presque imperceptible en son for intérieur.
- Comment le sais-tu ? dit-elle en sentant que sa respiration commençait à s'accélérer alors qu'il s'approchait.

- Tu dois me l'avoir raconté, mentit-il en s'approchant un peu plus d'elle. Il aurait pu dire qu'il avait ce vieux mouchoir dans sa poche mais en ce moment, aucun détail ne paraissait importer. La seule certitude significative était qu'elle était avec lui et que ses yeux verts l'observaient avec un éclat qui lui brûlait la peau juste en le regardant.

- Je te l'avais déjà raconté? Je ... j'ai oublié ... de toute façon ... j'ai brodé ceux-ci pour toi ... j'espère que tu aimes, balbutia Candy tandis que l'ombre de Terry était complètement projetée sur elle, la recouvrant.

- J'aime... Mais j'aime encore plus ces mains, dit-il en laissant la boîte sur la table qui se trouvait dans son dos afin de prendre les mains de la jeune fille entre les siennes et de les embrasser.

Quand les lèvres de Terry touchèrent la peau de Candy, l'empoisonnement qui avait commencé avec un cadeau innocent se délia dans toute sa force. Ces simples mouchoirs étaient pour lui une confession affectueuse dite sans mot. Dans ce langage tacite que les hommes utilisent, de plus grandes explications n'étaient pas nécessaires.
Si anodin que cela paraisse, elle était habillée de noir cette nuit-là et il était sûr de lui avoir déjà mentionné que c'était sa couleur préférée. Est-ce que son choix de tenue était une simple coïncidence ou une manière de lui demander: pourquoi avoir tant attendu ? Il lui fut très facile d'y répondre quand la douceur de la main de Candy lui arriva aux lèvres, il put alors percevoir que la jeune fille tremblait légèrement.

Le contact entre les deux jeunes gens fut irrémédiablement intentionné. Ce n'était pas un effleurement de courtoisie, c'était un contact intime, clair, bien qu'il soit chaste. La libération de forces réprimées était le début d'un rite, pour longtemps. Candy put aussi sentir qu'elle avait fait un pas vers un terrain inconnu. La sensation la transportait, mais aussi l'alarmait. D'une part, son coeur lui disait que le regard de Terry parlait de sentiments profonds ; d'autre part, elle se demandait encore si elle ne s'exposait pas à être seulement le simple jouet des caprices du jeune homme. Devait-elle faire marche arrière ?

- Il y a des présents que l'on n'oublie jamais, tu sais ? demanda-t-il avec le regard cloué dans les yeux de la jeune femme. Quelque chose dans son esprit disait à grand cris que c'était le moment d'avancer sans crainte. Tu m'as déjà donné trois de ces cadeaux mémorables.

- Trois ? demanda-t-elle dans un soupir imperceptible. Elle sentait clairement que son haleine commençait à lui caresser la peau, tant ils étaient déjà près l'un de l'autre.

- L'harmonica que tu m'as donné au collège, ces mouchoirs ... et la saveur de tes lèvres qui n'est pas encore effacée.

Un contact ferme sur sa taille fit que Candy se rendit compte à ce moment-là que, tandis qu'il parlait, il s'était suffisamment approché comme pour lui entourer la taille avec le bras. Elle était encerclée et le plus alarmant était qu'elle ne souhaitait pas être relâchée. Du baiser dans la main, il passa à une étreinte et l'éclat dans ses yeux permettait de prédire clairement ce qui allait advenir. Elle sentit qu'elle n'avait pas le pouvoir de s'y opposer.

- Une saveur tellement délectable que je voudrais le renouveler en ce moment, ajouta-t-il alors que Candy, avec les yeux semi fermés, parvenait à sentir qu' il s'inclinait sur elle.

« Il va m'embrasser. Mon dieu ! Terry va m'embrasser à nouveau ! » lui criait son for intérieur tandis que ses lèvres parvenaient aux siennes dans une caresse légère, en un bref contact d'une seule seconde à peine. Son bras serra ensuite le corps de la jeune femme contre lui avec davantage de force et une fois encore, les lèvres du jeune acteur s'ouvrirent sur les siennes en les humidifiant.

Le contact fut aussi suave mais plus prolongé et Candy, avec les yeux déjà complètement fermés, se laissa porter par la caresse tandis qu'il la serrait dans ses bras. Il l'embrassait et elle se rendait à lui sans plus penser à rien. La bouche de Terry caressait la sienne avec des mouvements sûrs qui lui entouraient et lui mouillaient les lèvres.
Rapidement, le jeune homme éteignit le peu de résistance qu'il y avait en elle et pénétra sa bouche avec résolution, en un baiser, comme jamais auparavant il n'en avait donné.
Candy, encore trop novice dans cet échange sensuel, se sentait incapable de répondre de sa propre initiative à ses caresses dans sa bouche mais par contre, elle lui offrait sans réserve le plaisir de l'abandon total qu'elle avait refusé jusqu'alors.

Il le perçut immédiatement. Une joie intense et une délicieuse récolte de plaisir remplirent immédiatement le coeur du jeune acteur.
Il entendit alors des pas retentissants qui leur signalaient que quelqu'un s'approchait.
Le premier à réagir devant l'interruption imminente fut Terry qui, à regret, libéra les lèvres de la jeune femme pour ensuite s'en séparer complètement.
Pendant un instant, Candy resta immobile, les yeux encore fermés, savourant les sensations ressenties, mais une voix dans son dos lui fit instinctivement baisser la tête et la fit prétendre prêter attention aux fleurs du décor.

- Monsieur Grandchester, excusez-moi, dit la voix de la personne chargée de ses costumes. Seriez-vous assez aimable d'aller vous changer ? J'ai besoin d'emporter votre costume avant de rentrer à la maison ce soir.

- Non, non Hopkins, c'est moi qui dois m'excuser pour le retard, répondit Terry en faisant un gros effort pour paraître calme. Je vais tout de suite à ma loge pour me changer. Tu viens avec moi ? ajouta-t-il ensuite en s'adressant à la jeune fille. L'expression dans ses yeux et le ton de sa voix dans la question portait une charge érotique que Candy uniquement, put comprendre tandis que Hopkins interprétait cela pour une simple marque de familiarité naturelle entre mari et femme.

- Je vais à la rencontre de Harry, il est allé chercher mon manteau et il doit maintenant nous attendre, répondit-elle sur la défensive; mais loin de décourager Terry avec sa réponse, elle provoqua seulement en lui un sourire malicieux qui finit par la laisser plus honteuse.

- C'est d'accord, nous nous voyons alors à la sortie dans cinq minutes, répondit-il en s'éloignant en compagnie de Hopkins.

Une fois seule, Candy eut le temps de reconsidérer dans son esprit ce qui venait d'arriver. Que Terry la désire, il n'y avait plus de doute dans sa tête. Ses baisers avaient été trop éloquents pour ne pas s'en rendre compte. Elle se souvint alors des énormes tourments qu'elle avait un jour ressentis en tombant sur une photo de Terry et sa fiancée d'alors, Susanna Marlowe, dans une revue. L'actrice était tellement belle qu'une sensation d'infériorité et d'abandon n'avait pas tardé à surgir dans le cœur de Candy.

- Il m'a sûrement déjà complètement oubliée. Comment ne pas le faire quand il devait avoir à ses côtés une femme mille fois plus belle et plus élégante que moi ! avait-elle pensé avec amertume à cette occasion.
Le souvenir encore ardent de la passion avec laquelle Terry venait de l'embrasser changeait toute cette perception d'elle-même. Dès lors, se savoir désirée par l'homme qu'elle aimait la faisait se sentir propriétaire d'un pouvoir jusqu'alors inconnu.

Quelques minutes plus tard, le couple se retrouva avec Harry dans la partie arrière du théâtre et ils se rendirent ensemble à la voiture. Le cœur de Candy battait la chamade à la seule idée que dans quelques secondes, elle voyagerait avec Terry à l'arrière de la voiture, pratiquement seule avec lui. Elle se sentait agitée à cette perspective et il l'exaspérait d'avoir l'air tellement tranquille et distrait comme s'il ne s'était passé rien entre eux un instant plus tôt.

Toutefois, il suffit que la porte se soit fermée sur eux pour qu'elle se rende compte qu'il était loin d'avoir oublié ce qui était arrivé.

- Il me semble qu'il y a un moment, nous avons été interrompus au milieu de la conversation la plus intéressante que nous n'ayons jamais eue, dit-il dès qu'ils furent seuls, en jetant son bras autour de ses épaules pour l'approcher de nouveau vers sa poitrine.

Avec un doigt, il commença à dessiner des cercles imaginaires sur la mâchoire et le menton de la jeune femme, en provoquant en elle quelques frissons tellement intenses qu'elle ne put articuler un mot pour lui répondre.  Voyons, que dois-je dire ? ajouta-t-il dans un soupir avant de couvrir à nouveau la bouche de Candy avec la sienne.

Incapable de faire autre chose que se laisser faire, Candy se contenta de suivre la conversation sur le même ton, c'est-à-dire de permettre à Terry de la manger de baisers pendant tout le chemin. C'était une expérience totalement sans précédent pour Candy. Se sentir tellement embrassée et caressée, tellement inondée d'électricité et tellement vulnérable, tout en même temps, était une chose à laquelle elle n'était pas préparée. Pour sa part, Terry paraissait être plus que prêt pour ce moment, à en juger par sa totale délectation de la situation et son insistance insatiable pour faire que chaque baiser soit suivi d'un autre. Un de ses bras soutenait le corps de Candy par les épaules et de l'autre main, il caressait le cou de la jeune femme, en provoquant en elle des bouleversements qui arrivaient jusqu'à son ventre.

Les caresses s'intensifièrent lentement et Candy se surprit elle-même par l'abandon total auquel elle était disposée. Toutefois, avant que Terry ne se rende compte à ce moment que l'esprit et le corps de la jeune femme étaient à la merci de sa volonté, tous deux durent interrompre leur échange affectueux parce que le bruit du moteur avait cessé, signe évident qu'ils étaient arrivés à leur destination. Candy ressentit presque douloureusement la séparation de leurs lèvres. En opposition avec la chaleur qui émanait maintenant de son corps, le froid glacial de l'extérieur lui gela le sang en ouvrant la portière de la voiture. La première neige de la saison était tombée.

Tous les deux descendirent du véhicule pour se trouver face à Harry qui les attendait déjà dehors. Après avoir reçu quelques brèves instructions de son patron, l'homme salua le couple et se retira pour rentrer la voiture au garage. Candy, comme sur un nuage encore, ne parvint pas à se mouvoir de la chaussée jusqu'à ce qu'elle sente que la main de Terry approchait de nouveau vers son corps, faisant reposer sa tête sur sa poitrine. Le jeune homme déposa un baiser léger sur le front de Candy.
    Rentrons, dit-il dans un murmure jusqu'à ce que l'esprit de Candy commence à se réveiller de l'état léthargique dans lequel la passion l'avait fait entrer.

« Qu'est-ce qui va suivre maintenant ? » pensa-t-elle troublée tandis qu'il la prenait par la main pour la conduire à l'intérieur de la demeure. Assurément, après tant de libertés comme elle le lui avait permis ce soir, il était tout à fait évident que s'il ressentait une certaine affection pour elle, ce n'était pas simplement platonique

Regretter alors ce qui s'était passé ? Réellement non, parce qu'elle avait apprécié avec lui chaque caresse qu'ils avaient partagée jusqu'à présent et elle n'était pas suffisamment innocente pour ignorer que son corps était prêt à aller plus loin. Toutefois, il y avait quelque chose qui manquait dans tout cela, quelque chose qui la faisait hésiter malgré l'émotion vécue. Sans doute n'était-ce pas une affaire de morale parce que, quelle objection pourrait-il y avoir quand l'alliance à son doigt lui rappelait constamment sa condition de femme mariée?
En entrant dans la maison, Candy se rendit compte que le froid de la nuit l'avait fait se réveiller de l'enrobage passionnel, en ravivant à son esprit de vieilles appréhensions que la chaleur de la cheminée allumée ne pouvait dissiper.

Tout au contraire, sa préoccupation augmenta en sentant le regard de Terry dans son dos tandis qu'il l'aidait à enlever son manteau.

- Je suppose que demain tu devras te lever plus tôt pour être prêt à temps pour ton départ, commenta-t-elle, soucieuse d'alléger la tension croissante entre eux, tandis qu'elle se retournait pour faire face au jeune homme.

- Je n'y pensais plus, lui répondit-il en fronçant la commissure gauche dans un demi-sourire, je crois que j'ai eu beaucoup de distractions ce soir. « S'il te plaît, ne respire pas ainsi, la manière avec laquelle ta poitrine se soulève sous ton vêtement me rend fou, » pensa-t-il en faisant des efforts pour maintenir ses élans sous contrôle, avec la volonté d'afficher un visage calme et posé.

- Parce que je ... crois que tu devrais... essayer de dormir le plus rapidement possible, insista-t-elle en bégayant, visiblement nerveuse face à la proximité du jeune homme. Terry, à en juger par l'expression amusée de son visage, paraissait jubiler chaque seconde de cette soudaine rougeur accablante de la jeune fille.  Peut-être ... dois-je te laisser pour que tu te reposes, continua Candy essayant en vain de se soustraire au regard fixe de Terry. Elle savait que son changement d'attitude était capricieusement abrupt et jusqu'à un certain point injustifié, mais elle avait tellement peur de ce qui pouvait arriver si elle ne se retirait pas à temps, qu'elle ne trouvait pas une autre échappatoire. Elle avait besoin de temps pour ordonner ses pensées et elle n'allait pas le faire avec Terry qui la regardait de cette manière.

Candy avait à peine reculé d'un pas, qu'une main ferme la retint par le bras en la forçant à s'arrêter. Une seconde plus tard, elle était à nouveau dans les bras de Terry.

- Ne sois pas si rapide, Candy. Un homme comme moi n'a pas l'habitude qu'on l'empêche de terminer ce qu'il a à dire, la condamna-t-il avec cette expression malicieuse que la jeune femme détestait tant dans des occasions comme celle-là. En outre, le moment est justement arrivé où j'aimerais que tu me payes maintenant ce pari que tu me dois...

- Le pari ? demanda Candy en sentant qu'elle attrapait la chair de poule en écoutant le sujet que Terry avait choisi au milieu de ce moment tellement compromettant. Ne pense pas que je vais lustrer tes bottes ! lui répondit-elle dans une tentative désespérée de porter la conversation sur un terrain de connaissance de l'antagonisme.

- C'est à mille lieues de ce que je pensais ... répondit-il en niant avec la tête et en soulevant le sourcil gauche. Je pensais à quelque chose qui sera sûrement beaucoup plus agréable pour tous les deux.

- Agréable ? dit Candy qui sentait que le coeur lui était monté à la gorge.

Elle cherchait désespérément dans son esprit une façon plus ingénieuse d'éviter les insinuations de Terry, mais il était simplement impossible de se soustraire à l'influence du regard dont il la couvrait. À quoi penses-tu ?

- J'aimerais que tu viennes avec moi en tournée, répondit finalement Terry, devenant sérieux.

« Est-ce cela qu'il veut ? Que je voyage avec lui ? » respira Candy, soulagée, « Au moins j'aurai cette nuit pour réfléchir aux événements. Oui ! C'est cela, demain je penserai avec davantage de clarté et je saurai comment manier cette situation »

- D'accord, Terry. J'irai avec toi, mais maintenant laisse moi y aller, veux-tu ? Je devrai demain me lever très tôt pour faire les paquets, demanda-t-elle en essayant de se détacher de son étreinte. Terry parut heureux de sa réponse, mais même ainsi, il n'accéda pas au fait de la laisser en liberté.

Avant que Candy ne puisse faire quelque chose pour l'éviter, les lèvres du jeune homme étaient de nouveau sur les siennes. Cette fois, le baiser fut à peine un frottement de peau, surprenant la jeune femme avec le contraste entre cette rencontre affectueuse et les caresses précédentes au théâtre et dans la voiture.

- D'accord. La dernière chose que je veux est d'arriver en retard à la gare, dit-il en détachant lentement ses bras d'elle.  Pendant une seconde seulement, il sembla à Candy qu'une ombre passait sur le visage du jeune homme, mais ensuite, elle disparut immédiatement pour laisser place à la même expression malicieuse et à quelque chose d'espiègle qu'elle connaissait tellement bien.  Bonne nuit ! dit-il en s'écartant, non sans planter un dernier baiser sur la main de la jeune fille.

********************

Les choses s'étaient tellement produites à l'improviste ! Son mensonge inattendu dans le simple but de lui faire une surprise avait été déconcertant. Donc, la révélation de ce simple cadeau, mais à la fois éloquent, avait fini par anéantir les déjà bien entamés, vestiges de son self-contrôle. Il n'avait simplement pas pu éviter ce baiser. Heureusement pour lui, rien n'était un motif à se repentir. Tout au contraire, en sentant cette acceptation tacite de sa part, il pouvait seulement regretter de ne pas avoir osé la prendre dans ses bras et de lui dire avec des caresses, tout ce que son cœur gardait pour elle.

En faisant des allers et retours dans sa chambre, incapable de contrôler l'euphorie du moment, Terry n'arrivait pas à maîtriser sa joie et ne parvenait pas aussi à dominer sa frustration. C'est à peine s'il pouvait croire en sa chance. Plus encore, c'est à peine s'il pouvait comprendre comment il était parvenu à se contrôler. Il aurait été tellement facile de l'embrasser à nouveau et ensuite, de simplement laisser la séduction du moment les porter jusqu'au point qu'il souhaitait tant.
En allant à sa loge pour se changer, il avait douté un moment sur cet épineux sujet concernant la manière dont il devrait agir quand il serait à nouveau seul avec elle. Après avoir réfléchi pendant un moment, il avait décidé que dès qu'ils monteraient en voiture, il trouverait la manière d'expliquer toutes ces choses qui étaient encore en suspens entre eux. Il savait bien que, malgré ce moment incroyable vécu sur la scène, il était nécessaire que certaines choses soient clarifiées. Malheureusement, ses résolutions s'étaient envolées en fumée dès qu'ils s'étaient de nouveau retrouvés entourés de l'intimité ravissante que leur offrait le siège arrière de la voiture. Avant de pouvoir rendre quelque chose de rationnel, le cœur et le désir avaient déjà donné libre cours à ses élans. Il n'avait jamais été facile de transformer les sentiments en des confessions affectueuses... Etait-il nécessaire de le faire quand les actes paraissaient avoir déjà tout dit ?

Toutefois, en entrant dans la maison, les choses avaient changé. Par une seule des étonnantes raisons que seules les femmes comprennent, la confiance avec laquelle Candy s'était abandonnée à ses premières caresses avait disparu. Il était évident que quelque chose paraissait la tracasser. Il était probable qu'elle avait besoin simplement de temps... DU TEMPS ! Est-ce que ces six mois n'avaient pas été suffisants ?
Toute logique paraissait suivre la même direction que ses désirs. Ne sommes-nous pas mari et femme ? se disait-il sans comprendre les sentiments de la jeune femme. Si après tout je la veux et elle aussi, je ne sais pas ce dont elle a besoin de plus pour se livrer à moi. Qu'est-ce qui la fait douter ?
Terry eut besoin de faire appel à toutes ses forces pour ne pas se laisser porter par les instincts du moment. Il n'avait jamais essayé de forcer une femme à jouir de ses faveurs. Il n'allait pas commencer à le faire justement avec la femme qu'il aimait. Cependant, croire fermement en un principe n'implique pas nécessairement qu'il soit facile de l'appliquer.
Le seul argument qui avait maintenu ses élans sous contrôle avait été son aspiration profonde à gagner le cœur de Candy complètement. L'avoir dans son lit ne signifiait rien si elle n'accédait pas à partager son âme avec lui. Il devrait être plus patient. Il avait obtenu qu'elle lui promette de l'accompagner en tournée et cela était déjà un énorme avantage. Il était sûr que pendant ces jours-là, elle finirait par accepter d'être sa femme de fait comme elle l'était déjà de droit. Toutefois, la savoir à seulement quelques mètres de distance et devoir attendre qu'elle se décide devenait insupportable. Une chose était sûre : il serait impossible de dormir cette nuit-ci.

Candy sentit une grande décharge quand elle put finalement retrouver la sécurité de sa chambre. Elle remercia intérieurement l'attitude silencieuse de Sophie qui l'aida à se vêtir pour la nuit sans faire aucun commentaire. La dernière chose dont elle avait besoin en ce moment était une conversation. Son esprit était trop occupé pour discuter.
L'air entra dans ses poumons en quantités généreuses quand la domestique la libéra du corset, sa chevelure tomba sur son dos en relâchant la tension que lui imposaient les épingles qui soutenaient sa coiffure et les chaussures furent remplacées par des pantoufles confortables. La sensation de sa douce chemise de nuit de toile hindoue sur la peau nue devait être le corollaire de la relaxation. Toutefois, quand Sophie se fut retirée, l'anxiété emprisonna de nouveau le cœur de la jeune fille.
Elle devait décider ce qu'elle ferait au sujet de Terry à partir du jour suivant. Accepter d'aller avec lui en tournée avait été une manière facile et rapide de le satisfaire et fuir à la fois les avances du jeune homme par la même occasion. Cependant, à cela résultait une mesure suprêmement compromettante. Ils passeraient trois semaines ensemble en voyage ... et en partageant la même chambre. Il était évident qu'il aurait plus d'une occasion d'insister pour continuer ce qu'ils avaient commencé cette nuit. Etait-elle disposée à être intime avec lui ?

« Par Dieu, Candy ! » se maudissait la jeune femme, en perdant patience avec elle-même, « Tu sais bien que tu te meurs d'amour pour lui. En outre, il s'agit de ton époux. N'est-ce pas très naturel alors que tu accèdes à ce que vous souhaitez tous les deux ? » C'était justement le problème dans toute cette affaire. Si elle s'offrait à Terry, quelle signification cela aurait-il pour lui ? Serait-ce seulement la satisfaction d'un désir ou la consommation d'un acte d'amour ?

Une fois de plus, son cœur retournait au seul reproche qu'elle avait contre Terry « il était libre et il ne m'a pas cherché... Susanna lui avait rendu sa liberté, mais il ne m'a pas cherchée et quand il m'a offert le mariage, il n'a jamais parlé d'amour ... Ni avant ni maintenant, il ne m'a dit qu'il m'aimait. Que suis-je alors pour toi, Terry ? Les choses changeront-elles si je t'offre les portes de mon alcôve ? Être ton amante me transformera-t-il réellement en ta femme pour toute la vie ou serai-je uniquement ta maîtresse jusqu'à l'été prochain ? »

Candy savait bien que son amour pour Terry était d'une nature profonde et durable. Toutefois, bien qu'étant dans la possibilité de l'avoir à ses côtés comme épouse, s'il la laissait partir au terme de l'année, ce serait sans doute une raison suffisante pour l'écarter de son âme. Si les choses se terminaient de cette manière, n'était-il pas préférable de ne jamais parvenir aux extrémités de l'intimité conjugale ?

Ainsi, en combattant entre ce que le cœur lui demandait et ce que la raison lui objectait, la jeune fille continua à se retourner sur le lit sans pouvoir trouver le sommeil jusqu'à ce que l'horloge de sa chambre affiche une heure du matin. Enervèe par son incapacité à dormir, Candy se résolut à chercher une quelconque occupation qui serait relaxante. Elle était sûre que si elle parvenait à se reposer quelques heures, elle pourrait ensuite penser avec davantage de clarté.

En se rappelant qu'elle avait laissé son livre de chevet dans son salon de thé, elle se décida à descendre le chercher. Sans plus réfléchir, Candy se leva du lit, se couvrit avec sa robe de chambre et quitta la chambre en prenant un chandelier pour éclairer le chemin. Se sentant en sécurité, la jeune femme parcourut les couloirs.

En passant devant la chambre de Terry, elle ne put apercevoir que l'obscurité de la nuit sous la porte ce qui lui fit haïr plus encore Terry de pouvoir dormir aussi tranquillement après ce qu'il s'était passé entre eux ce soir. Avec un soupir de résignation, elle continua son chemin, descendit les escaliers et continua jusqu'à se heurter à la porte blanche de son salon de thé. D'une main sûre, elle fit tourner le loquet, mais en entrant dans la pièce, le feu allumé de la cheminée la surprit avec une chaleur inattendue.

La jeune fille se figea sur place. Décontracté, la tête renversée en arrière et les jambes étendues, Terry paraissait endormi sur un fauteuil en peau, près de la cheminée. Le feu de la maison consommait les derniers rondins, en projetant de dramatiques reflets clairs obscurs sur le visage bronzé du jeune homme. Sa chemise avait été abandonnée sur le sol, laissant le jeune acteur nu de la ceinture jusqu'en haut. La vision de la large poitrine, ferme et couverte du duvet foncé du jeune homme, coupa la respiration de Candy.

Elle avait vu plus d'un corps nu dans les salles d'opérations mais jamais avant son cœur ne s'en était affolé comme maintenant. D'abord, la jeune fille fut elle-même surprise d'admirer la figure masculine du jeune homme endormi. Même si elle avait voulu dévier le regard de cette vision interdite, ses yeux refusaient de lui obéir. Incapable de se contrôler, elle continua son inspection intentionnée depuis les cheveux châtain et soyeux qui tombaient librement sur les épaules de Terry jusqu'à la fermeté de l'abdomen et des bras musclés.

« Il est plus proche que jamais ... ainsi ... endormi ...si je pouvais seulement le toucher. Mon Dieu, Candy ! Une dame ne devrait pas avoir ces pensées ! » se dit-elle à elle-même, mais pourtant, elle continua encore à s'approcher du jeune homme, comme les papillons s'approchent, imprudents, de la lumière des réverbères.

- Ne t'approche pas plus ou je ne réponds pas de ta vertu, Candice, l'interrompit Terry sans ouvrir les yeux, ni déplacer un muscle. La jeune femme sursauta de surprise.

- Mais ... Mais ... Je pensais que tu dormais, répondit-elle en balbutiant, morte de peur et de honte qu'il se soit rendu compte de sa présence. Ses mots lourds de sous-entendus, se perdirent dans l'air parce qu'elle était trop alarmée pour les entendre.

- Même si tu n'avais pas fait de bruit en ouvrant la porte, j'aurais senti ton parfum, répondit-il en levant la tête et en posant des yeux intimidants sur la figure de la jeune femme.

Le peignoir de satin que Candy portait sur sa chemise de nuit la recouvrait exactement comme les vêtements qu'elle portait pendant la journée. Toutefois, la jeune fille se sentit soudainement mal à l'aise. Concernant Terry, après la vision dans le miroir depuis le vestibule de Candy, on aurait pu penser que voir la jeune blonde dans sa chemise de nuit ne lui apporterait pas la moitié de ce premier effet. Toutefois, l'esprit nous joue des tours étranges et dès lors, le simple fait d'être avec elle, seul dans cette pièce tamisée était aussi tentant que la voir se déshabiller. Les serviteurs dormaient dans la partie arrière de la maison et dans une résidence aussi grande que celle-là, cela signifiait qu'ils étaient réellement seuls.

- Je t'ai fait peur, alors, s'encouragea-t-elle à dire en serrant nerveusement le chandelier qu'elle avait dans une main et en portant l'autre à sa poitrine dans un mouvement instinctif. A sa plus grande panique, le jeune homme se leva du fauteuil d'un élan, sa haute stature plus impressionnante que jamais.

- Par Dieu, Candy ! Que fais-tu hors du lit à cette heure ? lui demanda-t-il en s'approchant, comme si l'interruption inattendue de ses batailles nocturnes avait résulté d'une perte inhabituelle du peu de contrôle qu'il lui restait.  
    Je ... ne pouvais pas dormir... je me suis rappelée que j'avais laissé mon livre ici ... et ..., lui répondit-elle sans pouvoir se concentrer sur les mots, voyant l'homme à chaque fois plus près d'elle.

- Tu ne devrais pas sortir de ta chambre, Tâches de Son, l'interrompit-il, un sourire malicieux dessiné sur ses lèvres. C'était comme si la nervosité de Candy l'incitait encore plus dans son offensive et l'encourageait à risquer le tout pour le tout - Les ombres de la nuit cachent des secrets qui t'effraieraient rien que de les imaginer.

- Ne dis pas de bêtises, Terry. Je ne suis plus une enfant qui est effrayée par des histoires de fantômes, répondit-elle en essayant en vain de paraître sûre d'elle, et cesse de m'appeler Tâches de Son.

- Comment veux-tu que je t'appelle alors ?

- Par mon nom, évidemment, rétorqua-t-elle en soulevant le nez dans une moue de prétendue colère. Il était déjà tellement près d'elle qu'il était impossible de ne pas sentir de nouveau cette horrible faiblesse dans les jambes.

- Joues-tu avec le feu ? demanda-t-il dans un murmure tandis qu'il prenait le chandelier de sa main et le plaçait sur la cheminée.

- Pourquoi dis-tu cela ? dit Candy sans force suffisante pour échapper au bras droit de Terry qui lui entourait la ceinture, tout en l'attirant contre lui.

- Parce que ton nom est Candice Grandchester, et cela me rappelle irrémédiablement que devant tous, toi et moi sommes mari et femme. Tu ne sais pas les idées interdites que cette seule pensée provoque en moi.

Candy ne put lui répondre parce que la bouche du jeune homme s'écrasa sur la sienne dans un baiser aussi violent que leur désir à tous les deux. Cela se produisait trop rapidement pour qu'elle soit capable de savoir quoi faire. Sans aucune force, Candy céda simplement devant la bouche gourmande de Terry qui explorait la sienne avec une nervosité telle qu'elle faisait paraître ses baisers précédents à un simple frottement de papillons.

« Du calme ! » criaient les faibles restes de raison dans l'esprit du jeune homme, mais six mois de ce jeu d'équilibre entre la tentation et l'honneur avaient été trop longs pour sa nature passionnelle. Le corps de Candy se courba sous son étreinte étouffante, sans offrir de résistance et lui, sans plus pouvoir prendre en considération la délicatesse du moment, se laissa porter par les instincts qui lui demandaient alors de l'embrasser avec force et pénétration.

Elle, pour sa part, à un autre moment, aurait peut-être été effrayée devant l'ardeur de l'embrassade, mais ce n'était pas le premier baiser passionnel qu'il lui donnait, et elle avait passé en vain des jours et des jours à le souhaiter. Elle paraissait trembler dans cet enlacement et boire à ses lèvres comme si sa vie en dépendait et dès lors, cette certitude la remplissait d'une sensation de satisfaction jusqu'alors inconnue.

« Elle avait raison, Susanna avait raison, il me veut, » parvint-elle à penser au milieu du nuage d'émotions qui lui remplissaient le corps, mais rapidement cette faible pensée se perdit dans son effort inconscient pour incliner son corps afin de permettre à Terry de s'approcher encore plus. Candy n'avait plus de forces pour résister et il le perçut en la sentant se détendre dans ses bras. C'était le seul signal qu'il attendait.

Ses lèvres ne furent bien plus assez suffisantes et il commença à lui couvrir de douces morsures la mâchoire, le lobe de l'oreille et la peau sensible du cou. Elle laissa échapper un gémissement furtif au milieu de sa respiration chaque fois plus agitée, ce qui contribua seulement à échauffer encore plus la ferveur du jeune homme.

Les souvenirs de la soirée au cours de laquelle, par accident, il avait vu le dos nu de Candy dans le miroir du vestibule et la saveur douce de la chair de la jeune femme dans sa bouche firent croître encore plus la flamme dans son corps, bouche qui cherchait un passage afin de découvrir l'épaule droite de la jeune fille pour l'assaillir de ses baisers. La docilité avec laquelle elle continuait à permettre ses avances le faisait devenir encore plus fou. Il la sentait abandonnée à la séduction et en réponse, il libéra la violence de ses désirs réprimés. Le corps de la jeune blonde était délicat et en la serrant ainsi contre lui, il pouvait sentir l'absence ravissante de corset et de sous vêtement. Sous son peignoir et sa chemise de nuit était livrée la nudité qu'il désirait tant.

« Nue ... je vais te faire mille caresses quand tu seras nue dans mon lit ... » balbutia-t-il, la voix à peine audible contre la peau de la jeune femme, « tout comme je me le suis imaginé toute la nuit depuis que je t'ai vue alors que tu t'habillais dans ta chambre. Tu étais tellement belle... Comme je t'ai désirée depuis lors ! Et même depuis avant ... depuis toujours ... depuis des années, brûle en moi un feu, lentement et angoissant de ne pas pouvoir venir en toi et te posséder. Je n'en peux plus ! »

Les mots de Terry échouèrent dans ses oreilles comme une auge d'eau froide. Il l'avait épiée pendant tout ce temps ? Après tout ... ce caprice était seulement une question de simple désir... peut-être. Candy ne sut pas alors ce qui était le plus douloureux, le désenchantement ou l'indignation. La main du jeune homme cherchant son chemin à l'arrière de sa chemise de nuit vers son dos dénudé la fit réagir avec davantage de vigueur encore.

- Non... non, commença-t-elle à balbutier, mais Terry n'entendait pas sa voix au milieu de l'excitation débordante et de l'agitation de sa propre respiration. Candy perçut que ses mains s'empressaient de la dépouiller de son peignoir. La soie s'ouvrit pour qu'il sente enfin le plaisir intoxicant de la peau de Candy qui était seulement de l'autre côté du tissu de la chemise de nuit. Faiblement, elle essaya de se séparer de l'étreinte, mais ses premières tentatives furent trop faibles et il ne les perçut même pas tandis que ses lèvres embrassaient désespérément la chair douce que le tissu de la chemise de nuit offrait à sa vue.

- J'ai dit non ! cria-t-elle finalement en puisant les forces dans son indignation pour le repousser.

La fureur de ce corps féminin apparut violemment et Terry regarda Candy surpris. Les yeux de la jeune femme paraissaient brûler d' une rage qu'il avait vue quelques fois et il ne parvenait pas à en comprendre la raison. La confusion et l'étonnement lui permettaient seulement de ne rien dire ou faire.

- Comment oses-tu me traiter comme si j'étais un objet ? cria-t-elle furieuse. Je pensais que tu étais un gentleman et que tu respecterais notre accord.

« Accord ? » pensa Terry, sa confusion commençait à céder la place à la colère alors que les mots de Candy résonnaient dans ses oreilles « Est-ce que tout cet accord de faux mariage n'était pas oublié depuis ce premier baiser qu'ils s'étaient donné sur la scène ? Que diable arrivait-il à Candy ? »

- Tu ne dis rien, hein ? continua Candy chaque fois plus fâchée devant le silence du jeune homme qui paraissait lui donner tacitement raison. Si tu pensais que j'allais t'ouvrir les portes de mon alcôve seulement pour que tu passes un bon moment, tu te trompes, Terrence Grandchester. Toi et moi avons seulement un contrat.

- Maintenant en effet je ne te comprends pas, Candy ! répondit-il avec la colère et la désillusion à fleur de peau. Terry savait qu'une fois que la colère était entrée en lui, elle s'achevait toujours par des actes ou des paroles qu'il ne pensait pas, mais à ce moment-là, il était déjà trop tard pour s'arrêter. D'abord tu me fais des avances, tu t'abandonnes au jeu, tu te livres et l' instant d'après, tu me rejettes. A quoi rime tout ceci ? Tu veux me faire devenir fou ? Voulais-tu peut-être seulement prouver que tu pouvais exciter ? Parce que là, félicitations, en vérité, tu y es parvenue ! cria-t-il à son tour, sa voix résonnant dans l'obscurité du salon.

- Tu es vulgaire ! répondit aussi hargneusement la jeune femme en élevant la voix.

- Il en résulte maintenant que je suis vulgaire, peut-être que je le suis en effet. Je n'ai jamais été un saint et tu le sais mais il y a un instant, cela ne paraissait pas t'importer à en juger par ta réaction. Que t'arrive-t-il, Candy ? Te fais-tu plaisir en jouant avec mes faiblesses mais décides-tu ensuite que je ne suis pas suffisamment honorable pour que tu m'offres tes faveurs ? J'ai pensé qu'après tous ces mois, les choses avaient changé mais je vois qu'en fin de compte, je suis seulement le prétexte qui t'a sauvé de Daniel Legrand en acceptant cette mascarade ridicule d'un faux mariage, répondit-il, se repentant trop tard de l'amertume de sa réflexion.

- Tu ne sais pas combien je regrette d'avoir accepté ton offre, en ce moment ! lui répondit-elle avec un ressentiment égal - Peut-être aurait-il été mieux que tu me laisses suivre mon destin au lieu de vivre ce mensonge quotidien.

Les yeux de Terry s'embrasèrent encore davantage aux derniers mots de la jeune fille. Dans un geste emprunt de violence et de rage, le jeune homme s'approcha à nouveau de Candy, la prenant par les épaules sans mesurer sa force. Pendant une seconde, elle craignit le pire.

- Dis moi une chose, Candy, dit-il en approchant son visage jusqu'à ce que son haleine brûle les joues de la jeune blonde. Aurais-tu peut-être préféré cet ours mal léché dans ton lit ? Dois-je me contenter d'attendre que tu acceptes mes caresses de bon gré ? Ou bien dois-je peut-être faire ce que lui aurait sans doute fait s'il était en ce moment à ma place ?

Les yeux de Candy brillèrent sous les lumières de la cheminée et Terry put percevoir en ces derniers de la peur. Non ! C'était le dernier sentiment qu'il souhaitait un jour lui inspirer. Il pouvait supporter son rejet, mais pas qu'elle le craigne. Le jeune homme se détacha instinctivement des épaules de sa femme et il s'éloigna d'elle. Candy, encore accablée par les émotions, ne parvenait à coordonner aucune réaction.

- Ne t'inquiète pas, ajouta-t-il en lui tournant le dos, je pars demain en tournée et après ce qu'il s'est passé, il est bien clair pour moi que mes sentiments ne comptent pas. Oublie ce que tu m'as promis, je sais bien que tu ne viendras pas avec moi demain.

En disant ceci, le jeune homme sortit de la chambre sans fermer la porte derrière lui. Candy, une fois seule, s'effondra sur le divan et pleura de contrariété et de honte. Elle ne savait que penser. Un moment, Terry l'avait tenue avec une force violente, une prudente transparence de ressentiment et de passion en même temps; pendant une seconde, elle avait souhaité qu'il ne s'arrête pas et au moment suivant, elle avait été effrayée de ses propres pensées.


Elle avait eu peur de lui, d'elle-même et de ce qui pourrait se passer si tout continuait à s'écouler sans contrôle. Les mots de Terry tandis qu'il la caressait avaient seulement parlé de désir, mais si ses oreilles ne l'avaient pas trompée: avant de sortir, son ton avait changé :
“ . . . il est bien clair pour moi que mes sentiments ne comptent pas . . .”
Malgré la chaleur provenant de la maison, un froid inexplicable parcourut le corps de Candy quand son cœur commença à la tourmenter à l'idée qu'elle s'était trompée. Dans le couloir, les pas silencieux de Sophie se perdirent dans l'obscurité sans que la jeune femme ne se rende compte que les événements de cette nuit n'étaient déjà plus un secret.

********************

Les draps du lit étaient encore chauds bien que la matinée soit déjà bien avancée. Encore enveloppée de son déshabillé préféré, les cheveux en bataille non pomponnés, Elisa Legrand lisait à nouveau avec une suprême satisfaction la lettre qu'elle venait de recevoir ce matin. Ces mois de frustration qu'elle avait dû vivre, en attendant en vain des nouvelles de Sophie, serviraient réellement à quelque chose. Par moments, elle avait douté devant l'insistance de son frère qui l'incitait à l'aider dans un plan beaucoup plus violent, mais alors que les choses commençaient à bien se présenter, elle se félicita maintenant pour sa patience et sa sagacité.
Non seulement elle tenait dans ses mains l'histoire du secret que les Grandchester avaient su garder aussi bien depuis tout ce temps, mais elle détenait une ferme preuve écrite à la main: une lettre de Terrence lui-même. Elle ne pouvait rien demander de plus. Quand la Grand tante en serait informée, ce mariage serait sûrement annulé et ses plans initiaux pour livrer Candy entre les mains de son frère et s'approprier la fortune des André entreraient à nouveau en marche.
Pour la cinquième fois, ses yeux révisaient les lignes énergiques de l'écriture de Terry qui étaient très légèrement brouillées par endroits par les larmes que quelqu'un avait versées en lisant la lettre. Elisa se réjouit en devinant qui avait pleuré sur les mots de Terry.

Candice,
Hier soir, j'ai perdu la notion des engagements pris ces derniers mois et j'ai oublié aussi ma condition de gentleman. Quand nous avons convenu de contracter ce mariage entre nous dans le seul but de te libérer de Daniel Legrand, nous étions bien avisés que cette union serait une simple comédie. J'ignore à quel moment j'ai oublié que j'avais engagé ma parole dans tout ceci.
Sur le principe, j'ai pensé que la meilleure manière de cohabiter avec toi, durant cette année que nous devions passer ensemble, était de me tenir éloigné. Je suppose maintenant que si je m'étais maintenu à cette première résolution, les moments honteux que nous avons vécus hier soir ne se seraient jamais passés. Je regrette beaucoup que ma négligence nous ait conduit à une situation si désagréable pour tous les deux.
Je pourrais aussi dire que je me repens de mes actes, mais non des sentiments qui les ont produits. Je devrais parler ici de ces sentiments mais je n'ai jamais été éloquent dans les affaires de cœur et je ne dois pas l'être quand maintenant il est clair que mes prétentions à ton égard ne sont pas réciproques. Par conséquent, ne tiens pas compte des quelques lignes à ce sujet.
Je veux clarifier le fait que je n'ai pas été le seul responsable des choses qui se sont passées entre nous. Si tu n'avais pas encouragé mes avances, les choses seraient différentes. Toutefois, je dois être suffisamment intelligent pour lire dans ton comportement une simple curiosité devant ce qui est inconnu et ce n'est pas ce que je souhaitais trouver. Je te présente des excuses pour cela et je te promets que cela ne se reproduira plus.
Tu ne dois pas craindre que ma présence t'importune avec des souvenirs de moments qui pour toi se sont avérés tellement répugnants parce que quand tu liras cette lettre, je serai déjà parti. Quand je reviendrai à New York, je t'assure que mon séjour dans la maison sera presque imperceptible et que tu n'auras pas le moindre ennui à partager ton repas avec moi. Dans six mois,  je signerai les documents du divorce comme nous l'avions convenu et tu pourras de cette façon récupérer ta liberté sans crainte que ta famille t'oblige à te marier avec quelqu'un que tu ne désires pas. Je te donne ma parole qu'après, je ne croiserai jamais de nouveau ton chemin. Pendant ce temps, en ce qui me concerne, ce sujet est clos et je n'ai plus aucune intention ni désir de t'aborder dans le futur. J'espère que tu sauras respecter la distance que je souhaite garder, puisses-tu me laisser me préparer à être seulement ton ami.
Terrence G. Grandchester

Cela semblait une preuve suffisante pour nuire à Candy, pensait Elisa qui regrettait seulement que son frère se trouve en voyage en ce moment. Elle devrait attendre jusqu'à son retour pour lui annoncer les bonnes nouvelles.


Chapitre 9 - A l'heure du crépuscule

Les rideaux encore fermés empêchaient que la lumière du matin fasse irruption dans la pénombre de la chambre. Sophie avait essayé d'entrer à nouveau dans l'alcôve pour aider Madame dans sa toilette, mais une fois de plus, sa maîtresse lui avait affirmé qu'elle n'avait pas besoin de ses services. Les choses étaient ainsi depuis plusieurs jours. Enfermée dans ses quartiers, c'est à peine si Candy touchait à une bouchée de nourriture, passant ses journées dans un isolement qu'elle s'était elle-même imposée. Les domestiques commençaient à être préoccupés par ce comportement tellement inhabituel chez la jeune femme.

Dans la chambre, les toasts français et le lait restaient intacts, refroidissant irrémédiablement sur une table. La jeune fille, pas encore apprêtée bien qu'il soit déjà tard, restait assise, les pieds sur le divan de velours tandis que d'un geste absent, elle perdait son regard dans le vide. Ses cheveux tombaient en désordre sur son dos sans que cela paraisse lui importer.

Le menton posé sur les genoux, Candy revoyait de nouveau mentalement la lettre que Terry lui avait laissée et qu'elle avait déjà apprise par cœur.

« Je pourrais aussi dire que je me repens de mes actes, mais non des sentiments qui les ont produits » lui disait la lettre, et grâce à ces mots, Candy comprit finalement que le coeur de Terry se trouvait dans chaque baiser et dans chaque caresse qu'ils avaient partagés. Avec amertume, c'est en la lisant qu'elle avait compris ce qui était tellement évident.

Toutefois, la jeune femme connaissait suffisamment Terry pour comprendre que quelque soit le degré d'affection qu'il ressentait pour elle, ce qui était arrivé ce soir-là avait été suffisamment honteux pour lui garantir qu'il ne tente de nouveau une réconciliation. Elle l'avait rejeté de la pire manière et maintenant elle ne pouvait pas espérer qu'il soit disposé à lui pardonner et ce, en aucune manière ! Terry, toujours tellement hautain et rancunier, n'était pas de ceux qui pouvaient oublier une humiliation semblable. Ses mots étaient plus que directs.

« Je devrais parler ici de ces sentiments, mais je n'ai jamais été éloquent dans les affaires de coeur et je ne dois pas l'être quand maintenant il est clair que mes prétentions à ton égard ne sont pas réciproques. Par conséquent, ne tiens pas compte des quelques lignes à ce sujet ».

- Je l'ai définitivement perdu, se disait la jeune fille tandis que ses yeux se remplissaient de larmes en se rappelant les sensations vécues la nuit précédente. Elle pouvait encore sentir le plaisir intense de s'être livrée aux caresses passionnées du jeune homme.

Tout avait été à la fois soudain et nouveau, intimidant et irrésistible. La rencontre anxieuse de son corps contre le sien, le contact nerveux des mains qui caressaient et serraient en même temps, les baisers cherchant la ligne du tissu ; ce contact avait révélé en elle l'existence d'un niveau de sensualité qu'elle n'avait jamais imaginé possible. La seule pensée que cet univers de sensations n'avait pas eu son origine dans un simple caprice, comme elle l'avait craint, mais dans un amour véritable la faisait se sentir misérable.

Mais le souvenir de ces ardeurs revenait maintenant chargée de l'amertume de savoir que ses peurs et sa méfiance étaient finalement parvenues à éteindre sa dernière occasion de réconciliation avec lui.

 Terry, j'ai été stupide ! se dit la jeune fille maintes et maintes fois dans la solitude de sa chambre. Les larmes étaient totalement inutiles dans des cas comme ceux-là, mais même ainsi, elles insistaient pour faire leur apparition constamment et cessaient seulement lorsqu'elle s'endormait.

*****************

Blessé était peu dire. Un ressenti amer était peut-être un terme plus précis pour exprimer le sentiment de Terry le matin où il avait quitté New York. Ce n'était pas tous les jours qu'il perdait les rênes de son self-contrôle en montrant ses faiblesses pour finir par être rejeté d'une manière tellement incompréhensible. Il avait beau y réfléchir, il ne parvenait pas à comprendre le comportement contradictoire de Candy. Pourquoi avait-elle répondu à ses avances pour ensuite le blesser ainsi ?

Il était ironique qu'une créature habituellement tellement douce et gentille avec tout le monde se comporte avec lui de cette manière. Terry se sentait offensé et comme le faisaient généralement les blessés, sa première réaction avait été de s'éloigner de ce qui lui avait causé la douleur. Cette tentative était une réaction réfléchie pour protéger le peu de dignité qui lui restait. C'est pourquoi il avait pris la résolution de s'éloigner à nouveau de Candy, cette fois définitivement.

La tournée arrivait à point pour parvenir à ses fins. Ensuite, quand il rentrerait à la maison, il ne tomberait plus dans le piège de ce sourire trompeur qui venait juste de le ridiculiser. C'était décidé ! Il sortirait Candy de sa vie une bonne fois pour toutes et pour toujours.
Au milieu de ces piquantes méditations, Terry passa quelques jours. Maintenant, dans une nouvelle autre gare, il attendait impatiemment sa prochaine destination. Et alors que passait le temps, sa mauvaise humeur s'aggravait.

Sans s'en rendre compte, Terry tambourinait des doigts sur le dossier de son siège. Son irritation allait en augmentant. Peut-être le train n'allait-il jamais redémarrer ? Plus il voulait cesser de penser à elle, plus il se sentait soucieux et cet idiot de train qui ne bougeait pas n'aidait en rien pour le distraire.

Le wagon complet était réservé pour la compagnie Stratford. Au moins cela lui évitait le dégoût d'avoir un quelconque admirateur gênant lui demandant un autographe. Pour une plus grande intimité, il ferma les rideaux du wagon et ferma les yeux pour essayer de dormir. Rien n'y fit ! Son esprit replongea dans ce même lieu.

Puis le wagon commença à s'ébranler. Ils partaient enfin et curieusement, ce départ tellement attendu le fit seulement se sentir plus affligé. En essayant de calmer son dégoût, le jeune homme ouvrit les rideaux pour voir la foule que le train laissait en arrière.
Les gens, abrités avec tout ce qu'ils pouvaient, se protégeaient sous la plate-forme du froid hivernal intense. Terry distingua alors dans la foule une femme blonde, jeune, aux yeux verts. L'homme sentit qu'un nœud se formait dans sa gorge. En faisant un effort pour scruter attentivement, Terry ouvrit complètement la fenêtre et fixa la femme du regard.

- Non, cela ne peut pas être elle, pensa-t-il en se moquant de son ingénuité soudaine. Elle est jolie, mais a les cheveux raides et ses lèvres ne sont pas de cette couleur rouge écarlate. Les seuls souvenirs qui me reviennent sont qu'elles ont été entrouvertes sous mes baisers et cette saveur de sa bouche ... Allons ! Que diable fais-je donc ! se récrimina-t-il en fermant à nouveau le rideau, mécontent de lui-même.

Entretemps, le train sortit de la ville. Terry essayait de se concentrer en lisant quelques pièces que Robert lui suggérait pour la saison suivante. Toutefois, une part de lui insistait pour rentrer à New York. Il ne comprenait pas pourquoi, mais même s'il continuait à en vouloir à Candy, une préoccupation étrange commença à atteindre son cœur et ne le quitta pas pendant toute la journée.

******************

S'il y avait une personne à laquelle recourir en des moments comme ceux-là, c'était Albert, pensait Candy tandis qu'elle parcourait à nouveau les couloirs du Country Club. Elle se rappelait clairement la joie secrète qu'elle avait ressenti la dernière fois qu'elle s'était trouvée en ce lieu accompagnée de Terry. Les choses étaient maintenant tellement différentes. Là, elle essayait de trouver auprès de son ancestral conseiller d'enfance, s'encourageant le cœur, l'illusion qu'il l'aiderait à trouver une solution à ce problème qui paraissait inextricable.
La jeune fille avançait d'un pas décidé à travers les salons sans prêter attention aux regards des membres qui la reconnaissaient. Les décorations élégantes du club disparurent rapidement dans son dos, cédant la place aux vastes espaces des jardins et des écuries. Le coeur de Candy battit avec force quand elle se trouva face à Sultan qui la regardait irrémédiablement avec ses énormes yeux noirs, lui rappelant le jour où Terry l'avait défiée pour la course.

- Bonjour ! Vous désirez monter Sultan, Mme Grandchester ? demanda la voix de l'un des palefreniers et Candy se retourna immédiatement pour parler avec lui.

- Bonjour, lui répondit-elle avec son air aimable habituel. Je ne suis pas d'humeur pour monter mais j'aimerais parler avec l'un de vos collègues, son nom est Albert et il est mon ami.

- Albert ? demanda l'homme en fronçant les sourcils, je crains qu'il ne travaille plus chez nous, Madame.

- C'est impossible ! s'exclama Candy frustrée, il y a à peine quelques semaines, nous sommes venus ici avec lui ... mon époux et moi.

- Il a démissionné vendredi dernier.

- A-t-il expliqué pourquoi il abandonnait ce travail ? s'enquit-elle sachant à l'avance que la réponse à sa question serait négative.

- Je conviens Madame, que votre ami, si je peux me permettre, est quelqu'un de discret et réservé. Figurez-vous que nous n'avons même jamais su son nom de famille. Il est arrivé aussi vite et aussi silencieusement qu'il est reparti.

- Oui, c'est très typique de lui de faire des choses pareilles, répondit-elle avec un soupir. Moi non plus, je n'ai jamais su son nom de famille et cela, même si nous sommes les meilleurs amis du monde. Je suppose que je devrai attendre jusqu'à ce qu'il me trouve de nouveau.

Avec un sourire mêlé de sympathie et de compréhension, le palefrenier s'excusa de devoir s'en aller et Candy dut retourner sur ses pas sans avoir atteint son but. Que faire maintenant que les choses entre elle et Terry paraissaient être arrivées à une fin imminente ? Ce ne serait pas Albert qui lui donnerait une réponse à son problème. Elle devrait se débrouiller seule.

- Comme je voudrais trouver au moins un lieu assez vaste dans lequel je pourrais marcher en toute liberté pour essayer de clarifier mes pensées ! se dit-elle alors que son regard se perdait à travers la fenêtre de la voiture. Elle pouvait seulement voir de l'asphalte et des bâtiments l'un après l'autre. Mais alors qu'une tache couleur de terre interrompit la monotonie urbaine: Harry ! Arrêtez la voiture s'il vous plaît !

Une seconde plus tard, la voiture s'arrêtait et la jeune femme descendait. Le chauffeur parut désirer rester avec sa maîtresse pendant un moment mais elle finit par le convaincre qu'elle ne pouvait courir aucun danger dans un lieu aussi public que Central Park.

- Allons, Harry, je ferai seulement une petite promenade de quelques minutes. C'est un après-midi incroyablement beau pour décembre. Il ne serait pas bon de le gaspiller à l'intérieur, supplia la jeune femme comme un petit enfant demandant l'autorisation à son père pour aller dehors. Le parc est plein de gens. Vous ne croyez quand même pas qu'il puisse m'arriver quelque chose quand il y a tellement de monde aux alentours.

Sans pouvoir objecter face à l'insistance de la jeune femme, Harry céda et Candy se dirigea seule vers une des allées du parc. Effectivement, Central Park était peuplé de tout type de passants en ce vendredi après-midi où le soleil avait fini par faire fondre la glace des jours précédents, laissant voir les tons cafés de la plaine brûlée et les arbres nus verdis par l'humidité de la mousse qui couvrait leurs troncs. C'était sans doute un beau jour d'hiver mais la jeune femme était trop préoccupée pour pouvoir en profiter.

Dans sa tête, elle repensait à nouveau aux événements des derniers mois et était incapable de penser à chaque moment vécu avec Terry sans sentir une énorme tristesse; elle finit par interrompre sa marche pour s'installer sur un banc en bois au bord de l'allée. Si les souvenirs du collège avaient été impossibles à oublier avant, tous ceux vécus à présent avec Terry marqueraient sans doute son cœur pour toujours. Le sentiment de désespoir dans son cœur lui opprima la poitrine. Le bois était encore humide à cause du dégel mais Candy parut ne pas le percevoir, comme elle ne sentit pas non plus les pas légers d'une personne qui, un instant après, s'assit à côté d'elle.

Un petit moineau se risqua hors de sa cachette dans une recherche désespérée pour voir ce qu'il y avait de disponible à manger. La jeune femme continua d'observer l'animal du regard en devinant que tous les deux partageaient une inquiétude semblable. Un soupir s'échappa de ses lèvres parvenant jusqu'aux oreilles de la vieille dame qui l'observait en silence.

- Est-il vraiment beau ? demanda distraitement cette dernière en surprenant Candy par le fait qu'elle n'était pas seule comme elle le croyait.

- Pardon ? Vous avez dit quelque chose, grand-mère ? demanda la fille intriguée en se retournant vers la vieille dame qui était couverte jusqu'au nez par une écharpe noire au point serré.

- J'ai demandé s'il était vraiment beau, répéta la vieille d'un ton tranquille.

- Réellement beau ? De qui parlez-vous ? demanda la fille sans comprendre.

- A ton avis, petite ! L'homme pour lequel tu soupires de cette manière. Ne me dis pas qu'il ne s'agit pas d'un homme parce que j'ai trop d'années derrière moi pour qu'une gamine comme toi me trompe, dit la femme en provoquant le sourire de Candy.

- Non, grand-mère, vous ne vous trompez pas, admit la jeune fille en souriant légèrement et en baissant les yeux quand elle fut remise de la surprise que lui avait causé la perspicacité de la dame. C'est un homme auquel je pense et oui, il est vraiment très beau. Peut-être trop je pense.

- Ceux-là sont les pires, ma fille, lui répondit la vieille mais ensuite, elle ajouta avec un clin d'œil: Toutefois, Dieu sait que nous ne pouvons pas vivre sans eux.

- A qui le dites vous !!! dit Candy avec un sourire frustré.

- La chose doit être grave, continua la vieille gardant son regard obscur dans celui de Candy Tu ne t'es même pas rendue compte que le banc était mouillé et tu as oublié de mettre des gants par ce froid.

- Bon ... nous ... réfléchissons ... balbutia Candy rapidement. D'abord, il ne lui importait pas de parler de ses problèmes avec cette personne inconnu, vêtue pauvrement et qui l'observait de son regard franc.

- Disputes de jeunes mariés, non ? enquêta la vieille en soulevant un sourcil dans un geste lent.

- Comment savez-vous que nous sommes mariés ? demanda encore la jeune fille sans échapper à son étonnement devant cette clairvoyance que possédait la vieille dame.

La personne se mit à rire sous son écharpe et fit un signe avec sa main pour indiquer à la jeune fille qu'elle avait deviné sa condition civile à son alliance et sa bague de fiançailles qu'elle portait à la main gauche. Candy sourit de nouveau devant sa propre naïveté.

- Ton mari doit être un homme riche, à en juger par la taille de ce brillant, continua la femme. C'est facile à deviner, mais ce que je ne peux pas dire à seulement te regarder est, s'il mérite ou non l'affection d'une créature aussi jolie que toi. C'est seulement lui et toi qui pouvez le savoir.

- Il le mérite, répondit immédiatement la jeune blonde. Il n'est pas parfait mais il est le meilleur des hommes pour moi. C'est moi qui l'ai blessé et maintenant je ne sais pas quoi faire pour qu'il oublie ce qu'il s'est passé.

- Je ne te crois pas, dit la femme,soulignant son affirmation en niant avec la tête de manière décidée.

- Vous doutez qu'il mérite mon affection ? demanda Candy déconcertée.

- Je t'ai déjà dit que cela, il n'y a que toi qui peux le savoir. Ce que je ne te crois pas est que tu sois la seule responsable de la dispute que vous avez eue. Si tu l'as blessé, il doit y être pour une raison, je me trompe ?

La jeune fille ne sut que répondre. Elle resta à réfléchir un moment, essayant de se rappeler les événements de cette nuit. « Si seulement il avait été sincère avec moi avant ... s'il m'avait dit qu'il m'aime, les choses auraient été très différentes, » se dit la jeune femme en se mordant les lèvres.

- Je me trompe ? répéta la dame sortant la jeune blonde de ses pensées.

- Non, grand-mère, vous ne vous trompez pas. C'est quelque chose qu'il a fait... ou plutôt quelque chose qu'il a cessé de faire qui m'a provoquée. Toutefois, je ne crois pas que la raison soit suffisante pour excuser mon comportement. Je lui ai dit des choses qu' il ne méritait pas. Le pire de tout est que ce n'est pas la première fois que ça arrive. Je ne sais pas ce qui me prend avec lui, je termine toujours en perdant le contrôle et lui montre le pire de moi même.

- Cela arrive généralement avec les personnes que nous aimons le plus, ma fille, condamna la vieille. Surtout quand on n'arrive pas à ouvrir son cœur complètement.

- Mais je le veux de toutes mes forces, protesta la jeune femme et la vieille ne put éviter de sourire devant sa véhémence.

- De ça, je ne doute pas mais tu gardes encore en toi des choses que tu n'as pas osées lui dire ... j'imagine que c'est la même chose pour lui. Tant que la situation restera ainsi, vous continuerez tous les deux à vous regarder et à vous blesser. Sois tranquille, ma fille, ce chemin n'aboutit pas que pour celles qui ont été indignes. Beaucoup de grands amours ont été fondés de cette manière.

- Qu'est-ce que je peux faire, grand-mère ? demanda Candy avec un désespoir significatif dans son ton de voix.

- T'armer de valeur, petite, et lui dire tout ce que tu caches et qui te sépare encore de lui. Il n'attend que ton premier pas. Ces bêtises sont pour des jours anciens, elles n'arrêtent pas le mariage. Ne compte pas sur lui pour faire ce premier geste, mais fais-le avant qu'il ne soit trop tard, tu ne crois pas ?

- Je crois que vous avez raison, acquiesça la jeune fille plus ouvertement devant les yeux foncés et vivaces de la vieille dame.

- Ainsi, tu es beaucoup plus jolie, sans cette tristesse dans le regard, dit la femme en répondant au sourire de la jeune femme. Maintenant je te laisse parce que, bien que tu ne paraisses pas le sentir, cet après midi refroidit mes vieux os qui eux ne peuvent pas l'ignorer.

La vieille dame se leva en s'appuyant sur sa canne noire et Candy ressentit qu'elle détenait une volonté joviale malgré ses années.

- Merci pour vos conseils, grand-mère, j'essayerai de faire ce que vous m'avez dit.

- Oh, je ne me prends pas trop au sérieux, ma fille, mais tu ferais bien d'essayer d'arriver à une meilleure entente avec ton mari et de réfléchir un peu plus, ajouta la dame avec un geste de son index. Discutez du nécessaire, mais ensuite assure-toi que vos accords sont estampillés comme ils doivent l'être.

- Comment ça, grand-mère ? demanda Candy intriguée tandis qu'elle voyait la vieille commençait à s'éloigner.

- Mais à ton avis, petite fille? rit la femme sans s'arrêter, sur l'oreiller, évidemment !

Candy ne put éviter de sourire. Elle aurait voulu dire quelque chose pour retenir la personne mais celle-ci se trouvait déjà sur son chemin et la jeune fille cherchait la manière de résister aux images que les derniers mots de la vieille avaient réveillées dans son esprit.

La patience n'avait jamais été une des vertus peu considérables de Daniel Legrand. Sa soeur lui avait assuré que le plan qu'elle avait prévu ne pouvait pas rater. Sophie était la mère célibataire d'un enfant faible et infirme qui n'arriverait probablement jamais à l'âge adulte. Cette circonstance avait permis à Eliza de convaincre la jeune maman d'être l'espion dont elle avait tant besoin. Si ses soupçons étaient exacts, il suffirait de quelques semaines pour que Sophie puisse découvrir ce qui se cachait derrière le mariage surprenant des Grandchester.

Toutefois, les premières semaines étaient passées sans qu'il y ait une information significative qui pouvait servir à orchestrer une vengeance. Daniel n'allait rester là, avec les mains croisées. Conscient que sa sœur n'approuverait pas ses méthodes, le jeune homme s'était chargé pour son propre compte de prendre certaines mesures qui lui permettraient de garder leurs comptes en suspens au cas où les plans d'Eliza ne fonctionneraient pas. Trois semaines après le mariage,  il avait engagé un groupe de professionnels pour maintenir une vigilence auprès de la maison des Grandchester.

Si l'occasion se présentait, il n'hésiterait pas à prendre par la force ce qui lui avait été refusé. D'une certaine manière, l'idée de s'imposer violemment et humilier de cette façon celui qui l'avait lui-même autant humilié était beaucoup plus attrayante pour lui qu'une vengeance élégante et élaborée comme Eliza le voulait. Pour Daniel, ses plans n'avaient malheureusement pas reçu un meilleur sort que ceux de sa sœur. Terrence avait été prévoyant sur ce que Daniel allait faire en maintenant sur Candy une surveillance constante. La maison était surveillée vingt-quatre heures sur vingt-quatre et la jeune Madame Grandchester ne sortait jamais seule. Les espions que Daniel maintenait avaient dû être constamment changés, par crainte que les concierges de Grandchester finissent par les reconnaître. La dernière chose que Daniel souhaitait était qu'un de ses hommes soit appréhendé et finisse par le dénoncer.

Une seule fois, ils avaient été sur le point d'obtenir ce que Daniel voulait. Candy s'était risquée à sortir seule dans une zone peu fréquentée de la ville – selon ce qu'il avait compris – mais avant que l'homme assigné pour la suivre puisse faire quelque chose pour la piéger, la jeune fille était parvenue à s'échapper dans un autobus. L'espion avait été écarté, évidemment, mais l'occasion ne s'était pas à nouveau présentée. Depuis lors, la présence toujours constante du chauffeur des Grandchester avait ruiné toutes les possibilités de mener à bien le travail. Pire encore, Terrence avait pu reconnaître un des hommes et la police l'avait identifié comme un délinquant fiché grâce à la description que le jeune homme avait donnée de l'individu. Daniel avait dû sortir rapidement du pays l'homme en question.

En somme, après six mois, rien ne paraissait fonctionner. C'était le moment d'essayer un travail malpropre, même s'il fallait sacrifier une vie. Si tout se passait comme il le projetait, bientôt son obsession pour Candy aurait une histoire. Pendant la nuit, il se complaisait dans l'élucubration de fantaisies tordues qu'il pourrait un jour complètement satisfaire. Ensuite, il l'humilierait encore plus en la laissant à la grâce des hommes qu'il avait engagés pour l'aider. Imaginer seulement la douleur et le déshonneur de Grandchester quand il serait informé de ce qui s'était passé le remplissait de la joie la plus obscure que peut éprouver un homme.

*********************

L'après-midi s'obscurcit soudain et de nouveau il semblait que le froid hivernal était en recrudescence. Les passants qui pendant quelques heures, avaient peuplé le parc commencèrent à rentrer chez eux, laissant les allées pratiquement désertes. Candy avait laissé le banc qu'elle avait partagé avec la vieille femme et marchait maintenant sans direction fixe le long du bosquet dénudé de ses feuilles.

Dans son esprit résonnaient les mots de la petite vieille et elle se demandait si en vérité il ne serait pas la valeur nécessaire de confier à Terry toutes ses peurs, zèles et rancoeurs qu'elle avait gardés pour elle aussi longtemps. Elle examinait son for intérieur et elle avait honte d'elle-même. Irrémédiablement, les larmes montèrent à nouveau à ses yeux qui sous la lumière grise de l'après-midi, étaient devenus de la couleur d'une pomme verte.

Le vent commença à souffler en l'obligeant à dissimuler ses mains dans les poches de son manteau bleu foncé et pour la première fois de l'après-midi, elle commença à penser qu'il était déjà l'heure de retourner là où le chauffeur l'attendait.

« Si je ne rentre pas vite, le pauvre Harry va se mourir de froid dans cette voiture » pensa-t-elle en retournant sur ses pas, tout en commençant à presser le pas.

La jeune fille passa devant le banc sur lequel elle s'était assise une heure plus tôt et continua son chemin. A l'horizon, le soleil commençait à descendre. Pas un passant ne demeurait, sauf ... sauf cet homme avec le pardessus gris foncé qui était debout à quelques mètres d'elle.

Une espèce de pressentiment étrange traversa le coeur de la jeune femme en passant devant cet homme. Qu'est-ce que pouvait bien faire un homme seul au milieu de Central Park, ainsi debout,comme s'il attendait quelqu'un ou quelque chose dans un après-midi froid comme celui-là ?

« Encore tes délires de persécution, » se dit la jeune fille en essayant de se calmer, « Cet homme est probablement lui aussi en train de se demander ce que fait une femme comme toi, seule par un après-midi froid comme celui-ci. »

Les pas de Candy pouvaient être entendus dans la solitude des pavés, et à sa grande surprise, elle perçut bientôt que d'autres pas les accompagnaient de près. La jeune fille marcha plus rapidement juste pour constater que l'homme la suivait maintenant avec un pas plus rapide.

C'était trop de coïncidence. Candy se rendit alors compte que c'était le moment d'avoir peur et de courir et alors elle le fit. L'homme courut derrière elle. Malheureusement cette fois, il n'y avait pas d'autobus qui arriverait au coin de la rue à son secours. L'unique moyen de s'échapper était de courir directement vers la sortie du parc, mais les foulées de l'homme étaient plus rapides que les siennes.

Puis elle sentit la main de l'homme lui saisir fermement un bras, tandis qu'avec l'autre, elle tentait de dévier le coup en essayant de le frapper avec son sac.

- Du calme, Madame, je ne vous ferai aucun mal si vous coopérez avec moi, dit l'homme en la saisissant violemment.

- Lâchez-moi ! cria-t-elle en sentant que ses pires cauchemars commençaient à devenir réalité.

- Du calme, j'ai dit ! ordonna l'individu en répondant à la résistance de la jeune femme avec une gifle sonore qui fit immédiatement rougir en partie la joue blanche de Candy, laissant la jeune femme assommée.

En voyant qu'elle ne représenterait plus aucun problème pour le moment, l'homme la leva de nouveau pour la placer sur une de ses épaules. Il devait agir rapidement pour arriver à la calèche qui était avancée. La solitude du lieu était parfaite.
Avec des pas presque encouragés par le poids de la jeune fille qu'il portait, l'homme se glissa entre les arbres vers l'emplacement où il avait laissé son moyen de transport. Finalement, après avoir marché un instant, il put apercevoir les chevaux et la calèche noire étroite.

« Cette affaire sera la plus facile de toutes, » pensa l'homme. Dans cette solitude, il aurait pu y compris s'offrir un luxe supplémentaire avec la fille, mais celui qui payait avait été bien clair sur le fait qu'il aurait la femme d'abord et que les autres pourraient ensuite disposer d'elle.

L'homme ouvrit la petite porte et déposa la fille sur le siège, mais alors qu'il était encore en train d'attacher la jeune inconsciente, le clic particulier d'un déclencheur de pistolet se fit entendre à son oreille.

- Lève les mains très lentement, dit une voix profonde - et retourne toi tout doucement... gentil.

L'homme ne dit rien, il se contenta d'obéir en silence aux indications qu'il recevait dans son dos. Entre les brumes de la semi-inconscience, Candy commença à ouvrir les yeux et put voir comment derrière son attaquant, Harry menaçait la nuque de l'homme avec un révolver qu'elle ne lui avait jamais vu porter auparavant.

La tête lui était encore douloureuse à cause du coup que lui avait donné le mercenaire et elle pouvait à peine comprendre ce qui arrivait. Toutefois, l'étourdissement se dissipa quand elle se rendit compte que l'homme avait réagi rapidement en attaquant Harry avec une poignée d'une poussière étrange qu'il était parvenu à sortir de sa poche, aveuglant le chauffeur momentanément.

La lutte entre les deux hommes ne se fit pas attendre et Candy se rendit compte bientôt que son ravisseur était lui aussi armé et qu'il était un opposé habile et fort, bien que Harry le surpasse en taille. Alors que les deux hommes combattaient, la jeune fille se libéra des liens avec lesquels le bandit avait commencé à l'attacher. Sans perdre un détail de la lutte entre les hommes, Candy s'aperçut que le révolver de Harry était tombé dans l'herbe.

Les hommes continuaient de combattre au corps à corps et échangeaient des coups sans qu'aucun d'eux puisse avoir le temps d'utiliser une arme. Le cœur de Candy était affolé, paralysé de peur et de confusion. Que faire ? Il n'y avait personne vers qui courir pour demander de l'aide. Devait-elle peut-être s'enfuir maintenant qu'elle pouvait le faire ?

Un coup de feu, l'odeur du sang frais, l'obscurité chaque fois plus dense car le crépuscule arrivait à sa fin, un cri de douleur. C'était la voix de Harry ! La seconde suivante, Candy s'étonna elle-même de s'emparer du révolver abandonné sur le sol et de le pointer sur l'homme qui la regarda moitié surpris, moitié amusé. Harry était sur le sol.

Candy ne pouvait pas voir le visage de l'homme, mais sentit qu'il doutait. Il avait aussi une arme. Les mains de Candy tremblaient.

- Allons, Madame. Lâchez cette arme, dit l'homme avec une voix rauque, mais elle ne baissa pas encore la garde.

- Ne bougez pas ! cria-t-elle et elle ne reconnut pas dans sa voix cette espèce de cri, mélange de peur et de colère.

- Croyez moi, Madame, ce n'est pas personnel, mais je dois finir ce travail, dit-il et Candy entendit le click du déclencheur de son révolver.

La vie de Candy passa devant ses yeux en une seconde. Ses deux mères dans ce coin perdu entre les montagnes, les enfants, Albert et son gentil sourire, Annie et elle courant parmi les fleurs sauvages ... Terry ... Daniel. Non, elle ne voulait pas penser à ce qu'il pourrait se passer si elle tombait dans ses mains. Elle préférait mourir à cet endroit.

Des pas et des voix brisèrent alors le silence entre les arbres morts. L'homme tourna le regard dans la direction d'où venaient les voix pendant une fraction de seconde. Un tir de plus transperça alors la nuit. Silence ... Des voix de nouveau paraissaient appeler Harry. Les jambes de Candy ne pouvaient plus la soutenir. La tête lui tournait. Quelqu'un avait-il appelé Madame Grandchester ? Candy ne pouvait plus le savoir. Elle avait perdu connaissance.

******************

Que le diable emporte la tournée de la compagnie Stratford ! Non seulement les chemins se faisaient dans des conditions désastreuses étant donné les neiges récentes, ce qui retardait les départs des trains en rendant les journées insupportables, mais Terrence avait choisi les dates de Noël pour être dans la pire de ses humeurs, et s'agissant de cela, on pouvait dire que c'était réellement une humeur des plus noires possibles.
Robert Hathaway était déjà habitué à ce rude tempérament et aux hauts et aux bas de son jeune prodige, mais il sentait que cette fois, les choses dépassaient les limites de la tolérance de la troupe. Le jeune homme, acerbe, se plaignait de tout et de tous, avait maltraité plus d'un journaliste et avait explosé à plusieurs occasions quand les conditions des théâtres qu'ils visitaient n'étaient pas celles qu'il attendait. Robert pensa qu'il devait parler avec Terry et mettre les points sur les i s'il voulait que la tournée arrive à bon terme. Par conséquent, le soir où la compagnie prit un temps de relâche avant le prochain voyage à Pittsburg Iowa, Hathaway s'arma de courage pour parler avec Terrence.

D'un geste décidé, l'acteur frappa à la porte de la chambre dans laquelle Terry logeait. Pendant un instant, il n'y eut pas de réponse et Robert pensa une seconde, que Terrence avait peut-être finalement décidé de sortir de la chambre d'hôtel pour se dégourdir les jambes. Toutefois, un moment après, une voix peu aimable répondit avec un certain agacement qu'il exigeait qu'on ne le dérange pas. Il n'y avait pas doute, Terrence était dans ses quartiers et avec la pire des humeurs !

- Ouvre, Terrence, c'est moi, Robert, répondit l'homme. Une nouvelle fois, le silence fut la seule chose qu'il obtint pendant un instant, mais avant que Hathaway insiste de nouveau, la serrure s'ouvrit.

- Entre, Robert, répondit le jeune homme depuis l'intérieur et Hathaway sut immédiatement par l'accent britannique marqué que Terrence laissait transparaître, que le jeune homme avait bu. C'était un signe clair que les choses étaient pires que ce qu'il avait imaginé.

Quand Robert entra dans la chambre, le parfum de tabac et whisky qui imprégnait l'air lui rappela l'atmosphère des bars de Greenwhich Village. Les vêtements, sales et propres, étaient abandonnés de tous côtés - chose inhabituelle chez Terrence qui était régulièrement un homme ordonné-, le lit était défait, mais l'occupant était encore habillé.

Décidément, les choses allaient mal et le contraste était fort parce que durant les mois suivants son mariage, l'état d'esprit de l'acteur avait été, sinon bon, au moins reposé.

- Je t'écoute, Robert, dit Terry en s'effondrant dans un fauteuil près de la table où reposaient une bouteille et un cendrier plein de mégots de cigarette.

- Quelque chose me préoccupe chez toi, Terrence, répondit l'homme en s'installant à son tour dans un sofa proche – Il est clair pour tous que tu es tendu par quelque chose depuis que nous avons commencé la tournée.

Terry reposa sa tête sur le bord du siège pendant un instant, son rire transpirant de son cynisme habituel, cynisme que Robert connaissait bien.

- Je suis tendu par quelque chose ? demanda le jeune homme, ironique. C'est une élégante manière de dire que j'ai été un emmerdeur avec tout monde, dit Terry en reposant son corps sur le siège du fauteuil et en étirant ses longues jambes.

- Je n'ai jamais dit cela, dit l'homme en percevant que bien qu'ayant bu, le jeune homme n'était pas encore ivre - Toutefois, je te mentirais si je te dis qu'il a été un plaisir de travailler avec toi ces derniers jours.

- Tu ne dois pas atténuer les choses, Robert, répondit Terry alors qu'il servait à nouveau du whisky dans son verre, brandissant la bouteille en l'air pour inviter Hathaway à boire avec lui.

En pensant que la conversation était déjà assez scabreuse en étant sobre, Robert rejeta l'offre du jeune homme d'un geste et s'encouragea ensuite à continuer:

- Tu sais bien que, plus que personne, j'ai toujours été de ton côté, mais je crois que ces jours-ci ... sincèrement ... tu as dépassé les limites.

- Je comprends que tu sois préoccupé pour la troupe et pour la tournée ... je n'ai pas d'excuse, admit Terry en niant avec la tête tandis qu'il dégageait son visage des cheveux qui lui tombaient sur le front - les gens ne sont pas responsables de la catastrophe qu'est ma vie, mais cela tu dois déjà le savoir. Je suis toujours une catastrophe incarnée.

- Tu ne devrais pas parler ainsi, l'interrompit l'acteur - As-tu pensé au nombre de personnes qui se mourraient pour être à ta place, Terrence ? Regarde-toi ! Tu as à peine vingt ans et les gens se ruent dans les théâtres pour te voir. Tu as de l'argent, la renommée et surtout du talent. Évidemment, parfois le talent entraîne un tempérament difficile. Il te manque seulement à apprendre à contrôler tes hauts et bas émotionnels, mon garçon.

- Contrôler !  s'exclama Terry en ouvrant les bras - C'est précisément mon problème ! Tu ne sais pas comment je me suis détesté ces deux dernières semaines. Si je pouvais cesser de me comporter comme l'animal que je suis, je verrais alors peut-être les choses un peu plus clairement et toi et moi n'aurions pas cette conversation.

Hathaway regarda son collègue plus intrigué que jamais. Il savait que la mauvaise humeur de Terry devait avoir une raison bien définie, mais il n'avait jamais imaginé que le jeune homme passait par cette dépression explosive étrange en raison d'un sentiment de culpabilité.

- Je ne sais pas pourquoi je pressens que tes sautes d'humeur avec les machinistes et le metteur en scène ont leur origine en dehors de la scène, je me trompe ? demanda l'homme commençant à trouver le chemin vers où divaguaient les pensées de Terrence – Dis-moi une chose, fils, as-tu eu une dispute avec ton épouse avant de quitter New York ?

Le visage du jeune homme s'assombrit d'un coup. Hathaway sut qu'il avait tapé juste. Il avait une expérience suffisante de la vie pour s'être rendu compte que Terry vouait à son épouse une passion débordante qui tournait parfois à l'obsession. Quand il avait été informé des noces inattendues de sa jeune étoile avec une riche héritière, il n'avait su que penser. Se marier pour une fortune, surtout quand il venait lui-même de recevoir un héritage propre, n'était ni de la logique ni du style de Terry. Finalement, en connaissant Candy et en observant le couple, Hathaway avait pu lire qu'entre les deux jeunes gens, il y avait un sentiment particulier, aussi inconnu qu'intense. Non, ce n'était décidément pas un mariage par simple convenance économique et sociale. Tout au contraire, Terry transpirait par chacun de ses pores une dévotion envers la jeune fille qui paraissait parfois de l'idolâtrie. Etant un homme de tempérament, il ne s'avérait pas étrange que les accès de mauvaise humeur dont il avait fait preuve dernièrement aient leur origine dans un problème conjugal.

Terry était muet depuis quelques instants. Robert pouvait clairement voir comment il s'efforçait de contrôler les émotions que sa question directe avait laissées transparaître.

- Ce n'est pas ce que tu penses, dit le jeune à la fin – C'est beaucoup plus compliqué. Avec moi tout est toujours compliqué, ajouta-t-il ensuite avec une moue qui était plutôt une moquerie de lui-même - Parfois j'arrive à penser que je suis maudit ou quelque chose comme ça, parce que je m'éloigne systématiquement de tout le bon qu'il y a dans ma vie.

- Je ne crois pas. Il me semble plutôt que tu as une attaque d'auto-destruction. Je suis sûr que ce qui est arrivé entre ta femme et toi finira par se résoudre dès que tu seras de retour à New York. Parfois la distance qu'impose une tournée aide les deux parties à réfléchir.

Terry allait répondre quelque chose pour faire comprendre à Robert que son problème n'était pas de ceux qui pouvaient se régler. Après tout, il était sûr que Candy ne voulait rien avoir à faire avec lui et pour sa part, il n'avait pas la plus petite intention de le lui demander. Toutefois, l'explication demeura en suspens parce que la sonnerie du téléphone les interrompit. Tous deux restèrent inertes. Hathaway espérait que Terry se lèverait pour répondre à l'appel, mais le jeune hmme se déplaça seulement pour se servir davantage de whisky.

Le téléphone continua de sonner avec insistance. Sans que personne ne se décide à s'occuper de lui, l'appareil poursuivit son appel au milieu du silence sans qu'aucun des deux hommes ne dise mot.

- Ne vas-tu pas répondre ? demanda finalement Robert, ce à quoi le jeune répondit avec un rétrécissement d'épaules. Ainsi, le téléphone continua à sonner plusieurs fois, jusqu'à ce que celui qui appelle ait finalement été fatigué d'attendre.

- Cela pouvait être quelque chose d'important, signala Robert quand ils se retrouvèrent dans le silence.

- Rien n'est important, répliqua Terry en jouant avec les nuages qui sortaient de son corps en exhalant la fumée de cigarette.

- Il me répugne de te voir ainsi ! répondit Hathaway en commençant à perdre patience avec le cynisme de Terry - Je ne crois pas que ce qui est arrivé entre toi et ton ...

Le téléphone sonna à nouveau. Les deux hommes se regardèrent sans rien dire. Terry plaça la cigarette dans la commissure de ses lèvres et leva les yeux en signe d'ennui. La sonnerie du téléphone lui transperçait les os jusqu'à ce que l'irritation soit parvenue à lui donner l'énergie nécessaire de se lever et de répondre, plus par ennui que par préoccupation de lapersonne qui pourrait vouloir parler avec lui.

- Oui ? dit-il d'une voix sèche en décrochant et Hathaway put remarquer qu'une seconde plus tard, l'expression de visage de Terry avait cédé la place à la peur.

- Quoi ? s'exclama le jeune homme en laissant transpirer la panique dans sa monosyllabe. Un silence prolongé suivit et Terry devint pâle comme un linge.

- Mais quelle espèce d'idiot a pu se comporter de cette manière ?  s'écria le jeune homme et l'expression livide céda la place à la rougeur de la colère - Comment va-t-elle ? fut la question suivante et son ton laissait percevoir une franche angoisse.


S'ensuivit de nouveau un long silence tandis que Terry continuait à écouter la personne de l'autre côté de la ligne. Hathaway n'avait jamais vu chez Terrence un semblable état d'excitation et d'anxiété, pas même le jour du tragique accident de Susanna Marlowe.

- Bien, bien, se dépêcha de dire le jeune homme comme pour interrompre son interlocuteur au téléphone.  Je partirai ce soir même. Je me charge d'en faire la demande. Maintenez la maison sous surveillance et qu'elle n'en sorte sous aucun prétexte jusqu'à ce que j'arrive ... oui ... oui.

Terry éteignit le feu de sa cigarette sur le meuble sur lequel reposait le téléphone, tandis qu'il se dégageait le front d'un filet de sueur qui avait commencé à y perler. Dès lors, tout semblait l'agacer en plein milieu de sa nervosité.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Hathaway alarmé. Ne me dis pas que rien parce que je ne suis pas un idiot.

- On a essayé d'enlever ma femme, répondit Terry avec gravité.

- Comment est-ce possible ? s'exclama Hathaway surpris. Bien que Terry et Candy réunissent ensemble une fortune considérable avec leurs héritages, il n'avait jamais envisagé la possibilité que leur richesse les transforme en candidats potentiels pour ce type de violences - Crois-tu que ce soit pour une rançon ?

- Non. C'est une vengeance, dit Terry en commençant à chercher son portefeuille dans la multitude de vêtements qui étaient jetés sur le sol.

- Une vengeance ? demanda Hathaway perturbé. Il savait que Terry avait très mauvais caractère, mais il ignorait qu'il ait des ennemis. Quant à Candy, on ne pouvait pas imaginer qui voudrait faire du mal à une créature aussi charmante.

- La longue histoire que je t'ai racontée une fois.

- Comment est-elle ? demanda alors l'homme.

- Mon maître d'hôtel dit qu'elle va bien, mais il hésitait en le disant. Je ne le crois pas, répondit Terry tandis qu'il mettait le premier manteau qu'il trouva – Robert ... pour l'heure ... Robert, tu comprendras, que dans une situation comme celle-ci, je ne peux pas poursuivre la tournée. Pourrais-tu veiller à ce qu'on me remplace pour le reste de cette semaine ? demanda le jeune homme alors qu'il fermait son manteau sans nouer sa cravate.

- Évidemment. N'en dis pas plus, Terry.

Robert Hathaway pensa que c'était-là une conclusion très bizarre pour le conflit de relations humaines au sein de la Compagnie Strafford. Le groupe se reposerait de l'explosive dépression de Terry, mais il était regrettable que ce fut dans des circonstances aussi graves.

******************

Quel voyage ! Quel voyage interminable ! Les trains surchargés, les gares pleines, les billets à prendre et le cœur qui battait dans mille récriminations. « Si j'avais pu me contrôler, si j'avais agi avec la tête au lieu de me comporter comme un animal fou ... elle serait venue avec moi en tournée ... elle aurait été en sécurité près de moi. Tout, tout est ma faute ! ... Comment ai-je pu être tellement stupide ? »

Toujours impulsif dans ses émotions, Terry n'avait jamais de demi mesure. S'il devait se repentir, il devait alors être le plus amer ; s'il était en colère, il lui fallait alors crier, hurler sa rage ; s'il était haineux, il haïssait alors inconsidérablement ; s'il s'agissait d'amour, il lui fallait aimer pleinement et sans limite. Il parvenait en principe à afficher le costume élégant de celui qui vit si passionnément, mais éprouver tant de choses contradictoires à la fois était presque dans les limites de sa résistance émotionnelle. Il avait des désirs terribles de tuer Daniel Legrand de ses propres mains, il se détestait lui-même d'avoir échoué dans le contrôle de ses impulsions et voulait être à côté de Candy en ce moment ... bien que dans le fond il craignait que la rencontre implique sans doute de devoir souffrir le rejet de Candy.

Les résolutions amères qu'il avait exprimées dans sa lettre avant de partir en tournée avaient été totalement écartées face à la nouvelle de son agression. Quelques heures auparavant, il l'avait détestée pour l'avoir rejeté ; mais maintenant, tandis qu'il courait pour être à côté d'elle, il était sûr que si Candy lui laissait entrevoir le plus léger signe d'espoir, il serait de nouveau disposé à lui ouvrir son cœur .Toutefois, habitué comme il était au fait que la chance lui était revêche, il n'osait pas être trop encouragé. De toutes manières, son âme brûlait à l'idée de la voir à nouveau, quand bien même serait-ce pour essuyer son rejet. Dès lors, la seule chose qui lui importait était que le train avance plus rapidement.

******************

Daniel laissa son domestique l'aider à enlever son manteau sans même faire un geste. Quelle journée inutile et décevante ! Il ne parvenait pas encore à croire à la stupidité de l'homme qu'il avait engagé. Il avait tellement été sur le point d'accomplir son objectif et l'occasion lui avait glissé entre les doigts. Si seulement cet imbécile avait réagi plus rapidement, probablement que maintenant, au lieu de devoir s'enfuir vers le Canada, cet idiot aurait l'argent qu'il souhaitait et lui jouirait de Candy jusqu'à en être fatigué.

Vu ce qui était arrivé, il lui avait fallu procéder avec beaucoup plus de précaution. La police s'était maintenant immiscée dans cette affaire, faisant que ses plans étaient, pour l'instant, trop dangereux. Il devait attendre un moment que les choses se refroidissent.
Le domestique se retira en laissant Daniel qui respirait profondément tandis que ses yeux examinaient les détails du grand salon principal de la demeure de Lakewood.

Un son de soie et de pas descendant les escaliers le fit sortir de ses lamentations pour voir l'image de sa soeur qui paraissait lui sourire de la même manière qu'elle le faisait quand ils étaient enfants et préparaient un mauvais coup pour quelqu'un.

- J'ai pensé que tu ne rentrerais jamais, dit Eliza avec les yeux brillants de joie – J'ai des nouvelles excellents pour toi, mon frère. Mais tu comprendras que je ne peux pas te les raconter ici. Pourquoi ne viens-tu pas dans mon salon ?

- J'aime voir ce regard dans tes yeux, petite sœur, répondit-il en commençant à se sentir mieux alors qu'il devinait les possibles raisons qu'Eliza détenait pour être aussi optimiste – C'est encore meilleur que ce que j'imagine ?

Sans répondre à son frère, la jeune femme se tourna en lui indiquant avec un geste qu'il la suive. Ils marchèrent en silence jusqu'à la chambre d'Eliza. Daniel se mourait d'impatience mais il fallait procéder avec précaution.

Une fois dans son salon privé, la jeune femme ferma la porte et se pencha sur son secrétaire, en sortant des papiers du double fond du meuble où elle dissimulait tout ce qu'elle voulait protéger des yeux des domestiques mais qu'elle ne pouvait pas cacher dans le coffre-fort de son père.

- Lis ceci et ensuite tu me diras si notre Sophie a fait ou non son travail, dit-elle en savourant son triomphe.

Daniel prit les papiers et il se mit à lire avec calme ce qu'ils disaient. Son expression changea lentement du dégoût à de l'amertume puis à une joie sinistre.

« Quand nous avons convenu de contracter ce mariage entre nous avec le seul but de te libérer de Daniel Legrand, nous étions bien éclairés sur le fait que l'union serait une simple comédie. »

Daniel ne donnait pas crédit à ce qu'il lisait. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi Grandchester avait monté un stratagème tellement absurde avec Candy quand il était clair qu'il se mourait encore pour elle. Entrait la possibilité qu'elle ne soit plus intéressée par lui mais que, comme un idiot, il tente de profiter de l'occasion pour rassasier son envie d'elle dans un déploiement de chevalerie. Après tout, ils étaient mariés et c'était le droit de Grandchester... Simplement ce type était un idiot.

« Je pourrais aussi dire que je me repens de mes actes, mais non des sentiments qui les ont produits. Je devrais parler ici de ces sentiments, mais je n'ai jamais été éloquent dans les affaires de cœur et je ne dois pas l'être quand maintenant il est clair que mes prétentions à ton égard ne sont pas réciproques »

" Il a donc en effet essayé quelque chose, après tout, pensa Daniel confus, mais elle l'a rejeté. Il doit être très stupide d'avoir accepté sa décision quand il était en son pouvoir de la prendre par la force. Il ne pouvait simplement pas comprendre de quel bois était fait Grandchester, mais dans le fond cela ne l'intéressait pas de le savoir. L'important était qu'il avait maintenant dans ses mains une manière sûre de se venger de tous les deux et non seulement de cela ...."

- Te rends-tu compte ce que ceci signifie, mon frère ? demanda Eliza en rompant le silence

- Évidemment ! Nous pourrons annuler le mariage en deux temps trois mouvements et Candy n'aura pas d'autre moyen que d'obéir à la Grand tante, lui répondit Daniel plus heureux que jamais.

- Et toi, évidemment, tu seras là pour sauver la réputation de la famille en te mariant avec elle. La Grand Tante n'en sera que plus repentie d'avoir annulé les fiançailles avec toi pour avoir marié Candy avec Terry et te remerciera toute sa vie que tu acceptes cette orpheline après le scandale de l'annulation.

- Je peux à peine y croire, dit finalement Daniel en riant de toutes les tentatives inutiles dans lesquelles il s'était risqué. Le jeune homme secouait la tête entre ses éclats de rires.

- Ne peux-tu pas croire qu'en fin de compte nous allons disposer de la fortune de l'oncle Wiliam ?demanda Elisa pensant uniquement à l'argent dont ils pourraient disposer quand les millions des André seraient passés dans les mains de Daniel.

- Non ! Je peux à peine croire que cette idiote est restée intacte pour moi pendant tout ce temps, se réjouit Daniel en se jetant dans le lit de sa sœur sans pouvoir contrôler sa joie.

Eliza laissa son frère seul, imaginant qu'il aurait besoin de temps pour se remettre de l'émotion. Elle, pour sa part, ne pouvait pas non plus comprendre comment Candy avait laissé passer l'occasion d'être avec Terry, mais réellement c'était sans importance. Terry le méritait pour avoir eu le mauvais goût de tomber amoureux d'elle. Mentalement, Eliza commença à faire le compte des fois qu'elle pourrait voyager en Europe chaque année, une fois que la guerre serait finie en disposant de l'argent de la dot de Candy.
Seulement pour commencer, maintenant que Daniel était de retour, il était temps d'aller faire une certaine visite à la Grand tante.


Chapitre 10 - Apprends à lire ce que mon amour silencieux a écrit

- Expliquez-moi maintenant comment les choses sont arrivées, Spencer. Je veux la vérité et seulement cela, exigea le jeune patron de son maître d'hôtel dès qu'il eut foulé le seuil de sa maison. Avec des mains nerveuses, le jeune homme enlevait ses gants alors que Fletcher, un des domestiques de la maison, l'aidait à enlever son pardessus.

Spencer et Fletcher échangèrent des regards, mélange d'étonnement et de crainte, un peu perturbés devant l'aspect inhabituel de leur patron qui était toujours impeccablement vêtu et qui paraissait maintenant avoir oublié de nouer sa cravate. L'irritation dans les yeux du jeune homme laissait voir le manque de sommeil, mais le ton de franche inquiétude de sa voix démontrait qu'il était en état de panique.

- Allons messieurs ! Arrêtez de me regarder comme si j'étais un fantôme et dites moi ce qui s'est passé ! répéta Terry, irrité.

- Et bien, Monsieur, votre épouse a désiré se rendre au Country Club et Harry l'y a accompagnée comme vous l'aviez ordonné, se dépêcha d'expliquer le maître d'hôtel en faisant des signes au domestique pour qu'il se retire. De nouveau, il fut surpris en se rendant compte que son patron avait oublié de mettre sa ceinture et son gilet. Après le Country Club, Madame a voulu s'arrêter pour marcher dans Central Park et a demandé à Harry de la laisser s'y rendre seule.

- C'est précisément ce que je ne peux pas comprendre, Spencer ! explosa Terry en faisant un geste en l'air. Harry savait bien qu'il ne devait la laisser seule sous aucun prétexte ! Pourquoi diable a-t-il désobéi ?

- Je comprends votre colère, Monsieur, expliqua le maître d'hôtel en essayant de calmer le jeune homme, mais Madame est très convaincante, en outre ... en prenant en considération la tristesse qu'elle affichait ces derniers jours ...

- De quoi parlez-vous ? demanda Terry en fronçant les sourcils. Comment se fait-il que Candy ait été triste ?

- Madame est quelqu'un de ... de sensible, Monsieur, expliqua Spencer en sachant à l'avance qu'il aurait du mal à exposer à son patron tous les détails de l'affaire tels qu'ils étaient.  Déprimée pourrait, peut-être, être le mot le plus adéquat. Depuis que vous êtes parti, elle est restée enfermée dans sa chambre pendant plusieurs jours en mangeant à peine comme un petit oiseau; pourtant Lucy s'est donnée de la peine comme jamais en cuisinant tout ce que Madame préfère. Nous étions tous très préoccupés à son sujet, mais ne savions que faire puisque vous n'étiez pas là et elle refusait de voir un médecin.

Même si Spencer pensait que son patron ne pouvait pas plus pâlir, la nouvelle des jours de dépression que Candy avait endurés, laissèrent Terry plus blanc que le tissu de la chemise qu'il portait. « Le jeûne est de ma faute, comme toujours, » se dit-il en se maudissant en silence. « Elle a dû se sentir tellement révoltée, tellement offensée par mon audace, tellement impuissante de ne pas pouvoir m'abandonner une bonne fois pour toutes. Tu dois sûrement me haïr pour mon comportement vis à vis de toi, Candy. »

- Vous comprendrez, continua le domestique en voyant que le jeune homme ne l'interrompait pas, que quand elle a finalement décidé de sortir de cette chambre, nous nous sommes tous sentis soulagés. Pour cette raison, Harry a consenti à la laisser se promener seule. Il a pensé que la marche lui ferait du bien et qu'il n'y avait aucun danger parce que le parc était fort fréquenté cet après-midi-là. Toutefois, quand il s'est rendu compte qu'elle s'attardait et que la nuit commençait à tomber, il s'est décidé à la chercher. Harry a eu un mauvais pressentiment, donc il a décidé de demander à l'escorte de l'aider dans sa recherche pour gagner du temps.

- S'est-elle alors rendue compte de l'existence de l'escorte ? demanda Terry mal à l'aise en pensant que Candy pourrait avoir découvert la mesure de protection supplémentaire qu'il avait lancée sans qu'elle en ait connaissance. Plus méfiant depuis l'incident dans le jardin botanique, il avait engagé trois professionnels qui suivaient la voiture de Candy à une distance respectueuse dès qu'elle sortait.

- Je ne crois pas qu'elle ait pu s'en rendre compte, Monsieur. Les hommes de l'escorte se sont séparés en deux directions différentes et Harry a pris une troisième, Monsieur, expliqua le maître d'hôtel. C'est Harry qui a eu la chance de trouver Madame juste au moment où le kidnappeur essayait de la faire monter dans une calèche. Harry l'a menacé avec son pistolet mais l'individu a utilisé un sale tour pour le distraire et il y a eu lutte. C'est ainsi que l'homme a pu blesser Harry à la jambe, Monsieur... ça été une chance que dans l'obscurité le tir de ce bandit ait été manqué et que le pistolet n'ait eu qu'une seule balle. S'il n'en avait pas été ainsi, nous rendrions peut-être visite à Harry au cimetière et non à l'hôpital, à l'heure qu'il est.

- Qu'est-ce qui s'est passé alors? continua à demander Terry, les yeux brillant d'impatience et d'attente emplie d'angoisse.

- Dieu seul le sait, Monsieur, expliqua le maître d'hôtel en imaginant à l'avance que la partie suivante de l'histoire serait plus difficile à assimiler pour son patron. Les hommes de l'escorte avaient déjà renoncé à leur recherche dans les directions fixées et retournaient au point de réunion quand ils ont entendu un tir. Par chance, le son est venu d'une allée du parc très proche d'eux, ils ont couru donc dans cette direction. Quand ils ont trouvé Madame, elle était debout face à Harry qui avait perdu connaissance à cause de sa blessure. Madame Candy tenait un révolver dans ses mains. Apparemment votre épouse avait pu prendre l'arme de Harry tandis qu'il combattait avec le bandit et quand elle a vu que Harry avait été blessé, elle s'est défendue avec ce révolver.

- A-t-elle touché cet homme ? demanda Terry étonné, parce qu'il savait bien que Candy n'avait jamais utilisé aucune arme. « Te rends-tu compte ? Aussi paniquée qu'elle pouvait l'être, elle est parvenue à garder son sang froid pour se défendre ... Candy ! ».

- Je peux à peine croire qu'elle puisse seulement lever un révolver aussi lourd, commenta-t-il ensuite à haute voix.

- En effet, apparemment, elle a pu le faire, Monsieur. C'était surtout très imprudent de sa part, dans la mesure où le voyou était aussi armé.

- Veux-tu dire qu'il avait aussi un pistolet dans ses mains quand elle a tiré ? demanda Terry en voyant la scène dans son esprit. Candy devait être désespérée pour tirer sur l'homme bien qu'il ait aussi un révolver la menaçant.

- Madame a été très courageuse. Elle ne pouvait pas savoir que l'homme n'avait déjà plus de balles. Elle a sûrement pensé que c'était seulement pour lui faire voir le pistolet.

- Crois- tu qu'elle soit parvenue à blesser l'homme ? demanda Terry chaque fois plus nerveux d'imaginer ce qui s'était produit.

- Très probablement, parce qu'il ne l'a plus attaquée mais s'est enfui. Les hommes de l'escorte disent être arrivés sur les lieux juste quelques minutes après que votre épouse eut tiré. Ils ont aussi tiré, mais n'ont pas pu atteindre l'homme qui est parvenu à s'enfuir dans l'obscurité dès qu'il s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas atteindre son but. Madame s'est alors évanouie, ce qui n'est pas étonnant étant donné que c'est à peine si elle a avalé une bouchée durant les derniers jours.

Terry resta silencieux pendant quelques secondes. Le danger dans lequel Candy avait été plongée paraissait encore plus clair et plus écrasant en écoutant l'histoire de Spencer.

- Monsieur, si je peux me permettre, ajouta le maître d'hôtel en voyant que son patron se taisait, je crois que vous ne devriez pas être dur avec Harry, il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger Madame et n'oublions pas qu'il a risqué sa vie pour la sauver.

Terry ne dit rien, il baissa seulement la tête pendant un instant alors qu'il tordait ses mains l'une contre l'autre. Même s'il avait voulu accuser Harry de ce qui était arrivé, ce qui était certain est qu'il ne trouvait pas un autre responsable que lui-même. La seule pensée de ce qui se serait passé si Candy n'avait pas eu le réflexe d'utiliser l'arme l'horrifiait.

- Ne vous inquiétez pas pour Harry, dit-il finalement en soulevant la tête, je saurai le récompenser. Dites-moi maintenant où est Madame.

- Dans ... dans sa chambre, Monsieur,  hésita le maître d'hôtel en devenant plus nerveux. Vous voudrez bien m'excuser mais il y a quelque chose que je ne vous ai pas dite par téléphone, confessa l'homme en baissant la tête.

Le sourcil gauche de Terry se plia dans un geste réfléchi. Son esprit commença à travailler rapidement, imaginant les pires choses possibles. Son cœur lui avait déjà dit que Candy n'était vraiment pas bien en dépit de ce que Spencer lui avait assuré dans sa conversation par téléphone.

- Parlez, dit-il seulement, la voix enrouée par la tension.

- Madame n'est pas encore revenue à elle, Monsieur, expliqua le maître d'hôtel en perdant les couleurs de son visage lorsqu'il vit l'expression de son patron, le médecin dit qu'elle est probablement entrée dans une espèce d'état de choc à cause de l'expérience vécue. Votre mère est ici depuis l'incident. Elle s'est chargée de veiller sur Madame et elle a décidé que nous ne vous dirions pas l'état dans lequel votre épouse se trouve jusqu'à ce que vous soyez de retour. Pardonnez cette dissimulation, mais c'était les ordres de votre mère. S'il vous plaît, excusez-m'en.

- Ne vous inquiétez pas, Spencer, répondit le jeune homme trop préoccupé par l'état de Candy pour se tracasser pour son maître d'hôtel. Depuis combien de temps est-elle inconsciente ?

- Plus de quarante-huit heures, Monsieur, répondit le maître d'hôtel, le médecin a dit que nous pouvions seulement attendre qu'elle réagisse seule et lui donner les meilleurs soins possibles pendant ce temps.

Terry acquiesça de la tête, comme assommé, sentant que le sol se dérobait complètement sous ses pieds, l'avalant tout entier. Le poids de son angoisse devenait chaque fois plus pénible. Sans en dire plus, le jeune acteur laissa son maître d'hôtel et se dirigea vers les chambres principales.

*****************

Seule la faible lumière d'une lampe illuminait la pièce. Terry dut adapter ses yeux à l'obscurité de la chambre en entrant. Le baldaquin du lit avait des rideaux supérieurs, il ne put donc distinguer la forme fragile inconsciente sur le lit. Après un instant, le jeune homme put se rendre compte qu'une femme debout, près d'une des commodes, mouillait un chiffon dans une cuvette. La femme était grande et son visage fut immédiatement reconnu par le jeune acteur.

- Maman ! s'exclama le jeune homme, attirant ainsi l'attention de la femme qui réagit immédiatement en se retournant.

- Terry ! Grâce à Dieu tu es de retour ! dit-elle seulement, avec une expression de soulagement mais en contenant le volume de sa voix dans un chuchotement. Eléonore laissa le chiffon sur la commode et courut trouver son fils sur le seuil de la porte.

- Je te remercie d'être restée ici tout ce temps, dit le jeune homme en essayant de paraître calme mais échouant terriblement dans sa tentative. Comment va-t-elle ? demanda-t-il sans plus pouvoir se contenir.

- Encore inconsciente, répondit la femme en baissant les yeux. Le médecin dit que c'est compréhensible après ce qui est arrivé et en prenant en considération que dans les jours précédents...  Eléonore s'arrêta encore, doutant que ce soit le meilleur moment pour parler à son fils de l'état de Candy durant les jours précédant la tentative d'enlèvement.

- Oui, mère, Spencer s'est déjà chargé de me raconter qu'elle était déprimée avant l'incident, acquiesça Terry en se sentant chaque fois plus misérable. C'est ma faute.

Eléonore ne dit rien. L'expression de désolation sur le visage de Terry était plus éloquente que ses mots. La femme était suffisamment perspicace pour deviner que le couple avait eu une grave dispute avant le départ de Terry.

Connaissant le mauvais caractère de son fils, Eléonore se figurait que le jeune homme aurait suffisamment de raisons pour se sentir coupable de la dépression de son épouse. Toutefois, dans les circonstances malheureuses actuelles, ce n'était pas une bonne idée que d'approfondir le sujet.

- Ne parlons pas de cela maintenant, répondit-elle en souriant légèrement tandis qu'elle plaçait sa main sur l'épaule de son fils dans un geste de compréhension. C'est bon que tu sois rentré, Terry. Te savoir à ses côtés à présent va sûrement l'aider à reprendre connaissance rapidement.

En disant ceci, la femme encouragea le jeune acteur d'un mouvement des yeux pour qu'il s'approche au lit. Terry n'eut pas besoin qu'elle le lui dise deux fois. Cependant, quand il se fut à peine approché de deux pas, il s'arrêta d'un coup sec.

Candy paraissait dormir profondément. Les cheveux blonds qui lui encadraient le visage devenaient encore plus dramatiquement brillants en contrastant avec la pâleur des joues de la jeune femme. Terry, qui avait toujours admiré les nuances de carmin sur le visage blanc de Candy et la couleur vivante de ses lèvres, ne put éviter de se sentir alarmé en observant la lividité qui paraissait dominer maintenant l'apparence de la jeune fille.

En sentant que tombait sur lui tout le poids de ses remords, l'homme s'agenouilla au pied du lit. Ses mains cherchèrent instinctivement la main inerte que la jeune femme avait abandonnée sur l'oreiller. Sans pouvoir rien faire ou dire, l'homme resta ainsi, silencieux, pendant un instant, en observant le sommeil de la jeune fille avec une attention angoissante. L'impulsion constante dans le pouls de la jeune fille et le mouvement calme de sa poitrine lui disaient que la vie coulait encore normalement dans le corps de Candy, mais la pâleur de son visage avait une ombre mortelle qui lui faisait perdre pieds.

Dans son inconscience, la jeune femme bougea légèrement en tournant son visage dans la direction de Terry. Il put ainsi apercevoir l'ecchymose qui demeurait sur la joue gauche de son épouse quand elle se tourna vers lui. Alarmé, Terry chercha sa mère du regard, ses yeux étaient chargés d'une question muette qu'Eléonore comprit immédiatement. La femme s'approcha de lui pour lui donner l'explication dont elle savait à l'avance qu'elle ne contribuerait pas à améliorer l'état d'esprit de son fils. Toutefois, elle n'avait pas une autre option que dire la vérité.

- Nous supposons qu'elle a lutté avec l'homme qui a essayé de l'enlever, raconta Eléonore, en faisant une pause. Il est très probable que l'homme l'ait frappée pendant la lutte.

Terry fut abasourdi pendant quelques secondes. Ensuite, une étincelle de colère commença à briller dans ses yeux qui firent que Eléonore se sentit frigorifiée de haut en bas. Elle connaissait bien la signification de ce regard cinglant et elle le craignait. Simultanément, les poings du jeune homme se crispèrent et son visage fut balayé par un mélange d'indignation et d'impuissance. Cependant, le silence fut maintenu pendant un interminable moment tandis que Terry regardait de nouveau les marques sur le visage de son épouse.

- Maudit fils de pute ! dit-il finalement, presque dans un chuchotement, la voix tremblante de colère. Sa fureur était comme trop puissante dans ces moments-là pour se manifester à haute voix. Jamais dans sa vie il ne s'était senti plus furieux. Ce bâtard a osé la frapper ! ajouta-t-il ensuite sur le même ton, il aurait pu paraître calmé s'il n'avait été trahi par le tremblement de ses mains.

- Terry... balbutia la femme à ses côtés sans savoir comment tranquilliser son fils.

- Non maman, ne me dis rien ! l'interrompit-il. Laisse-moi seul avec elle, veux-tu ? demanda le jeune homme sans cesser de regarder Candy.

Eléonore s'était déjà rendue compte de l'état de fatigue et d'énervement dans lequel le jeune homme était arrivé. La prudence lui dictait qu'il était plus que nécessaire que Terry se repose au moins quelques heures, mais sachant que le moment était trop grave pour penser à ces détails pratiques, la dame supposa qu'il n'était pas opportun de contrarier son fils. Peut-être était-il mieux de laisser Terry combattre seul l'énorme blessure de savoir que quelqu'un avait attaqué et frappé sa femme pendant son absence. Pour une humiliation comme celle-là, une quelconque consolation ne servait à rien, même la prudence ne semblait pas indiquée en un pareil cas.

- D'accord, accorda Eléonore, mais je reviendrai dans un moment.

Terry ne lui répondit pas et Eléonore se contenta de sortir en silence de la chambre.

« Je suis le seul responsable de ce qui est arrivé »  se dit il une fois seul, tandis qu'il dégageait le visage de la jeune fille d'une boucle rebelle, « Toutefois, je te jure, Candy, que ces bâtards de Legrand vont payer cher ce qui est arrivé. Je vais faire en sorte qu'ils souhaitent n'avoir jamais été nés et qu'ils ont signé leur arrêt de mort à l'heure même où ils ont osé te causer des dommages. Je te le jure. »

Si Terry avait dit à haute voix ce qu'il pensait, sa voix aurait probablement été chargée de colère et il aurait peut-être été envahi par la culpabilité implicite. Mais la colère était tellement profonde qu'elle ne pouvait être démontrée en aucune manière. Elle devait être maintenue à l'intérieur, où on maintient les sentiments les plus profonds, ceux qui endommagent par des faits tacites et intimes, ceux qui ne peuvent même pas être soulagés avec des larmes. Ainsi, en silence et sans pleurs, Terry resta à côté de Candy plusieurs heures. Heures qu'il ne compta pas, il souffrit seulement alors qu'il observait le visage endormi de la jeune fille, en nourrissant en même temps ses haines les plus noires et sa passion la plus pure. En se haïssant lui-même et en aimant Candy à son très grand regret, sans même se rappeler la raison pour laquelle ils s'étaient querellés.

A l'aube, Eléonore retourna dans la chambre, en espérant que peut-être la première impression amère avait déjà cédé devant la fatigue évidente. Cependant, en entrant dans celle-ci, elle découvrit que son fils était encore éveillé, installé sur un siège que lui-même avait approché du lit.

- Tu devrais prendre un bain et essayer de te reposer un peu, suggéra la femme.

- Non, lui répondit-il sans la regarder.

- Terry, ne sois pas têtu, tu ne l'aideras en rien et tu arriveras seulement à tomber malade, insista la femme. « Le même entêtement que Richard, » pensa-t-elle ensuite, sans pouvoir éviter un mouvement de tête.

- Je ne veux pas, je t'ai déjà dit, répéta-t-il visiblement agacé par l'insistance de sa mère.

- Terry....

- Laisse-moi seul, qu'est-ce que tu ne comprends pas dans cela ? ajouta-t-il avec acidité.

- Très bien. Fais ce que tu veux, répondit la femme, en perdant patience. Quand elle se réveillera, elle ne te reconnaîtra même pas avec cette barbe drue, sentant le train de seconde classe. J'espère seulement qu'elle n'aura pas peur en te confondant avec son kidnappeur ! le condamna-t-elle en avançant vers la sortie de la chambre mais en arrivant à la porte, elle se retourna et ajouta: Au cas où tu changerais d'avis, je t'ai laissé des vêtements propres sur le tabouret et il y a des serviettes dans la salle de bain. Pour sûr, Candy ne s'en portera pas plus mal si tu te couches à ses côtés pour dormir.

En disant ceci, Madame Baker ferma la porte derrière elle, en espérant que ses derniers mots fourniraient l'effet souhaité.

L'horloge suivit son implacable chemin. Terry hésita un bon moment à s'installer dans le lit de Candy, encore trop accablé par ses remords. Cependant, vers les quatre heures du matin, il commença à réexaminer l'insistance de sa mère quant au bain, jusqu'à ce qu'il ait finalement décidé que ce n'était pas du tout une mauvaise idée. Le jeune homme abandonna à regret sa place à côté de Candy et se rendit sous la douche.

L'effet de l'eau chaude commença rapidement à faire effet sur le corps de l'homme, qui, quand il sortit du bain, se sentait, si non plus tranquille, au moins mieux avec lui-même. D'un pas lourd dû à la fatigue soudaine qui commençait à le gêner, Terry s'approcha à nouveau du lit de Candy. La jeune femme était encore immobile et évanouie.

« C'est curieux, » pensa tristement Terry, « Même pâle et avec ce coup sur la joue, tu es tellement belle. »

Sans beaucoup réfléchir, le jeune homme s'installa à côté de la jeune fille suivant du regard le rythme hypnotique de sa respiration.

- Il est inutile que je me mente, Candy. Je ne pourrais pas cesser de t'aimer même si je le voulais, affirma le jeune acteur à haute voix et ce fut la dernière chose qu'il dit avant de s'endormir profondément.

*********************

La lumière transperça les vitraux et glissa ensuite par les épais rideaux de brocart, arrivant jusqu'aux oreillers. Là, où la toile touchait presque le sol, elle trouva le passage qui lui permettait d'entrer dans l'alcôve, bien que ce soit furtivement. Satisfaite d'être parvenue à ses fins, la lumière voyagea jusqu'au lit, caressant les boucles de la jeune femme. Le contact fut chaud bien que dehors, ce soit un jour hivernal et glacial.

Une seconde plus tard, le son d'une respiration paisible chantait à ses oreilles à un rythme constant. Peu à peu, un arôme d'encens marocain, mélangé avec des agrumes et des bois orientaux, commença à être résolument perceptible dans l'atmosphère, tandis que le bout de ses doigts prenait à nouveau conscience de la texture des draps. Dans son esprit, la sensation chaque fois plus prononcée d'un mal de tête s'installa lentement. Toutefois, une douce chaleur l'entourait de tous côtés et un sentiment de sécurité reposait sur sa poitrine. Il y eut une pause pendant laquelle le songe combattit avec la réalité, sa conscience réfractaire à se réveiller. Après une seconde, la jeune femme ouvrit finalement les yeux.

La première chose qu'elle perçut était que sa tête reposait sur la poitrine de quelqu'un. Une second plus tard, elle sentit les bras qui l'entouraient et reconnut le parfum qui s'était infiltré en ses sens avant de se réveiller.

« Terry ? » fut la première chose que pensa la jeune fille, sans pouvoir comprendre la situation. Réellement, peu lui importait de la comprendre. Elle était dans ses bras. Peut-être était-ce un rêve. Toutefois, le rêve commença à disparaître et rapidement des yeux bleu-vert la regardèrent avec étonnement et préoccupation. Quand leurs pupilles se rencontrèrent, Candy se rappela soudain tout ce qui s'était passé et bien qu'elle ne sache pas avec certitude si ses souvenirs correspondaient à un cauchemar, une angoisse soudaine lui remplit la poitrine.

- Terry ! fut son premier mot, presque comme un gémissement. Un moment plus tard, les bras fermes du jeune homme l'entouraient tandis qu'elle fondait en larmes sur sa poitrine.

L'homme ne pouvait rien dire. Il sentait le nez de la jeune femme plongé sur le peignoir de bain qu'il portait et le tremblement léger de son corps contre le sien alors qu'elle sanglotait. Un buisson d'émotions se rassemblait dans son cœur. Quand s'était-il endormi ? Comment avait-elle terminé dans ses bras ? Dieu, elle était finalement revenue à elle ! Malheureusement, toute la gloire du moment était entachée par l'amertume avec laquelle elle pleurait. Terry avait vu Candy pleurer de rage ou de tristesse, mais jamais sangloter désespérément comme elle le faisait maintenant.

- J'ai eu si peur, Terry ! Terry ! commença-t-elle à dire entre ses pleurs, ses mots entrecoupés et ses mains tremblantes. Cet homme... un pistolet... Harry... disait-elle en hachant les mots tandis que son esprit rassemblait peu à peu les pièces du puzzle.

Ainsi s'écoulèrent quelques minutes. Elle continua à pleurer un long moment, et il se contenta de l'embrasser et de lui caresser la tête avec toute la tendresse dont il était capable. Dans ce moment magique, les distances fixées précédemment furent oubliées, cédant la place à la connexion naturelle qui les avait toujours unis. Au moins en ce moment, tous deux se sentaient un couple dans l'acception la plus spirituelle du mot, bien qu'aucun des deux ne soit capable de le discerner consciemment.

Quand les sanglots et l'angoisse furent calmés, les souvenirs de Candy retrouvèrent peu à peu un sens. Mentalement, la jeune femme entendit à nouveau le silence du parc, sentit le froid du crépuscule, vit l'homme la poursuivant. Le reste continua ; ses tentatives pour se défendre, le coup, le son du déclencheur de Harry, la lutte et ensuite Harry tombant au sol après le tir.

- Mon dieu, Harry ! Terry, où est Harry ?  demanda la jeune fille avec impatience, en se séparant finalement de la poitrine de son mari.

- Même en ce moment, tu dois penser aux autres, pas vrai ? dit Terry, en souriant tristement alors qu'il voyait le visage préoccupé de Candy. Il va bien, mignonne. Ils l'ont blessé à la jambe, mais je crois qu'il vivra pour le raconter à ses petits-enfants, lui répondit-il tandis qu'il lui embrassait le front comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle au monde. Tu es celle qui nous a préoccupés ces trois derniers jours mais maintenant le soleil est revenu, Candy. Tout va bien.

En disant ceci, le jeune homme prit de nouveau la tête de son épouse pour la reposer doucement sur sa poitrine. Les dernières heures qu'il avait passées à côté du lit de Candy avaient été longues et inquiétantes mais à aucun moment, il n'avait pensé à ce qu'il ferait au sujet de sa relation avec la jeune femme dès qu'elle reprendrait connaissance. Et quand ces moments d'angoisse avaient fini par se terminer, la seule chose qu'il pouvait réaliser était qu'elle était finalement réveillée. Ce qui se passerait ensuite n'avait plus d'importance... jusqu'à ce moment-là. Il savait qu'il y avait des choses qui devraient être dites mais il avait peur de briser l'enchantement... pas maintenant qu'elle s'accrochait à lui comme s'il était la seule personne au monde à qui elle pouvait faire confiance, pas maintenant qu'ils s'étaient réveillés ensemble et qu'ils avaient partagé le même lit.

Candy, pour sa part, ne voulait pas non plus revenir à la réalité désagréable des choses tellement dures qu'ils s'étaient dites l'un à l'autre. Pour l'instant, jouir de la chaleur de l'étreinte de Terry et du parfum de son corps était la seule chose à laquelle elle pouvait et voulait penser. La lettre qu'il avait écrite et les décisions qui avaient été prises furent oubliées momentanément. Dans son esprit, des sensations de douleur à la tête persistaient, mais la chaleur qui l'englobait compensait le malaise. Il était tellement naturel d'être entourée de ses bras et de reposer la tête sur son épaule, tellement logique et doux en même temps qu'il lui caresse les cheveux, qu'il ne paraissait pas y avoir de raison valable pour interrompre ce moment.

Un coup discret à la porte les fit revenir à la réalité. Terry se rappela alors qu'il n'avait pas fini de s'habiller et se dirigea vers la salle de bain pour le faire tandis qu'il indiquait à la personne à la porte qu'elle pouvait entrer. Candy observa Terry qui disparut derrière la porte de la salle de bain et dut lutter pour masquer son sourire en se rendant compte dans quelles conditions ils avaient dormi ensemble, quand la mère de Terry et Sophie entrèrent par l'alcôve. Les deux femmes ne purent contenir leur joie en se rendant compte que Candy était réveillée. Immédiatement, les femmes se consacrèrent à examiner l'état de la jeune femme et à lui mettre à nouveau des compresses fraîches pour hâter la disparition de l'ecchymose laissée par le coup. Arrivèrent ensuite le thé avec une légère dose de laudanum pour le mal de tête et un peu de conversation féminine pour alléger le cœur.

Quand Terry sortit finalement, habillé de nouveau avec son soin habituel, Candy déjeunait avec un appétit tellement vorace qu'il se rappela soudainement qu'il avait aussi oublié son propre estomac durant les dernières heures. Après plusieurs jours, Lucy, la cuisinière, se sentit à nouveau utile.

*******************

Les jours suivants passèrent dans un calme apparent. Dotée d'un esprit raisonnable et d'une constitution forte, Candy ne tarda pas à récupérer physiquement de l'incident. Sur le plan émotionnel, c'était différent mais la constante présence de Terry et la rapidité avec laquelle il avait interrompu sa tournée juste pour être avec elle, étaient une compensation suffisante aux cauchemars constants que la jeune femme dut endurer pendant les nuits suivantes. S'imaginant que c'était juste une question de temps, la jeune femme garda pour elle ce détail.

Les deux jeunes gens avaient tacitement choisi de faire comme si rien ne s'était passé durant les jours précédant le départ de Terry et vécurent de nouveau une espèce de trêve calme, si non conciliante. Toutefois, la première démonstration physique qui avait eu lieu quand Candy était revenue à elle, ne s'était pas répétée. Candy n'avait même pas essayé de questionner Terry sur le fait qu'ils avaient fini par dormir ensemble. Ils ne s'étaient pas donné plus d'explications que ce que tous les deux jugeaient nécessaires. C'était comme s'ils avaient décidé que vu les circonstances actuelles, il était préférable d'attendre pour avoir une conversation aussi épineuse. La question était jusqu'à quand ? Ainsi s'écoulèrent quelques jours jusqu'à ce qu'il fut inévitablement nécessaire que Candy quitte la maison pour rendre visite au quartier général de police.

Même si les Grandchester auraient voulu oublier l'incident pour toujours, ce qui était certain était que, s'ils voulaient entièrement neutraliser les Legrand pour qu'un événement pareil ne se reproduise pas, il fallait aller au fond des choses. Par conséquent, quand le médecin accepta que Candy sorte, Terry l'accompagna au commissariat pour qu'elle fasse sa déclaration et essaye d'identifier son agresseur parmi ceux qui répondaient à sa description.

Passer la matinée dans les bureaux de la police en examinant des photos de délinquants et en se rappelant des souvenirs désagréables était la dernière chose que Terry avait envie de faire. Non seulement  il lui était pénible de savoir qu'elle passait un mauvais moment, mais lui-même serra plus d'une fois les poings de colère et d'indignation en écoutant des lèvres de Candy comment l'homme l'avait frappée au point de lui faire perdre connaissance.

Elle, toutefois, avec cette force interne qui la caractérisait et la singularisait parmi les autres femmes que Terry avait connues, avait conservé son calme pendant toute la déclaration alors qu'elle observait les photos. S'il ne la connaissait pas aussi bien, Terry aurait pu penser que la jeune fille racontait des choses qui étaient arrivées à une autre personne et non à elle-même, mais la pâleur inhabituelle de ses joues lui disait que cela lui faisait mal, même si elle refusait de se montrer intimidée.

À plus d'une occasion, il essaya d'arrêter l'interrogatoire quand le policier qui posait les questions insistait pour connaître davantage de détails mais à chaque fois, le regard décidé de Candy l'arrêtait sèchement. Elle continua sans se plaindre, en dépit de la tension sporadique dans sa tête. Ainsi s'écoulèrent environ deux heures laborieuses.

En sortant des bureaux de la police, le retour à maison se passa en silence. Les souvenirs réveillés par la déclaration judiciaire avaient sans doute affecté l'esprit de Candy, même si elle s'obstinait à se montrer forte. Terry, pour sa part, ne pouvait effacer de sa bouche la saveur amère du danger que son épouse avait couru et l'enfer que sans nul doute chacun des deux auraient souffert si le ravisseur était parvenu à ses fins. Tous les deux demeurèrent le reste du voyage sans converser, chacun luttant pour paraître serein et impassible. C'est ainsi qu'ils arrivèrent à la maison.

Le déjeuner se passa dans un silence sépulcral. D'une certaine manière, le souvenir des évènements vécus avait forcé Candy à tourner son regard vers sa réalité. La jeune femme ne pouvait dès lors que croire à ce qui était arrivé. Depuis l'enfance, Daniel et Eliza lui avaient fait découvrir leur esprit mauvais et à plus d'une occasion, ils lui avaient donné des preuves de l'obscurité de leurs cœurs ... mais engager des délinquants pour la priver de sa liberté avec Dieu sait quelles sombres intentions ... c'était au delà de tout ce qu'elle avait imaginé.

Il n'y avait nul doute que cet acte de violence provenait d'eux mais elle savait bien que tant qu'on ne parviendrait pas à retrouver l'homme qui avait essayé de l'enlever, elle n'aurait pas de preuve pour accuser les Legrand. Et si on ne le trouvait jamais ? Qu'est-ce qui allait se passer si, en fin de compte, elle finissait par divorcer de Terry comme cela était projeté à l'origine ? Qu'est-ce qui se passerait quand il ne serait plus à ses côtés pour la protéger ? Si elle n'obtenait pas que la justice fasse quelque chose pour l'aider avant que le Grand Oncle ne lui retire son appui en apprenant le divorce, elle deviendrait alors une proie facile pour les Legrand. Pour la première fois de sa vie, Candy ressentit une peur encore plus grande que lors de ce voyage forcé au Mexique. Les mauvais souvenirs de ces jours dans le désert paraissaient un simple jeu d'enfants face aux perspectives obscures qui allaient venir.
Au milieu de toutes de ces spéculations désagréables, le mystère de la présence de Terry dans sa vie contribuait seulement à l'inquiéter davantage encore. La jeune femme resta devant son assiette un long moment sans parvenir à trouver le courage de manger grand chose. Terry, pour sa part, ne paraissait pas non plus très enthousiaste face au repas.

« A quoi pense-t-il ? » se demandait-elle tandis qu'elle tournait les pâtes avec sa fourchette et surveillait du coin de l'œil le visage du jeune homme qui paraissait avoir été transformé en une pierre indéchiffrable.

Incapable de supporter le silence, la jeune fille demanda que son assiette soit retirée et s'excusa en disant qu'elle avait besoin de se reposer un moment. Terry acquiesça seulement de la tête mais quand elle fut sur le point de franchir la porte de la salle à manger, il l'arrêta de sa voix.

- Je sortirai au Country Club pour voir si je peux faire faire un peu d'exercice à Sultan dans un instant , dit-il tandis qu'il portait un verre d'eau à ses lèvres. En disant cette phrase, il paraissait tellement froid que le sang de Candy se gela dans ses veines.

- Bien, répondit-elle et sans davantage de commentaire, elle lui tourna le dos, se rendant à sa chambre.

*****************

Fâchée contre elle-même, contre la situation et jusque contre l'air qu'elle respirait, Candy entra dans sa chambre et n'appela même pas Sophie pour qu'elle l'assiste. Alors que la jeune blonde s'asseyait face à sa coiffeuse, elle commença à retirer les épingles qui soutenaient sa coiffure. Elle ne savait que penser en ce qui concernait Terry.

« Il me veut » dit-elle en se regardant dans le miroir, « J'ai été trop aveugle tous ces derniers mois et j'ai résisté pour ne pas me rendre compte de cela, mais je ne peux plus le nier. À peine a-t-il eu vent de la tentative de kidnapping qu'il a abandonné sa tournée pour être avec moi malgré la manière odieuse dont je l'avais traité. » Les yeux de la jeune femme brillaient de tristesse. Candy se détestait d'avoir été tellement idiote. Avec des gestes nerveux, elle défit sa robe tandis qu'elle se rappelait les évènements des derniers jours.

« Quand je suis revenue à moi et que je me suis vue dormant dans ses bras, j'ai pensé que nous étions en retour de gloire, » continua-t-elle tristement en souriant, « mais les choses qui sont arrivées cette nuit-là nous séparent encore ... nous séparent peut-être pour toujours, parce qu'il est évident qu'il passe à nouveau ses journées de plus en plus éloigné de moi pour l'instant ... comme il l'a dit dans sa lettre. Chaque fois qu'il me voit, il doit se souvenir de mon rejet et je ne peux pas le blâmer de ressentir cela envers moi ».

Candy délia les liens qui soutenaient son corset et défit aussi la crinoline. Les domestiques avaient pris soin de maintenir chaque chambre de la maison allumée, elle resta donc seulement vêtue de sa robe de chambre. D'abord, tout lui parut lourd et écrasant. Elle aurait voulu pouvoir se libérer du poids de sa poitrine comme elle le faisait avec ses vêtements, mais cela n'était pas aussi facile et simple comme de se dévêtir. Le cœur fatigué, la jeune femme se couvrit d'un peignoir de satin et se jeta sur le lit.

« Il ne va jamais me pardonner, » fut la dernière pensée cohérente dont la jeune femme put se rappeler avant que le rêve qui suivit ses pleurs vienne la vaincre.

*******************

Le visage ombragé, la Grand tante déposa la lettre qu'elle venait de lire sur la table de thé. Elisa, fixée sur l'expression de la vieille dame, faisait un effort extrême pour paraître grave et indignée bien que, à l'intérieur, son cœur battait de bonheur. Il suffisait de voir la figure de Madame Elroy pour comprendre que la lecture avait eu l'effet souhaité.

« Candy, tu es à moi, maudite orpheline, » pensa la jeune fille tandis qu'elle caressait lentement les rubans de soie qui ornaient sa tenue.

- Je suis suprêmement consternée ! dit finalement la vieille dame en se mettant debout.

- Cela est totalement compréhensible, ma tante, indiqua Elisa en la suivant du regard . Comment aurions-nous pu imaginer ce que Candy tramait ?

- Toutefois, tu l'as soupçonnée suffisamment pour intervenir dans sa correspondance, répondit l'aïeule qui ne digérait pas non plus du tout l'idée de soustraire une correspondance d'autrui en utilisant les domestiques comme des espions.

- Je l'ai fait pour la famille, ma tante , se dépêcha de dire la jeune rouquine, je me suis toujours méfiée de Candy. Je suis sûre que si on ne la surveille pas constamment, elle finira par ternir la réputation de toute la famille.

- Mais comment est-il possible qu'une personne aussi gentille et entière que le jeune Grandchester ait accédé à un comportement de nature semblable ? demanda Emilia qui avait sympathisé avec Terry dès le début et qui refusait de croire qu'il avait aussi été d'accord avec la supercherie.

- Oh ma Tante, il est tellement amoureux de Candy, le pauvre, qu'il ferait tout ce qu'elle lui demanderait, expliqua la jeune fille alors qu'elle changeait l'expression de son visage pour paraître compatissante. Toutefois, comme vous le voyez, Candy n'est pas intéressée par ce mariage. Elle veut seulement échapper à toute responsabilité pour se consacrer à cette vie de libertinage qu'elle aime. Sûrement qu'après le divorce, elle aura le mauvais goût de vouloir vivre seule, travailler comme un employé quelconque, en salissant notre illustre nom de bouche à oreille. Vous imaginez !!

- Nous ne pouvons pas permettre que quelque chose de la sorte se produise ! s'exclama la vieille dame avec véhémence  tandis qu'elle frappait la paume de sa main nerveusement avec l'éventail qu'elle tenait dans l'autre Que pouvons-nous faire pour obtenir le divorce dès maintenant ?

- J'ai la solution, ma Tante, répondit Eliza en s'approchant de la dame, mettant sa main sur son épaule pour la tranquilliser. J'ai parlé avec des avocats de l'affaire, sans mentionner aucun nom évidemment, et ils m'ont recommandé que nous annulions le mariage avant qu'ils n' accomplissent une année de mariage. Ainsi Candy continuera à être sous la tutelle du Grand Oncle et nous pourrons alors la forcer à se marier avec la personne que nous voulions.

- Mais qui voudrait s'exposer à la honte de prendre pour femme quelqu'un qui a déjà vécu avec un autre homme bien qu'elle soit encore vierge ? demanda la Grand Tante affligée. Sûrement jamais une personne de bonne famille. Cela est certain !

- Vous vous trompez, ma Tante, intervint d'avance Elisa, une étincelle de triomphe dans le brillant de ses yeux. Mon frère Daniel est disposé à le faire afin de sauver l'honneur de la famille.

Madame Elroy fut abasourdie. Elle ne se serait jamais imaginée que son neveu Daniel, après la honte que ses fiançailles eussent été annulées, soit encore disposé à épouser Candy, surtout dans des conditions tellement désavantageuses. Bien qu'évidemment, en épousant une André, il ait toujours un profit à long terme, pensa Emilia, avec fierté. Oui, peut-être était-ce la solution au problème.

- Je ne voudrais pas que Daniel soit sacrifié de cette manière, dit alors la vieille dame en doutant.

- Oh non, ma tante, il est plus que disposé. Mon frère a un coeur tellement bon que dans le fond, il garde encore des sentiments profonds envers Candy. Il sauvera l'honneur de la famille de bon gré, assura Elisa avec un geste compatissant.

- Je comprends, accepta la Grand Tante en pensant pour elle-même que c'était incroyable ce que quelques hommes étaient disposés à faire quand ils désiraient une femme. Emilia était trop vieille pour ne pas s'être rendue compte que Daniel désirait Candy avec une passion infinie qui, dans le fond, la dégoûtait. Toutefois, peu lui importait l'obsession de son neveu. L'unique préoccupation était l'avenir de la famille. Lignée, alliances et fortune étaient tout et pour eux, il fallait tout risquer. Ainsi, nous devons alors veiller immédiatement à annuler ce mariage.

- Je suis d'accord, ma tante , répondit Elisa en osant ébaucher un léger sourire. Si vous voulez, Daniel et moi vous accompagnerons à New York, parce que nous sommes sûrs que vous aurez besoin de tout notre appui.

- Bien ma fille. Je vais faire en sorte que George organise le voyage.

En silence, Elisa pensa que la visite à New York serait une excellente occasion d'aller faire des achats et d'obtenir un nouveau bracelet de chez Tiffanys. Dès qu'il y avait quelque chose à fêter, elle achetait un nouveau bijou.

Candy avait commencé à marcher sans direction fixe. Plus elle essayait de se calmer, moins elle y parvenait. Elle cherchait Terry sans succès. C'était un enfer de savoir qu'il était éloigné et éprouvait du ressentiment contre elle. Non ... elle ne voulait parler avec personne, ni voir personne ... excepté lui. Si seulement elle pouvait le trouver. Peut-être pourrait-il y avoir entre eux un peu plus que froideur et éloignement ?

Dans les ombres de la nuit, elle vit alors un visage mais ce n'était pas celui qu'elle cherchait. C'était le visage de l'homme qui l'avait attaquée. Candy commença à courir mais de nouveau l'agresseur l'atteignit en la tenant par la ceinture. L'homme la serra violemment contre lui et elle tenta en vain de se détacher. Elle voulait crier mais elle ne pouvait pas. Plus que jamais, il s'agissait de se défendre et l'homme, contrarié par sa réaction, la frappa en la laissant inerte. Elle ne pouvait plus remuer un doigt, mais elle était encore capable de voir et d'écouter.

L'homme la jeta au sol et se précipita sur elle comme pour l'envelopper. La jeune femme s'aperçut alors que par une métamorphose étonnante, le visage de l'homme avait changé et ses yeux gris étaient devenus marron, avec une lueur lascive qui lui faisait peur.

- Tu n'as pas voulu être ma femme,  lui disait l'homme aux yeux café et sa voix n'était autre que celle de Daniel, maintenant, tu feras ce que je veux. Je vais te traiter comme la chienne que tu es.

Candy voulait crier d'horreur et de dégoût mais sa voix ne lui répondait pas tandis qu'elle voyait avec angoisse comment Daniel lui déchirait ses vêtements et commençait à la toucher grossièrement, en la blessant à chaque contact.

- Terry, commença-t-elle à balbutier entre ses pleurs. Terry ! Terry ! put-elle finalement crier, effrayée.

Au milieu du silence de l'alcôve, le bruit d'une porte qui s'ouvre sans préavis se fit entendre à distance.

- Candy ! l'appela une voix dont le timbre était familier ... bien que ce soit à peine un murmure,  Candy ! Réveille toi, Candy ! l'appela à nouveau distinctement Terry en la secouant. La jeune femme, effrayée, ouvrit finalement les yeux emplis de terreur.

Assis auprès d'elle, se trouvait Terry en personne, dont les yeux bleus qu'elle redécouvrait de nouveau froids et distants, l'observaient maintenant avec préoccupation. Pendant une seconde, le cœur de Candy demeura agité. Il lui suffisait de le voir pour sentir s'effondrer en elle, les bribes de calme déjà très faibles qu'il lui restait après le cauchemar.

Sans pouvoir contrôler les larmes qui lui obscurcissaient le regard ni son bouleversement intérieur, Candy oublia tout en se réfugiant dans les bras du jeune homme qui la reçut avec une confusion mêlée à une joie inattendue.

- Mon Dieu, Terry ! Tu es là, mon amour ! l'appela-t-elle en pleurant tandis qu'elle blottissait son visage contre la poitrine du jeune homme. Le parfum de Terry lui inonda rapidement les sens, la consolant alors. Aussitôt, il lui sembla que les problèmes avaient disparu.

- C'est juste un cauchemar, Candy, dit-il en l'embrassant. Ne pense plus à cela.

Pour sa part, Terry ne savait que penser. Son esprit fit une faible tentative pour comprendre ce qui se passait mais les circonstances ne lui permettaient de coordonner aucune conclusion cohérente. Les multiples émotions vécues durant les derniers jours, le bien-être physique et moral qui suivit pendant un long moment alors que la douceur du corps de Candy se serrant contre le sien, ne lui permettaient pas de donner un sens à ce qui se produisait.

Avait-il rêvé ou l'avait-elle appelé « mon amour » ? Terry ferma les yeux et sans y réfléchir, serra Candy plus fort, tout en descendant le visage dans ses boucles. Si c'était un rêve, il voulait ne jamais se réveiller.

- C'était un cauchemar ? ... Tout était tellement réel ! ... Daniel me blessait ... Je t'appelais ... j'allais à ... dit-elle encore trop troublée par les images du cauchemar, confondant une phrase avec une autre et noyant sa voix dans la chemise du jeune homme.

- Oublie cela, petite, l'appela-t-il affectueusement, il n'y a aucune possibilité que Daniel puisse te toucher même avec le regard. Non, pas tant que je suis en vie. La voix de Terry était empreinte de certitude mais en son for intérieur, l'incertitude et la surprise l'emprisonnaient.
« Elle m'appelait dans ses rêves ! Elle m'appelait ! » se répétait le jeune homme incrédule.

- Je suis une idiote, se condamna Candy en retrouvant son calme, je ne peux pas arrêter ces cauchemars horribles.

- Candy ! murmura Terry surpris, en apprenant qu'elle avait souffert de mauvais rêves en raison de l'expérience passée.

Sans penser à ce qu'il faisait, le jeune acteur continua à suivre le chemin de ses sentiments, à prendre le visage de la jeune fille entre ses mains pour se perdre dans le regard vert de Candy. Il se rappela alors que quand il était enfant, il aimait sortir dans le jardin après la pluie pour regarder l'effet de la lumière du soleil sur les minuscules lacs qui étaient recueillis dans les feuilles. Les yeux larmoyants de Candy sous la lumière de la lampe étaient plus beaux que les souvenirs de son enfance. La jeune femme n'offrit aucune résistance à ce geste aussi intime qu'affectueux.

- As-tu eu le même cauchemar plusieurs fois, Candy ? demanda-t-il en caressant la joue de son épouse avec une tendresse dont elle ne l'aurait jamais cru capable. Candy répondit seulement avec une faible approbation de tête, en se repentant d'avoir laissé percevoir ce qu'elle avait voulu cacher pendant ces derniers jours. Cependant, le regard de Terry était tellement chargé de la plus douce des affections que la crainte de Candy finit par disparaître.

- Cela n'a pas d'importance. Je vais bien, répondit-elle, en regrettant que sa voix ne sonne pas avec la même certitude qu'elle l'aurait voulue, mais il lui était impossible de maintenir son sérieux quand Terry s'obstinait à la traiter avec douceur. Avant que la jeune femme ne puisse méditer sur les conséquences de ses actes, ses doigts commencèrent à caresser avec des effleurements à peine perceptibles la main gauche qui lui soutenait encore le visage.

- A moi cela m'importe, murmura Terry en se demandant si elle souhaitait délibérément le faire devenir fou en le touchant ainsi. Mais l'amertume contre lui-même était encore tellement lourde que, malgré le plaisir d'être caressé, il ne put cesser de se sentir coupable.  Si j'avais agi comme il faut, tu ne souffrirais pas maintenant de la sorte, Candy, ajouta-t-il alors en baissant le regard.  Ce matin, au commissariat de police, tu n'as fait que confirmer ce que je savais déjà largement. Je n'ai pas su te protéger quand tu avais besoin de moi, osa-t-il dire, en se rendant compte que, même s'il avait voulu se perdre dans la joie de la proximité retrouvée entre eux, il était nécessaire de clarifier les choses à ce moment précis. Le mauvais moment que tu as passé et ces cauchemars sont davantage de ma faute que de celle du délinquant qui t'a attaquée.

- Qu'est-ce que tu racontes, Terry ? demande-t-elle intriguée, forçant le jeune homme à la regarder dans les yeux.

- Tu ... as été triste ... déprimée ... et ce, par ma faute, dit-il, intimidé devant ces immenses yeux verts qui brillaient dans l'obscurité. L'autre nuit ... avant de partir en tournée ... si je n'avais pas...

- L'autre nuit, j'ai été une idiote ! l'interrompit-elle alors en déviant les yeux et en se séparant de lui. Ne cherche pas d'autre raison.

- Tu penses sûrement que cela a été une grave erreur de ta part de m'accorder des libertés que je ne me méritais pas, l'interrompit-il à son tour, en donnant une signification différente aux mots de Candy et en ressentant la distance entre eux comme un signe de dégoût de sa femme face au souvenir de ce qui était arrivé.

- Que dis-tu? C'est moi qui ai blessé tes sentiments, se récrimina-t-elle. Ta lettre m'a bien éclairé.
- La lettre ! Mon Dieu, n'en parle pas ! J'y ai dit tant de choses que je ne pensais pas, dit-il dans un froncement de sourcils, furieux contre lui-même face au souvenir des résolutions inutiles qu'il avait exprimées par écrit.

- Je ne le crois pas, répondit la jeune fille en s'efforçant de se séparer davantage de lui et, comme ses mouvements indiquaient clairement qu'elle souhaitait se recoucher, le jeune homme se leva à son tour, en se retournant pendant un moment. Candy le remercia pour ce geste en silence alors qu'elle se levait et qu'elle prenait la robe de chambre qui reposait sur une chaise.

Elle était plus que consciente que sa tenue était peu appropriée et bien que déjà, à plusieurs occasions, l'intimité entre eux avait dépassé les barrières physiques, l'indétermination de la relation existante dans leur couple ne cessait de la troubler. Une chose était certaine, si elle voulait clarifier les choses, il ne lui fallait pas rester dans des bras de Terry. Le contact physique avec lui contribuait seulement à la diriger vers des émotions inconnues et elle ne pouvait pas alors réfléchir clairement.

Terry, tandis qu'il attendait patiemment qu'elle se sente à l'aise pour parler, se demandait si quand la conversation qu'ils étaient sur le point d'entamer toucherait à sa fin, elle voudrait à nouveau le caresser comme elle venait de le faire.

- Il me semble que tu as raison sur beaucoup de choses dans ta lettre. Tu sais ... commença-t-elle, en lui donnant ainsi un signe pour qu'il la regarde à nouveau. Candy savait que le moment de suivre les conseils de la vieille dame était arrivé. Cette seule idée la faisait paniquer. Tout en essayant d'être calme, la jeune fille se dirigea vers un coin de la chambre.
Un vase plein de roses jaunes l'observait, complètement étranger à son anxiété.
Il me semble qu'il y a eu entre toi et moi, plusieurs malentendus et je crois que c'est dû à des choses que nous ne nous sommes pas dites.

- J'en ai trop dit, crois moi, répondit le jeune homme sans comprendre vers où elle voulait l'emmener, et la pire des choses est que non seulement je les ai dites, mais je les ai aussi mises par écrit. Je te demande s'il te plaît d'oublier cette lettre.

- Terry, ce n'est pas tant ce que tu as dit dans celle-ci, sinon je te le dirais ... avec toi c'est toujours pareil, Terry. Tu as quelque chose contre moi au-delà de ce qui a été dit et si je veux être sincère, j'ai aussi quelque chose contre toi et ce n'est pas ce qui s'est passé l'autre nuit.

« Tu as quelque chose contre moi ! » pensa Terry et une voix intérieure lui dit qu'elle avait raison. Sans doute, en voulait-il à Candy, il y avait quelque chose qu'il lui reprochait au-delà du rejet pénible face à ses ardeurs. Son cœur se durcit en se le rappelant, le confondant avec la contradiction de ses sentiments. Il aimait Candy plus que sa propre vie, mais il y avait en lui un sentiment d'abandon et d'oubli qui ternissait la luminosité de son amour.

Accablé par cette découverte, le jeune homme se tut tandis qu'elle le regardait en attendant avec anxiété sa réaction.

- Il me semble que c'est juste, répondit-il après quelques minutes de silence, mais je ne suis pas sûr que tu veuilles entendre ce que je dois dire à ce sujet.

- Je crois que nous n'avons pas d'autre moyen, Terry. Dis le moi une fois pour toutes et je te promets que j'aurai aussi l'honneur d'être sincère à ton égard, répondit-elle en se demandant intérieurement si elle pourrait réellement honorer cette promesse.

Tout en se demandant si elle pourrait vraiment affronter cette scabreuse série de confessions qui approchait, Candy s'assit dans un des fauteuils de la chambre en essayant de paraître calme tandis qu'elle attachait son peignoir, s'efforçant de se couvrir les jambes qui, elle le savait, étaient largement dévoilées sous le vêtement de soie. Terry, pendant ce temps, faisait les cent pas dans la pièce sans rien dire.

On pouvait seulement entendre le bruit de ses chaussures, étouffé par le tapis, au rythme de ses pas. La jeune femme remarqua qu'il n'osait pas la regarder en face, mais il était évident que quelque chose en lui combattait pour s'exprimer. Le silence était long, lourd, pesant. Candy serra la soie sur sa poitrine, la chiffonnant dans sa nervosité.

Terry pour sa part, repensait aux résolutions qu'il avait prises alors qu'il montait durant l'après-midi. Lui-même avait décidé qu'il était temps que Candy et lui mettent cartes sur table. Toutefois, alors qu'elle lui avait demandé de le faire, il sentait que son cœur se nouait. Comment arriver à exprimer des sentiments aussi confus et pénibles ? Le silence se prolongea jusqu'à en devenir insupportable.

- Tu m'as oublié ! l'accusa-t-il finalement en levant la tête qu'il avait clouée au sol. Les yeux perçants du jeune homme la regardèrent bien en face lui permettant de voir un reste de rancoeur dans leur pupille. Tout ce qui s'est passé avant entre nous, au collège, après, la relation que nous avons eue, les rêves que nous partagions; tout ce dont nous n'avons jamais parlé durant ces derniers mois, toi tu m'as oublié tellement vite, Candy, comme si je n'avais jamais compté, murmura-t-il en se demandant si cette marque de franchise ne rendrait pas les choses encore pires qu'elles ne l'étaient.

- T'oublier ??? demanda Candy sans pouvoir croire ce que ses oreilles entendaient.

- Veux-tu savoir ce qu'il s'est passé pour moi quand nous avons rompu ? Veux-tu savoir pourquoi j'ai réellement abandonné le travail et j'ai disparu pendant des mois ? continua-t-il en commençant à s'essouffler tandis qu'il marchait nerveusement d'une extrémité à l'autre de la chambre.  Laisse-moi te dire que je me suis transformé en alcoolique, en une loque. Tu sais pourquoi ? Pour toi ! Que diable seulement pour toi, mais pour ma lâcheté, pour mon indécision, pour ce maudit sens du devoir ! C'est parce que je ne pouvais pas t'oublier, je ne voulais pas et je ne savais pas combler ce vide amer.

Candy devint livide. Elle savait très bien que durant la période où Terry s'était éloigné du théâtre, il avait vécu une période obscure dont il ne se sentait pas fier. A travers les choses qu'il avait laissé entrevoir dans leurs conversations, elle imaginait que durant ces mois, il avait connu l'alcool mais elle ne s'était jamais imaginée que c'était la conséquence du désespoir causé par la douleur de l'avoir perdue.
Savoir qu'il avait souffert en raison de leur rupture au point de se détruire était un coup auquel elle n'était pas préparée.

- Terry, je ...

- Ne dis rien, Candy, l'interrompit-il en se repentant de la dureté de ses mots. Ce qu'il s'est passé n'est pas de ta faute, mais de la mienne, pour ne pas avoir su ce que j'avais fait en te perdant, pour t'avoir laissé partir et sortir de mon cœur. C'était pour toi, mais rien n'est de ta faute. Je me sentais si désemparé que j'ai pensé que la boisson était la solution... C'était une erreur. Ainsi que me l'a fait savoir Albert.

- Albert ? demanda Candy, surprise. Qu'a-t-il à voir dans tout cela ?

- Je t'expliquerai, continua-t-il en se rendant compte qu'il était nécessaire d'approfondir encore plus ses pénibles souvenirs, à son très grand regret . J'ai quitté New York et j'ai voyagé jusqu'à Chicago pour te voir, mais une fois là-bas, je n'ai pas su comment te regarder en face, en devinant à l'avance que tu ne m'accepterais pas tant que Susanna aurait besoin de moi. J'ai commencé à boire de plus en plus, sans trouver le courage ni de t'affronter, ni de retourner auprès de Susanna.
Tu sais ainsi comme je suis pathétique, ajouta-t-il en fronçant la commissure gauche de ses lèvres dans un geste amer et burlesque en même temps. Lors d'un de ces soirs où je buvais sans limite, j'ai rencontré Albert dans un bar. Il semblerait que l'histoire de notre amitié est faite de rencontres dans ces lieux. Il avait déjà récupéré la mémoire, donc il m'a reconnu. Nous avons parlé, nous nous sommes regardés, battus ... c'était perdu d'avance pour moi, ivre comme j'étais, donc après un bon coup de poing et une auge d'eau froide, il est parvenu à me faire réagir et avec ce talent qu'il a pour parler au cœur des personnes, il m'a fait comprendre que je ne pouvais pas continuer à m'autodétruire de cette manière. Il m'a ensuite dit que je devais suivre ton exemple.

- Mon exemple ? demanda Candy en pensant qu'elle était sans doute la moins appropriée pour être imitée. Elle-même s'était sentie tellement misérable et désespérée en raison de sa rupture avec Terry pendant des mois et des mois qu'elle était bien loin de se sentir un modèle de sagesse.

- Oui. Albert m'a dit que tu avais pu surmonter notre séparation, et non seulement cela, mais il m'a emmené dans un lieu depuis lequel j'ai pu te voir de loin tandis que tu travaillais dans une clinique, expliqua-t-il en voyant la confusion dans ses yeux. Je te voyais tellement occupée, tellement convaincue de ce que tu donnais ... et surtout tellement sereine, que je me suis fait honte à moi-même, conclut-il la tête basse et visiblement peiné par sa conduite.

Candy sentait son cœur fondre en écoutant Terry parler ainsi. Elle aurait voulu courir l'embrasser et lui demander de ne pas continuer à fouiller dans des souvenirs aussi pénibles pour tous les deux, mais quelque chose lui dit qu'elle devait le laisser terminer.

- Alors j'ai décidé que je devais retourner à New York pour remplir mon devoir avec Susanna et reprendre à nouveau ma carrière. J'ai compris que tu suivais ta vie et que je devais suivre la mienne. C'était ce qui nous restait ... mais moi ..., impossible de ne pas remarquer que la voix du jeune homme faiblissait, ... moi j'ai lamentablement échoué dans cette tentative, Candy. C'est alors que Susanna m'a rejeté et je suis resté seul, complètement maudit par l'amour et la chance ... je t'avais perdue pour rien. Je n'ai alors pas pu cesser de te vouloir. Même si j'ai voulu oublier complètement ce que j'avais sur le cœur , j'ai continué à t'emmener dans mes pensées. Je ne peux pas oublier comme tu oublies, Candy ! s'exclama-t-il avec véhémence, blessant la jeune femme par ce reproche. C'est tout ce que j'ai contre toi, que tout a été tellement facile pour toi, que tu m'aies oublié en seulement quelques mois alors que je me noyais de mes propres mains et que notre histoire signifiait tellement peu de choses pour toi quand pour moi, elle voulait tout dire.

Le jeune homme se tut et dissimula son visage en tournant le dos pour regarder par la fenêtre. Candy devina qu'il voulait dissimuler les larmes qu'il ne pouvait déjà plus contrôler. La jeune fille pouvait à peine croire ce qu'il avait avoué. Elle ne savait pas comment concilier les mots de Terry avec ses actes durant tout ce temps. Elle se sentait heureuse d'entendre enfin de ses lèvres qu'il la voulait, mais à la fois indignée par la manière dont il l'avait jugée.

- C'est ce que tu penses réellement ? demanda-t-elle encore incrédule et la gorge très serrée à son grand regret. Il t'a suffit de me voir de loin pour en déduire que ma douleur n'était rien comparée à la tienne, exact ? Crois-tu peut-être que parce que tu as choisi de te comporter comme un idiot et de te créer des dommages, cela fait de toi physiquement et mentalement le seul qui ait souffert dans cette histoire ? Que sais-tu au sujet des nuits entières où j'ai pleuré pour toi, avant et après ce jour où tu m'as observée de loin ? Que sais-tu de tout ce que j'ai souhaité ?

Les mots de Candy entrèrent dans les oreilles du jeune homme et alors qu'elles s'installaient dans son esprit, elles se clouaient comme des lances dans sa poitrine, la déchirant de nouveau de part en part. Sans pouvoir encore croire ce qu'il entendait, le jeune homme se retourna pour faire face à la jeune fille qui, agitée par les émotions réveillées, continuait à exposer ses griefs.

- Veux-tu savoir ce qu'on ressent quand celui qu'on aime est sur le point de se marier avec une autre ? Veux-tu que je te raconte que je t'imaginais dans ses bras ... ? ou préfères-tu que je te dise pourquoi je t'en veux ? ajouta-t-elle en se mettant debout, tandis qu'elle sentait que ses sentiments ne parvenaient déjà plus à se dissimuler comme en d'autres temps, et comme il ne répondait pas à sa provocation, elle continua à parler sans s'arrêter - Dis moi une chose, Terry, si j'ai signifié tant de choses pour toi comme tu dis, si tu ne m'as jamais oubliée pendant tout ce temps, pourquoi quand Susanna t'a rejeté ne m'as-tu pas cherchée ? ... pourquoi quand tu m'as demandée en mariage, as-tu dit que c'était seulement pour me sauver de Daniel ? Tu m'as seulement offert un contrat au lieu de ton cœur. Pourquoi ne m'as-tu pas demandé en mariage par amour ? Et ... nous avons vécu ensemble ensuite pendant des mois ... Pourquoi pendant tout ce temps n'as-tu jamais dit que tu m'aimais ? Mon Dieu, Terry ! Tu ne m'as jamais dit que tu m'aimais ! Te rends-tu compte ?

Sans plus pouvoir se contenir, la jeune fille cacha son visage entre ses mains pour donner libre cours à ses sanglots. Plus que jamais elle aimait Terry. Pas même mille blessures qu'il lui ferait ne pourraient faire qu'elle cesse de le désirer, mais l'âme aussi a besoin de souffle pour trouver le courage de baisser sa garde. Par conséquent, la jeune fille se refusa de courir vers lui. Au contraire, elle décida qu'il était mieux de lui tourner le dos et de pleurer seule.

Les sanglots faisaient que son corps tremblait légèrement, mais encore plongée dans son amertume, elle put sentir clairement les mains de Terry se poser en douceur sur ses épaules, son haleine tiède soufflant très près de son oreille.

- « Semblable à un acteur imparfait qui en scène est jeté par la crainte, hors de son rôle, sussura-t-il, chaque mot brûlant  la peau de Candy,  ou qui, rempli par quelque ardente idée de trop de flammes sent son cœur s'affaiblir par l'excès de la force. J'oublie, par manque de confiance, de répéter exactement la cérémonie prescrite par le rite de l'amour, et je semble défaillir sous la force de mon amour, accablé de tout le poids de sa puissance.
Que mes écrits soient donc les éloquents et muets interprètes de mon âme qui te parle : ils plaideront mieux pour mon amour et mériteront plus d'égards que cette langue qui en a déjà trop dit. Oh ! Apprends à lire ce que mon amour silencieux a écrit : il appartient à l'esprit sublime de l'amour d'écouter avec les yeux »

Le jeune homme se tut pendant une seconde et elle, touchée par les mots du poème qu'en d'autres fois elle l'avait écouté exposer lors d'une quelconque réunion entre amis à la maison de Hathaway, se retourna pour regarder Terry dans les yeux. Sans rien lui avoir dit directement, tout avait été prononcé et cela suffisait pour elle. Toutefois, il supposa qu'il était nécessaire d'aller plus loin.

- Pardonne-moi, Candy ! dit il avec à peine un filet de voix. Pardonne-moi ! C'était par fierté, par peur, parce que je ne voulais pas de ta compassion sans ton affection Pardonne-moi si je n'ai pas été sincère avec toi quand je t'ai proposé le mariage ! Pardonne-moi si je ne t'ai jamais dit combien je te désirais ! Je t'ai tellement aimée que je n'ai jamais pu trouver les mots pour te le dire. Ma mère et mon père m'ont appris à survivre en dissimulant ce que garde le cœur, et pas à l'ouvrir généreusement comme toi tu le fais. Je te jure que la seule idée d'être à nu et rendu totalement vulnérable me tue de peur, mais maintenant je suis disposé à le faire pour toi et pour moi, admit-il en prenant les mains de la jeune fille entre les siennes et en se les portant au visage pour les caresser avec sa joue. Je t'aime, et si je n'ai pas été vers toi quand je me suis retrouvé libre, c'est parce que j'étais sûr que je ne signifiais déjà plus rien pour toi. J'ai été un idiot... Mon Dieu, pardonne-moi !

La main de Candy commença à provoquer volontairement, avec une timide caresse intentionnelle de son index sur la joue de son mari, un contact chaud juste à l'endroit où se trouvait la fossette dessinée sur sa figure, dans un geste de tendresse et de consentement qui était plus éloquent que mille mots.

- Pardonne moi de t'avoir tant blessé, susurra-t-elle en le caressant.  Quand il s'agit de toi, je ne sais jamais comment agir. Tu me confonds, tu m'altères, je ne suis plus maître de moi-même quand tu es près de moi. Je suis comme étourdie et j'ai pensé que tu ... l'autre nuit ... que tu voulais seulement te divertir, dit-elle, en souriant timidement.  J'ai été tellement aveugle pour ne pas voir ce qui était aussi évident. Je suppose que je n'ai pas encore appris à lire ce qui est écrit par l'amour, ni à entendre avec les yeux. C'est à toi de me pardonner...

Le jeune homme ébaucha un faible sourire qui exprimait en un seul mouvement que les choses passées étaient déjà oubliées. D'un air incertain, Terry s'approcha encore plus près d'elle et osa poser ses deux mains sur la taille de la jeune femme. Candy le regarda dans les yeux, en lisant en ces derniers des réminiscences d'insécurité. Sans pouvoir lui résister davantage, la jeune blonde jeta ses bras autour de lui, lui entourant le cou avec ses mains.

Les ressentiments exprimés disparurent comme la neige sous le soleil du printemps alors que la chaleur d'une nouvelle entente les pénétrait par les pores. Pour embrasser son épouse, Terry commença à descendre son visage dans sa chevelure, en se laissant perdre dans l'arôme de fleurs et d'herbes qu'elle utilisait pour se laver les boucles. Candy sentait avec une certitude insupportable chaque frottement de la joue de Terry sur son cou et sur son oreille, dans des caresses à peine insinuées.

La jeune fille soupira presque imperceptiblement quand ses lèvres, chaudes et agitées par l'émotion touchèrent délicatement ses mains, puis sa joue, et ensuite son front. Étaient-ce les baisers de la bouche de Terry qui pleuvaient sur son visage ? C'était un contact tellement léger, tellement fragile qu'elle ne pouvait peut-être pas les appeler des baisers. Candy ferma les yeux et laissa sa respiration s'accélérer en suivant le cours des sentiments qui la submergeaient.

Les lèvres du jeune homme, entrouvertes, nerveuses et interrogatrices finirent par se poser sur la bouche elle aussi entrouverte de la jeune fille, lui touchant à peine la lèvre inférieure ... une fois ... deux fois. Sans pouvoir retenir sa bouche, elle répondit également avec un mouvement nerveux et de nouveau leurs lèvres se touchèrent une troisième fois. Elle put alors sentir une humidité à la commissure de ses lèvres. Tous les deux tremblaient à chaque contact, faisant taire des soupirs qui leur échappaient de la poitrine. Elle le serrait en fermant la force de son étreinte autour du cou du jeune homme et bien qu'il pleure encore, cela ne paraissait pas être une entrave pour répondre à ces baisers brefs et altérés.

- Amour, mon doux amour, murmura-t-il en l'appelant avec une tendresse tellement inhabituelle qu'elle ne put douter de sa sincérité et répondit à la quatrième rencontre de leurs bouches avec une plus grande confiance.

Ses jambes tremblaient mais elle ne craignait pas de s'effondrer parce que son bras droit lui soutenait la ceinture. Les brefs baisers se transformèrent alors en un plus profond, plus prolongé et chaque fois plus agréable.

L'esprit de Candy était suspendu. Elle ne pensait plus à rien d'autre qu'à la bouche de Terry investissant la sienne avec une anxiété croissante et à la fermeté de son corps qui contrastait avec la douceur du sien.

- Je veux t'entendre dire que tu m'aimes, dit-il d'une voix entrecoupée par les baisers, plus intenses chaque fois, comme jamais auparavant.

- Mon Dieu oui je t'aime! Je t'ai toujours aimé, même contre ma volonté, lui répondit-elle avec des mots atrophiés par un soupir de surprise lorsqu'elle sentit la bouche de Terry marquer une série de baisers désespérés depuis sa bouche, en passant par sa mâchoire, sa joue, ses coins sensibles derrière son oreille, jusqu'à arriver à son cou, juste à ce point où son flux sanguin pulsait avec davantage de force. Un gémissement sortit de sa gorge et les bouleversements qui l'accompagnèrent furent alors inévitables.

Rapidement, les mains de Terry commencèrent à vagabonder dans le dos de la jeune femme, en le caressant depuis le centre jusqu'aux flancs, en dessinant la découpe des hanches et des cuisses pour monter de nouveau à la taille. L'anxiété croissante des caresses faisait ressentir à Candy la nécessité indiscutable qu'elle aussi paraissait réclamer son affection et sa passion. En elle, à son tour, paraissait surgir une réponse urgente à ce besoin sans borne qui la surprenait. Dès lors, ses doutes avaient totalement disparu.

Le jeune homme, sentant que peu à peu la brume de la passion lui obscurcissait à nouveau tout discernement, se dit encore avec fermeté que cette fois il ne pouvait pas baisser la garde de ses élans. Même si Candy ne l'avait pas encore dit, il était évident par la décontraction de son corps dans leur étreinte et par ses baisers que, cette fois, elle ne le rejetterait pas.

Toutefois, à une occasion déjà, la manifestation sans contrôle de ses désirs les plus abrupts lui avait valu de ruiner leurs moments intimes.

« Avance avec tendresse, » se répétait-il en élargissant les caresses à ce point sensible qui provoquait en elle de faibles gémissements. Toutefois, à son très grand regret, les sons que la jeune femme laissait échapper de sa gorge, bien qu'à peine perceptibles, firent inévitablement augmenter l'ardeur de l'étreinte et l'exploration du jeune homme sur le corps de son épouse devenait chaque fois plus explicite.

Candy sentit que sa peau la brûlait quand ses doigts la touchaient et qu'elle en avait la chair de poule sous son peignoir, et qui se glissaient ensuite sous le vêtement, d'à peine quelques centimètres, pour laisser la peau de ses épaules découverte. Ses lèvres suivirent sa main et rapidement, il lui couvrit de baisers l'épaule gauche et la peau sensible de la base de son cou. Sans s'en rendre compte, elle avait commencé à légèrement se courber en arrière pour permettre que son corps se presse contre le sien dans un embrasement plus ferme.

Terry perçut alors le signe particulier que son aventure sur la peau blanche et parfumée de Candy commençait à faire des dommages irréversibles dans son propre corps.

Pendant ce temps, elle se sentait perdue au milieu des sensations sans accorder une seule pensée à ce qui viendrait ensuite, jusqu'à ce que ses mains, dans un nouvel élan d'audace, aient pris davantage possession d'elle, en la soulevant dans ses bras. Il la pressa intentionnellement avec force, en l'obligeant à sentir sur son abdomen la dureté particulière que l'exploration de son corps provoquait en lui.

- Dis moi maintenant de m'arrêter, murmura-t-il, sa voix altérée par la passion, son haleine brûlant la joue de la jeune femme. Par Dieu, Candy ! Demande-moi de m'arrêter maintenant, si tu veux que ce mariage continue seulement à être une comédie. Ordonne le moi avant qu'il soit au-delà de mes forces de m'arrêter.

- Ne t'arrête pas. Je ne vais pas te rejeter, lui répondit-elle dans un léger soupir.

  Il n'avait pas besoin de plus.

En silence, avec les mains légèrement incertaines par la nervosité du moment, il délia la ceinture qui maintenait encore le peignoir de soie à sa place. Terry glissa ses deux mains sous les bords du vêtement et dans une caresse sur ses épaules, il fit que la soie verte glisse en tombant sur le sol. La jeune fille n'osait pas le regarder, consciente qu'elle était debout face à lui, habillée seulement de sa chemise de nuit, sans corset et sans sous vêtements. Ainsi, avec les yeux baissés, la respiration entrecoupée, les jambes nues et une rougeur désespérée sur les joues, elle lui paraissait la vision la plus séduisante qu'il ait jamais contemplée. L'anticipation de ce qui allait venir rendait l'attente encore plus difficile.

Candy fut effrayée quand il décida de prendre son visage entre ses mains, en la forçant avec douceur à le regarder en face. Sans autre issue, ses yeux se glissèrent dans les siens, et le contact de son regard bleu-vert lui communiqua silencieusement une tendresse qu'elle ressentait uniquement pour elle. Bientôt, ses lèvres réclamèrent à nouveau les siennes et la première barrière de la pudeur s'effondra dans cette caresse prolongée.

Les mains de Candy reposaient sur la poitrine de Terry tandis qu'il l'embrassait maintes et maintes fois avec ces mouvements qui lui entouraient complètement les lèvres et lui caressaient l'intérieur humide de sa bouche avec des contacts osés, les mêmes que cette nuit-là au théâtre. Sans qu'elle s'en rende compte, il laissa tomber au sol son gilet et commença ensuite à déboutonner sa chemise jusqu'à guider les mains de son épouse sur sa poitrine nue.

La sensation de la peau de Terry sous sa paume fut comme un choc électrique dans le ventre de la jeune femme. Incapable de s'arrêter, les mains de la jeune fille palpaient naturellement les muscles du jeune acteur, en sentant chaque vallée ferme et chaque montagne puissante, en éprouvant pour la première fois un plaisir qu'elle n'avait jamais connu avant. La chemise de Terry tomba rapidement sur le sol. Elle, trop assaillie par cette première rencontre avec la plus ravissante des maladies ; lui, trop assailli par cette inattendue jouissance de pouvoir la caresser comme il se l'était tant de fois imaginé.

Les mots entrecoupés cédaient de temps à autre devant les sons intelligibles et la chaleur augmenta dans leur étreinte jusqu'à ce que, avant que Candy ne puisse faire quoi que ce soit pour l'empêcher, il la prit dans ses bras et la déposa sur le lit. Comme au milieu d'une brume émotionnelle, embuée par la sensualité du moment, la jeune fille s'installa sur le lit. Elle pouvait percevoir que sa propre respiration devenait plus difficile en observant comment son époux s'approchait d'elle, en équilibrant le poids de son corps entre une de ses jambes étendues sur le lit et les colonnes fortes de ses bras nus qui maintenant l'encerclaient.

Candy n'avait encore jamais senti sa sensualité féminine de manière aussi évidente. Terry s'était transformé en homme à l'aspect intimidant et la virilité de sa poitrine nue s'approchant d'elle de cette manière l'alarmait et à la fois, l'attirait.

Son regard se lisait de manière indiscutable. Sans dire mot, les yeux de Terry dévoraient avec un désir aussi ardent qu'irréfréné les seins blancs que la nuisette brodée laissait voir avec générosité. Si elle pensait avant cela que les regards de Terry lui brûlaient la peau, elle était maintenant certaine qu'il était sur le point de la brûler totalement.

- Je ne veux pas que tu sois seulement mon épouse, dit-il en rompant le silence, je veux que tu sois ma femme ... ma maîtresse. Parce que je ne peux pas nier que je te désire ... je t'aime tant et cela a été mon tourment jusqu'à ce jour.

Il recommença à l'emporter dans un baiser sans attendre aucun commentaire de sa part, en se contentant de la réponse silencieuse de la jeune fille à ses caresses. Candy sentit clairement comme son poids se permettait de tomber avec douceur sur son corps au moment où ses baisers dans sa bouche recommençaient à augmenter d'ardeur. Inconsciemment, elle répondit avec des caresses douces sur ses bras bronzés, pour tout de suite monter vers ses épaules et poser ses mains à la base de son cou où ses doigts glissèrent dans sa chevelure obscure.

Certain maintenant qu'elle était disposée à lui répondre, il avait déjà abandonné très loin son dernier vestige d'autocontrôle et il autorisa ses mains à se régaler des courbes de la jeune fille, tandis que les sons qu'elle laissait échapper de sa gorge à tout moment l'embrasaient encore plus. Avec une dextérité libre, le jeune homme installa la jeune fille au centre du lit, il défit ses chaussures avant d'y monter et s'étendit à côté d'elle, en se laissant un espace libre pour pouvoir caresser Candy.

Les yeux fermés, Candy sentait les mains de Terry voyageant sur sa taille, lui pressant les hanches avec des mouvements répétés et intenses et arrivant aux cuisses, sur le tissu en coton de son vêtement de corps et à la peau exposée des mollets qu'il découvrait et serrait de plaisir.

Quand elle pensait qu'elle ne possédait plus aucun pouvoir devant cet assaut dans son intimité, ses baisers recommençaient à pleuvoir sur son cou en lui démontrant qu'il existait encore beaucoup plus à découvrir et à sentir.

La main de Terry continua d'avancer, en montant par son abdomen et sa taille jusqu'à la surprendre tout à coup en prenant pleine possession de l'un de ses seins. Il laissa échapper un  son rauque de libération à ce contact.

- Tu ne sais pas le délire dont j'ai souffert de pouvoir te toucher ainsi, murmura-t-il, son haleine brûlant sur sa poitrine.

La caresse si intime et la confession inattendue prirent la jeune fille par surprise. Mais l'amour et le désir vainquirent bientôt la pudeur et l'inexpérience. Une seconde plus tard, la jeune fille arquait instinctivement son corps, inondée de plaisir sous le contact de ses deux mains sur sa poitrine et soûlée par l'intimité croissante entre eux. L'érotisme fonctionnait comme une espèce d'opium émotif quand il commença à couvrir la naissance des seins de baisers convulsés et à détacher avec des doigts anxieux les brides de sa chemise de nuit.

Les pupilles de Terry se rengorgèrent quand la vue des seins nus, blancs et voluptueusement pleins de la jeune fille, lui inonda les yeux. Il avait désiré ardemment la voir ainsi, la poitrine découverte, depuis la nuit au cours de laquelle elle l'avait séduit silencieusement dans ce vêtement doré. La nécessité de se remplir les mains de sa poitrine et de dévorer de baisers ces boutons de rose qui s'offraient à sa vue le saisit complètement. Le jeune homme se pencha donc sur elle en cédant finalement devant la séduction du corps de Candy qui lui criait de le prendre jusqu'à complète satisfaction.

Avec une partie du poids de Terry l'emprisonnant juste là où son corps lui envoyait un frisson, et sa bouche lui suçant librement ses seins durcis, Candy sentait qu'il la possédait déjà, avant même de la pénétrer. Seul un zeste de résistance lui restait encore à l'esprit. Il pouvait la déshabiller complètement, la toucher et l'embrasser partout et faire avec elle toutes ces choses inconnues dont personne ne lui avait parlé, et elle ne pourrait pas offrir la plus petite résistance. Impossible à faire quand chaque fibre de son corps lui hurlait de s'abandonner à la volonté du jeune homme.

Terry pouvait percevoir l'abandon total dans le corps de sa femme. Maintenant elle était toute à ce qu'il voulait, mais il ne désirait pas presser les choses. Avec ses mains et ses lèvres, il gagnait du terrain, en réclamant sa peau, en détachant des nœuds et en déboutonnant des boutons jusqu'à obtenir que leurs deux corps nus soient l'un contre l'autre.

- Puis-je te comparer à un jour d'été? l'entendit-elle dire à distance, car il noyait sa voix profonde sur la peau qu'il couvrait de baisers. Tu dépasses leur charme et ta chaleur est plus douce.

De temps à autre, elle lui répondait aussi avec des mots libres, perdus dans sa respiration agitée. C'était un dialogue différent de tout autre qu'elle n'avait jamais exercé avant, et par moments étaient échangées plus de tacites significations que de mots. Il lui parlait de son amour fervent pour elle et s'étonna à plusieurs reprises de la beauté de son corps, qu'il découvrait complètement. Elle lui communiquait ses désirs de réponse et au moment où il lui rendait le gage oublié de son amour, elle même recouvrait la certitude d'une dévotion mutuelle.

Les caresses se succédaient l'une après l'autre et quand Candy pensa qu'il était impossible d'atteindre un plus grand délire, elle sentit la caresse surprenante des doigts du jeune homme frottant doucement les plis de son intimité. Être touchée de cette façon était quelque chose d'inespéré et en même temps d'électrisant. À peine pouvait-elle reconnaître sa propre voix dans ces gémissements de plus en plus désespérés qu'il provoquait en elle. Incapable de refuser quoi que ce soit à son mari, la jeune fille se permit de plonger dans ces plaisirs inconnus tandis qu'il la nourrissait avec douceur et fermeté à la fois. Le plaisir final ne tarda pas à arriver et Terry découvrit alors une facette inconnue de l'amour, le plaisir suprême de donner le plaisir que l'on aime.

Embrasée comme elle l'était, en se serrant instinctivement contre le corps du jeune homme, il  put comprendre que c'était le moment. Ses cuisses blanches et fraîches s'ouvrirent docilement à son avance, en lui donnant la clé des secrets qu'il avait tant convoités. Son corps s'installa contre le sien, sa poitrine se reposa sur les seins de Candy, leurs ventres se rencontrèrent et les douceurs de l'entrejambe de Candy s'ouvrirent lentement à sa ferme virilité. Bientôt le jeune homme sentit la résistance virginale qu'il avait déjà anticipée.

Les sentiments étaient confus. C'était sans doute flatteur pour son ego masculin de se savoir le premier, avec tous les droits de devenir l'unique, mais en même temps il était écrasant de comprendre la responsabilité que l'amour lui imposait, en fixant un frein à ses désirs d'autosatisfaction pour se préoccuper de son bien-être à elle.

Le rituel se réalisa donc avec lenteur, en permettant à son corps de s'habituer au sien jusqu'à ce que la jeune fille elle-même, ne pût plus résister à l'urgent besoin de le sentir en elle et qu'elle pressa l'union en s'accrochant à lui avec une force passionnée, l'entourant avec ses bras et ses jambes. Les yeux verts de la jeune fille clignèrent brièvement devant la piqûre fugace du premier contact tandis qu'il pouvait finalement sentir la libération triomphante de la savoir sienne. Sans nécessité de dire un mot, tous les deux restèrent immobiles durant un instant qui semblait tendrement prolongé.

“À travers quel mystère inavouable un homme et une femme s'unissent-ils, pour arrêter d'être deux et devenir un seul ?” était la question que Candy s'était souvent posée et maintenant, tandis que son époux la prenait, elle pouvait enfin y répondre. “Il doit y avoir quelque chose au-delà de la fusion physique évidente que tous semblent voir comme une honte. C'est probablement quelque chose de beau, où déjà la pudeur qui me préoccupe toujours cesse d'être importante ... où il n'y a pas de peur, ni de secrets cachés. Parce que je ne conçois pas qu'un sentiment si pur comme le fait de me garder pour Terry, conduit à quelque chose de honteux. ”

Avec des mouvements lents d'abord, puis dans un rythme grandissant et avec une charge émotionnelle, passionnée ensuite, Terry rendit Candy femme en la menant à découvrir que ses pressentiments n'étaient pas faux. Sans n'avoir même pas imaginé que quelque chose de pareil arriverait cette nuit, les époux partageaient maintenant leur union la plus intime et chaque membre de leurs corps semblait avoir trouvé simplement sa moitié parfaite. Les deux jeunes gens partageaient une soumission et une possession dans un mélange d'érotisme et de sentiment où tout semblait être simplement parfait. Sept mois plus tôt, ils s'étaient juré l'amour devant Dieu et les hommes : est-ce que ce qu'ils s'offraient et se juraient maintenant n'était pas bien plus naturel que cela ?

Après un moment éternel d'intensité, il se libéra en elle en la laissant doucement déborder de nouvelles certitudes. Soulagés, ils retombèrent lentement, se reposant dans les bras l'un de l'autre.
Livrés à leur séduction mutuelle, les Grandchester jouirent l'un de l'autre cette nuit-là sans savoir qu'au même moment, Emilia Elroy recevait des mains de l'Évêque de l'Illinois le document de l'annulation du mariage de la fille adoptive de Wiliam André. Suffisait seulement le témoignage d'un médecin pour que le document puisse être transmis à la commission au Vatican. Avec l'argent et l'influence des André, l'affaire serait chose de quelques semaines, même en temps de guerre. Le mariage légal se dissoudrait immédiatement dès qu'Emilia arriverait à New York.



Chapitre 11 – Confessions

La première chose qu'elle ressentit fut un souffle chaud sur son cou émis à un rythme intermittent. Petit à petit, d'autres sensations s'y ajoutèrent : un poids sur sa poitrine, le frottement des draps sur sa peau et un son grave et bref. Enfin, tout cela la réveilla. Candy ouvrit les yeux et comme chaque jour, la première chose qu'elle vit fut le brocard couleur perle de la couverture de son lit.

Même style modèle de Damas, mêmes rideaux de dentelle et mêmes poteaux en bois sculptés; les draps de satin étaient également identiques. Cependant, le monde était nouveau et bien différent ce matin là.
Respirant paisiblement, Terry, encore abandonné dans la quiétude de son rêve, dormait profondément à ses côtés.

C'était son haleine chaude presque imperceptible qu'elle avait senti sur son cou, c'était sa voix qui s'était perdue dans un bref soupir et c'était lui encore qui, au milieu de sa torpeur, avait fait se déplacer les draps, lui dénudant alors le corps.

Cela paraissait comme une redite du matin où elle était revenue à elle après l'attaque dans le parc. Toutefois, il y avait maintenant quelques modifications conséquentes. La jambe droite de l'homme, longue et ferme, avait pris la liberté de se placer entre ses cuisses et le poids qu'elle sentait sur son sein nu n'était autre que sa main.
La jeune fille se rendit compte alors qu'elle n'avait pas imaginé les choses qui s'étaient passées la nuit précédente.

Le simple fait d'être maintenant totalement nue sous les draps avec un Terry dans la même condition, l'embarrassant de la manière la plus compromettante possible, était la preuve indubitable de ce qui était arrivé.
Les souvenirs se rassemblèrent dans son esprit. La nuit où Candy avait rejeté Terry, la jeune fille avait eu l'occasion d'être amenée aux portes de l'expérience sensuelle. A présent, elle le comprenait.

Ni rien ni personne ne l'avait préparée à ce qui était arrivé, cela faisait seulement quelques heures et de fait, plusieurs détails de la rencontre charnelle lui étaient totalement arrivés par surprise.
Non pas que Terry lui ait manqué de délicatesse, mais plutôt qu'elle n'avait pas eu la moindre idée de ce qu'impliquait la condition préalable du devoir conjugal. A l'école d'infirmière, on parlait seulement de faits précis et tellement brefs qu'il suffisait de quelques phrases pour les décrire.

La Grand Tante, pour sa part, avait fait référence à un acte désagréable qui était considéré comme un devoir, à la hâte pour ne pas pécher, dans le noir, en gardant la chemise de nuit, sous les draps et dans le silence total. Après cette chose tellement embarrassante, il convenait de se séparer le plus rapidement possible et de dormir chacun dans sa chambre, « comme Dieu l'entend ».

Rien ne pouvait être plus opposé à cela que ce qu'elle avait vécu la nuit précédente. Où on parlait de pudeur et de honte, il avait existé une catharsis des sentiments et une véritable libération; où on prescrivait de la mesure, elle avait pris du plaisir avec une joie exubérante. En opposition à ce que dictaient les règles du respect de leur classe sociale, ils avaient fait l'amour à nu, sans culpabilité et à plein poumon, pour ensuite s'endormir enlacés, en communion avec leurs sens et leur âme sans même songer à se séparer avant que le coq ne chante.

Candy ne sortait pas encore de son étonnement. Elle n'avait jamais imaginé que dans le lit conjugal on perde complètement la notion de maîtrise de soi et que l'on y vive des sensations aussi perturbatrices, mélange de satisfaction et d'angoisse en même temps. Oui, elle se sentait encore perturbée par ce qu'elle avait vécu, mais comme elle en ressentait un tel sentiment de bien-être, elle ne pouvait que s'en sentir heureuse.

La jeune fille ébaucha un sourire qu'elle n'avait jamais étrenné auparavant, alors qu'elle caressait les cheveux de son mari encore endormi. Le jour où une enfant s'éveille pour se rendre compte que l'homme qu'elle aime l'a transformée en femme est, sans nul doute, un jour admirable.

Étranger à ces heureuses considérations, Terry restait plongé dans sa torpeur, remuant légèrement sous l'influence des images qu'il voyait dans ses rêves.

Candy s'offrit donc le luxe d'admirer sa figure endormie, en détaillant avec une liberté jamais ressentie auparavant, chaque caractéristique du visage du jeune homme. Jusqu'à ce jour, la jeune fille avait du se contenter de l'observer à la dérobée, en craignant qu'il ne découvre dans un moment d'inadvertance, l'attraction franche qu'il exerçait sur elle.

 « Je ne peux pas nier que je l'ai aimé presque depuis la première fois que je l'ai vu » pensa-t-elle en suivant du regard le profil impeccable de l'homme endormi, « mais il était si exagérément cynique que je ne pouvais simplement pas me rendre à l'évidence. »

Candy s'amusa d'elle-même tandis qu'elle continuait à admirer la figure de l'homme en concluant que malgré son charme pendant qu'il était endormi, rien ne pouvait être comparé à la séduction irrésistible de ses yeux lorsqu'il était éveillé.

- Ne me quitte pas, dit-il alors en parlant encore endormi, mais elle n'arrivait pas clairement à comprendre ses mots - Ne me quitte pas, répéta-t-il de nouveau en fronçant le visage alors que son rêve commençait à laisser place à de la nervosité.

Dans d'autres circonstances, Candy se serait amusée de découvrir qu'elle n'était pas la seule qui parlait en dormant dans cette chambre, mais l'anxiété qui se reflétait sur le visage de Terry la préoccupa. Cependant, avant qu'elle ne réussisse à faire quoi que ce soit, le jeune homme se déplaça de telle sorte qu'il se retourna sur son flanc, refermant ses mains et ses bras autour d'elle, la serrant plus étroitement qu'avant.

La jeune femme, sans aucune expérience dans les habitudes au lit de son mari, s'immobilisa, laissant simplement glisser son propre corps contre le sien, peau contre peau, juste comme lui l'avait fait la nuit précédente en lui faisant l'amour.
Sans plus attendre, la chaleur du corps de Candy calma l'anxiété du jeune homme qui, un instant plus tard, parut à nouveau respirer paisiblement.

Alors qu'elle pensait qu'il ne se réveillerait pas encore pendant un bon moment, l'homme soupira contre son cou, marmonna trois fois et quelques secondes plus tard, ses yeux étaient ouverts pour regarder une Candy aux cheveux dispersés librement sur l'oreiller.

- Bonjour, le salua-t-elle avec un sourire et il sentit qu'il venait de se réveiller au plus beau jour de sa vie.

- Jour de gloire, Madame Grandchester, dit-il en jouissant de pouvoir l'appeler de cette façon sans s'entendre mentir.

- J'avais l'impression que quelque chose t'inquiétait, continua-t-elle en prenant son visage entre ses mains. Tu paraissais faire un mauvais rêve.

- Je crois que ça a été une nuit de mauvais rêves, mais de douces réalités, lui répondit-il en souriant. Heureux de m'être réveillé.

- De quoi rêvais-tu ? insista-t-elle dans un froncement de sourcils, accompagné d'une véritable préoccupation dans la voix qui toucha le jeune homme.

- Je rêvais ... hésita-t-il, sceptique à l'idée de commenter quelque chose qui lui paraissait hors de propos vu les circonstances heureuses vécues, mais ensuite il s'encouragea à avouer sans pouvoir résister à ces yeux verts qui l'interrogeaient avec anxiété - Je rêvais de la nuit où nous nous sommes séparés, la nuit de la première de Roméo et Juliette. Je rêvais que je te disais finalement ce que je n'ai pas pu te dire alors. Je te demandais ... je te suppliais de ne pas me laisser.

- Ne pense plus à cela, se dépêcha-t-elle de lui dire, en souhaitant effacer pour toujours ces mauvais souvenirs de leur mémoire à tous les deux.  Susanna, toi et moi avons pris la mauvaise décision cette nuit-là mais tout cela est passé. Les choses ont été amendées ... heureusement.

- Mais elles n'ont jamais pu être fixées, répondit-il en descendant son visage dans ses cheveux. Si de retour à New York, Susanna m'avait accepté, je me serais marié avec elle. Quel idiot j'aurais été ! Cela nous aurait seulement rendus immensément malheureux tous les deux, parce que je suis sûr maintenant que je ne t'ai jamais oubliée, Candy, mon amour. Encore pire, déjà marié, je n'aurais pas été en position de t'aider à échapper à Daniel... de seulement de penser que ce bâtard t'oblige à ...

- Ne te tourmente pas ainsi, Terry, se dépêcha-t-elle de l'interrompre tandis qu'elle jetait ses bras autour de son cou. Il est une chance que Dieu ait eu des plans plus raisonnables que les nôtres. Remercions-le pour cela et oublions ces mauvais rêves.

- Tu as raison, admit-il en soupirant profondément et en gardant le silence; il se perdit ensuite dans ses yeux durant un moment comme pour continuer à se souvenir de quelque chose. En y pensant, le rêve que je viens de faire n'était finalement pas tellement mauvais. Après tout, cette histoire a eu une fin heureuse.

- Vraiment ? Puis-je en savoir la fin ? demanda-t-elle sur un ton plus détaché.

- Dans mon rêve, je te serrais comme cette fois-là dans les escaliers...commença-t-il en approchant son visage de façon à ce que Candy ne puisse pas résister longtemps à la tentation de l'embrasser. Je te demandais de ne pas me quitter, comme j'aurais dû le faire alors et tu te retournais pour me regarder. Tu me disais quelque chose mais je ne pouvais déjà plus t'écouter, seulement sentir la chaleur de ton étreinte. C'était comme la sensation que donne la chaleur de la maison quand tu rentres chez toi après avoir été un long moment sous la neige. C'est à ce moment-là que j'ai su que tu ne partirais pas...sans pouvoir résister davantage, la jeune femme raccourcit la distance entre leurs lèvres et Terry ne sembla pas lui en vouloir de l'interruption.

Tout au contraire, son geste spontané le mit d'une humeur tellement bonne que quand le baiser s'interrompit, il continua son histoire d'un ton plus léger : … après cela je suppose qu'il doit s'être passé quelque chose de très intéressant parce que dans la suite dont je me souviens, tu me jetais notamment ta robe au visage !

- Cela tu l'inventes maintenant, Terrence ! l'accusa-t-elle en faisant la moue.

- Je ne vois pas pourquoi cela t'étonne, répondit-il rapidement tout en se déplaçant pour se mettre juste au dessus d'elle, avant que la jeune femme ne puisse faire quelque chose pour l'éviter. Qu'est-ce que cela a de mauvais ? Après tout, les rêves s'inspirent de la réalité et à cet instant, je t'assure que tu avais encore davantage de vêtements sur toi dans mon rêve que maintenant.

- Grossier personnage! Enlève-toi de là ! lui ordonna-t-elle.

- Non je ne suis pas grossier et je ne bougerai pas, répondit Terry en s'amusant de la résistance de la jeune femme.

- Penses-tu me forcer ? Je te signale que je crierai jusqu'à ameuter toute la maison, le menaça-t-elle.

- Vas-y ! l'encouragea-t-il en lui embrassant distraitement le cou. J'objecterai alors que tu m'as toi même invité dans ta chambre. En outre, il existe un petit détail que tu parais avoir oublié, je suis ton mari et j'ai le droit d'être ici.

- Tu es un odieux personnage ! répondit-elle, mais son accusation sonnait faux devant l'émotion que lui provoquaient ses baisers sur sa gorge.

- Et toi une mauvaise perdante, la récrimina-t-il en lui chatouillant les flancs.

- Ne fais pas cela, protesta Candy entre deux rires nerveux. Non, s'il te plaît !

- Je le ferai jusqu'à ce que tu acceptes de te considérer comme vaincue.

- Bon ! Bon ! Je me rends !!!

- Tu ne sais pas le temps que j'ai attendu pour que tu me dises cela ! Par tous les cieux, ne me laisse plus jamais !  Et en disant ceci,  le jeune homme conclut la conversation pour en continuer une autre qui n'avait pas besoin de mots.

Sophie ne s'était pas sentie très bien la nuit précédente. Elle avait eu un grave mal de tête et était allée se coucher avant les autres domestiques. Après tout, ses services avaient été seulement réclamés pour Madame au moment du bain, en lui laissant le reste de la journée à sa totale disposition. La femme de chambre ne comprenait pas comment elle faisait pour regarder sa patronne en face sans que la honte et les remords qu'elle ressentait ne la trahissent. Oui, il était vrai que les notes d'hôpital où séjournait son gamin étaient chaque fois plus importantes et que son salaire ne suffisait pas à les payer. Cependant, par le passé, elle avait pensé que la vie de son fils justifiait tout ce qu'elle ferait pour la sauver, ou au moins la prolonger ... Maintenant, elle n'était plus tellement sûre de cela.

Le mariage des Grandchester avait été une énigme totale à ses yeux depuis le jour où elle était arrivée à New York pour travailler pour eux. Même un aveugle pouvait voir que le cœur de la jeune Madame Grandchester battait au même rythme que celui de son mari. Lui, pour sa part, ne pouvait pas être plus protecteur et plus attentionné avec elle. Sa dévotion envers son épouse n'était donc pas le problème.

Ce qui était curieux, c'est que, malgré l'affection sans doute possible qu'ils avaient l'un pour l'autre, chacun paraissait par moments, très malheureux.
À l'originalité de ce couple amoureux et malheureux tout à la fois, s'ajoutait le curieux détail de la chambre. Ou bien Monsieur passait juste quelques instants furtifs avec sa femme avant l'aube, ou bien il ne dormait absolument pas avec elle donc, quand Sophie entrait dans la pièce pour aider Madame, ce qui généralement se passait de bonne heure, Monsieur dormait dans sa propre chambre.

Pendant des mois, Sophie ne sut pas laquelle des deux réponses était correcte car le couple donnait tant de signes contradictoires qu'il pouvait surprendre, y compris le meilleur des observateurs.
La nuit précédant le départ de Terry pour sa tournée, Sophie les avait observés par une des fenêtres de l'avant de la maison et avait remarqué comment le couple était descendu de la voiture et s'embrassait encore avant d'entrer dans la maison.

L'événement, qui en soi n'avait rien d'extraordinaire pour des jeunes mariés, apparaissait comme singulier chez les Grandchester qui jusqu'à ce jour, n'avaient été jamais vus par leurs serviteurs dans une quelconque démonstration d'affection entre eux.

Intriguée, la servante était subrepticement descendue jusqu'au salon et s'était cachée dans un angle des escaliers depuis lequel elle pouvait observer sans être vue.
La scène qui se déroula devant ses yeux effaça d'un coup ses doutes.

Une fois dans la maison, le couple avait conversé pendant un moment, mais l'esprit de Monsieur était très à l'aise tandis que Madame paraissait un peu gênée, peut-être parce qu'elle craignait que les domestiques ne les découvrent. Toutefois, la jeune femme finit par accepter de bon gré les ardeurs de son mari parce qu'elle ne s'opposa nullement à ses baisers ni aux autres caresses. Sophie se sentit coupable de faire irruption dans un moment tellement intime et se retira en les laissant seuls.

Cependant, malgré la sympathie que lui inspirait naturellement le couple, constater que tous les deux paraissaient vivre une relation normale bien qu'exceptionnellement discrète, lui apportait des complications inattendues. S'il n'y avait rien de mystérieux à découvrir, Mademoiselle Legrand serait intransigeante. Eliza lui avait prêté de grosses sommes pour régler les honoraires des médecins en espérant que Sophie solderait sa dette en lui fournissant des informations juteuses. Comment payer maintenant ?

L'inquiétude ne la laissa pas dormir cette nuit-là. Elle connaissait très bien les Legrand et par conséquent, elle comprenait à la perfection qu'elle se trouvait dans une situation dramatique. En cherchant à se calmer, elle était descendue pour se préparer un thé, mais avant d'arriver à la cuisine, elle avait découvert que sa patronne souffrait aussi d'insomnie parce qu'elle se trouvait hors de sa chambre et se dirigeait vers son salon de thé. Intriguée, Sophie l'avait suivie sans être vue.

Candy avait laissé la porte ouverte en entrant, ce qui avait facilité la tâche d'espionnage de Sophie. La femme avait écouté avec clarté la voix de Terrence parlant avec son épouse, bien qu'elle n'ait pas pu distinguer ce qui avait été dit parce qu'ils parlaient en chuchotant. Les voix ensuite se turent. Sophie, résignée, était sur le point d'oublier l'affaire quand les chuchotements devinrent des cris.

Étranger à sa présence, le couple se laissa aller à une discussion amère qui leva le voile sur  les secrets qu'ils avaient soigneusement gardés durant des mois. Sophie ne pouvait le croire. Toutefois, comme si avoir assisté à la scène n'avait pas été une preuve suffisante, le matin suivant, Madame avait laissé traîner sur sa coiffeuse la lettre que la femme de chambre avait fini par voler. Le problème de l'argent était résolu mais sa conscience n'était pas tranquille.

La culpabilité n'avait pas diminué durant la nuit mais Sophie se résigna à poursuivre ses activités quand le matin arriva. Comme d'habitude, elle descendit à la cuisine pour préparer le déjeuner de Candy et se dirigea ensuite vers la chambre de sa patronne avec l'intention d'y faire le ménage habituel. Si les choses se passaient comme les jours précédents, Madame serait déjà levée, elle lui dirait de poser ses vêtements propres sur le lit et ensuite, elle la laisserait seule.

La porte du vestibule s'ouvrit et Sophie s'introduisit dans la petite chambre pour chercher les vêtements de Madame avant d'entrer dans la chambre. Arriver sans préavis était devenu une coutume parce que, bien qu'au début Madame lui ait ordonné de ne jamais entrer si elle n'était pas appelée, avec le temps, l'habitude s'était perdue. Une fois dans le vestibule, au lieu du silence habituel, Sophie put percevoir des voix et des rires.

A sa plus grande stupeur, les voix étaient celles de Madame et Monsieur qui paraissaient converser et plaisanter avec une allégresse auparavant inconnue dans cette maison. Sophie était comme pétrifiée sans savoir comment interpréter une situation semblable quand Candy elle-même entra spontanément dans le vestibule, portant seulement une serviette de toilette, les cheveux mouillés, les joues rosies par l'eau chaude et un éclat dans les yeux qui n'avait jamais existé auparavant.

- Bonjour, Sophie ! la salua la jeune femme avec jovialité et sans être étonnée de la présence de la femme de chambre. C'est une chance de te trouver ici. Mon mari et moi avons besoin que l'on nous apporte le déjeuner dans notre chambre. Pourrais-tu te charger de cela ?

- Le ... le...Monsieur va déjeuner au lit ? demanda ensuite Sophie tout en bégayant, se sentant ridicule de poser une question tellement stupide.

- Oui, nous sommes légèrement paresseux aujourd'hui, lui répondit Candy amusée par l'expression de confusion de la domestique, j'ai eu hier soir des cauchemars horribles et il est resté avec moi pour me faire oublier mes mauvais rêves. C'est le meilleur homme du monde, s'exclama alors la jeune femme en ouvrant d'un côté à l'autre les rideaux du vestibule pour regarder au dehors.

Sophie pensa alors que de tous les sourires qu'elle avait vus utilisés jusqu'alors par sa patronne, celui-là était le plus lumineux.

- Ne trouves-tu pas, Sophie, que ce jour est le plus beau de l'année ? Je ne sais pas si c'est la lumière ou si les arbres nus sont rendus plus gracieux par la neige. A quoi penses-tu ? demanda la jeune femme, marquant ainsi un changement troublant dans la conversation.

- Pardon, Madame ? demanda Sophie sans comprendre.

- Ne me regarde pas comme ça, jeune fille, je suis tellement heureuse que je pense que je vais éclater de joie et dire des incohérences ! Occupe-toi seulement du déjeuner et prends le reste de ta journée. Tu es toute pâle, tu sais ? Tu devrais te reposer ! Et en disant ceci, la jeune blonde repartit par où elle était arrivée.

Sophie s'effondra sur le divan bleu. Il s'était évidemment passé quelque chose la nuit précédente qui changeait la situation de manière dramatique. Sa culpabilité était maintenant insupportable.

Les Grandchester avaient passé la matinée à patiner dans le sud de Manhattan, exposant devant tous, la joie scandaleuse d'être amoureux. Candy alla jusqu'à avoir mal à l'estomac à force de rire et de faire la course avec Terry, tous les deux patinant à toute vitesse entre les gens qu'ils s'efforçaient d'éviter. Les chutes ne s'étaient pas fait attendre et après la bataille, la jeune femme avait terminé avec les cheveux hirsutes, le manteau légèrement humide et les joues rosies.

Sans se soucier de leur état, le couple avait encore marché un instant le long de la cinquième avenue. Le résultat de cette aventure avait été une pile de cadeaux de Noël dispersés dans toute la chambre de Candy et une paire de manteaux à envoyer à la teinturerie.

- Madame veut-elle que je mette ces cadeaux sous l'arbre ? demanda Sophie qui essayait de mettre un certain ordre dans ce chaos.

- Oh non ! lui répondit-elle alors qu'elle se séchait les cheveux avec une serviette. Il faut les mettre tous dans de grandes caisses parce que je vais les emporter dans l'Illinois. Mon mari et moi projetons de passer Noël à l'endroit où j'ai été élevée, ajouta-t-elle et elle rajouta avec un sourire: Tu auras deux semaines de vacances sans avoir à te soucier de moi.

- Sérieusement ? demanda Sophie incrédule, elle qui n'avait jamais bénéficié d'une permission aussi longue.

- Et oui ! Nous allons quitter cette maison pendant un moment et la laisser durant quelques jours de congés pour passer les fêtes avec nos familles. Évidemment, nous te payerons ton salaire comme toujours. Je suppose que tu voudras aller à Chicago pour voir les tiens.

Sophie, qui dans sa vie n'avait jamais eu de patrons plus généreux, sentit que sa gorge se serrait rien que de penser à ce qu'elle avait fait.

- Oui, Madame. J'ai un fils et j'aimerais le voir.

- Vraiment ? Cela doit être quelque chose de merveilleux d'être mère, commenta Candy en se rendant compte que sa femme de chambre n'avait jamais parlé de sa vie. Je voudrais bien avoir un fils très bientôt.

Pendant une seconde, la jeune femme s'interrompit en pensant que son désir pourrait bien devenir réalité. Sophie reconnut le regard rêveur de la jeune blonde et une fois de plus maudit son erreur de jugement.

- J'aimerais que tu portes quelque chose à ton enfant de ma part, dit ensuite Candy, en sortant de ses pensées aussi vite qu'elle s'y était plongée et d'un bond, elle se leva du rebord du lit où elle était assise. Prends ceci, c'est une voiture de pompiers miniature, expliqua la jeune femme en prenant l'un des paquets cadeaux et en l'offrant à la femme de chambre qui ne savait plus que dire. Cet autre est pour toi, ajouta ensuite la jeune femme en prenant une grande boîte. Quand je l'ai vu dans la vitrine, j'ai pensé à tes yeux couleur olive et j'en ai déduit qu'il était fait pour toi. Je ne voulais pas te le donner avant le départ en vacances mais ...

Candy s'interrompit en voyant que Sophie avait porté ses mains à son visage et à sa grande surprise, elle commença à pleurer de façon inconsolable. En supposant que la femme pleurait en pensant à son fils tellement loin, Candy courut embrasser la jeune fille pour la consoler.

- Ce n'est pas bien qu'un fils vive séparé de sa mère. Je sais ce que je dis puisque je suis orpheline. Mais si tu es d'accord, Terry et moi pourrions faire quelque chose pour remédier à cela. Tu pourrais l'emmener vivre ici si tu le souhaites, ou si tu préfères, nous te donnerons une recommandation pour que tu travailles pour mon amie Annie Brighton, proposa Candy en essayant de remédier à la douleur de Sophie.

- Oh Madame ! Mon enfant est à l'hôpital, je ne peux pas l'emmener ici, expliqua Sophie en sanglotant.

- A l'hôpital pour longtemps ? s'exclama Candy étonnée.

- Les médecins qui l'ont vu ne savent pas ce qu'il a. Il a toujours été tellement sensible. Ils croient que c'est mieux de le maintenir en observation tout le temps.

- Et loin de sa mère ? Sottises ! C'est fini, Sophie, ordonna Candy indignée. Tu viendras à Chicago avec nous et j'étudierai en détails le cas de ton gamin. Nous trouverons une solution à tout ceci et....

- Oh mon Dieu, Madame ! pleura Sophie, vous ne pouvez pas être si généreuse avec moi, non !

- Mais voyons ! Ce n'est rien, enfin ! lui répondit Candy sans pouvoir comprendre pour quelle raison Sophie paraissait contre chaque solution qu'elle proposait.

- Je suis une traîtresse, Madame, vous ne devez pas me ménager ainsi alors que moi, je vous ai livrée entre les mains de vos ennemis les Legrand. Vous ne devez pas m'aider, vous devez me haïr et me jeter de votre maison aujourd'hui même, dit finalement Sophie sans pouvoir se contenir davantage.

Candy était muette. Elle ne comprenait pas ce que Sophie lui exposait, mais quelque chose dans la culpabilité spontanée de la jeune fille lui disait qu'il s'agissait de quelque chose de très sérieux.

Entre ses sanglots, Sophie expliqua encore à Candy son histoire et comment Eliza l'avait convaincue de lui servir d'espion. La jeune fille ne put que se sentir indignée en  étant informant que la lettre qu'elle croyait avoir perdue, avait en réalité été volée. Elle était contrariée par la manière dont Eliza et Daniel étaient parvenus à s'informer de choses aussi privées que contenait la lettre. En outre, bien qu'il soit certain que les choses entre elle et Terry avaient changé, elle n'était pas du tout sûre de là où l'histoire aboutirait quand l'Oncle William serait informé de la supercherie qu'ils avaient instaurée.

Trop accablée par la découverte, Candy demanda simplement à Sophie de se retirer et elle prit la décision de consulter Terry sur ce qu'il fallait faire au vu des circonstances. Comme il fallait s'y attendre, le jeune homme se mit énormément en colère et aurait mis Sophie à la porte sur le champ s'il n'y avait pas eu l'intervention de Candy.

Elle aussi était gênée et déçue de sa femme de chambre, mais voulait attendre quelque temps avant de prendre une décision la concernant. La maladie du fils de Sophie était une circonstance atténuante et le fait qu'elle-même s'était trahie par simple mégarde lui faisait penser qu'il valait mieux ne pas agir dans la précipitation. Le cas de Daniel et Eliza était différent. Il fallait faire quelque chose à ce sujet dès que possible.

Ce jour-là, toutefois, on ne pouvait plus effectuer aucun mouvement. Il était plus de six heures du soir et les avocats n'étaient pas disponibles pour être consultés à ces heures, moins encore en période de Noël. En créature à l'esprit vif qu'elle était, Candy apaisa les discussions en objectant que les Legrand ne terniraient pas son premier réel jour de mariage.

Spencer leur signala alors que le dîner les attendait.
Le jeune homme, encore méfiant, s'excusa un instant pour répondre à un appel téléphonique mais rejoignit ensuite sa femme à la salle à manger. Terry s'aperçut que Candy était déjà de nouveau à l'aise et décida pour sa part qu'il valait mieux suivre son exemple. Tous les deux entamèrent une conversation triviale tandis que les employés servaient le repas.

Candy répondait brièvement, mais suivait avec intérêt l'explication que Terry lui donnait sur les jours de liberté qu'il allait avoir, lesquels dureraient jusqu'à la fin du mois de janvier. Quand arrivèrent les desserts, l'ambiance était totalement détendue et tous les deux parlaient librement du voyage qu'ils allaient entreprendre.
Au milieu des propos légers qui flottaient dans l'air, Candy ne perdait pas un détail de l'expression de Terry.

Elle détailla durant quelques secondes les fibres marron de ses cheveux et mentalement sentait à nouveau la douceur de ses doigts, observa les traits décisifs et forts de son visage, les ombres de son sourire qui était large et songea à l'expression toujours ferme de ses mains quand il s'adressait à elle et, qui pour une raison qu'elle ne comprenait pas, la rendait nerveuse et la séduisait en même temps.

« Je ne peux pas le nier, » se disait-elle en souriant intérieurement, « j'aime tant rester à le regarder. Je peux à peine croire qu'il est à moi ... qu'il l'a toujours été. »

La présence de Spencer interrompit la conversation à ce moment-là et laissa Candy poursuivre le flux de ses pensées pendant quelques secondes tandis que Terry portait son attention sur le maître d'hôtel.

- Candy, je dois prendre un appel important, dit le jeune acteur en s'adressant à son épouse et elle put percevoir un léger changement dans l'expression de ses yeux. Elle comprit qu'il devait obtenir une explication plus claire sur l'événement - Il s'agit d'une agence de sécurité et de recherches que j'ai contactée pour te protéger, dit-il finalement en s'encourageant à dire la vérité.

- Je pensais que la police se chargerait de l'affaire, lui répondit-elle intriguée.

- Pour moi, ce n'est pas suffisant. Je vais épuiser toutes les ressources jusqu'à acculer les Legrand. La lettre qu'ils ont volée n'aura aucun pouvoir quand nous aurons des preuves qu'ils ont engagé des professionnels pour te faire enlever, expliqua-t-il et elle comprit par ce ton ferme dans sa voix que sa décision était tellement définitive qu'il était mieux de le laisser suivre ses plans. Nous ne pouvons pas parler avec un avocat pour le moment, mais nous avons ces gens qui travaillent en permanence pour nous si nous le désirons. Excuse-moi, je vais leur parler un moment. Essaye de te reposer. Je te verrai plus tard, conclut-il en se levant de table et en suivant Spencer. Candy resta attablée encore un peu.

La dernière phrase que Terry lui avait dite avait été chargée d'une intention spéciale et accompagnée d'une prudence particulière, mi-ordre et mi-demande, qu'elle commençait à reconnaître. D'abord, la jeune fille sentit un vide inconnu dans son estomac bien qu'elle vienne de manger. De toute la journée, elle ne s'était pas demandé ce qu'elle devait espérer à présent de sa relation avec Terry étant donné qu'ils étaient mari et femme dans tous les sens du terme. Quelles étaient les habitudes qui étaient considérées comme normales quant à cette partie des relations de couple dont personne ne parlait ? Qu'en était-il de ce qui s'était passé la nuit précédente ? Le jeune homme n'avait rien dit quant à l'habitude de conserver deux chambres. Devait-elle attendre Terry dans sa chambre ou devait-elle patienter dans la sienne ?

Viendrait-il cette nuit ou préférerait-il dormir seul ?

Pour obtenir des réponses à toutes ces questions, il lui suffisait de demander à Terry, mais à vrai dire, Candy ne se sentait pas encore libre d'aborder des sujets aussi directs de sa propre initiative.

De plus, comme il était occupé avec l'appel, elle allait attendre un bon moment pour tenter d'obtenir une explication.
Intriguée et soucieuse par anticipation de ce qu'il pourrait se passer, la jeune femme se retira dans sa chambre et une fois de plus, se réjouit de l'habituel mutisme de Sophie qui lui permettait de réfléchir alors que la femme de chambre faisait son travail en silence.

Pour sa part Sophie, qui ne sortait pas encore de sa honte et de ses remords, se contenta de vêtir Madame sans faire de commentaire de la chemise de nuit qu'elle avait choisie pour cette nuit, laquelle était peut-être trop légère pour une nuit aussi froide.

Après avoir terminé le cérémonial, les vêtements utilisés pendant la journée déjà rassemblés et les cheveux de sa patronne repris dans une tresse, Sophie sortit de la pièce en laissant Candy plongée dans ses méditations face au miroir de sa coiffeuse.

Pas même le bruit étouffé de la porte de la chambre se refermant derrière Sophie ne sortit Candy de son abstraction.
Pour la première fois de toute sa vie, elle se regarda dans le miroir avec de nouveaux yeux et perçut sous la lumière de la lampe les courbes de son visage et de son corps suivant leur attrait. Elle se souvint de l'intensité avec laquelle Terry l'avait observée la nuit précédente alors qu'il la déshabillait.

Le souvenir lui dessina un sourire jamais encore utilisé par ses lèvres, nourri par un sentiment de fierté féminine qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant. Pour la première fois de sa vie, elle se trouvait belle et se rendait compte qu'elle détenait en même temps l'amour et les désirs les plus secrets de son mari. La satisfaction de ce pouvoir, moitié d'auto complaisance, moitié de générosité, la remplissait de joie. Toutefois, elle se demandait encore si les souvenirs de la nuit précédente seraient aussi forts en lui pour lui faire souhaiter les revivre à nouveau.

En tous cas, la porte du vestibule finit par s'ouvrir, faisant place au dépositaire de ses pensées. Elle étudia son image depuis le reflet du miroir. Il était encore vêtu du costume beige foncé qu'il avait porté pendant l'après-midi, mais la cravate était dénouée et la chemise entrouverte. Il s'arrêta en faisant reposer son poids sur le cadre de la porte, sur une seule de ses jambes, pliant l'autre et croisant ses bras sur sa poitrine. L'expression de son visage était tellement intense qu'elle arrivait à se sentir intimidée.

- Quels ont été les résultats des affaires avec l'agence de recherches ? demanda la jeune femme sans se retourner à nouveau, mais en percevant depuis le miroir celui qui commençait à se déplacer pour s'approcher d'elle.

- J'aimerais parler avec toi de ce sujet plus tard ... peut-être demain, lui répondit-il en s'arrêtant juste dans son dos sans détacher son regard du miroir.

- Pourquoi reporter si on peut le faire maintenant ? demanda-t-elle en souhaitant qu'il prononce la raison qu'elle avait déjà lue dans ses yeux.

- Parce que je n'ai pas envie de parler maintenant, lui répondit-il en baissant le regard pour admirer l'effet de la soie blanche sur le corps de Candy. De là où il était, il pouvait admirer la cambrure du dos qui arrivait presque jusqu'à la ceinture. Il savait qu'il pouvait la toucher dès qu'il le voulait, mais pour l'instant il ressentait seulement la nécessité d'admirer le reflet de la lumière de la lampe sur la peau crémeuse de la jeune fille - Pour être honnête, je n'ai aucun désir de parler ... de rien.

- Peut-être es-tu fatigué. Dans ce cas tu devrais dormir, lui répondit-elle en feignant l'indifférence.

- Je n'ai pas sommeil, dit-il en ébauchant un sourire dont les intentions ne pouvaient pas être mal interprétées.

Elle ne put rien répondre et resta calme et silencieuse alors que Terry s'assit à côté d'elle à l'extrémité du fauteuil. Ses yeux la parcouraient de la tête aux pieds sans que ses mains ne bougent. Ils restèrent ainsi un moment, tandis qu'il observait avec approbation comment sa respiration commençait à s'agiter.

Après un instant de cette séduisante attente, Candy fut surprise en sentant sa main lui défaire le lien qui tenait sa tresse. Un virement de la main du jeune homme suffit et le ruban tomba sur le sol. Ainsi, sans rompre le silence, il continua sa tâche en séparant les mèches de cheveux blonds qui, en étant libérées, bouclèrent à nouveau.

L'opération dura un bon moment jusqu'à ce que la chevelure de la jeune femme soit dispersée tout au long de son dos. Alors, il dégagea les boucles qui tombaient sur joue gauche de Candy pour s'approcher de son oreille.

- En y réfléchissant bien, peut-être aimerais-je parler de quelque chose justement, murmura-t-il et son haleine effleura la peau de la jeune fille.

- Parle, lui répondit-elle en inclinant un peu sa tête vers la droite pour lui offrir librement la peau de son cou.

- Parlons de dormir ensemble toutes les nuits, dit-il en profitant de l'invitation pour planter un baiser léger derrière l'oreille de la jeune femme. Par conséquent, tu changes dorénavant de lit - Un autre baiser de plus à la base du cou - Parlons des caresses que je vais t'enseigner, de comment je veux que tu me touches et de la nécessité de partager le lit lors d'un hiver aussi froid que celui-ci.

- En hiver seulement ? Et l'été ? demanda-t-elle se surprenant elle-même de son insinuation directe.

- Nous dormirons nus et sans draps, lui répondit-il alors avec un sourire malicieux, en enchantant le regard attentif de Candy que le miroir lui révélait. Pour un peu plus vous scandaliser, Madame Grandchester, je suis un homme aux habitudes passionnelles, comme vous vous en êtes déjà rendue compte, ajouta-t-il en continuant ses attentions sur la peau du cou de la jeune femme, aux points les plus sensibles. Il attendit ensuite quelques secondes jusqu'à ce que ses caresses aient provoqué un soupir à la jeune fille, pour y ajouter finalement un regard pénétrant - Tu es mienne, et je te garderai pour toujours de toute mon âme et tout mon corps, Candy. Et dans ce même esprit possessif, Terry la prit dans ses bras en disparaissant avec elle de l'autre côté du vestibule pour lui enseigner les secrets de sa chambre qui, à partir de cette nuit, deviendrait la leur ...

Candy n'était jamais entrée auparavant dans la chambre de Terry, maintenant, plongée dans une douce pénombre car les faibles lumières qui brisaient la nuit dessinaient des ombres et des courbes rendant le mobilier couvert de mystère.

La tapisserie était de style foncé brocard de Damas et les fauteuils placés face à la cheminée avaient le style des charpentiers de Boston. Les couleurs de la chambre étaient toutefois perdues, entre les ombres de la nuit.
Le lit était plus grand que le sien, avec un auvent de rideaux. Candy ne pouvait plus rien distinguer. La lumière de la lune était faible tandis que l'impétuosité de Terry était beaucoup palpable comme pour lui donner l'occasion d'apprécier l'environnement.

L'homme la plaça ensuite sur le lit avec douceur, se reposant sur elle sans rien dire. Candy perçut le poids du jeune homme sur son corps et en ressentit d'abord une anxiété étrange, comme si les choses qui étaient sur le point d'arriver étaient différentes de celles de la nuit précédente, chargées d'encore plus grands mystères et de plaisirs extravagants. Il commença à lui embrasser les lèvres de cette manière possessive et écrasante selon laquelle il l'embrassait généralement, tandis que son poids pressait doucement l'entrejambe de la jeune femme.

- Je me rappelle bien la nuit où tu as utilisé cette chemise de nuit. C'était le jour de notre mariage, sussura-t-il entre ses baisers. J'aurais tout donné pour te rendre mienne ce jour là.

- Tu avais seulement besoin de me dire que tu m'aimais et je me serais livrée à toi cette même nuit, répondit-elle en s'efforçant de prononcer ses mots de manière intelligibles bien que l'air commence à lui manquer étrangement.

Ses mots entrèrent dans l'esprit de Terry comme le vent qui frappe les fenêtres et les ouvre de part en part.

- Tu parles sérieusement ? demanda-t-il, perturbé au point d'arrêter ses caresses pour la regarder dans les yeux.

- Évidemment, Terry. Cette nuit-là, c'est à peine si j'ai pu dormir rien que de penser que je venais de me marier avec l'homme que j'aime, mais que je ne serais jamais vraiment son épouse. Toi, par contre, tu dormais tellement tranquillement que je t'ai presque détesté autant que je t'aime ! répondit Candy en caressant sa joue gauche de sa paume.

- Je feignais seulement de dormir. Le désir ne me laissait pas en paix. Je ne sais pas comment j'ai fait pour lui résister, admit le jeune homme en sentant dans un frisson le chemin de la main de Candy depuis sa joue jusqu'à la limite du dernier bouton de sa chemise.

- Tu ne l'as pas fait car tu es un gentleman même si tu essayes de le dissimuler parfois, répondit-elle en déboutonnant le vêtement du jeune homme.

- Mais tu ne sais pas comment j'aurais voulu ne pas l'être cette fois-là, dit-il dans un murmure seulement, tout en se déplaçant pour lui permettre de continuer à le dévêtir.

- Pourquoi ne pas m'avoir dit ce que tu ressentais ? demanda la jeune femme en trouvant le chemin pour caresser le torse nu de son amant.

- Parce que je pensais que tu ne me reviendrais plus. En connaissant ton bon cœur, je soupçonnais qu'en te révélant mes sentiments, tu accepterais d'être ma femme seulement par compassion. Je ne voulais pas seulement ton corps, je t'aime et je voulais ton amour complètement et pour moi seul.

- Idiot, le coupa-t-elle avec douceur en plantant un bref baiser à la base de son cou, mon amour n'a jamais été qu'à toi depuis très longtemps.

En sentant que la conversation arrivait à un point spécialement délicat pour lui, Terry douta une seconde de poser la question suivante, mais finalement se risqua à parler, encouragé par les caresses persistantes de sa femme.

- Dis moi une chose, Candy, demanda-t-il en cherchant dans le visage de la jeune femme les réponses qu'il convoitait avant même qu'elle ne puisse lui répondre. Qu'est-ce qu'un ange comme toi a bien pu trouver à un homme comme moi ?

La jeune femme se tut pendant un moment. De prime abord, il lui sembla incroyable que quelqu'un d'aussi sûr de lui et d'arrogant comme Terry, pouvait dans le fond manquer autant de confiance en lui-même quand il s'agissait d'elle. Il s'était toujours efforcé de dissimuler cette faiblesse chez lui, de sorte que la jeune femme ne pouvait que se surprendre de la découverte qu'elle venait de faire au sujet des craintes occultes de son mari. La situation avait un caractère aigre-doux, mais surtout attendrissant qui la toucha jusqu'au fond de l'âme.

- Vraiment tu ne le sais pas ? demanda-t-elle en ébauchant le plus doux de ses sourires à celui qui lui répondit sans dire mot d'une simple négation de tête. Elle soupira et lui répondit : Je pourrais longtemps te parler de tout ce qui m'attire chez toi. Alors que nous dînions ce soir, il m'a été impossible de le nier. J'ai dû accepter que je t'ai toujours aimé, depuis la première fois que je t'ai vu mais si tu avais seulement misé sur tes enchantements physiques pour me séduire, leur effet aurait peu duré sur moi et tu n'aurais jamais attiré l'attention de la fille qui voit uniquement toute la bonté que tu as. Un homme comme toi doit être fatigué de la flatterie féminine.
Toutefois, lorsque je suis arrivée au collège, tu t'es glissé dans mon cœur jour après jour, en me laissant voir les gentilles caractéristiques de ton âme que tu t'efforces tellement de dissimuler aux autres. Tu m'as défendue de Daniel sans me connaître, tu as aidé la grand-mère de Patty et tu m'as sauvée à plus d'une occasion d'être découverte dans mes évasions. Même si tu t'entêtes à jouer au dur, je sais bien qu'en réalité tu as un cœur noble et généreux.

- Celui qui t'entendrait penserait que je suis l'homme parfait et Dieu sait que je suis très loin de l'être, lui répondit-il, touché.

- Il n'existe pas d'homme parfait, Terry, dit-elle en dessinant la découpe des lèvres de son mari avec son index, tu existes comme tu es, impulsif, rancunier et même violent ; mais aussi sincère, courageux et capable de sacrifier ton bonheur pour celui des autres. Je t'aime pour tout cela dans son ensemble et parce que chaque caractéristique en toi trouve sa contrepartie parfaite en moi, comme aucun autre être humain que j'ai connu. Je sais que tu es méfiant et que tu manques de confiance, mais avec moi tu peux être tendre comme personne. C'est très flatteur de savoir que ta tendresse est exclusivement mienne. Impossible de ne pas t'aimer, murmura-t-elle alors en sentant la force du sentiment que ses mots avaient réveillé en lui.

- Tu as extasié mon âme, ma femme, dit-il alors d'une voix enrouée par l'émotion et en titubant encore, il approcha ses lèvres de son oreille pour lui faire une confession supplémentaire - l'ironie est que, même si tes mots parviennent jusqu'au plus profond de mon esprit, mon corps y répond avec un désir si ardent que seul ton corps est, je le crains, en mesure de le libérer parce que je suis conscient que tout ceci est encore nouveau pour toi, mon amour, termina-t-il, en descendant son visage dans ses cheveux blonds dispersés sur son oreiller, luttant pour noyer dans le parfum de la jeune femme les élans qui le poussaient au plaisir de la chair.

- Et si je te disais que ce soir, je suis prête à te plaire, sans limite ? lui répondit-elle sans croire que c'était sa voix qui parlait. Je sais bien qu'hier soir tu t'es retenu en partie pour ne pas me blesser, mais cette fois c'est différent, Terry. Tu peux prendre ma virginité seulement une fois, mais tu peux m'enseigner comment te plaire durant le reste de ma vie.

En lisant la résolution dans son regard, le fil précaire qui retenait la retenue de l'homme se brisa et la seconde suivante, il reposait à nouveau comme une enveloppe autour d'elle tandis qu'avec des doigts agiles, elle baissait la fermeture de son pantalon. Les nuages recouvrirent la lune et le feu s'éteignit dans la cheminée, en laissant la pièce dans l'obscurité totale. Candy put seulement sentir les mains de Terry cherchant leur chemin sous sa chemise, relevant son vêtement pour monter le long de ses jambes nues, les ouvrant sans demander autorisation ni émettre mot.

Sans davantage de préambule, le jeune homme se libéra et descendit dans la chair de Candy dans un élan sûr. Sans briser l'acte de possession, l'homme leva la jeune fille en plaçant des coussins sous son dos pour pouvoir continuer à l'aimer en étant à genoux face à elle, chacun encore à moitié vêtu, au milieu d'une urgence affectueuse agitée et irrationnellement précipitée, très différente de leur première fois.

Une seule fois, il interrompit son rythme un instant pour délier sûrement les rubans qui soutenaient la chemise de nuit de sa femme aux épaules afin de lui dévêtir la poitrine. Impossible de résister à la tentation de la prendre avec les deux mains.

En ayant tout ce qu'il souhaitait d'elle en sa possession, peau, intimité et cœur , il savait que bientôt tous les deux atteindraient le ciel et savait aussi que cette fois ce serait seulement la première extase d'une série qui durerait jusqu'au lever du jour. Il avait des désirs fous de l'aimer sans limite et ne devait maintenant plus refouler ce désir. Sans le savoir, Candy avait demandé cette chaîne de caresses données par un amant qu'elle ne pouvait pas voir au milieu de l'obscurité mais que sans le moindre doute, elle sentait fermement en elle, lui embrassant les lèvres avec une passion ferme et prenant les plaisirs de son corps. L'expérience était sans doute différente de la précédente en intensité, mais l'essence de l'amour qui la provoquait était et serait toujours la même.


Assurément toute la servitude est un murmure. Depuis le premier jour où Candy avait foulé la maison de Terry, la jeune femme s'était efforcée à être activement occupée toute la journée. Il ne lui importait pas d'avoir une armée d'employés pour se charger de tout. La jeune femme savait qu'elle devait quotidiennement faire quelque chose de constructif si elle voulait maintenir le calme devant l'idée perturbante de vivre avec Terry. Par conséquent, se lever tôt faisait partie de ses habitudes de travail, ce qui contrastait avec les coutumes noctambules de Terry qui, par conséquence, se levait généralement toujours tard.

Toutefois, cela faisait déjà quatre jours successifs que tous les deux passaient la nuit dans la même chambre jusqu'à plus de onze heures du matin et avaient demandé, en outre, qu'on leur porte le déjeuner à leur chambre. " Oui, probablement les domestiques commentent-ils les changements dans la routine des patrons et les contrastes d'humeur de Terry, qui parait comme un enfant en cette veille de Noël ", pensa Candy sans pouvoir éviter un sourire alors qu'elle se brossait les cheveux.

La jeune femme avait apporté elle-même certaines de ses affaires dans la chambre de Terrence et avait commandé une coiffeuse qui s'harmoniserait avec le reste du mobilier beaucoup plus sobre et foncé que celui de sa chambre. Installée face à ce meuble, faisant sa toilette elle-même, alors que Terry continuait, encore au lit, à déjeuner, il n'y avait pas de raison de faire appeler Sophie à moins, évidemment, qu'elle ne décide de s'habiller dans la pièce contiguë. Toutefois, il semblait que le jeune homme ne se sentait pas très enclin à la laisser sortir et désirait le moins possible avoir affaire à Sophie pour l'instant ; Candy avait donc repris pour habitude de s'habiller seule.

Installé bien droit dans le lit, l'acteur observait l'image de la jeune femme tandis qu'elle retenait ses cheveux dans un rouet, en laissant quelques boucles libres au hasard, de la manière qu'il aimait tant justement. La distraction était telle que son thé refroidissait dans la tasse et que le courrier s'ennuyait, abandonné sur le plateau d'argent sur lequel Spencer l'avait apporté avec le déjeuner.

Cependant, entre les lettres d'affaires et les cartes de vœux , un envoi de couleur paille avec des lettres imprimées en seiche rouge finit par attirer son attention. La missive portait le timbre distinctif de l'Orchestre de Chambre de New York, annonçant le début de la saison d'hiver. Le jeune homme ouvrit le pli pour découvrir une invitation de courtoisie au concert inaugural avec un programme de la musique qui serait interprétée ce soir-là. Ce serait sans doute une occasion à laquelle la haute société, artistes et intellectuels de la ville, se donnerait rendez-vous. Une idée commença alors à naître dans son esprit.

Son avocat lui avait conseillé qu'il était nécessaire de se montrer en public et de chercher l'interaction avec son cercle de connaissances. Si les Legrand projetaient de saboter le mariage des Grandchester, il était nécessaire de rendre l'accusation, de toute évidence et aux yeux de tous, injustifiée. De sorte que, bien que Terry se sente plus enclin à rester à la maison à jouir de la récente découverte de l'intimité aux côtés de son épouse, il était recommandé de faire acte de présence dans un quelconque événement d'importance avant de partir en voyage dans l'Illinois. L'invitation au concert venait à point nommé.

- Nous avons reçu une invitation à un concert. Aimes-tu la musique classique ? demanda-t-il distraitement en jetant un coup d'oeil au reste de la correspondance sans beaucoup d'intérêt.

- Tu parles de Bach, Vivaldi et autres ? demanda Candy tandis qu'elle essayait de s'habiller sans faire remarquer la nervosité dans laquelle la mettait l'insistant regard de Terry -  je ne connais pas la musique comme Annie, mais cela me plait, lui répondit-elle, en pensant que vu la fascination que Terry paraissait avoir pour la lingerie et la difficulté à mettre un corset, il était préférable de lui demander son aide au lieu de perdre son temps à vouloir le faire seule.

Encore quelque peu gênée, Candy s'approcha du lit depuis lequel il l'observait et en se retournant pour ne pas voir son sourire, elle s'installa sur le bord.

- Pourrais-tu m'aider ? dit la jeune femme sans regarder son époux dans les yeux, mais même sans cela, elle put encore sentir le regard malicieux du jeune homme sur son dos.

- Qu'est-ce qui te fait supposer que je vais t'aider à t'habiller quand je voudrais justement que tu fasses le contraire? demanda-t-il d'une voix à peine audible.

- Le sens commun ! Tu sais bien que nous devons nous lever, répondit Candy en contenant son rire. Tu es en vacances mais moi, j'ai des devoirs à remplir. En outre, tu viens toi même de dire que nous sommes invités à un concert ce soir et vu la manière selon laquelle tu en as parlé, je suppose que tu veux y assister. Si nous ne sortons pas maintenant de la chambre, je crains que nous n'en sortions jamais.

- En effet, mon amour, tu as peut-être raison, admit le jeune homme cédant complètement devant le poids de la réalité et se contentant du simple érotisme d'attacher les liens du corset de son épouse.

Les notes des cordes remplissaient l'atmosphère. Dans le fond, le clavecin maintenait l'accompagnement d'ornement tandis que le contrepoint était entrelacé dans les oreilles des auditeurs. Candy s'efforçait de maintenir son attention sur la musique. Elle avait toujours aimé les concerts du Brandebourg, mais après plusieurs nuits de doux rêve, il était difficile de se concentrer sur Bach ou sur tout autre chose , surtout quand Terry insistait pour lui dessiner avec son index de petits cercles sur la paume de la main.

Les derniers accords s'envolèrent dans l'air et les applaudissements remplirent ensuite l'atmosphère. Quelques minutes plus tard, l'orchestre commençait à quitter la salle. Les Grandchester attendirent pendant un moment, en s'arrêtant pour converser avec une connaissance qu'ils avaient rencontrée et sortirent vers le hall. À chaque pas, Candy pouvait sentir la constante prudence de son mari et le contact toujours présent de sa main sur son bras. C'était curieux qu'elle ne l'ait pas apprécié avant, mais maintenant il lui était évident que chaque mouvement de Terry quand il marchait avec elle, révélait une attitude à la fois protectrice et possessive qui curieusement ne la tracassait pas, mais lui faisait plutôt plaisir.

La jeune femme était plongée dans ses pensées agréables en marchant à côté de son conjoint quand ils laissèrent la salle de concerts pour se diriger vers la voiture. C'est alors, en passant à l'angle d'une rue peu fréquentée, qu'un visage inattendu s'approcha du couple.

- Je me réjouis de voir que ma future épouse se trouve être en bonne santé, dit une voix bien connue d'eux deux. Il n'est pas nécessaire que tu continues cette farce, chère Candy. Je suis venu vers toi pour te ramener là où tu dois être.

Le couple se retourna pour se retrouver face au regard malicieux de Daniel Legrand qui observait la jeune blonde comme si elle était un objet de vitrine qu'il pouvait acheter. Daniel savoura la surprise dessinée sur le visage de Candy ; il aimait penser qu'il éveillait de la peur en elle. Mais ses yeux se heurtèrent ensuite à ceux de Grandchester. L'homme paraissait calme, dur comme de la roche, un demi sourire incompréhensible lui pliant la commissure gauche de la bouche.

- Je suis venu écouter de la musique, mais j'ignorais que le spectacle comprenait l'activité d'un clown, dit Terry en observant Daniel comme s'il sortait d'une boite à surprise. Tu sais quoi,  Candy ? Je trouve cette partie de la représentation de très mauvais goût. Rentrons à la maison.

- Non pas si vite, Grandchester, l'interrompit Daniel en s'approchant d'eux et en se mettant au milieu du chemin pour leur bloquer le passage, la famille est au courant de la farce que vous avez montée tous les deux et demain cette mascarade sera annulée. Candy est désormais ma promise et je viens pour elle.

Candy sentait que sa mâchoire tremblait. Toutefois, la main de Terry sur la sienne lui rendit la force qui paraissait l'avoir abandonnée.

- Je suppose que tu viens accomplir ta noble mission accompagné de quelqu'un d'autre, un ami que tu auras trouvé dans le secteur rouge de la ville. Je me trompe ? répondit Terry sans perdre son calme.

- Appelle cela comme tu veux. Livre moi maintenant ce qui m'est dû, exigea Daniel tandis que les ombres de deux hommes s'approchaient et se placèrent dans le dos de Legrand corroborant de cette façon la théorie de Terry. Candy se rendit compte alors que, Daniel ainsi que ses comparses, portaient la main à leur ceinture, comme cherchant quelque chose sous leur manteau. A sa grande frayeur, elle comprit qu'ils étaient armés.

Un bref silence se maintint dans l'atmosphère qui fut aussitôt abruptement interrompu par l'éclat de rire désopilant de Terry, surprenant autant Legrand que Candy elle-même.

- Je retire ce que j'ai dit, tu es finalement un comédien brillant, Daniel, dit le jeune homme entre deux rires, tout en secouant sa tête de droite à gauche. Crois-tu vraiment que je sortirais ainsi dans la rue pour exposer ma femme à une situation comme celle-ci ? ajouta-t-il ensuite en reprenant son sérieux et en pesant lourdement ses mots.

Tandis qu'il parlait, des déclencheurs se firent entendre dans le dos de Daniel et de ses hommes.

A la surprise de Candy, cinq hommes sortirent d'une voiture stationnée et se trouvaient maintenant très près, juste derrière Daniel et ses compagnons. Les hommes de Legrand levèrent instinctivement les mains. Devant les yeux livides de Daniel, son rival fit un pas en avant en se maintenant près de lui, mettant ainsi en évidence leur stature et leur prestance si différentes. Legrand n'était pas un homme petit, mais face à Terry, il était réellement minuscule et à vrai dire, c'est justement comme cela que se sentait Daniel lui-même.

- Ecoute-moi bien, clown de pacotille, je suis déjà bien assez fatigué de tes jeux stupides, le menaça Terry en prenant Daniel par le col de sa chemise en un seul et violent mouvement de mains, si ta famille veut la guerre légale, je suis disposé à la lui donner, mais n'aie pas l'audace   de jouer au gangster avec moi. Pour cela, il te manque l'intelligence et les tripes. Au lieu de cela, tu devrais utiliser la faible cervelle que tu as pour te cacher du mieux que tu peux, parce que tu as un compte en suspens avec moi que je vais percevoir tôt ou tard.

En disant ceci, la voix chargée de colère, le jeune homme relâcha Daniel en le poussant, pour ensuite prendre la main de Candy et monter en voiture. L'escorte fit de même dans l'autre voiture.

- Demain il en sera autrement, Grandchester ! s'écria Daniel au milieu de la nuit  mais les voitures  s'étaient déjà perdues dans l'obscurité et ses deux durs seulement, purent l'entendre.

Le regard de Candy était resté sans expression devant les flocons de neige qu'elle regardait tomber sur le jardin intérieur de la maison. Face à la fenêtre de la chambre, la jeune femme se rappelait la rencontre désagréable avec Daniel cette même nuit.

- Inquiète ? lui demanda Terry en l'embrassant dans le dos. Elle ne répondit pas. Si tu te préoccupes de ce que ce stupide Legrand a dit concernant l'annulation de notre mariage, laisse moi te dire que ta famille n'a pas d'éléments légaux suffisants pour faire ce qu'ils prétendent, précisa-t-il en faisant pivoter la jeune femme doucement pour que sa joue repose sur sa poitrine. Même s'ils parvenaient à convaincre un juge de leur donner raison, nous pourrions encore faire appel. Si d'autre part, ils faisaient la moindre démarche pour réclamer ta garde jusqu'à ce que l'affaire soit résolue, je te sortirais du pays avant même d'avoir l'ordre en main !

- Où irais-je, Terry ? demanda la jeune blonde en levant son visage, alarmée devant la notion de devoir s'enfuir, comme si elle était une criminelle.

- Tu veux dire où irions nous, petite, parce que je ne te laisserai aller nulle part seule, lui expliqua-t-il, comprenant son anxiété. Et où veux-tu aller ? En Angleterre évidemment. Je te rappelle que je suis maintenant en bons termes avec mon père. Si je le lui demande, il mettra toute la force de son pouvoir à nos pieds.

- Mais crois-tu qu'il sera disposé à faire de même pour moi ? demanda-t-elle en se rappelant sa seule rencontre avec le père de Terry plusieurs années plus tôt.

- Tu plaisantes ? demanda-t-il en souriant, je ne sais pas comment tu as fait, mais il semblerait que tu aies volé le cœur de mon père. Quand je l'ai vu il y a presque un an, il m'a dit qu'il s'était trompé en me faisant renoncer à toi et donc, quand je lui ai écrit en disant que je t'épousais, il m'a répondu que me marier avec toi était la seule chose raisonnable que j'avais pu faire dans ma vie. Tu ne dois donc pas t'inquiéter à ce sujet. Je crois qu'une saison en Angleterre nous fera du bien.
- Mais et ta carrière ? ajouta-t-elle à nouveau avec la même anxiété.

- Cela peut attendre. Après tout, je ne crois pas que nous aurons besoin d'être longtemps absents. Tant que nous serons là, nous nous marierons selon la loi anglaise et dès que tu seras enceinte, nous pourrons revenir en Amérique sans crainte d'une annulation possible, expliqua Terry dans cette dernière phrase dite d'un seul élan.

L'idée de Candy portant dans ses entrailles un fils de lui, était pour son esprit une espèce d'excitation émotionnelle que jamais il n'avait éprouvée auparavant. Toutefois, Terry n'était pas sûr de la manière dont elle le prendrait, puisque jusqu'à présent aucun des deux n'avait évoqué le sujet.

- Aimerais-tu que cela se produise bientôt ? interrogea la jeune femme, en se rappelant ses propres désirs d'avoir dans ses bras le fils de Terry.

- Je suppose que les événements récents conduiront à cela tôt ou tard. Il serait ingénu de penser le contraire. Oui, j'aimerais ... j'aimerais beaucoup, avoua-t-il en souhaitant qu'elle lui confirme directement ses propres sentiments. Cela te dérangerait ?

- Évidemment que non, Terry ! se dépêcha-t-elle de préciser. Je souhaite un fils de toi depuis si longtemps. Rien ne me rendrait plus heureuse de savoir que je le porte déjà au fond de moi.

Tous les deux s'embrassèrent intensément et ils se turent un instant, en partageant en silence la douce perspective d'une famille à eux. Cependant, il pouvait sentir que malgré ses prévisions calculées pour maintenir la protection de Candy, il y avait encore quelque chose qui dérangeait la jeune fille.

- Que se passe-t-il, Candy ? As-tu encore peur qu'ils te séparent de moi ? demanda-t-il de nouveau.

- Ce n'est pas cela. Je ne peux pas cesser de penser que tu lui as dit avoir une dette en suspens avec lui.

- C'est seulement la vérité. Je ne pense pas lui pardonner le fait qu'ils t'aient attaquée dans le parc, je ne peux pas laisser passer une offense comme celle-là, c'est comme ça.

- Te venger ne nous servira à rien, mon amour, dit-elle en le regardant de ses yeux suppliants.  J'ai eu tellement peur ce soir de ce qui aurait pu se passer ... s'il y avait eu une bagarre et que tu avais été blessé ... je...

- C'est donc cela, l'interrompit-il en souriant tandis qu'il prenait son visage entre ses deux mains. Sais-tu que tu es impossible ? Avec Legrand qui te menace, ce qui te préoccupe seulement est ce qui aurait pu m'arriver. Ne pense pas à cela. Je vais très bien.

- Promets-moi que quand nous aurons clarifié cette affaire avec ma famille, tu oublieras ce qu'il s'est passé avant, demanda-t-elle encore inquiète.

- Non, Candy, je ne peux pas te promettre cela. Daniel doit payer devant la justice ce qu'il a essayé de faire et je n'aurai pas de répit jusqu'à ce que j'aie obtenu cela.

- Je te comprends, accepta la jeune femme, mais au moins promets-moi que quoi qu'il se passe, tu ne te souilleras pas tes mains de sang et que tu ne prendras pas de risques inutiles.

- Je suppose que si je ne te le promets pas, tu ne me laisseras pas en paix. Je me trompe ? demanda-t-il en riant et pour seule réponse, elle acquiesça de la tête. Je pense que je peux t'assurer au moins que je n'essayerai jamais de percevoir ma dette sur ce qu'il s'est passé au moyen de la vie de Daniel mais s'il nous attaque, je vais me défendre. Si cet idiot essaye quelque chose, je serai violent et si je dois choisir entre te protéger et lui préserver la vie, je crains que ma réaction ne soit pas en sa faveur.

- Dieu ne permettra pas que cela se passe, s'exclama la jeune femme en descendant son visage sur sa poitrine.

- Je l'espère bien, Candy, trancha-t-il en la serrant dans ses bras en se disant qu'il était très probable que les choses se terminent de manière violente malgré les désirs de son épouse. Toutefois, il préféra garder pour lui ses pressentiments.

Comme il fallait s'y attendre, le matin suivant, les Grandchester reçurent la visite de George les sollicitant de l'accompagner au Waldorf Astoria où résidait la Grand Tante. Candy pâlit rien qu'à l'idée de ce qui allait arriver, mais la main de Terry dans la sienne lui donna l'élan qui lui rendit confiance. La confrontation redoutable avec la si redoutable Grand Tante devrait arriver tôt ou tard, donc le mieux était que ce soit le plus vite possible.
 
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Emilia Elroy déposa sa tasse de thé sur le plateau dans un geste très lent. Ses mouvements mesurés étaient le signe évident de la gêne qui régnait. Quand Eliza et Daniel lui eurent révélé la vérité cachée derrière le mariage de Candy, il lui avait manqué de peu d'avoir une attaque au coeur. Non seulement le nom de sa famille était en grand danger, mais il résultait qu'elle était victime d'une tromperie burlesque et mal intentionnée. Elle, elle qui avait fait tout ce qui était possible pour que l'orpheline reçoive une éducation décente et qui avait même veillé à lui faire contracter un mariage avantageux !

C'est ainsi que Candy la remerciait ! Cette idiote projetait de divorcer ! Quel scandale et quel déshonneur ! Maintenant Emilia devrait être implacable. L'option que Daniel lui offrait de se marier avec Candy pour sauver l'honneur de la famille était sans doute la meilleure, mais....

Juste à cet instant, les pensées de Madame Elroy furent interrompues par le léger coup sur la porte de sa chambre. Le moment était arrivé. Après que Madame eut formulé un discret « Entrez », la porte s'ouvrit pour faire place à George avec les Grandchester. Le visage de la vieille dame rougit de colère à la seule vue de Candy.

- George, M. Grandchester, les salua-t-elle, ignorant intentionnellement la jeune fille. Elle avait autant de motifs d'être furieuse contre Terry que contre Candy, mais elle ne pouvait simplement pas le faire en s'agissant d'un jeune homme aussi charmant et qui dans le fond, paraissait être  si amoureux de Candy comme en témoignait la lettre. Non, elle ne pouvait décidément pas être aussi fâchée contre lui qu'elle l'était contre son idiote et têtue de nièce.

- Laissez nous, George, ordonna la vieille femme avec un geste de courtoisie forcé tout en essayant de se calmer, elle indiqua ensuite au couple qu'ils pouvaient prendre place sur les sièges face à elle.

- Bien, Madame, répondit George en disparaissant par une des portes de la suite.

- Sont arrivées entre mes mains des nouvelles de nature la plus scandaleuse, Candice, commença Emilia quand George fut sorti.  Nouvelles qui me disent que ton mariage avec Mr. Granchester ici présent n'est que traîtrise et avantage pour toi pour éviter de te marier avec Daniel. Est-ce juste ? demanda la vieille femme en s'adressant à la jeune fille avec le plus hautain et le plus dédaigneux des regards.

- C'est juste, Grand tante, répondit Candy avec froideur.

- Est-il alors juste également qu'une partie de ton plan est de divorcer dans quelques mois ? demanda la vieille femme en devenant de plus en plus agressive.

- Cela faisait partie des plans, répondit Candy en faisant un signe à Terry pour lui indiquer qu'elle voulait affronter sa tante directement.

- Petite effrontée ! explosa alors la vieille femme sans plus pouvoir se contenir. Tu voulais sûrement ta liberté pour mener la vie scandaleuse que tu as toujours aimée, n'est-ce pas !!!

- Madame, je vous suggère de mesurer vos paroles, intervint alors Terry sans plus pouvoir se retenir.

- Et moi, je te suggère de mesurer les tiennes, Grandchester. Tu devrais plutôt prier pour que nous n'exigions pas jusqu'au dernier dollar que tu possèdes en réparation, coupa Daniel qui entrait à ce moment-là dans la chambre, suivi de George et d'Elisa.

- Silence, Daniel ! Je parle, l'interrompit la Tante et sans regarder ses neveux, elle leur fit signe de s'asseoir et de se taire. George se retira discrètement.

Terry pouvait à peine croire en l'audace de Daniel de se présenter face à lui après la scène mélodramatique de la nuit précédente. Il lui aurait volontiers brisé le nez d'un seul coup de poing à cet instant, mais décida qu'il devait se contrôler pour le bien de Candy, au moins jusqu'à ce que les choses soient clarifiées avec la Grand tante.

- Comment est-il possible que tu te comportes de manière aussi abjecte après tout ce que nous avons fait pour toi, jeune fille ? continua la Grand Tante encore échauffée par l'insolence avec laquelle Candy avait accepté les accusations.

- Je n'ai jamais rien fait contre vous qui puisse me faire honte, répondit Candy sans se laisser intimider.

- Comment peux-tu songer à divorcer dans des circonstances aussi scandaleuses ? As-tu idée du déshonneur qui rejaillira par ta faute sur le nom de la famille André ? déclama l'aïeule, chaque fois plus fâchée.

- Ne perdez pas votre temps à discuter avec cette orpheline, ma Tante, dit Elisa sans pouvoir résister à prendre part à cette espèce de procès dans lequel Candy semblait être l'accusée. Une créature comme elle qui a grandi dans les écuries ne parviendra jamais à comprendre les usages moraux dont vous parlez.

- Et un serpent venimeux comme toi, en effet, comprend probablement plus ces usages et en même temps, est capable de mettre des espions chez autrui afin de voler une correspondance privée, signala Terry sans perdre l'occasion.

- Je l'ai fait parce que je soupçonnais qu'il y avait quelque chose de trouble dans ce mariage impromptu entre vous quand il était clair que tu avais rompu avec elle depuis des mois. Je ne me repentis pas de ce que j'ai fait. Vous avez trompé la famille, répondit Elisa avec aigreur.

- C'est précisément de ce point dont il est question, intervint la grand tante, je suis extrêmement indignée de ce fait et je veux une explication concernant ce mariage scandaleux. Candice, dis moi, pourquoi récompenses-tu de cette manière l'Oncle William qui a toujours été si généreux ?

La vieille dame l'avait touchée là où Candy était le plus sensible. Sans pouvoir se contenir plus longtemps, la jeune femme se leva du sofa dans lequel elle était assise et avec un geste de colère réprimée, elle regarda Madame Elroy et les Legrand avec indignation.

- Vous avez raison, Grand Tante, Monsieur André a toujours été très généreux avec moi, mais cela ne lui donne pas le droit de disposer de ma vie comme si j'étais une marionnette ou pire, une chose inanimée sans sentiments, ni intelligence. J'ai toujours gardé envers l'Oncle William la gratitude la plus profonde pour m'avoir adoptée, mais je ne pouvais pas concevoir qu'il m'oblige à me marier avec Daniel Legrand que je déteste ! dit la jeune fille en dirigeant vers Daniel un regard tellement dur que même le jeune effronté se sentit mal à l'aise pendant un moment.  Vous m'avez dit que j'avais le choix entre me marier avec lui ou avec un autre que je jugeais meilleur. Savez-vous ce que cela fait de se sentir comme un meuble en adjudication ? Terry, qui a toujours été un ami et un allié pour moi, m'a proposé de m'aider en m'offrant le mariage et ma liberté au terme d'une année. Je ne vois pas ce qui serait le plus immoral, utiliser cette alternative pour être libre ou accepter de faire vœux d'amour éternel pour un homme envers lequel je ne ressens que le plus profond mépris.

- Cet homme est pourtant encore disposé à t'accepter dès que ton mariage absurde sera annulé et ce, dans le but de sauver la réputation de la famille, objecta Daniel avec un air de grand Monsieur, se régalant de tenir finalement le rôle du héros dans les plans de la Grand Tante.

- Je ne vois pas comment tu vas t'y prendre alors qu'il n'y aura ni annulation ni divorce en vue, intervint alors Terry qui ne supportait plus cette comédie de mauvais goût. Si vous me permettez, Madame Elroy, dit-il ensuite en se dirigeant vers la dame tout en essayant d'utiliser le peu de courtoisie qui lui restait, puis-je vous sortir de l'erreur dans laquelle vous vous trouvez ?

- À quelle erreur vous référez-vous, jeune homme ? Je crois que les choses sont on ne peut plus claires, répondit la femme d'un ton hautain.

- Je me réfère à l'idée erronée qui vous fait supposer que je vais divorcer de Candy, expliqua Terry en surveillant Daniel et Elisa du coin de l'oeil.  Bien qu'il soit certain que c'était le plan initial, je dois admettre que durant ces derniers jours, Candy et moi avons eu suffisamment de temps pour reconsidérer les choses et je peux vous assurer que nous sommes arrivés à un accord.

- Grand Tante, ne vous laissez pas de nouveau attendrir par ces mensonges. Il est clair qu'il veut seulement gagner du temps.

- Silence, Elisa ! l'interrompit la vieille dame. De quel type d'accord parlez-vous ?

- Du seul accord possible entre un homme et une femme qui s'aiment, expliqua Terry en profitant de chaque mot de la phrase alors qu'il regardait en direction de Daniel.  Je crois que si vous avez lu la missive qui est malencontreusement sortie de ma maison pour arriver jusqu'à vos mains, vous vous serez rendue compte que moi, bien que j'ai été disposé à contracter un mariage juste de convenance avec Candy de manière à la sauver, je suis en réalité très amoureux d'elle. Je l'ai toujours été et il n'est pas un secret qu'elle et moi avons été fiancés par le passé. Nous nous sommes séparés en prenant une mauvaise décision pour tous les deux. Plus tard, en pensant qu'elle ne conservait plus pour moi aucune affection, j'ai quand même décidé de l'aider en lui donnant mon nom le temps qui était nécessaire pour qu'elle soit libre, sans rien lui demander en échange. Je regrette de vous avoir trompée, Madame, mais les circonstances nous y ont obligés. Toutefois, au cours de ces derniers jours, Candy et moi avons découvert que nos sentiments étaient réciproques et que par conséquent, la séparation non seulement devient inutile mais à présent, cette seule idée nous paraît intolérable.

- Menteur ! J'ai un témoin qui pourra révéler tous ces mensonges, explosa Elisa en se levant.

- Si tu parles de Sophie, lui dit alors Candy, elle a avoué que tu lui faisais du chantage avec l'aide médicale que  tu lui donnais pour son fils et elle regrette ce qu'elle a fait, surtout quand elle s'est rendue compte elle-même que Terry et moi, nous ne voulons pas nous séparer.

- Comme vous le voyez, continua Terry en s'adressant de nouveau à la Grand Tante, profitant qu'Elisa restait muette en comprenant que Sophie l'avait trahie. Non seulement il est superflu de parler ici d'une annulation du mariage mais aussi totalement inadéquat quand l'union a été consommée dans tous les sens du terme et qu'il n'existe de volonté d'aucune des parties de se séparer.

- Je ne te crois pas, cria Daniel désespéré.

- Je suis donc disposée à passer tout examen médical nécessaire pour prouver qu'il est impossible de parler d'une annulation, proposa Candy en défiant Daniel du regard et en savourant l'expression d'étonnement et de colère sur le visage d'Elisa.

- Rien de cela ne sera nécessaire, dit une voix profonde tandis que George et un compagnon entraient dans la chambre intempestivement.

Tous furent muets d'étonnement sans savoir comment interpréter ce qu'ils voyaient. Avec George, se trouvait un homme très grand, aux cheveux blonds et aux yeux bleu ciel qui était vêtu d'un costume foncé à la coupe impeccable. Son pas, en entrant dans la chambre, était ferme et décidé, comme celui des hommes qui ont marché de longues routes et parcouru le monde. Pour Elisa, il ne faisait l'ombre d'un doute qu'il avait probablement volé le costume qu'il portait ; pour Daniel, c'était un mal appris ; pour la Grand tante, c'était la dernière personne qu'elle s'attendait à voir à un moment semblable et pour les Grandchester, c'était un visage amical dont ils ne pouvaient tout simplement pas expliquer la présence en ce lieu. En somme, pour tous c'était une surprise déconcertante.

- Pourrais-tu expliquer ce que signifie cette interruption soudaine, George ? demanda Elisa qui fut la première à réagir.

- Oui. Comment oses-tu entrer avec ce vagabond à moment pareil ? ajouta Daniel encouragé par l'intervention de sa sœur.

- Silence ! Vous ne savez pas ce que vous dites, interrompit la Grand Tante en s'adressant à ses neveux sur un ton le plus grave possible et tout en se dirigeant vers l'homme au costume foncé, elle ajouta ensuite avec familiarité : Je ne m'attendais pas à ce que tu choisisses de te présenter devant nous de cette manière, mon fils.

- Je le sais, mais c'est nécessaire, ma tante, répondit l'homme avec sérénité.

Tout monde se pétrifia en voyant la Grand Tante se diriger de cette manière vers celui qui venait d'arriver et plus encore en entendant qu'il l'appelait « Ma Tante ».

- Pourriez-vous me faire la faveur, ma tante, de me présenter aux enfants ? ajouta ensuite l'homme.

- Crois-tu que ce soit le bon moment pour le faire ? demanda la vieille femme sceptique, ce à quoi le jeune homme acquiesça. Voyant la résolution dans les yeux de l'homme blond, l'aïeule inspira profondément et se retourna à nouveau vers les autres.  Bien, si tu le veux ainsi. Mes enfants, permettez-moi de vous présenter le chef de la famille André.

     Les visages de chacun affichaient une énorme surprise. Madame Elroy marqua une pause avant de s'expliquer :Je sais que depuis toujours, nous vous avons fait croire que Monsieur André était un homme d'âge avancé, il est donc nécessaire que je vous confie maintenant un secret de famille. Le Grand Oncle William André est vraiment mort il y a de nombreuses années, mais nous avons dissimulé cet évènement en espérant que pendant ce temps, son unique héritier grandirait jusqu'à ce qu'il acquière la maturité suffisante pour pouvoir se charger des affaires familiales. Pendant ce temps, George et moi nous sommes chargés de le représenter. Toutefois, le moment est à présent venu pour que mon neveu William Albert André, prenne possession de sa fortune. Vous êtes donc, les premiers de la famille à être informés de ceci. Il est l'actuel patriarche de la famille que vous pensiez être un homme âgé.

Chacun des jeunes gens présents fut abasourdi devant une telle révélation. Chacun fut soudainement assailli par des questions sans réponse en réalisant le poids d'une information aussi déconcertante. Tous étaient stupéfiés mais aucun plus que Candy qui fut la première à briser le lourd silence qui avait suivi les mots de sa Grand Tante.

- Tante Elroy, appela la jeune femme en sentant que sa voix résonnait. Pouvez-vous me dire quelle est la personne qui m'a adoptée ? Est-ce l'ancien Oncle William ?

- Non, Candice. Cette idée farfelue est uniquement l'œuvre de William, ici présent. Il est ton père adoptif.

Un nouveau silence inconfortable parcourut la salle. Candy ne pouvait pas comprendre l'explication de ce mystère. Si Albert était en réalité son père adoptif, pourquoi ne le lui avait-il jamais dit avant ? Et surtout pourquoi, lui qui était son ami, avait-il eu le premier, le projet de la marier avec Daniel? Rien ne paraissait avoir de sens.

- Il y a encore beaucoup de choses qui doivent être éclaircies, dit finalement Albert, en les observant tous. Tous restaient muets, en espérant que Monsieur André continue de parler. Peut-être que la première personne à laquelle je dois des excuses ici est Daniel.

Tous furent stupéfaits. Daniel, qui ne pouvait pas croire en sa chance, commença, évidemment, par penser que tout n'était peut-être pas perdu. Il savait qu'Albert avait toujours été l'ami de Candy, donc il supposait que les choses seraient mauvaises pour lui, mais ce nouveau revirement des événements, avec un Grand Oncle lui présentant des excuses, augurait certainement d'un épilogue heureux quant aux circonstances.

- Tu ne m'as jamais été sympathique, Daniel, ajouta l'Oncle William avec des yeux durs dirigés vers son neveu. Enfant, tu étais un gamin sournois et capricieux et maintenant, tu es un homme sans scrupule. Toutefois, dans cette histoire, j'ai joué avec toi pour arriver à mes fins et c'est pourquoi je te présente mes excuses, bien que je ne me repentisse pas de ce que j'ai fait.

- De quoi parlez-vous ? demanda Elisa sans rien comprendre.

- La personne suivante à laquelle je dois des excuses et de ce fait, la plus grande partie de cette comédie sera comprise, est Candy, continua l'homme sans s'occuper de la question d'Elisa et en s'adressant à la jeune blonde avec une expression aimable et sereine. Candy, je veux que tu me pardonnes de t'avoir dissimulé pendant tant de temps quel était le véritable lien qui nous unissait. Je sais que les amis ne doivent pas avoir ce genre de secrets entre eux, mais tu étais seulement une enfant et je ne pouvais pas jeter sur tes épaules le grand poids des problèmes familiaux que je dois porter. Toutefois, comme j'étais conscient que j'étais un bien piètre père adoptif en étant toujours absent de ta vie en tant que William André, j'ai essayé au moins de me rapprocher de toi de temps à autre en tant qu'Albert. Je sais que ça n'a pas été la même chose que d'avoir un véritable père, mais j'ai fait ce que j'ai pu.

- Albert, je n'ai rien à te réclamer en cela. Tu as toujours été avec moi dans les moments difficiles, lui dit Candy émue, même si beaucoup de ses doutes n'étaient pas résolus.

- Merci, Candy, lui répondit Albert avec un sourire et il s'adressa ensuite à Madame Elroy:  Grand Tante, vous avez toujours été contre ma décision quant à l'adoption de Candy, mais maintenant je vais vous démontrer que vous vous êtes trompée. Quand j'ai laissé l'Afrique afin de rentrer à la maison pour m'occuper des affaires familiales, j'ai été victime d'un accident durant mon voyage qui m'a fait perdre la mémoire. George et vous étiez extrêmement inquiets mais malgré ses multiples recherches pour me retrouver, vous n'y êtes pas arrivés. Il s'avère pratiquement impossible de trouver un homme au milieu d'un pays retourné par la guerre et plus encore quand cet homme a perdu la mémoire et ne se rappelle même pas de son nom. Je n'avais aucun papier sur moi au moment de l'accident, il était donc impossible qu'on m'identifie. Quelques jours après, on m'a renvoyé vers l'Amérique puisque, de par mon accent et ma langue, ils ont supposé que j'étais américain. Le destin m'a emmené jusqu'à Chicago. C'est là, perdu dans un hôpital de charité, encore blessé et sans personne pour m'aider, que Candy m'a trouvé. Pour elle, j'étais seulement un ami qui n'avait pas un centime en poche. Elle ignorait que j'étais en réalité son riche père adoptif. Toutefois, en tant qu'amie elle m'a quand même tendu la main et a risqué sa réputation en m'emmenant vivre avec elle alors qu'il n'y avait plus de raisons qui justifiaient mon séjour permanent à l'hôpital. Je n'avais pas encore retrouvé la mémoire, elle s'est donc obstinée à m'aider jusqu'à ce que je la récupère. Si elle n'avait pas été là, j'ignore si je serais aujourd'hui ici avec vous, ma Tante.

La Grand Tante était muette de stupeur. Depuis son retour surprenant, Albert ne lui avait rien dit de ce qu'il avait fait pendant toute son absence. Elle avait demandé et exigé en vain des explications mais Albert lui avait répondu qu'il les lui révélerait au moment venu. Maintenant qu'il le faisait, elle ne se remettait pas de son étonnement.

- Dès que j'ai recouvré la mémoire, j'ai décidé qu'il y avait quelque chose que je devais faire pour aider une paire d'amis qui avaient commis la plus grave erreur de leur vie, continua à expliquer Albert, mais le plan que j'avais, impliquait que je devais continuer à utiliser mon identité de vagabond pour un certain temps. C'est pourquoi j'ai disparu de l'appartement en te laissant juste un mot, Candy. C'est pourquoi aussi je te présente des excuses.

- Ne t'inquiète pas pour cela, nous en avons déjà parlé et il n'y a aucun problème, répondit immédiatement Candy.

- Merci. Vient maintenant la partie la plus difficile à expliquer et je vais rapidement le faire pour que Daniel et Elisa ici présents puissent se retirer. Je les informe à l'avance que l'explication ne sera pas agréable pour eux et que je ne le regrette pas le moins du monde, continua Albert d'une voix de nouveau grave. Il n'a jamais été dans mon intention que Candy se marie avec toi. Je connaissais largement le résultat catastrophique que cela aurait engendré et après tout ce que ta sœur et toi avez fait contre elle, je ne peux pas la blâmer de te détester.

Elisa était sur le point de s'effondrer nerveusement. Elle ne comprenait pas ces changements d'humeur chez l'oncle William, elle ne comprenait pas l'histoire du vagabond millionnaire et encore moins l'explication qu'Albert donnait à son frère.
Elle aurait voulu dire quelque chose, mais il y avait un je ne sais quoi dans cet homme blond qui l'intimidait, et c'était au-delà de tous ses millions.

- Toutefois, continua Albert, quand la Grand Tante m'a expliqué qu'elle projetait que Candy se marie avec Daniel pour s'assurer qu'elle ne finirait pas par épouser quelqu'un en-dessous de notre position sociale, la situation s'est arrivée exactement celle dont j'avais besoin. J'ai donc accepté la proposition mais je n'ai jamais pensé que ce mariage serait réellement mené à bien.

Assis sans rien dire, muet et le visage inexpressif, Terry observait Albert fixement.
Depuis l'instant où son ami avait été présenté en tant qu'oncle William, le jeune homme avait commencé à réunir les pièces du puzzle avec rapidité. Il n'aimait pas l'idée d'avoir été utilisé comme un pion dans ce jeu, mais il ne pouvait pas se plaindre du résultat donc, comme l'explication d'Albert continuait, Terry se contenta de se délecter des expressions de confusion et de panique chez Elisa et Daniel.

- Mon plan était que Candy se marie réellement avec Terrence Grandchester, qui non seulement avait su être mon ami quand il avait une haute position sociale et que je passais pour un simple vagabond, mais c'est l'homme que Candy aime réellement. Les circonstances ont fait qu'ils se sont séparés, mais j'étais en position de changer tout cela radicalement. J'ai donc utilisé les fiançailles de Candy et de Daniel pour que Candy n'ait pas d'autre solution que d'accepter la proposition de Terry. Je regrette aussi d'avoir eu à te mentir, Terry, ajouta Albert en s'adressant à son ami et les deux hommes échangèrent un acquiescement muet.

- Mais c'est un tour de cochon ! s'exclama finalement Daniel.

- Pas plus que ceux que tu utilises, répondit Terry d'une voix calme.

- En ça, je suis d'accord, ajouta Albert et s'adressant à Daniel, il continua : je n'ai pas l'intention que leur mariage soit dissout ni maintenant ni jamais. S'ils décident d'être ensemble, ce sera ainsi et même si Candy décidait de divorcer, je ne pense pas l'arrêter ni lui retirer mon appui.

- Mais William, tu ne peux pas soutenir un tel déshonneur ...

- Ne vous inquiétez pas pour ça, ma tante, l'interrompit Candy en essayant de conserver sa patience avec la vieille dame, je ne vais pas divorcer ni maintenant ni jamais. J'aime mon mari. Ce que dit cette lettre a été un simple malentendu entre nous qui est déjà résolu. Comme je l'ai dit auparavant, nous sommes mari et femme dans tous les sens du terme et nous avons le projet qu'il en soit ainsi pour toujours.

L'aïeule se tut pendant un moment, fit un pas en avant en direction de Candy et quand elle fut près de la jeune fille, elle lui prit le menton dans sa main pour la forcer à la regarder dans les yeux.

« Ses yeux ! » pensa la vieille dame, « ils ne regardent plus comme ceux d'une demoiselle. Ils sont un peu plus profonds. »

- Bien, dit finalement la vieille femme en brisant le silence, je crois que tu es sincère.

- Mais Grand Tante ... l'interrompit Eliza.

- Silence, Eliza ! Cela ne m'intéresse plus de t'entendre, ordonna la vieille femme d'un geste austère et, relevant sur ses épaules le châle qu'elle portait, elle s'adressa donc de nouveau à Albert : Excuse moi, mon fils. Je me sens un peu fatiguée après toute cette scène.

- Ne vous inquiétez pas ma Tante, je me retire pour vous laisser vous reposer. Si Terry et Candy n'y voient pas d'inconvénient, j'aimerais leur rendre visite, ajouta ensuite Albert en s'adressant à ses amis.

- Justement j'allais le suggérer, dit Terry en se levant.

- Non ! Cela ne peut pas se passer comme ça, interrompit Daniel décomposé. Je ne crois pas la moitié de ce qui a été dit ici ...

- Tais toi, Daniel ! lui ordonna Elisa en les surprenant tous avec sa réaction. Laissons la Grand Tante. Elle a besoin de se reposer. Nous aussi nous nous retirons, ma tante.

D'un seul coup, la jeune fille abandonna son siège et suivie de son frère, elle sortit de la chambre. Tous en furent abasourdis mais ne regrettaient pas les absents. Quelques minutes plus tard, les jeunes gens sortirent également et la Grand Tante resta seule à méditer sur l'étrange lueur qui brillait dans les yeux de Candy. Elle connaissait très bien cette étincelle. Le mariage était définitivement consommé. Emilia Elroy n'avait pas besoin d'autres preuves.

Il apparaissait que le piège d'Albert avait fonctionné à la perfection. Toutefois, tandis qu' Elisa se retirait dans sa chambre, celle-ci reconsidérait les faits récemment révélés. Elle n'allait pas s'avouer vaincue sans donner une dernière bataille. Le jeu n'était pas encore terminé.


Chapitre 12 - Epilogue


Albert avait élaboré un piège pratiquement parfait. Il n'aimait pas avoir à tromper ses amis mais il n'avait pas trouvé d'autre alternative. Quand Terry et Candy avaient rompu, Albert avait admiré le sacrifice et l'altruisme de chacun, mais il n'était pas d'accord avec eux. Il ne croyait pas que cette solution soit la meilleure, ni pour eux, ni pour Susanna Marlowe. Toutefois, il ne trouvait pas non plus de moyen pour concilier ce cas de conscience.

L'affection énorme qu'il ressentait pour Candy le faisait se sentir comme s'il souffrait de la même douleur que celle qu'elle affrontait et il lui semblait voir sa protégée avoir l'âme en deuil, elle qui était habituellement joviale et insouciante. Peut-être était-ce le désespoir de ne pas pouvoir l'aider au-delà de l'appui moral et de l'affection qu'il pouvait lui donner qui avait accéléré le processus de récupération de sa mémoire. S'était ensuite produit l'accident et les images avaient finalement commencé à arriver. Toujours est-il qu'il se leva un beau matin et que d'un seul coup, les images de toute une vie lui revinrent en mémoire.

Quelques jours après que sa mémoire lui fut revenue, il apprit la nouvelle selon laquelle Terry avait abandonné ses responsabilités et sa carrière à Broadway. En connaissant le caractère de feu de son ami, Albert avait décidé de faire des recherches sur cette affaire et avait obtenu l'information dont il avait besoin. Quand il avait appris où se trouvait Terry et ce qu'il s'était passé avec Susanna, il lui apparut que l'absence de Terry était peut-être le bon moment pour intervenir dans l'affaire qui le tracassait. Maintenant, non seulement il disposait de ses souvenirs, mais aussi du pouvoir que l'argent donne, pour aider ses deux meilleurs amis.

Inquiet de ce que pouvait être devenu l'état d'esprit dans lequel se trouvait Terry, Albert avait contacté un garde du corps dont le devoir était de suivre le jeune homme et de le protéger si cela s'avérait nécessaire, surtout de lui-même, tandis qu'Albert se rendait à New York afin de provoquer une rencontre accidentelle avec Susanna Marlowe. C'est pourquoi il avait abandonné l'appartement qu'il partageait avec Candy en laissant seulement un mot. Albert savait qu'il n'était pas bon de mentir mais il devait le faire puisqu'il ne pouvait pas dire à Candy où il allait réellement. Il opta donc pour un adieu écrit où il n'aurait pas à voir la tristesse dans ses yeux d'enfant quand il l'aurait informée qu'il devait la laisser seule au moment où elle avait le plus besoin de lui.

Sa mission avait été couronnée de succès, parce que Susanna - comme il l'avait imaginé - était une femme sensible qui s'ouvrit facilement à la brève amitié qu'il lui offrit un après-midi où ils s'étaient rencontrés « par hasard ». En utilisant son charme naturel, Albert avait obtenu que Susanna lui confie ses problèmes et en seulement deux semaines, tous les deux étaient devenus les meilleurs amis du monde. Susanna, qui n'avait jamais eu une amitié masculine sans intérêt romantique, se sentait consolée par la compagnie d'Albert. D'une certaine manière, Albert compensait la grande solitude dans laquelle elle vivait depuis que Terry avait abandonné New York et lui faisait découvrir une manière de voir la vie totalement différente de celle qu'elle avait apprise aux côtés de sa mère.

Après un mois d'amitié, l'influence d'Albert obtint la transformation souhaitée et la jeune femme s'écarta de l'influence maternelle pour suivre son propre chemin. Albert gageait que Susanna en serait infiniment plus heureuse que dans un mariage fondé sur la culpabilité. Ceci fait, il se dit alors qu'il fallait rechercher Terry et le faire revenir en arrière.

De retour à Chicago et grâce à l'information de ses employés, il ne lui fut pas difficile de provoquer une rencontre avec Terry dans un bar. Albert voulait le faire réagir pour que le jeune homme récupère son self contrôle et sa dignité. Il savait que ce serait pénible pour Terry de voir Candy seulement de loin, mais ce serait sans doute le mieux pour arriver à ses fins. Et encore sur ce point, Albert avait obtenu ce qu'il voulait.

Toutefois, Terry avait mal interprété les choses en rentrant à New York. Au lieu de chercher à nouveau à revoir Candy, une fois que Susanna lui rendit sa liberté, le jeune homme se mura dans l'idée que Candy l'avait déjà oublié. Quand Albert fut informé de la décision de son ami à travers une lettre que celui-ci lui envoya de New York, il pensa pendant un moment renoncer à intervenir dans cette affaire. Mais il y allait du bonheur de Candy.

Son intuition lui disait que l'amour qui unissait Candy et Terry n'était pas de ceux qui s'oublient avec le temps. Donc quand la Grand Tante lui parla pour la première fois de sa préoccupation de marier Candy à un bon parti, qui que ce soit, pourvu qu'il s'agisse de quelqu'un de bonne famille et d'excellente position économique, une idée curieuse commença à prendre forme dans la tête du jeune millionnaire.

Non pas qu'Albert donnait crédit à cette idée mais il y avait toutefois quelque chose d'intéressant sur le principe. Terry était trop fier pour venir rechercher Candy en croyant qu'elle ne l'aimait plus et il était aussi suffisamment têtu pour ne pas vouloir entendre raison même si Albert lui-même essayait de le faire changer d'avis. Toutefois, le jeune acteur aimait Candy avec une telle force qu'il pourrait bien être disposé à sacrifier sa dignité pour la sauver des plans de la Grand Tante. La situation était parfaite. Candy et Terry seraient réunis sans d'autre issue que de parler avec sincérité. Évidemment, pour y parvenir, il avait besoin de faire en sorte que Terry se transforme en un bon parti si bien qu'il n'hésita pas à écrire au Duc de Grandchester en lui exposant la situation. Si le Duc ne répondait pas, lui-même était disposé à fabriquer une fortune d'une certaine manière, à l'attention de Terry, mais sa lettre eut étonnamment l'effet souhaité et le duc lui-même chercha la réconciliation avec son fils, comme Albert le lui avait demandé.

« J'ai commis des erreurs très graves en l'honneur du devoir et de la fierté. Je ne veux pas que mon fils soit victime des mêmes erreurs, » avait dit le duc dans sa lettre en se transformant en complice volontaire de ce stratagème.

De cette manière, le stratagème était en place quand Daniel et Eliza firent leur entrée. La situation devint alors plus intéressante. Si Terry était déjà disposé à aider Candy pour la sauver d'un mariage forcé avec tout homme que suggérerait la Grand Tante, une union forcée avec Daniel Legrand serait une motivation encore plus grande. Ainsi, Albert avait accepté l'idée quand la Grand Tante lui communiqua qu'elle avait déjà trouvé le candidat qu'elle cherchait. La basse passion de Daniel était du sur mesure. Albert gageait que la réconciliation définitive entre Candy et Terry viendrait sans problème dès qu'ils commenceraient à vivre ensemble.

Malheureusement, la situation échappa à son contrôle quand Daniel engagea des hommes pour garder Candy sous surveillance. Une vengeance des Legrand pouvait être une chose dangereuse, mais Albert avait pleinement confiance en la prudence et les soins dont Terry faisait preuve et espérait que Daniel renoncerait tôt ou tard. En pensant que les choses s'amélioreraient d'elles mêmes entre Candy et Terry et que la jeune fille était toujours protégée, Albert avait laissé son emploi au Country Club afin de se consacrer aux préparatifs de sa propre apparition en société et devant les cercles financiers. Après avoir pris les rênes de la famille, il aurait le temps et le pouvoir nécessaires pour abattre les Legrand définitivement. Il était donc absent quand se déroulèrent les désagréables faits de Central Park.

Maintenant que les choses étaient résolues pour les Grandchester, il restait encore à éliminer complètement la menace des Legrand. Cette fois, il ne fallait pas être négligeant. Ni Albert ni Terry ne croyait en l'apparente acceptation des événements par Eliza. Dans cette chaîne d'intrigues, les rôles de chasseur et de proie étaient dangereusement interchangeables.

*******************

Les soupçons des deux amis n'étaient pas infondés. Toujours plus intelligente que son frère, Eliza avait préféré faire croire à une retraite aimable quand l'ennemi paraissait avoir tout gagné. C'était le moment de sortir et de remettre en question sa vengeance. Il fallait attendre que les esprits soient calmés.

Eliza était tellement fâchée qu'à cette occasion, elle était disposée à adopter les méthodes de son frère. Elle attendrait le temps nécessaire et ensuite, elle vengerait l'humiliation que son frère et elle avaient subie. Elle détestait Candy plus que jamais et était persuadée qu'elle parviendrait à la faire tomber sous tout le poids de sa revanche. Si quelque chose de mauvais arrivait à Candy, non seulement elle verrait son ennemie de toujours détruite, mais aussi Terry et Albert pour lesquels cette orpheline paraissait tellement importante.


Noël dans les montagnes d'Illinois était une vision digne d'une carte de vœux. Des montagnes couvertes de neige, d'énormes conifères toujours verts, mais aussi des petits, les granges des exploitations agricoles éparpillées sur la couverture blanche, remplissaient l'oeil d'un quelconque passant solitaire qui se risquerait à traverser la vallée par ce soir glacial. La neige s'était durcie sur le sol en rendant la randonnée moins difficile  mais le soleil, qui commençait à décliner, ne pouvait pas faire grand chose pour réduire le froid de l'atmosphère. Toutefois, les deux personnes qui avançaient sur le chemin ne paraissaient pas ressentir la froideur de l'après-midi.

C'était la première période de Noël durant ses presque vingt-deux années de vie, que Terry passait dans une véritable atmosphère familiale. « De bons enseignants ne sont pas la même chose qu'une mère, » lui avait dit une fois Candy. Cependant, le jeune homme sentait que si sa mère lui avait démontré la moitié de l'affection et de la chaleur que Mademoiselle Pony et Sœur Maria manifestaient à chacun des enfants de la Maison, son enfance n'aurait sûrement pas été aussi sombre et isolée.

Il n'était donc pas étrange que Candy, dont la disposition de caractère était naturellement doux et sans vanité aucune, se soit transformée en une femme au tempérament heureux et franc sous l'influence de ces deux bonnes dames dans cette atmosphère naturelle, sans fausses prétentions. En voyant pour la première fois Candy en présence de ses deux mères, Terry put ainsi imaginer tous les moments d'enfance que la jeune fille lui avait racontés. Chaque souvenir ineffaçable, débordant d'affection et de tendresse, pouvait être senti dans la manière dont les deux dames regardaient Candy.

Beaucoup d'enfants avaient vécu à la Maison durant les dernières vingt-cinq années, mais seule Candy y était retournée maintes et maintes fois en faisant de ce petit lieu entre les montagnes, son point de départ et de retour.

C'est peut-être pourquoi Mademoiselle Pony et Sœur Maria aimaient la jeune fille comme leur enfant la plus chère, ou bien était-ce parce que Candy était une de ces personnes qui gagnent le coeur de tous partout où elles vont. Aussi surprenant que cela paraisse à Terry, le simple fait d'être l'homme que Candy aimait, faisait que l'affection des deux dames paraissait avoir été étendue jusqu'à lui, en le faisant devenir l'objet d'une affection pure, désintéressée et maternellement chaleureuse qu'il n'avait jusqu'alors pas eu beaucoup d'occasions de souvent expérimenter.

Passer Noël dans la Maison de Pony avait été pour Terry comme une manière de goûter pour la première fois à la saveur du bonheur domestique, avec sa simplicité, et ses joies quotidiennes. Il était tombé amoureux de Candy alors qu'il était encore très jeune, et sans doute était-ce une attraction physique intense qui avait entamé l'étincelle. Le reste avait été un processus de rencontres, de coïncidences et de contrastes de tempérament qui avaient fini par transformer cette attraction en amour. Il n'avait existé aucun calcul, ni analyse poussée de la part de la jeune fille pour devenir la compagne pour la vie d'un homme comme lui. Mais en admirant Candy à côté de ces deux braves dames, les aidant avec naturel dans les soins des plus petits, il pensa inévitablement qu'elle serait sans nul doute une mère affectueuse et dévouée.

« La vie me dédommage de manière incommensurable, » pensait le jeune homme tandis qu'il marchait dans la neige en se souvenant de l'image de Candy tenant sur sa poitrine un petit blond qu'elle nourrissait alors. L'enfant avait pleuré de la façon la plus obstinée que Terry ait jamais vu, seulement parce qu'il ne voulait pas prendre sa soupe. Malgré tout le chahut, Candy avait fini par convaincre le gamin de vider son assiette et les pleurs étaient finalement devenus des rires.

- J'ai couru jusqu'ici en espérant te trouver, dit elle alors en interrompant les pensées de Terry, mais j'ai seulement pu voir tes traces dans la neige qui commençaient à être effacées.

Terry détacha alors sa main de celle de la jeune femme et se mit de profil pour pouvoir voir la pente de la colline entre le feuillage des pins.

- J'ai pris juste là, la charette qui m'a emmené à la gare de Lakewood, lui répondit-il en indiquant de sa main gantée le point qui était maintenant recouvert de neige. Si j'avais su que tu étais ici... j'aurais tout fait pour te voir alors ! ajouta-t-il avec un faible soupir tandis qu'il levait son regard pour voir la jeune fille qui, à ses côtés, paraissait être plongée dans les souvenirs de cette occasion manqée.

- J'ai souvent pensé à ce qui se serait passé si nous nous étions trouvés cette fois là, dit-elle finalement, pensive. Lui, pour sa part, se tourna à nouveau pour la regarder directement dans les yeux.

- Cela m'aurait rendu fou de joie ! ... Mais cela m'aurait ensuite déchiré le coeur une nouvelle fois de devoir encore te laisser.

- Je suppose que tu as raison, répondit-elle en fronçant la commissure de ses lèvres. Nous étions seulement des gamins alors. Il était impossible de penser à être ensemble quand nous devions encore chacun définir le chemin que nous prendrions dans la vie.

- C'est exactement cela que j'ai pensé en quittant l'Angleterre. Si j'avais eu trois ans de plus et davantage de bagages en poche, j'aurais volé les clés du cachot à la sœur pour te sortir de là et t'emmener avec moi, dit-il tandis que son visage s'illuminait d'un sourire mauvais en imaginant l'embarras de la religieuse découvrant un vol aussi scandaleux.

- Nous aurions ruiné la réputation du collège pour toujours, commenta-t-elle en posant sa tête sur son bras.

Tous les deux rirent un peu en imaginant la tête de la religieuse et avec cette même humeur légère dans le cœur, ils reprirent leur randonnée vers le seuil de la colline. Une voiture les attendait déjà pour les emmener à Lakewood où ils passeraient la nuit avant de retourner à New York.

********************

La nuit était tombée sur le monde et avec elle commençait une nouvelle chute de neige menaçant de rendre impossible tout déplacement en train ou en voiture pour les heures suivantes. Les rues étaient pratiquement désertes et dans les maisons, les foyers brûlaient au maximum s'efforçant de maintenir la chaleur de l'atmosphère. Depuis la fenêtre, Candy observait un petit groupe de jeunes emmitouflés dans des manteaux épais, qui couraient en direction de leurs maisons. La jeune fille se réjouissait de se trouver dans cet hôtel chaud et accueillant, enveloppée d'un peignoir de laine.

- Il est très probable que nous ayons à passer un jour ou deux jours ici avant de retourner à maison, dit la voix grave de Terry depuis l'autre bout de la chambre. Le blizzard qui souffle n'est pas bon signe.

- Cela ne me dérange pas du tout de rester ici, tant que je suis avec toi, lui répondit-elle en le regardant à nouveau.

Terry s'était tourné vers l'énorme couverture de peau d'ours qui couvrait le devant de la cheminée, tandis qu'il servait lentement une tasse de thé et d'eau-de-vie fine pour se réchauffer. En le voyant détendu et dénué d'inquiétude, Candy eut l'impression pendant un moment qu'il était de nouveau le gamin qu'elle avait connu au collège et ne put s'empêcher de laisser un sourire lui traverser le visage.

- Je vois que je suis la cause de divertissement d'une personne dans cette chambre, fit-il remarquer en voyant l'attitude de la jeune femme. Puis-je savoir ce qui me rend si amusant ? demanda-t-il en lui tendant la main pour l'inviter à s'asseoir à ses côtés. La jeune fille s'approcha immédiatement de lui et s'assit à ses côtés en posant sa tête sur sa poitrine.

- C'est juste que je me souvenais de ce nous avons dit ce soir, alors que nous étions sur la colline de Pony, concernant le déshonneur que nous aurions provoqué au Collège Saint Paul si  nous nous étions enfuis ensemble, lui répondit-elle amusée. Je pense qu'en fait, j'étais prête à provoquer un tel déshonneur.

- De quoi parles-tu ? demanda Terry en levant un sourcil avec curiosité.

- Quand j'ai appris où tu étais parti, je me suis échappée du collège et j'ai loué une calèche pour aller jusqu'au port, dans l'espoir de te rattraper. Je voulais que tu m'emmènes avec toi. A ma grande déception, ton bateau venait de lever l'ancre juste quelques minutes avant que je n'arrive au quai.

- Tu ne me l'as jamais dit ! s'exclama-t-il surpris. Terry posa sa tasse de thé sur le sol pour utiliser sa main libre afin de couvrir Candy de son bras - Si tu m'avais rejoint, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Quand j'ai décidé de quitter le collège, j'étais absolument sûr de ce que j'avais à faire, mais de te voir et de savoir que tu voulais être avec moi, je ne sais pas si j'aurais eu la force nécessaire pour poursuivre mes résolutions et te convaincre que nous ne pouvions pas être ensemble dans ces circonstances.

- Je comprends ce que tu veux dire, dit-elle en se blottissant sur la poitrine de son mari tout en laissant échapper un soupir. C'était mieux de ne pas nous retrouver parce que je n'aurais certainement pas compris tes raisons.

Tous deux restèrent alors silencieux, écoutant seulement le feu qui crépitait.

Terry laissa son esprit s'envoler vers le passé, en imaginant les scènes de ce qui aurait pu être et n'avait jamais été. Il aurait été si heureux de se savoir aimé de cette manière, de comprendre qu'elle était disposée à laisser sa famille adoptive pour le suivre. Jamais auparavant quelqu'un n'avait été disposé à faire tant pour lui. Malheureusement à cette époque, même s'ils avaient voulu être ensemble, la réalité qui les avait forcés à se séparer était la plus forte.

- En effet, pour être tout à fait sincère, dit il après avoir maintenu le silence un instant, je savais que je devrais abandonner mon père tôt ou tard, en particulier après la confrontation que nous avions eue en raison de ma réconciliation avec ma mère. Cependant, j'espérais que ce moment arriverait le plus tard possible parce que j'espérais prolonger indéfiniment mon séjour à tes côtés. Quand Eliza nous a tendu ce piège, cela n'a fait que précipiter les événements. J'étais conscient que le moment de partir était arrivé et qu'il ne me restait d'autre option que de renoncer.

- Renoncer ? Qu'est-ce que tu veux dire ? s'enquit-elle en soulevant la tête sans comprendre ce qu'il disait.

- Que pouvais-je faire d'autre, ma chérie ? répondit-il, caressant la joue de Candy qui était devenue couleur carmin par la chaleur du feu Je n'avais pas encore 18 ans, il me fallait partir en tournant le dos à toute la vie que j'avais connue jusqu'alors, en m'enfuyant de chez mon père, sans argent, sans avoir une idée précise de ce à quoi je devrais faire face pour m'en sortir et sans désir de recourir à ma mère pour survivre.

La voix de Terry se faisait plus agitée. Candy pouvait remarquer qu'il mettait toute son âme dans ses mots, par son accent et par le mouvement de ses mains. Je voulais me créer un futur par moi-même , en ayant seulement confiance en ma passion pour le théâtre. T'emmener avec moi sur le chemin que je devais parcourir me paraissait inadmissible, te demander d'attendre, quand je ne savais pas combien d'années me prendrait l'atteinte du succès et la position requise pour fonder une famille, c'était injuste et irréfléchi. Tu avais à peine 15 ans, Candy. Je ne pouvais pas te compromettre avec une promesse qui finirait peut-être par te peser avec le temps. Je devais partir sans espoir.

- Quelle sottise ! C'était réellement très noble de ta part, mais également très idiot. Même si nous étions loin l'un de l'autre, un tel renoncement n'était pas nécessaire, dit-elle en fronçant le nez et, tout en approchant son visage du sien, elle ajouta dans un murmure: Je t'ai toujours attendu. La lettre de ton départ ne pouvait pas être plus courte mais même ainsi, j'ai toujours continué à caresser le rêve de te revoir. Je me plaisais à croire que tu souhaitais la même chose. Je savais bien qu'entre nous, il n'existait ni promesse ni fiançailles, mais instinctivement je devinais qu'il y avait quelque chose qui nous unirait quoiqu'il se passe et qu'irrémédiablement, nous nous retrouverions. Je n'ai jamais douté de ton cœur jusqu'à ce que ... La jeune fille s'interrompit elle-même, en se repentant d'avoir commencé cette dernière phrase.

- Jusqu'à ce que ? demanda-t-il intrigué par la pause abrupte qu'elle avait faite.

- J'allais dire une bêtise qui n'en vaut pas la peine, dit Candy en se mordant la lèvre dans un geste qui provoqua encore plus la curiosité de Terry.

- Ce n'est pas bon signe que toi, qui dis toujours ce que tu penses, tu préfères te taire. Tu t'apprêtais à dire que tu avais fini par douter de moi, continua le jeune homme en cherchant le regard que Candy avait dirigé vers le tissu de son peignoir.

- Je t'ai déjà dit que c'est une bêtise, répéta-t-elle mal à l'aise.

- Candy ! insista-t-il en soulevant son menton pour l'obliger à le regarder.

- Oh et bien, c'est quelque chose qu'Elisa a dit, admit-elle finalement en disant la phrase très rapidement, comme si elle craignait même de l'entendre elle-même.

- Qu'est-ce qu'elle a dit précisément ? continua-t-il en l'interrogeant sans la laisser dévier ni la conversation, ni le regard.

En levant les yeux au ciel en signe de renonciation totale, la jeune femme comprit qu'il ne la laisserait pas en paix tant qu'il ne saurait pas tout.

- Je suppose qu'elle imaginait que je.... que je continuais de garder des sentiments pour toi, même si le temps avait passé. Elle a donc décidé de me contrarier en me disant que... Elle hésita à nouveau mais le regard de Terry était implacable, ...en me disant que tu sortais avec une actrice... avec Susanna. Eliza m'a dit que tu étais amoureux d'elle et que tu ne te souviendrais certainement pas de moi.

Terry ne dit rien. Il jeta sa tête en arrière dans un geste que Candy avait appris à reconnaître comme un geste d'ennui ou d'indignation. Pendant une seconde, elle pensa qu'il était fâché après elle, mais ses mots lui firent comprendre que sa colère se dirigeait vers une bien autre personne.

- Eliza est une véritable sorcière, grogna Terrry en renversant son dos contre les pieds du fauteuil , ce serpent venimeux sait très bien où injecter son venin et je suppose que tu l'as crue, enquêta-t-il sans cesser d'insister quant à son interrogatoire.

- Non ! se dépêcha-t-elle d'affirmer, mais comme à chaque fois qu'elle lui mentait, il lui renvoya un regard d'incrédulité en la forçant à se rétracter. Bon... la vérité est que je ne voulais pas la croire, mais il s'était écoulé tellement de temps; toi et moi n'avions jamais été en contact et comme tu viens toi même de le dire, il n'y avait entre nous aucune sorte de promesse. Tout cela ne m'avait pas importé avant, mais quand Eliza a insinué que tu avais déjà quelqu'un qui avait pris ma place dans tes pensées, j'ai eu peur que ce soit vrai ... c'est la première fois de ma vie que j'ai été jalouse, admit-elle sans pouvoir soutenir le regard de Terry.

Les deux jeunes gens gardèrent le silence encore un moment, sans savoir que dire. Bien qu'il doive admettre que ce sentiment était quelque peu superflu, le cœur de Terry sauta d'une joie égoïste en écoutant la confession de Candy. « Elle a été jalouse, pour moi» pensa-t-il en savourant pendant une seconde cette flatterie dûe à sa vanité mais, se souvenant alors quel était ce sentiment désagréable dont il avait déjà souffert, il tendit ses bras en silence. Candy y répondit immédiatement et ils restèrent ainsi un bon moment.

- J'imagine que dans le fond, je suis plus coupable qu'Eliza que tu te sois sentie mal cette fois là, dit il en brisant le silence.

- Cherches-tu à te rendre coupable de cela ? demanda-t-elle tout en respirant les parfums orientaux dans le cou de Terry.

- Oui, parce que j'aurais dû chercher à te rassurer. T'écrire en Angleterre ou chercher où vivaient les André à Chicago ou demander de tes nouvelles par la Maison Pony ... j'aurais pu faire mille choses pour te faire savoir que mes sentiments n'avaient pas changé ! Mais il n'en a pas été ainsi. Je t'imaginais inaccessible là-bas en Angleterre. Je voulais attendre jusqu'à ce que je puisse revenir avec un nom et une carrière et si telle était ma chance, voir si tu pensais encore à moi. Je sais maintenant que ça a été une erreur.

Sans rompre leur étreinte, Candy leva son regard pour observer l'expression du jeune homme. Il y avait cette étincelle d'amertume au fond de ses yeux bleus que les mauvais souvenirs venaient de réveiller. La jeune fille, qui détestait le voir triste, se récrimina intérieurement d'avoir entamé une pareille conversation.

- Ne souffre pas en pensant à cela, dit-elle en levant sa main pour caresser la joue du jeune homme. Je ne voulais pas en parler parce que je craignais que le fait que j'aie douté de toi à ce moment-là t'inquiète.

- Je ne peux pas t'en vouloir. Ce qui me déplait, c'est que mon silence ait donné l'occasion à Elisa de te faire du mal. Les caresses de Candy commencèrent à obtenir l'effet souhaité chez son mari et son regard changea alors de contraste, chargé de dévotion et d'affection.

« Sait-elle qu'elle me désarme quand elle me regarde de cette manière ? » pensa-t-il en sentant que la chaleur de Candy dissipait son sentiment de repentir, en le remplaçant par autre différent . D'autre part, j'admets qu'il est quelque peu flatteur de penser que tu as été jalouse pour moi, bien que ce soit sans justification, parce que je peux te jurer que Susanna ne m'a jamais intéressé. Tu as été la seule femme que j'ai aimée et ne crois pas que cela va changer dans le futur.

Terry paraissait savoir toujours choisir les mots justes pour lui faire fondre le cœur , pensa alors Candy, émue.

- Passer par ces moments pénibles et tous ceux qui ont suivi étaient la condition pour entendre ce que tu viens de dire.

Sans réfléchir davantage, la jeune fille leva instinctivement son visage et entrouvrit les yeux jusqu'à ce que ses lèvres rencontrent les siennes. Le silence régna de nouveau dans la chambre tandis que les lèvres de Terry entouraient celles de Candy d'une humidité tiède, devant laquelle il lui était impossible de résister. Il lui fallait céder jusqu'à leur permettre l'accès total et ensuite participer à ces échanges intimes et humides d'un baiser passionné. Comme si les mots de Terry n'avaient pas été suffisants pour assurer à Candy qu'elle était la seule propriétaire de son affection, ses caresses étaient maintenant plus éloquentes.

Le baiser tarda à se rompre, il se dilua doucement pour ensuite se transformer en un simple échange de regards. En descendant dans la surface verte des yeux de Candy, le jeune homme se rendit compte de leur vulnérabilité l'un face à l'autre. Ainsi, le cœur totalement à découvert, tous deux pouvaient mutuellement se blesser s'ils n'y prenaient pas garde.

- Aimer implique être dans les mains de l'autre, dit-il en la tirant de ses pensées tandis que ses mains se promenaient distraitement sur la peau de son cou. Regrettablement, quand on aime, il est souvent inévitable de souffrir de la jalousie au moins une fois, ma chérie. Je me souviens avoir ressenti cela pour toi une infinité de fois.

- Quand je t'ai parlé d'Anthony... osa-t-elle mentionner, en comprenant finalement les sentiments de Terry.

- Je déteste l'admettre mais... reconnut-il avec un sourire aigre-doux, tandis que sa voix était devenue plus audible, mon sang bouillonnait dés que je t'entendais parler de lui avec tant de passion ! J'aurais voulu effacer jusqu'au dernier souvenir que tu avais de lui ou changer le passé et faire que tu me connaisses d'abord.

- Quelles folies dis-tu ! s'exclama-t-elle avec un sourire léger tandis qu'elle commençait à bouger pour se lever, mais au lieu de la libérer, le jeune homme la rassit sur ses jambes, refusant de renoncer à la chaleur de son corps.

- J'ai été fou de toi depuis la première fois que je t'ai vue alors, lui murmura-t-il à l'oreille, sa peau délicate brûlant sous le contact de l'haleine du jeune homme. Je pense qu'on ne pouvait pas haïr quelqu'un comme j'étais arrivé à le haïr lui sans même l'avoir jamais connu.

Tout en parlant, la main droite de Terry se glissait par l'ouverture du peignoir de Candy, en découvrant les jambes de la jeune femme.

" Je n'étais pas capable de comprendre tes réactions d'alors. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi tu te fâchais tellement quand je le mentionnais et que tu disais ces choses aussi dures à son sujet ", interpréta-t-elle intérieurement, tout en frissonnant de sentir qu'il commençait à lui caresser la jambe avec le contact de deux doigts seulement, qui la parcouraient de la cheville jusqu'au genou.

- Je sais que j'ai été injuste avec toi et avec lui, continua-t-il d'une faible voix, sans cesser de la toucher, mais ma réaction était tellement viscérale que je ne pouvais pas la contenir.
Quand tu te mesures à quelqu'un qui rivalise avec toi pour l'affection que tu veux, il est très difficile d'être rationnel et tu sais que je peux être violent. Toutefois, j'ai eu d'autres accès de jalousie nettement pires.

- De quoi parles-tu ? demanda-t-elle troublée. L'histoire d'Anthony était quelque chose qu'elle pouvait comprendre mais elle ne voyait pas d'autres motifs pour lesquels Terry aurait pu être jaloux.

- Je parle de chacun des hommes de ce monde qui pouvaient aspirer à occuper ma place quand nous avons rompu, expliqua-t-il sans cesser de surveiller le parcours de sa main de haut en bas sur les jambes de sa femme. Je parle de cet inconnu qui s'approcherait tôt ou tard de toi pour te parler d'amour alors que  je devenais seulement un mauvais souvenir dans ta mémoire, et ensuite de ce maudit Daniel Legrand qui a eu l'audace de penser à se marier avec toi, même contre ta volonté.

- Mais en fin de compte il a été l'excuse que nous attendions pour être à nouveau ensemble, non ? Je suis maintenant tellement heureuse que je pourrais lui pardonner tous les mauvais moments qu'il nous a fait passer.

Pendant un moment, la main du jeune homme qui se tenait à peine à un centimètre du genou droit de sa femme s'arrêta.

- Peut-être que toi, qui es meilleure que moi, tu pourras le faire, affirma-t-il en reposant son front sur le cou de la jeune fille, mais je n'oublie pas les choses aussi simplement. Tu ne t'imagines pas la colère qui m'a envahi quand Albert m'a informé sur les intentions de Legrand. Notre ami savait fort bien que dès que je serais au courant de cela, je perdrais tout sens de la mesure et serais disposé à faire n'importe quoi pour éviter ce mariage, même si cela impliquait de m'exposer à nouveau à la douleur de te voir. Si tu avais aimé Legrand, cela aurait été différent. Cela m'aurait blessé jusqu'à l'âme mais je me serais tu et aurais alors ravalé ma jalousie. Toutefois, le seul fait d'imaginer Daniel te tenir dans ses bras sans que tu le souhaites, en t'ayant forcé à l'épouser, me dégoûtait et me mettait en rage.

La voix de Terry retentissait de la force des sentiments qu'elle évoquait. Candy pouvait percevoir la tension à travers le contact de sa main sur son genou. Les doigts du jeune homme descendirent légèrement sur la peau blanche de la jeune femme.

- Qu'aurais-tu fait si j'avais décidé de refuser de me marier avec toi pour ne pas devoir mentir ? demanda-t-elle sans pouvoir réprimer l'idée.

- J'ai pensé à cette possibilité et bien que je ne l'aie pas alors dit à Albert, je m'étais résolu dans ce cas à prendre les mesures les plus radicales.

- Qu'est-ce que tu pensais faire ? s'enquit-elle dans un froncement de sourcils.

- Tuer Daniel, évidemment ! Je n'imaginais pas le laisser une seconde de plus en vie pour qu'il te touche même du bout des doigts !!!

- Terry !

Le visage de la jeune femme devint soudain sombre. Candy sentit que son sang se glaçait devant la froideur avec laquelle il avait élaboré ses plans.

- Quoi ? demanda-t-il sans perdre son sérieux.

- Je n'aime pas t'entendre parler ainsi, répondit-elle, préoccupée.

- Je l'admets, répondit Terry en radoucissant son expression, mais je suis honnête avec toi. C'est ainsi que je me sentais et je t'assure que si j'avais dû le tuer pour te protéger, je n'y aurais pas réfléchi à deux fois. Si j'avais fait cela en pensant que ce qui nous unissait était un amour à sens unique que tu ne me rendais plus, imagine maintenant que tu es ma femme ! Mais ne t'inquiète pas, je ne crois pas que l'occasion de libérer le monde d'un idiot de plus se présente maintenant, ajouta-t-il finalement sans pouvoir contenir son humeur noire.

- Tu ne devrais pas jouer avec cela, Terry. Nous devons oublier ces choses qui nous ont faits nous sentir aussi mal et apprendre à pardonner. C'est ce que Dieu attend de nous.

- Oh non ! Je n'ai pas envie de rentrer avec toi dans des discussions théologiques, sourit le jeune homme en levant les deux mains en signe de renonciation. Je n'ai jamais assisté à l'office de la Sœur Grey et quand j'allais à la messe, c'était uniquement pour attirer l'attention des jolies filles, ajouta-t-il avec un clin d'œil.

- Tu frises l'impertinence, l'accusa-t-elle en lui donnant une pichenette avec le poing fermé sur celui de Terry. Tu es un effronté et un irrespectueux. Tu ne devrais pas prendre Dieu aussi à la légère.

Même en souriant de cette manière mi-solennelle, mi-détendue, Terry prit la main de Candy et la plaça sur sa poitrine.

- Je ne suis pas un homme croyant dans le sens orthodoxe du terme, Candy mais une personne qui aime comme ce cœur t'aime, pourrait douter parfois que Dieu existe. Il faut croire qu'une force plus grande que celle de l'homme a été nécessaire pour t'avoir créée.

- Mon amour... balbutia-t-elle en fermant les yeux devant la pluie de baisers légers qu'il laissa couler sur son visage.

- Appelle-moi encore ainsi, murmura-t-il tandis qu'il descendait ses lèvres sur sa gorge.

- Terry, mon amour, répondit Candy en accompagnant sa réponse de caresses dans sa nuque.

- Tu ne sais pas toutes les fois que j'ai rêvées de t'entendre m'appeler ainsi ! chuchota-t-il entre ses baisers.Tu ne sais pas les cauchemars que j'ai eus en m'imaginant que tu appelais ainsi, un autre qui n'était pas moi !

- Depuis l'époque du collège, il n'y a personne que j'ai appelé de cette manière même dans mes rêves, mon amour, répondit-elle en commençant à reconnaître en elle-même la fébrilité qui présage de l'acte d'amour tandis que les mains de Terry reprenaient leur chemin le long de ses jambes.

- Tu es seulement à moi alors ? demanda-t-il en palpant doucement la peau intérieure sensible de ses cuisses.

- Tu en doutes encore ? Ne t'ai-je pas déjà donné suffisamment de preuves indéniables ?

- Cela ne me suffit pas encore. Je veux t'avoir à moi seul pour l'éternité, murmura-t-il en s'arrêtant pour la regarder. Ses yeux scintillèrent d'un brillant différent pendant un bref moment de silence avant de parler à nouveau : Déshabille-toi, mon épouse. J'ai besoin de te voir ... de te toucher jusqu'au dernier recoin. Aide-moi à oublier les peurs et les incertitudes d'avant.

Cette demande était quelque chose de totalement nouveau pour Candy. Dans sa courte expérience comme amante de Terry, il avait toujours été celui qui lui enlevait ses vêtements au milieu des caresses. La notion était non seulement nouvelle mais inquiétante. Cependant, son regard reflétait une angoisse étrange qu'elle souhaitait effacer. « Aide-moi à oublier » avait dit Terry d'une voix altérée par l'émotion. Elle aspirait justement à cela. Lui faire oublier toute sa morosité pour aller de l'avant, aller vers sa vie, sans retour sur les douleurs passées.

Avant d'y réfléchir une seconde fois, la jeune fille se leva pour faire ensuite un pas en arrière. Le feu de la maison découpait son visage avec une lueur dorée. En soutenant le regard de son mari, qui s'était assis sur le tapis, la jeune femme se dévêtit lentement de son peignoir de velours qui tomba lourdement au sol.

Un clignement léger dans les yeux de Terry trahit son excitation en remarquant que la lumière du feu sur la chemise de nuit de Candy la rendait plus transparente, dévoilant complètement la forme de ses jambes jusqu'au point où toutes deux trouvaient naissance.

- Tes cheveux, dit-il, la voix tremblante d'émotion.

Candy ne répondit pas, mais délia immédiatement le ruban qui soutenait ses boucles en les laissant tomber sur son dos. Les cheveux glissèrent sur ses épaules. Le regard de Terry suivit la descente des boucles avec la même intensité qu'il avait observée sa silhouette dévoilée par le feu de la cheminée.

Depuis les boucles dorées reposant sur les épaules de la jeune femme, les yeux de Terry parcoururent ensuite le cou blanc qu'il venait d'embrasser quelques minutes auparavant, et ils descendirent vers les courbes généreuses de la poitrine de Candy, largement dévoilée par le décolleté de sa chemise de nuit et soulignée par la coupe empire du vêtement.

La jeune fille rougit encore plus quand elle se rendit compte où se clouait le regard, pouvant aussi lire la signification de la flamme silencieuse qu'on voyait s'agiter dans le fond de ses yeux bleus. Donc, avec un mouvement léger de son sourcil gauche, il lui intima ce qu'il voulait qu'elle fasse à ce moment-là, sans dire un mot.

Lentement, elle dirigea sa main droite vers les boutons de sa chemise de nuit qui partaient du décolleté jusqu'à la ceinture. Terry suivait des yeux les boutons qui se détachaient, tandis que  davantage de parcelles de la peau blanche et arrondie des seins de Candy s'exposait à sa vue, visiblement agités par une respiration irrégulière. La chemise proposa vite une ouverture qui laissait une plus grande vision aux yeux de Terry, mais couvrait encore les points roses qu'il pouvait deviner sous la mince toile de la chemise de nuit.

Candy s'arrêta en se mordant une lèvre sans savoir que le geste intensifiait encore plus la flamme de la séduction. La signification du regard de Terry était particulière. Sans pouvoir résister, la jeune femme glissa son pouce sous une des bretelles qui soutenaient sa chemise de nuit en la faisant descendre sur son bras, révélant alors dans sa totalité, la courbe voluptueuse de son sein plus blanc dans la pénombre du soir, et le point sensible dans lequel brillait le mamelon durci. Tout en maintenant sa chemise de nuit à la ceinture, la jeune fille répéta l'opération avec l'autre bretelle.

Terrence s'efforçait de rester calme. Son épouse pouvait le faire fondre d'un sourire seulement. La voir ainsi, à moitié nue, allait au-delà du ravissement. Terry douta, pendant un instant, de pouvoir résister jusqu'à la fin à ce torrent exaltant, de regarder mais sans toucher. Cependant, il décida d'attendre quand les mains de Candy commencèrent à détacher la toile qui soutenait encore la chemise de nuit à la hauteur de la ceinture. Le vêtement descendit sur ses hanches en laissant voir son ventre blanc, jusqu'à la zone du pubis, pour finalement tomber définitivement aux pieds de la jeune fille, révélant alors sa nudité complète.

Tous deux demeurèrent immobiles une seconde. Elle, en luttant contre l'intensité de ce moment qui menaçait de lui faire perdre tout sens ; lui, en savourant la sensualité de sa femme qui se propageait sur chaque centimètre de son corps et l'agitation de sa respiration.

Pendant une seconde, le jeune homme médita d'une certaine manière, sur cette pudeur infantile qu'elle gardait encore, bien que leur relation à tous deux ait cessé d'être platonique, ce qui engendrait que cela la rendait bien plus excitante pour lui que l'attitude expérimentée d'autres femmes. Le jeu de dissimulation de Candy l'incitait à un désir de chaque fois la séduire, et dans cette tentative, lui à son tour était séduit.

- Faisons ceci plus équitablement, dit finalement Terry en se mettant debout mais sans s'approcher d'elle.

À un rythme clairement plus rapide que le sien, le jeune homme enleva le pull-over noir qu'il portait, découvrant ainsi son torse. Il s'arrêta ensuite pour regarder le visage de Candy.

- Tu ne dois pas dévier le regard, lui ordonna-t-il en se déplaçant pour s'approcher. Candy retourna alors son regard qu'elle avait dirigé vers le sofa derrière Terry.

Il savoura le clignement furtif de ses yeux verts quand le son métallique de la boucle de sa ceinture s'ouvrit en brisant le silence qui avait précédé cette opération.

Le pantalon au sol, elle put non seulement admirer les jambes fermes de l'homme, mais vérifier que l'activité à laquelle elle s'occupait depuis quelques minutes, avait déjà produit des effets naturels sur son corps. Candy elle-même pouvait percevoir son propre corps depuis son intérieur, là où cette sensation humide lui était déjà familière. S'il décidait de la prendre sans plus attendre, elle était prête pour lui. Mais le jeune homme avait d'autres choses à l'esprit...

Les doigts de Terry retirèrent finalement le dernier vêtement qui le couvrait tandis que ses yeux se régalaient de l'effet de la vision totale de son corps, ferme et prêt pour l'amour, qu'il provoquait en Candy. Profitant de l'immobilité de la jeune femme, il s'approcha d'elle d'un pas de plus, jouissant encore de la vision de sa femme nue face à lui, tremblant légèrement face à l'anticipation de ce qui allait arriver.

- Quand je t'ai embrassée en Ecosse, dit-il alors en la surprenant par le choix de ce sujet dans un moment semblable, c'était ta première fois, n'est-ce pas ? demanda-t-il en approchant davantage son visage du sien.

- En effet, balbutia Candy en sentant que le dos de la main de Terry effleurant à peine sa joue, était une caresse aussi excitante qu'une plus intime.

- Et le jour de notre mariage, à l'autel... Etait-ce la seconde fois que tu étais embrassée dans ta vie ?

- En effet, répondit-elle avec à peine un filet de voix, sans pouvoir soutenir son regard.

La conclusion était simple.

- Alors, cela veut dire que seulement moi ... commença-t-il à dire mais il ne put terminer. Les lèvres de Candy, entrouvertes par la respiration entrecoupée, étaient une invitation à laquelle il ne pouvait plus résister. L'embrasement qui suivit fut total dès le début, les corps nus joints, les bras tendus pour se tenir, et les bouches s'unirent en s'ouvrant l'une l'autre dans un échange prolongé de douceurs humides, de fermeté et d'anxiété aigue qui était confiante et désespérée.

Les baisers se succédèrent l'un après l'autre, échangeant de douces morsures, savourant les lèvres et chaque coin de la bouche. Candy s'abandonna complètement aux caresses de son mari qui mûrissaient de la tendresse à la force passionnée, de façon presque angoissante. Dans sa courte expérience, elle avait appris que Terry aimait dominer dans l'échange affectueux avec la même véhémence et le même excès avec lequel il faisait et ressentait toutes les choses. Donc, dans ces moments, elle n'avait d'autre choix que de lui permettre de la prendre sans s'interroger sur le fait que les caresses qu'il lui donnait, étaient conventionnelles ou non. Quand il était en feu, les baisers de Terry étaient fermes, ils la forçaient à ouvrir la bouche totalement, lui dévorant la langue, ils la pénétraient avec dureté, ils changeaient de position constamment, en explorant chaque angle de sa bouche, en la mordant et en suçotant, avec une anxiété alarmante de posséder et contrôler. Ainsi le baiser dura un bon moment, mais il interrompit alors ses assauts pour la regarder à nouveau dans les yeux.

- Dis le moi, la supplia-t-il, dis-moi que je suis le seul.

- Que veux-tu entendre ? lui répondit-elle interrogative, luttant pour contrôler l'agitation vers laquelle il l'avait menée. Veux-tu que je te dise que tu es l'amour de ma vie et que personne n'a possédé mon cœur de la manière dont tu le possèdes maintenant ? Ou te suffit-il de savoir que mes lèvres et tout mon corps ont été uniquement à toi ? demanda la jeune femme.

- Je veux les deux et je veux encore plus, lui répondit-il en la faisant marcher jusqu'au lit sans cesser de l'embrasser, leurs jambes entrelacées à chaque pas.  L'autre nuit, quand tu nourrissais le petit Nathan, qui est blond tout comme toi, j'ai imaginé pendant un moment que cet enfant était le nôtre. C'est à peine si je peux attendre de te voir enceinte et de savourer la certitude que cette créature sera mienne, parce que tu es précisément à moi et seulement à moi, expliqua-t-il en déplaçant la couverture sur le lit tout en s'accordant finalement le cadeau de prendre une mèche de cheveux de Candy dans une main et un sein dans l'autre dans un geste qui illustrait corporellement l'essence de ses sentiments territoriaux.

- Je veux aussi avoir ton fils en moi, admit-elle.

- Quand ?

- Depuis longtemps.

- Combien ?

- Nous devons attendre au moins deux mois et il ne s'en est pas encore passé un depuis la première fois que ...

-... que j'ai fait de toi ma femme, compléta-t-il en perdant ensuite tout intérêt pour la conversation tandis qu'il commençait à marquer son territoire avec des baisers sur chaque parcelle de peau.

Les caresses et les baisers se succédèrent de façon prolongée. Terry sentait le corps de Candy se convulser sous sa bouche et ses mains. Dans ses oreilles, il écoutait la chanson des gémissements étouffés de la jeune femme. Savoir que c'était par lui, par ses caresses en elle, que la voix de Candy devenait transfigurée à cause de l'excitation, avait sur Terry un effet extasiant. Comme jamais avant jusqu'à cette nuit, l'homme perçut que son contact portait la jeune fille jusqu'à une nouvelle frontière, où son corps paraissait ne plus avoir de contrôle sur lui-même. Son abandon était total. Cette certitude ravissante raviva dans sa mémoire un caprice que jusqu'à cet instant, il n'avait pas osé satisfaire. Il voulait qu'elle soit prête à jouir de lui autant que lui même le ferait. Soumise et fébrile comme elle l'était, cela paraissait être le moment parfait.
Perdue dans son délire, Candy sentit que la bouche du jeune homme abandonnait finalement sa poitrine, bien gonflée par l'excitation, pour descendre se risquer vers son ventre et ensuite, à sa grande surprise, franchit l'étape de sa montagne de Vénus. Avant que son esprit ne puisse réaliser ce qu'il se passait, les lèvres de Terry étaient descendues avec aisance jusqu'à sa partie la plus australe tandis qu'elle criait d'étonnement et de plaisir en même temps.

Candy réagit avec force devant ce contact en comprenant qu'il lui donnait un premier baiser différent, infiniment plus intime et plus inquiétant. Identiques à ceux qu'il prenait sur ses lèvres, les baisers de Terry en elle ne se contentèrent pas de la surface, et rapidement, ils examinèrent les secrets intérieurs de son corps avec toute la force passionnelle dont il avait l'habitude.

La notion du temps, d'espace, de bien et de mal disparurent ensuite durant les minutes suivantes tandis que Terrence emmenait son épouse vers un terrain inconnu, en se délectant à la fois du plaisir qui lui était donné de posséder le corps de Candy et de la voir jouir dans cet échange.

La bouche de Terry ne tarda pas à porter Candy vers l'extase et jusqu'au sommet de l'expérience sensuelle par deux fois avant qu'il ne se décide finalement à prendre complètement possession  d'elle et à rassasier le besoin urgent qu'il ressentait de la posséder complètement Alors qu'elle était encore agitée de la jouissance de son deuxième orgasme, il réclama ses droits conjugaux sans préavis. Il n'avait pas besoin d'autres signes ou d'aucun assentiment de personne. Avant de descendre finalement de l'endroit où il l'avait portée, Candy sentit la présence de son mari en son for intérieur et une force animée dans ses entrailles. Sans réfléchir, les extrémités de la jeune femme fusionnèrent complètement avec lui, l'entourant de son corps avec force, s'unissant de ses propres mouvements à la frénésie du moment.

En entendant ses propres gémissements, en sentant ses ardeurs pour entrer en elle un nombre incalculable de fois et sa voix qui se brisait parfois dans des phrases libres dénuées de sens, Candy comprit qu' à ce moment encore, il dominait et possédait, et qu'en même temps, il lui appartenait comme à personne d'autre dans le monde. Ce n'était pas la première fois qu'ils faisaient l'amour, la certitude qu'il était sur le point de la remplir de lui-même n'était pas nouvelle; ce qui était différent, considérablement différent, c'était de sentir au milieu de la démence passionnelle, qu'elle ne pourrait pas être à un autre de cette même manière et qu'il serait lui aussi incapable de se livrer à une autre comme il le faisait avec elle.

Avec cette dernière pensée cohérente, la jeune femme se raidit au moment d'arriver à la fin du chemin avec Terry. Il laissa échapper quatre longs gémissements et s'effondra ensuite sur elle, en soutenant son poids sur ses coudes pour ne pas l'accabler, parce que bien qu'il soit svelte, il était cependant trop grand pour ne pas faire suffoquer Candy s'il laissait aller tout son poids !

- Jamais personne ne pourra prendre ce qui t'appartient dans mon âme et dans mon corps, l'entendit-il alors lui dire à l'oreille, tandis qu'elle lui caressait le dos du doux contact de ses doigts.  Tu es l'unique.

Après cela, il ne put en savoir plus parce qu'il s'endormit, en laissant son instinct réaliser son rêve jusqu'à la laisser dormir en reposant sur sa poitrine. A ce moment-là, tous les deux sombrèrent dans le sommeil.

**********************

Une année ne s'était pas encore écoulée. Elisa avait attendu et avait calculé les choses avec une patience inhabituelle. Frère et sœur Legrand avaient longuement discuté sur comment orchestrer leur vengeance en détails et après beaucoup de désaccords, ils étaient finalement arrivés à une conclusion. Même si Elisa préférait les pièges élégants, il fallait penser cette fois à quelque chose de violent ; mais non de la manière selon laquelle Daniel l'avait à l'origine projetée. Insérer d'autres personnes dans la réalisation finale de l'objectif était dangereux.

Avec beaucoup de calme, ils avaient réfléchi aux possibilités existantes et avaient écarté mille options maintes et maintes fois. Par moment, Daniel paraissait s'essouffler en voyant que tant d'obstacles et de sentiment rendaient ses fins plus inaccessibles chaque jour. Toutefois, Elisa s'était chargée de nourrir la haine de son frère de manière constante, en chargeant le feu de sa passion malsaine de toutes les manières possibles pour assurer sa coopération dans les plans.

Souvent, quand ils étaient seuls, Elisa ravivait le sujet et encourageait son frère quand il avait suggéré que même s'ils n'utilisaient pas de tierce personne pour le moment décisif, ils devaient au moins  maintenir quelqu'un pour surveiller les mouvements de Candy.

Elisa savait qu'il était nécessaire d'avoir ces informations pour obtenir ce qu'elle voulait et parallèlement, une excellente occasion de maintenir l'esprit de son frère focalisé dans son obsession s'était produite. La jeune femme avait chargé son espion de suivre la vie des Grandchester de très près et de prendre autant de photos qu'il lui était possible de l'épouse de l'acteur.

Chaque semaine, un paquet avec le rapport des activités de Candy et une série de photographies arrivaient. Elisa étudiait les informations et Daniel examinait les photos avec un mélange infirme de haine, de zèle et de désir. Elisa pensait que c'était la meilleure manière de maintenir vivante la flamme de la vengeance dans le cœur de son frère. Durant le mois de mars, les journaux annoncèrent la nouvelle selon laquelle l'épouse de Terrence Grandchester était enceinte. Ce fut un coup particulièrement dur pour Daniel qui s'enferma dans sa chambre pendant plusieurs jours sans vouloir voir personne, même pas Elisa.

Si un quelconque doute était resté à Daniel sur l'authenticité du mariage, celui-ci se dissipait semaine après semaine pendant que les photographies qu'envoyait l'espion témoignaient des changements indéniables dans le corps de Candy. Dans la même proportion suivant laquelle le ventre de la jeune femme croissait, le cœur de Daniel sombrait davantage dans la caverne lugubre de la haine ; une haine irrationnelle et pernicieuse contre la créature que Candy portait dans ses entrailles et contre l'homme qui l'avait conçue. Elisa, pour sa part, qui avait toujours détesté Candy avec la même certitude constante, la haït plus encore pour être la cause de la tristesse de son frère et pour avoir tout ce qu'elle n'avait pas pu atteindre.

Il était difficile d'attendre quand le cœur demandait expressément à être vengé le plus rapidement possible ; spécialement après la naissance du fils des Grandchester. Daniel avait voulu kidnapper l'enfant immédiatement et ainsi satisfaire sa haine une fois pour toutes. Elisa préféra attendre. Finalement, par un matin gris de novembre, la jeune femme reçut des nouvelles qui paraissaient être le signal qu'il était l'heure de commencer à bouger.

William Albert André avait annoncé à la famille qu'il partirait pour un long voyage qui servirait d'abord à vendre les propriétés que les André avaient au Mexique et ensuite à connaître le côté sud de l'Amérique. Elisa craignait Albert plus que personne dans le monde. Elle redoutait son pouvoir et aussi son intelligence. Elle savait que le Grand Oncle la tenait à l'oeil. Si elle se trompait seulement dans un petit détail, Albert l'écraserait sans broncher. Les nouvelles de son départ furent alors la lumière qu'elle attendait.

Toutefois, il restait encore un autre obstacle à vaincre et celui-là, c'était Terrence lui-même. L'homme maintenait une surveillance absolue sur sa famille et était suffisamment perspicace pour découvrir les intentions des Legrand s'ils n'agissaient pas avec les soins suffisants. Heureusement pour les Legrand, il y avait une ouverture, un talon d'Achille dont la faiblesse pouvait leur profiter.

Le travail de Terrence l'obligeait à faire une tournée annuelle chaque mois de décembre. Candy ne pouvait pas aller avec lui du fait que leur fils était encore trop petit pour être emmené lors un voyage de ce type. Toutefois, quand la tournée serait terminée, il retournerait à New York pour partir avec sa famille en direction de Lakewood, où ils passeraient la période de Noël.

Le fait que Terry ne soit pas à New York n'impliquait pas que Candy soit seule. La maison était pleine de domestiques, y compris le chauffeur omniprésent et l'escorte qui jusqu'alors avait été une constante dans la vie des Grandchester. Candy détestait se sentir toujours surveillée, mais c'était le seul point sur lequel Terry avait refusé de faire plaisir à sa femme.

Le 19 décembre, toutefois, ce serait le dernier jour où les domestiques resteraient dans la maison. Tout comme l'année précédente, les Grandchester donneraient deux semaines de vacances à leurs employés et fermeraient la maison jusqu'à leur retour en janvier. Candy, soucieuse d'être à nouveau avec son époux, comptait les jours tandis qu'elle continuait à s'occuper des préparatifs et payait les salaires à ses employés.

Terry devrait arriver le 20 après-midi, avant que les serviteurs ne soient partis pour leurs vacances. La famille passerait la nuit dans sa maison et partirait très tôt le matin vers l'Illinois. La veille du retour de Terry, Candy révisait dans son esprit la liste des choses en suspens à accomplir. Les valises étaient prêtes, les meubles couverts, le jardin intérieur était mort pour l'hiver donc il n'avait pas besoin de soin. Tout était prêt.

**********************

Le matin suivant, Elisa observait depuis la fenêtre de la voiture dans laquelle elle avait suivi Candy, comment la jeune femme était descendue de sa Jaguar avec le bébé dans ses bras, accompagnée de Harry. C'était une visite que Candy faisait régulièrement à la maison d'Eléonore Backer toutes les semaines. Elisa savait bien que Terry rentrerait ce même après-midi. Obtenir l'information n'avait pas été facile.

L'espion qui les avait observés ces derniers mois, avait eu la bonne idée de postuler pour un emploi dans la même entreprise de construction et de restructuration que les Grandchester avaient utilisée pour faire quelques changements dans leur maison quand ils avaient appris qu'ils allaient être parents. Durant quatre semaines, l'homme d'Elisa qui avait eu accès à la maison, avait étudié sa disposition et avait eu une conversation avec tous les employés en devenant l'ami d'un des hommes de cuisine. Amitié qu'il avait eu soin de conserver à force d'invitations généreuses dans un bar, pour être maintenu au courant des nouvelles.

C'était ainsi qu'Elisa s'était informée des plans des Grandchester avec luxe de détails. Il semblait que Terry avait très bien pensé les choses. Selon ses plans, Candy et son bébé ne seraient pas un moment seuls même s'il était absent. Elisa et Daniel avaient fait le voyage jusqu'à New York dans l'espoir que quelque chose manque durant ces jours-là  mais à leur grande déception, ils n'avaient trouvé aucune occasion d'obtenir ce qu'ils souhaitaient : nuire à la jeune femme et au petit.

Une fois de plus, la visite à la mère de Terry se passa comme d'habitude et après l'heure du déjeuner, Elisa put voir de nouveau le visage de Candy, vêtue d'un manteau couleur paille avec des ornementations de la couleur du vin et un grand chapeau aussi rouge foncé, sortir de la maison avec le bébé. Le froid hivernal paraissait être en recrudescence et la jeune femme blonde portait maintenant des gants épais et le voile de son chapeau lui couvrait le visage. Le bébé reposait dans une couverture de laine et coton.

Une fois de plus, le regard du chauffeur paraissait couvrir la périphérie avec soin. Les hommes de l'escorte dans l'autre voiture observaient eux aussi tandis que la dame montait dans le véhicule. Une fois de plus, toute possibilité était écartée. Elisa était véritablement essoufflée. Sans que les Legrand ne puissent rien faire pour l'éviter, Candy retournerait à sa maison sans le moindre problème.

Cependant, dans les heures suivantes, quelque chose d'extraordinaire se produisit. L'attendue arrivée de Grandchester ne se déroula pas comme prévu. Le chauffeur qui était allé le chercher à la gare revint seul. Elisa et Daniel ne savaient que penser, ils recoururent donc immédiatement à leur espion pour qu'il utilise à son tour son contact dans la maison afin de s'informer de ce qu'il s'était passé.

Les nouvelles qui leur furent apportées quelques heures plus tard étaient particulièrement prometteuses pour le frère et la sœur. Le train dans lequel voyageait Grandchester avait été arrêté à mi-chemin en raison de la neige et vu la manière dont s'annonçaient les choses, il ne reviendrait pas à New York avant au moins quelques vingt-quatre heures. Malgré ce changement, il semblait que Candy n'avait pas voulu modifier les plans quant aux serviteurs. La maîtresse de maison avait insisté sur le fait que tous partiraient en vacances ce même après-midi selon ce qui était prévu, en restant seulement avec Harry et Lucy pour cette nuit-là.

- C'était justement ce que nous attendions ! s'écria Elisa quand son espion finit de donner son rapport d'information.

- Je ne vois pas de raison pour s'affoler. Cet Harry est dans la maison, répondit encore Daniel sans beaucoup d'enthousiasme.

- Mais nous pouvons le faire sortir pour le temps qui nous est nécessaire, continua Elisa en dirigeant la tête vers son homme de confiance. J'aurais seulement besoin que tu fasses un dernier travail pour nous. Tu as dit que cet Harry a une vieille tante qui vit seule à Plainfield, dans le New Jersey, exact?

- En effet, Mademoiselle, dit l'homme face à Elisa.

- Alors, ce soir, après neuf heures, tu passeras un appel à la maison des Grandchester en demandant Harry. Quand ils te le passeront, tu diras que tu parles de l'hôpital de Plainfield, que sa vieille tante est tombée malade et a été emmenée au dispensaire par les voisins. Cela forcera le chauffeur à faire le voyage jusqu'au New Jersey, immédiatement. Cela lui prendra au moins quatre heures aller et retour.

Alors que Daniel écoutait les plans de sa sœur, un sourire lent commença à se dessiner sur ses lèvres. Il devait reconnaître que sa sœur était réellement prête. C'était une chance qui serait de son côté.

- Une fois que tu l'auras appelé, tu nous rejoindras, continua la jeune femme en marchant lentement le long de la chambre. Tu prendras ton argent et tu disparaîtras du pays. Je ne veux pas savoir que tu es revenu durant les cinq prochaines années. Tu ne me connais pas, ni mon frère, compris ?

- Compris, Mademoiselle, assura l'homme avec un signe de tête.

- Maintenant retire-toi, ordonna sèchement la jeune femme et elle ne dit pas un mot jusqu'à ce qu'elle ait pu observer que l'homme sortait de la maison.

- Je peux à peine croire en notre fabuleuse chance, ma soeur, dit Daniel quand il se rendit compte que les traits d'Elisa étaient détendus, signe indubitable qu'elle avait vérifié depuis la fenêtre qu'ils étaient réellement seuls.

- Ainsi, c'est encore meilleur que ce que tu crois. Il y aura un changement de plans suprêmement avantageux pour notre tranquillité, dit-elle en s'installant sur une des chaises qui composaient le faible mobilier du lieu.

- De quoi parles-tu ?

- Nous n'allons pas kidnapper Candy. Nous prendrons seulement le bébé, répondit Elisa, avec un sourire malicieux sur sa bouche.

- Ce n'est pas ce qui était prévu ! pleurnicha Daniel et Elisa fut amusée un instant en voyant la réaction immédiate de l'enfant gâté auquel on refuse une sucrerie, se dessiner sur le visage de son frère.

- Si nous emmenons Candy avec nous, on nous reconnaîtra tôt ou tard. Elle peut projeter de s'échapper à tout moment et cela serait extrêmement dangereux. Par contre, avec le bébé nous ne courons pas ce risque, commenta Elisa fascinée devant le dégoût qu'elle faisait subir à son frère durant un instant. La vérité est qu'Elisa ne pouvait pas laisser passer l'occasion de jouer avec les sentiments des gens, même ceux de son propre frère.

- Mais tu m'as promis que je pourrais avoir Candy ! s'écria Daniel désespéré, sa frustration se heurtant seulement à l'éclat de rire moqueur d'Elisa.

- Seul t'importe cela, n'est-ce pas ? répondit Elisa en se levant de sa chaise et en s'approchant de son frère jusqu'à ce qu'elle soit assez près pour chuchoter à son oreille: Tu penses seulement à te retrouver avec elle, n'est-ce pas, Daniel ? Je me trompe ? Ne t'inquiète pas, tu auras l'occasion d'avoir ce que tu veux. Le maudit chauffeur sera absent pendant un bon moment. La cuisinière réside dans la partie arrière de la maison. Candy sera totalement seule. Comprends-tu ?

- Mais elle criera sûrement. Tu sais qu'elle peut être cruelle, objecta Daniel pas encore convaincu par l'idée.

- Elle ne le fera pas si je la menace de faire du mal à son bébé. Elle devra se rendre complètement et tu pourras lui faire ce que tu veux.

- Tu ne crois pas qu'elle me reconnaîtra quand je ... dit Daniel, pensif.

- Non, si tu te couvres le visage et que tu déguises ta voix. Ensuite, quand tu te seras amusé avec elle, tu lui donneras un somnifère et tu la laisseras inconsciente. Quand elle se réveillera, il sera tard et nous serons en chemin pour Boston, où nous sommes censés rendre visite à mon amie Mary Anne.

- Tu es brillante, Elisa, répondit Daniel en souriant finalement. Si dans le kidnapping de l'enfant, la police songeait à les soupçonner, ils auraient de toute façon l'alibi parfait. Mary Anne McFaddin était une amie inconditionnelle d'Elisa qui était disposée à mentir et si nécessaire, à dire que les Legrand étaient avec elle la nuit du kidnapping.


Seul le silence régnait dans le salon principal. Un énorme arbre de Noël brillait dans une extrémité du séjour en illuminant par intermittence la pénombre. Des vêtements foncés et deux visages couverts se glissaient de coins en coins. Il n'avait pas été difficile d'entrer dans la maison. L'espion lui-même leur avait fourni une clé de la porte de service qu'il était parvenu à copier durant la période où il avait travaillé dans la maison.

Les escaliers ne faisaient pas de bruit. Personne ne pouvait même imaginer que dans la maison il y avait une paire d'envahisseurs avec de mauvaises intentions sur le point d'arriver à leur but. Le parcours vers l'étage fut effectué en quelques minutes. Pas un bruit ne perturbait la quiétude nocturne.

Une fois en haut, ils devaient seulement suivre les instructions de leur espion qui leur avait donné une description détaillée de la disposition des chambres. Il y avait un salon secondaire, ensuite trois chambres d'amis, un nécessaire de couture et immédiatement après les chambres principales. À droite celle du Maître de maison, au milieu le vestibule, à gauche celle Madame et de suite après la chambre du bébé. La femme indiqua à son compagnon d'un mouvement de tête, qu'elle se dirigerait vers la chambre de l'enfant. L'homme acquiesça et si le soir n'avait pas couvert son visage presque complètement, elle aurait pu apprécier le sourire de triomphe qui commençait à se dessiner sur ses lèvres.

Quand Elisa entra dans la chambre, Daniel respira profondément et il s'encouragea enfin à pousser le bouton de la porte avec sa main gantée. La porte s'ouvrit sans plus attendre. Le jeune homme essaya d'adapter ses yeux à l'obscurité totale de la chambre jusqu'à ce qu'il puisse reconnaître les silhouettes imprécises des meubles. Le feu s'était éteint dans la cheminée, mais on conservait encore la chaleur de la chambre. Daniel pensa que de toutes manières, il ne lui manquerait pas d'autre chaleur que celle du corps qu'il était sur le point de pouvoir conquérir après tant de temps de passions frustrées.

Ses yeux arrivèrent finalement jusqu'au lit. Le baldaquin était baissé mais une silhouette indéfinie pouvait être aperçue entre la transparence des rideaux. Daniel marcha délicatement jusqu'au bord du lit. Il ne voulait pas réveiller Candy jusqu'au moment où il se jetterait sur elle sans davantage de réflexion. Il convoitait de voir à nouveau ses yeux verts trembler de peur comme cette nuit du concert. Seulement cette fois, Grandchester ne serait pas là pour s'interposer.

L'homme ouvrit enfin les rideaux puis ne bougea plus. Dans son esprit, il anticipait le plaisir sordide de prendre par la force ce qui lui avait été refusé. Il y avait déjà plus de deux ans qu'il avait commencé à désirer Candy et il était maintenant sur le point de satisfaire ses désirs. Il se rappelait que tout avait commencé la fois où elle l'avait sauvé d'une bagarre de rue et lui avait ensuite nettoyé sa blessure avec son mouchoir. Ce geste inattendu lui avait ouvert les yeux pour la première fois et permis de l'observer de près. Elle était jolie et il ne l'avait jamais remarqué avant.

Son visage n'était peut-être pas parfait, mais son nez court avait un caractère curieux ; elle était à la fois amusante et irrévérencieuse. Ses yeux étaient toujours lumineux et il savait largement qu'ils pouvaient être hautains et provocants, mais alors qu'elle s'était occupée de sa blessure, ils avaient pris un ton doux avec lequel jamais auparavant, elle ne l'avait regardé. Cela avait été le début de sa perdition. Il avait souhaité qu'elle le surveille toujours de cette manière et avait pensé que grâce à des yeux comme ceux-là, un homme pouvait faire toute chose.

Il avait ensuite commencé à la suivre de loin et il l'avait alors vu sourire quand elle était avec ses amis. La bouche de Candy ébauchant un de ces sourires, était alors devenue sa nouvelle obsession qui avait ensuite mûri dans le désir plus ardent de manger de baisers cette bouche.

De là, il fut alors assailli de pensées inattendues: pour commencer, découvrir que sa taille était fine, sa peau très blanche, ses hanches tracées avec une courbe lisse s'insinuant sous sa poitrine et sa poitrine jour après jour plus pleine. Une certaine nuit, il avait rêvé qu'elle entrait dans sa chambre pour se dévêtir face à lui, le laissant ensuite la posséder par caprice. Au réveil, il comprit qu'il désirait la jeune fille, mais qu'il ne pourrait pas l'obtenir par un autre moyen que le mariage.

C'est pourquoi il avait décidé de l'épouser, mais ses plans avaient été ruinés par ce maudit Grandchester. C'était maintenant son tour de se satisfaire et en même temps, de percevoir sa vengeance. Il avait voulu l'avoir seulement pour lui comme épouse légitime et lui faire l'amour comme un gentleman, mais elle ne l'avait pas accepté. Maintenant il la prendrait violemment, en la blessant et en l'humiliant ; en la menaçant avec la vie de son fils si elle ne se livrait pas en silence à sa perversion ; il la violerait sans aucune considération, entachant l'honneur de son rival et si la chance était avec lui, il la ferait concevoir un fils qui lui rappellerait pour toujours l'outrage et la perte de l'autre fils qu'elle ne verrait plus jamais de sa vie.

Excité par ses pensées malsaines, Daniel sut qu'il était prêt à ce pourquoi il venait; donc, en considérant la silhouette de la femme couverte sous les draps, il baissa juste le haut de son pantalon pour libérer le nécessaire de son corps. Sans davantage de préambule, il se lança sur le lit, conscient que la nature lui avait accordé la force nécessaire pour dominer sa victime, aussi courageuse qu'elle soit. Grande fut sa surprise quand son premier assaut fut attaqué par un coup violent qui était sans doute aucun, extraordinairement bien trop puissant pour provenir d'une femme.

- Calme-toi ou ma compagne tue ton fils ! parvint à dire Daniel, mais avant qu'il ne puisse continuer, un coup de poing bien envoyé s'imprima sur son nez en le faisant saigner abondamment et en le laissant sonné. Dans la confusion, il put seulement apercevoir une paire d' yeux clairs iridescents  qui brillaient dans l'obscurité tandis que les coups lui pleuvaient dessus. Il se retrouva alors le corps étendu vers le bas, la bouche contre le tapis, ses mains attachées et entendit :

- Qu'est-ce que tu croyais, fils de pute ? Croyais-tu que tu allais pouvoir mettre tes sales pattes sur ma femme ? dit une voix profonde que Daniel reconnut finalement, découvrant qu'il ne vivait pas le meilleur de ses rêves, mais le pire de ses cauchemars.

- E ... Eli ... Elisa, balbutia Daniel dégustant son propre sang.

- Ta chienne de sœur est bien gardée, répondit Terry en se mettant debout après avoir attaché Daniel aux pieds et aux mains. Dans quelques minutes, la police viendra vous chercher.

- Ce sera la honte pour la famille, mais je ne doutais pas de devoir en arriver jusqu'aux dernières limites, dit une seconde voix inattendue et dont le timbre fit se glacer le sang de Daniel qui se trouvait encore dans ses veines. C'était la voix de William Albert André.

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Pendant le procès, les Legrand purent comprendre que loin d'être ceux qui avaient orchestré le piège final, c'est eux qui avaient fini par se faire prendre. Albert n'avait pas voyagé en Amérique du sud comme il l'avait dit, mais une fois la transaction dans la ville du Mexique effectuée, il avait fait le voyage de retour aux Etats-Unis par bateau et avait été hébergé dans la maison des Grandchester sans en avertir personne. Tout le temps que Terry avait été en tournée, Albert avait été avec Candy.

L'homme qui avait été engagé par Elisa pour espionner les Grandchester était arrivé vers elle selon la recommandation de quelqu'un. L'initiateur de toute cette chaîne avait été William Albert lui même, ce qui avait engendré qu' Elisa engage un homme qui en réalité était au service d'Albert André lui-même et connaissait les Grandchester. Chaque donnée que l'espion leur donnait avait pour but de les conduire à l'embuscade finale.

Terry était revenu à temps de son voyage, mais au lieu de retourner à la maison comme d'habitude, il était entré par la porte arrière, sans la compagnie du chauffeur et sans sa valise. L'espion n'avait pas rapporté son retour. Conscients de ce qui allait arriver, Terry et Albert avaient fait savoir à Harry que c'était seulement un tour pour que Candy soit seule dans la maison avec la cuisinière comme seule compagnie.

Candy n'avait pas dormi, évidemment, dans sa chambre, mais dans une des chambres de service et le bébé n'était même pas dans la maison, mais était resté ce même après-midi dans la maison de sa grand-mère, pour l'avoir totalement à l'abri de tout risque. Le reste avait seulement été une question de temps.

Dans la chambre du bébé, Albert avait attendu l'inéluctable arrivée d'Elisa et en moins d'une minute, il l'avait immobilisée et l'avait attachée. Pour Terry, cela fut plus qu'une libération de pouvoir faire ce qui était approprié avec le frère. La déclaration de l'espion avait été plus que suffisante pour inculper les Legrand. De plus, une source avait permis d'arriver jusqu'à l'homme qui avait attaqué Candy dans le parc, il fut retrouvé et appréhendé et celui-ci n'hésita pas à dénoncer son ancien employeur, ce qui fit ainsi plonger Daniel complètement.

La sentence fut grave pour Daniel puisqu'elle ne pouvait être payée avec aucune caution et pour Elisa, le scandale fut suffisant pour la reléguer dans sa maison du domaine de Lakewood sans aucun contact social possible pour le reste de sa vie, ce qui équivalait à une prison tant ou plus amère qu'une prison réelle.

Avec les Legrand neutralisés pour toujours, Candy et Terry purent continuer leurs vies dans la plus grande tranquillité avec laquelle deux personnes au tempérament réfléchi peuvent le faire en vivant ensemble. Conscients que rien n'est parfait et que ce qui est parfait doit sûrement être très ennuyeux, nous pouvons être sûrs que tous les deux ont trouvé que de tous les pièges possibles, le seul dont ils ne se repentirent pas d'être tombés fut le piège de l'amour (en espagnol « La Trampa del Amor »).



FIN

 © Mercurio 

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